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lundi 5 décembre 2022

PAUVRES CHEVAUX ! LIBRES OISEAUX...

Quelques notes et prolongements : 

* c'est parce que les chevaux étaient épuisés que les belligérants ne purent bloquer l'adversaire dans la Course à la Mer, que les Français ne purent tirer avantage de la victoire de la Marne, que les Allemands échouèrent dans leurs offensives du printemps 1918.  

** le soldat de 14 était très bien nourri au point que ce qu'il jetait attirait les rats. Les chevaux eux, étaient mal nourris... chez les Allemands beaucoup sont morts de faim. 

*** si 1/4 des chevaux mourut directement des batailles et bombardements, les 3/4 périrent à cause des maladies, du manque de soins, de la nourriture insuffisante, de dysenterie, par noyade, faibles au point de ne plus pouvoir lever la tête dans des boues liquides montant jusqu'aux chevilles des cavaliers.  

**** inoculer la morve, la gourme, la maladie du charbon chez les chevaux de l'adversaire fait partie des armes de guerre. 

militaires et mulet (1936) Auteur  agence de presse Meurisse wikimedia commons Domaine public

***** il a tant fallu importer des mules d'Espagne que cela donna lieu à un trafic ; des mules amenées en Cerdagne passaient en Espagne puis revenaient par le Perthus, générant un profit substantiel aux trafiquants, une fois acquises par l'armée française. 

***** " Les chevaux et les mulets de l'armée se sont montrés d'une valeur inestimable en conduisant la guerre à une fin heureuse. On les trouvait sur tous les terrains d'opérations, remplissant leurs tâches fidèlement et en silence, sans pouvoir espérer aucune récompense ni compensation. " Général Persching. 

****** Maurice Genevoix, admiratif des Poilus se battant et mourant pour la France (1), parlerait-il du soldat qui s'arrache à vif une balle dans un testicule, de cet autre qui maintient dans sa chemise ses tripes alors qu'il a le ventre ouvert, démontre une belle émotion pour les bêtes innocentes mais entraînées dans la folie guerrière... Pauvres chevaux, pauvres bêtes si belles, vigoureuses mais si vite fourbues, efflanquées, misérables. Et quand les hommes récupèrent, les chevaux restent tête baissée, ce qui dit tout de leur moral... Genevoix parlerait-il des cris terribles des blessés, bien égaux devant la mort, implorant avec les mêmes intonations, en allemand ou en français, il n'oublie pas non plus le hennissement d'un cheval qui agonise, aigu tel le cri d'un oiseau de nuit " ...le hennissement aigu, poignant, qui montait sous les étoiles devant la misère, la méchanceté des hommes... ". 

Du village abandonné des Éparges (Meuse),  il se souvient, sur les pavés, de la galopade éperdue de petits sabots d'une bande de gorets en fuite. Dans ce village, alors qu'il souffle un instant dans la " Maison d'école " avec, au tableau le dernier problème du maître, il se tourne vers la fenêtre parce qu'une forme approche, c'est un vieux cheval avec un sillon de sang à l'épaule. Il le fait passer par le couloir pour rejoindre la cour, derrière, offrant un abri plus sûr. Il le revoit, le vieux cheval, huit jours plus tard, mais étalé, entouré des cadavres des vaches mitraillées par les Allemands. 

Sa consolation (et il rejoint en cela Louis Pergaud), c'est la présence fidèle des oiseaux, symboles  de liberté, de vie. Il leur doit du réconfort " à nos frères de poils et de plumes ", la honte aussi d'être dans le mauvais camp des hommes, mais le recul, finalement, sur notre engeance remise à sa place pour ne pas faire bon usage de sa position dominante... La folie, la cruauté, la bêtise des hommes ne sont finalement qu'un remous dans la vie, la nature qui continuera avec ou sans nous... 

oiseau Carduelis_carduelis Chardonneret élégant wikimedia commons Author Marie-Lan Nguyen

Sous les bombardements, les oiseaux témoignaient que le cours des choses se poursuivrait malgré la fureur irrépressible des bipèdes... les trois-quarts d'entre eux ont disparu parce qu'on tue la terre  au nom d'un productivisme effréné et qu'on s'empoisonne pour pas cher, on va au désastre et l'overdose de loisir est de plus en plus addictive parce que la vie de tous les jours n'apporte pas de bonheur... 

Après le covid, la guerre en Ukraine, la remise en cause, en touchant le porte-monnaie, des énergies fossiles, comme s'il fallait absolument s'évader d'une vie peu désirable (pour ceux qui en ont les moyens !), les réservations à la neige ont augmenté de 22 % ! 

Dans " Le Berger des Abeilles" 1974 / Grasset, Armand Lanoux réfléchit sur la guerre d'Espagne, annonciatrice du séisme nazi : il parle d'une " carmagnole, d'une marseillaise stupide... " 

"« Amusez-vous
Foutez-vous d’tout
La vie, entre nous, est si brève... » 

La chanson de 1934 ne présage rien de bon pour ce qui devrait suivre... 

(1) Son témoignage " Ceux de 14 " regroupe quatre livres sur la guerre, véridiques, minutieux, fidèles, Chaque lieu, chacun des faits sont bien précisés, chaque homme apparaît par son nom...   

www.le-site-cheval.com/images/articles/evenements/guerre-14-18/La_guerre_de_14-18_et_le_sort_des_betes.mp3 première diffusion 21 avril 1957 de l'entretien sur France Culture 

Sites et références : 

" Le Cheval de Guerre ", roman de Michael Morpurgo (1982 en G.B., 2008 seulement en France !), adapté au cinéma par Steven Spielberg. 

Le site Cheval - Guerre 14/18 : Oubliés les 11 millions de chevaux, ânes et mulets enrôlés en masse durant la guerre de 1914-1918 ? - Equitation Pédagogique et Ludique (le-site-cheval.com) 

Les animaux dans la grande guerre (radiofrance.fr) 

et sur ce blog : 

https://dedieujeanfrancois.blogspot.com/2015/02/fleury-en-france-les-chevaux-de-14.html 

https://dedieujeanfrancois.blogspot.com/2015/02/les-chevaux-de-14-suite-fin.html 

https://dedieujeanfrancois.blogspot.com/2015/02/un-monument-au-cheval-de-trait-fleury.htm





jeudi 24 décembre 2020

DE L'ANDORRE AUX PAYS D'AUDE / Hommes et bêtes, le troupeau descend hiverner.

Ils étaient d'un abord ouvert et souriant, pour le peu que je connus d'eux, les frères Torrès, Pierre et Patrice. Leur père étant dans l'élevage ovin, l'année scolaire, pour eux, débordait sûrement sur le séjour chez nous de leurs troupeaux andorrans. Le retour des saisons rythmait le calendrier, à l'exemple de cet éleveur-berger de Porté-Puymorens installé aussi, l'hiver et pour son métier, à Lézignan-Corbières. L'article précédent en parlait. 

https://dedieujeanfrancois.blogspot.com/2020/12/bergers-moutons-transhumance-des.html

Avant le train et le camion, la transhumance inverse à celle qu'on connait des troupeaux gagnant les montagnes en été pour en redescendre aux premiers froids, se faisait "à pattes" pour les brebis, les chiens et les mulets, pedibus pour les bergers qui en avaient la charge. 

Le troupeau est important, entre 600 et 1200 têtes suivant le nombre de propriétaires. On compte un mâle pour cinquante brebis (las fedos). Le bélier (lou marre) est possessif et d'autant plus agressif s'il n'a pas assez de femelles à saillir... on le dit tumaïre, donnant volontiers des coups de tête par derrière, en traître. Le troupeau compte aussi de 12 à 24 chèvres pour le lait et quelques boucs contre les maléfices, qui, par leur odeur éloigneraient la maladie (la marrano... étonnants les parallèles lexicaux). En tête, une vieille brebis aguerrie ou un mouton (bélier châtré), lou carraïre dit encore esquelhé, toujours magnac (1), docile et calme, portant la cloche, que l'on suit en confiance dans les passages difficiles ou à gué. Les bêtes portent des colliers de merisier, châtaignier ou frêne, formés à la vapeur, sculptés et décorés. Toutes portent au moins une clochette, les plus élevées dans la hiérarchie, un reboumbeu, une grosse sonnaille.  

Transhumance de la Provence vers les Alpes provençales wikimedia commons Author Unknown early 1900s

Avec le troupeau il y a les chiens, les petits bergers des Pyrénées au poil long, d'une dizaine de kilos à peine, mais vifs, infatigables, aux yeux en amande si expressifs. Un geste suffit à leur faire comprendre la limite que le troupeau ne doit pas dépasser.  

Enfin et parce qu'il faut porter le barda, le sel des bêtes, les parapluies, les bâches, la nourriture des bergers, une brebis moins en forme, les mules bâtées plutôt que des ânes pourtant importants dans le secteur, qu'ils soient pyrénéens, à l'égal des "ministres", les petits ânes provençaux qui, dans la transhumance montante portaient même les agneaux nés en chemin, ou catalans, plus forts et plutôt destinés à la monte, l'attelage ou au travail de la terre. 

Transhumance sur une draille en basse Provence wikimedia commons Author Unknown vers 1920.

Devant, bâton à la main, brodequins ferrés aux pieds, le berger principal ; sur la tête la casquette ou le béret, succédant au chapeau à larges bords, tombant sur les sourcils pour protéger de l'éblouissement ou de la pluie. Sur la chemise, dans la poche à gousset  du gilet, la montre, indispensable (sinon ils savent, mais sur les estives, édifier un cadran solaire). Le pantalon, la veste, sont de gros velours ; par-dessus la cape, une houppelande de laine, protégeant bien des intempéries, ouverte de chaque côté pour les bras. Sur le dos, un sac de type tyrolien, le parapluie en travers. En bandoulière la musette ; à l'épaule, une couverture à carreaux ou rayée.

Rien d'étonnant si cette transhumance méditerranéenne a été remarquée par de grands historiens. Georges Duby : "cette admirable construction humaine qu'est la transhumance ". Fernand Braudel, lui, faisait remonter "cette forme de nomadisme assagi" à plus de quatre mille ans. La transhumance est désormais inscrite au patrimoine culturel et immatériel de l'humanité.   

Tout est paré. Il ne reste plus qu'à partir, qu'à suivre les drailles ancestrales encore bien tracées. A présent seule une végétation plus verte, plus grasse, marque encore tout ce qui s'est perdu dans les mirages d'un monde au modernisme jadis si prometteur et aujourd'hui à réfréner car difficile à contrôler, si exagérément et aveuglément attisé au nom d'un enrichissement suicidaire toujours plus artificiel et hors-sol...    

(1) Sur la route des Cabanes, "la magnague" était une des vignes de mon grand-père Dedieu. Plutôt qu'un lieu-dit, c'était sa gentillesse à produire qui la caractérisait, il est vrai, sur un coteau privilégié au-dessus de la plaine...   

Note au lecteur : il y a bien des photos de troupeaux hivernant ou sédentaires sur le Bas-Languedoc mais non autorisées. Quant à celles qui sont disponibles, elles concernent à 99,9 %  la transhumance montante et majoritairement entre la Provence et les Alpes...   

Pyrénées transhumance par une draille wikimedia commons Author L.L.