Affichage des articles dont le libellé est troupeau. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est troupeau. Afficher tous les articles

samedi 2 janvier 2021

TÉMOINS INDIRECTS DE LA TRANSHUMANCE ANDORRANE, LES AUTEURS DE L'ÉTUDE.

En attendant de trouver quelque chose sur "N. Vaquié"(1*), nous apprenons, Wikipedia aidant, qu'Urbain Gibert (1903-1989) (pour l'année de naissance, une autre source indiquant 1897 semble erronée puisqu'il évoque ses souvenirs d'enfant vers 1912 [voir ci-dessous]), né à Missègre et décédé à Lauraguel a participé à la revue Folklore de 1938 à 1982. Avec cet instituteur entre Corbières et Razès, on ne peut que louer la mission de nos pédagogues de terrain, leur quête du savoir et une volonté de transmettre, non seulement loin d'un dirigisme à la hussarde, mais encourageant au contraire les particularismes identitaires... Il est vrai, tout chauvinisme bu, que l'Aude, notre département, continue de stimuler superbement... Ci-joint, en annexe à notre sujet, la carte de l'élevage en 1970 par Roger Bels... encore un instituteur... Si l'espoir de revenir au pays m'avait été donné, je le serais resté... 
Courtauly wikimedia commons Auteur Tybo2

(1*) Noël Vaquié (1920-1973) né à Courtauly (canton de Chalabre, Aude), correspondant du Midi-Libre.  

Ce tandem d'auteurs, ces passeurs de mémoire ne le clament pas, pourtant ils sont issus de villages, Missègre et Courtauly, respectivement des Hautes Corbières Occidentales et du Quercorb, qui, certainement sur des siècles, ont vu passer les troupeaux dans les deux sens. Urbain Gibert en témoigne : 

"... Et pendant de longs jours, le troupeau avance. Nous le voyons dans nos souvenirs d'enfant (aux environs de 1912) arrivant dans ce village des Corbières : « L'Andorra arriba !... » crient les gosses et « Le troupeau coule son bruit d'eau, il coule à route pleine; de chaque côté il frotte contre les maisons et les murs des jardins » (Jean Giono -Le Grand troupeau). Les ménagères enlèvent précipitamment les quelques pots de basilic ou de géranium qui sont devant les portes, car les chèvres sont rapides et malfaisantes. Les villageois regardaient avec une certaine admiration ces belles bêtes rustiques, habituées à la vie en plein air dans le rude climat des monts pyrénéens (10. En Andorre, le troupeau parque et dort en plein air ; lorsque le berger estime que le pâturage sur lequel se trouve (sic) les bêtes est suffisamment « fumé » par celles-ci, il déplace son troupeau.), parcourant de longues distances en bravant les intempéries, et ils les comparaient mentalement avec leurs brebis aux pattes fragiles, car les pâturages sont peu éloignés des bergeries dans les Corbières, craignant le froid et la pluie. Les moutons, chez nous, ne doivent pas se mouiller, car « perdon le surge »..." (le surge = le suint).   

(sic) "... J'avais surpris mon cher surhomme en plein délit d'humanité : je sentis que je l'en aimais davantage..." Marcel Pagnol, La Gloire de mon Père, 1957... Restons bienveillants à l'égard des fautes d'orthographe... que celui qui n'a jamais fauté le pénalise de 4 points en moins... heureusement que ce barème 5 fautes = zéro n'a plus cours depuis longtemps... 

 

Milobre_de_Bouisse 878 m. wikimedia commons Author Anthospace.

"...  Quant à nous, les gamins, à travers ce mot à étranges consonnances : « L'Andorra », nous rêvions à je ne sais quel pays lointain et mystérieux, pays d'où venaient les montreurs d'ours qui, de temps à autre, passaient dans le village, et ces troupeaux et ces bergers si différents des nôtres, ces troupeaux qui nous paraissaient immenses et dont nous admirions surtout les magnifiques « marrans plan flocats » et bien encornés qui s'affrontaient de temps à autre en des combats singuliers. Quelques ordres brefs, sifflets, jappements, les chiens s'affairent. Voilà le troupeau parqué sur la place autour de la grande fontaine ; il se reposera et dormira là toute la nuit sous la simple garde des chiens. Les bergers, eux, sont allés à l'auberge. Le lendemain de bonne heure, ils sont partis en direction du plateau de Lacamp, laissant à l'aubergiste un agneau « fragile » qui ira s'incorporer à un troupeau du village..." 

Missègre wikimedia commons Author Jcb-caz-11

En hiver, en Andorre, pays de montagne, les troupeaux restaient-ils dans la neige ? Quant à la considération sur les moutons locaux, la comparaison avec les moutons voyageurs ne les avantage pas... (En tant que troisième maillon, puis-je dire en toute modestie, que lors d'une balade entre la gorge de l'Orbieu, la montée à Lairière et au plateau de Lacamp, ce sont des moutons noirs que nous avons croisés, une laine du plus bel effet dans ces Corbières vertes). Le passage de l'Andorre a marqué l'enfance d'Urbain qui, comme tous les gosses, ne pouvait que rêver d'un pays mystérieux avec ces grands troupeaux vigoureux, les montreurs d'ours (1)... La scène doit se passer à Missègre, son village natal, le départ, le lendemain, vers le plateau de Lacamp ne peut que confirmer. Wikimedia nous offre la photo de ce qui semble être "la place autour de la grande fontaine"... grâce au Geoportail, la vue a peut-être été prise vers le Sud, avec le ruisseau de Guinel à droite... A gauche, à 50 mètres à peine sans qu'on la voie, la présence touchante de l'école, signe de la résistance d'un pays qui ne veut pas mourir...  

(1) Pauvres ours des Pyrénées devenus un problème à moins que le problème ne soit les hommes... Jadis nombreux étaient-ils néanmoins mieux intégrés à la nature ? Aujourd'hui ne sont-ils pas devenus accapareurs au point de chambouler les règles d'un milieu uniquement à leur profit sans voir qu'à terme ce sera pour leur plus grande perte ?        

jeudi 24 décembre 2020

DE L'ANDORRE AUX PAYS D'AUDE / Hommes et bêtes, le troupeau descend hiverner.

Ils étaient d'un abord ouvert et souriant, pour le peu que je connus d'eux, les frères Torrès, Pierre et Patrice. Leur père étant dans l'élevage ovin, l'année scolaire, pour eux, débordait sûrement sur le séjour chez nous de leurs troupeaux andorrans. Le retour des saisons rythmait le calendrier, à l'exemple de cet éleveur-berger de Porté-Puymorens installé aussi, l'hiver et pour son métier, à Lézignan-Corbières. L'article précédent en parlait. 

https://dedieujeanfrancois.blogspot.com/2020/12/bergers-moutons-transhumance-des.html

Avant le train et le camion, la transhumance inverse à celle qu'on connait des troupeaux gagnant les montagnes en été pour en redescendre aux premiers froids, se faisait "à pattes" pour les brebis, les chiens et les mulets, pedibus pour les bergers qui en avaient la charge. 

Le troupeau est important, entre 600 et 1200 têtes suivant le nombre de propriétaires. On compte un mâle pour cinquante brebis (las fedos). Le bélier (lou marre) est possessif et d'autant plus agressif s'il n'a pas assez de femelles à saillir... on le dit tumaïre, donnant volontiers des coups de tête par derrière, en traître. Le troupeau compte aussi de 12 à 24 chèvres pour le lait et quelques boucs contre les maléfices, qui, par leur odeur éloigneraient la maladie (la marrano... étonnants les parallèles lexicaux). En tête, une vieille brebis aguerrie ou un mouton (bélier châtré), lou carraïre dit encore esquelhé, toujours magnac (1), docile et calme, portant la cloche, que l'on suit en confiance dans les passages difficiles ou à gué. Les bêtes portent des colliers de merisier, châtaignier ou frêne, formés à la vapeur, sculptés et décorés. Toutes portent au moins une clochette, les plus élevées dans la hiérarchie, un reboumbeu, une grosse sonnaille.  

Transhumance de la Provence vers les Alpes provençales wikimedia commons Author Unknown early 1900s

Avec le troupeau il y a les chiens, les petits bergers des Pyrénées au poil long, d'une dizaine de kilos à peine, mais vifs, infatigables, aux yeux en amande si expressifs. Un geste suffit à leur faire comprendre la limite que le troupeau ne doit pas dépasser.  

Enfin et parce qu'il faut porter le barda, le sel des bêtes, les parapluies, les bâches, la nourriture des bergers, une brebis moins en forme, les mules bâtées plutôt que des ânes pourtant importants dans le secteur, qu'ils soient pyrénéens, à l'égal des "ministres", les petits ânes provençaux qui, dans la transhumance montante portaient même les agneaux nés en chemin, ou catalans, plus forts et plutôt destinés à la monte, l'attelage ou au travail de la terre. 

Transhumance sur une draille en basse Provence wikimedia commons Author Unknown vers 1920.

Devant, bâton à la main, brodequins ferrés aux pieds, le berger principal ; sur la tête la casquette ou le béret, succédant au chapeau à larges bords, tombant sur les sourcils pour protéger de l'éblouissement ou de la pluie. Sur la chemise, dans la poche à gousset  du gilet, la montre, indispensable (sinon ils savent, mais sur les estives, édifier un cadran solaire). Le pantalon, la veste, sont de gros velours ; par-dessus la cape, une houppelande de laine, protégeant bien des intempéries, ouverte de chaque côté pour les bras. Sur le dos, un sac de type tyrolien, le parapluie en travers. En bandoulière la musette ; à l'épaule, une couverture à carreaux ou rayée.

Rien d'étonnant si cette transhumance méditerranéenne a été remarquée par de grands historiens. Georges Duby : "cette admirable construction humaine qu'est la transhumance ". Fernand Braudel, lui, faisait remonter "cette forme de nomadisme assagi" à plus de quatre mille ans. La transhumance est désormais inscrite au patrimoine culturel et immatériel de l'humanité.   

Tout est paré. Il ne reste plus qu'à partir, qu'à suivre les drailles ancestrales encore bien tracées. A présent seule une végétation plus verte, plus grasse, marque encore tout ce qui s'est perdu dans les mirages d'un monde au modernisme jadis si prometteur et aujourd'hui à réfréner car difficile à contrôler, si exagérément et aveuglément attisé au nom d'un enrichissement suicidaire toujours plus artificiel et hors-sol...    

(1) Sur la route des Cabanes, "la magnague" était une des vignes de mon grand-père Dedieu. Plutôt qu'un lieu-dit, c'était sa gentillesse à produire qui la caractérisait, il est vrai, sur un coteau privilégié au-dessus de la plaine...   

Note au lecteur : il y a bien des photos de troupeaux hivernant ou sédentaires sur le Bas-Languedoc mais non autorisées. Quant à celles qui sont disponibles, elles concernent à 99,9 %  la transhumance montante et majoritairement entre la Provence et les Alpes...   

Pyrénées transhumance par une draille wikimedia commons Author L.L.