Je connais une histoire pas encore enterrée. Comme un trémor enfoui qui
s’est fait oublier, du fond de ma mémoire elle vient me réveiller. Avec
elle s’épanche tout un passé, celui d’abord de mes jeunes années,
ancrées au pays qui nous a faits, liées surtout aux aînés qui ont
accompagné. Avec mes ascendants, c’est aussi une France rurale qui
parle, une France de paysans. Ils avaient des chevaux pour les vignes et
les champs. Mais les guerres sont venues saloper le tableau, effaçant
les vivants, brassant les survivants, hommes et bêtes mêlées. Pour mes
parents, la seconde, mes grands-parents, la première, "grande"
certainement du massacre qu’elle a causé... Au nom de quoi ces
catastrophes ? Pourquoi ces horreurs ? Est-ce une malédiction pour
laquelle il faut payer ? Et qu’en est-il des chevaux entrainés dans ces
haines ? De tous les animaux abusés par les hommes, avec les mulets, les
ânes, les bœufs, ne sont-ils pas les plus à plaindre ? Leur innocence,
leur fidélité, leur dévouement sans faille rendent notre culpabilité
plus flagrante, plus accablante encore.
1914. Un mas, dans le
Sud, non loin de Perpignan. Les hommes de la famille, les ouvriers
agricoles sont mobilisés, même le percheron est réquisitionné. Par
chance, la propriétaire obtient qu’il soit accompagné par le ramonet,
celui qui le conduit, qui laboure avec, qui le soigne et le bouchonne
après la journée.
Pour les équidés dont les chevaux de la
cavalerie, les charges finissent hachées par les mitrailleuses d’en
face. Nos généraux semblent en être restés à 1870, au désastre de
Reichshoffen, à un contre trois et face à un matériel supérieur ! Pire,
l’État-major ne veut toujours pas comprendre que depuis Waterloo,
l’offensive des cuirassiers loin d’être déterminante, ne conduit qu’au
massacre ! Et dire que les « charges héroïques » sont quand même
exploitées par la propagande exaltant le patriotisme ! Les cavaliers ont
vite été versés dans l’infanterie tandis que, pour les chevaux de
travail, habitués à aller au pas, la guerre c’est un rythme effréné, un
harnachement souvent inadapté qui attaque la peau puis les chairs, des
zones chamboulées par les obus, la boue jusqu’au ventre parfois, la
panique due aux bombardements, la terreur causée par l’odeur des
cadavres. La récupération est d’autant plus difficile que les rations
sont insuffisantes, que l’eau manque, qu’ils ne sont plus pansés, plus
ferrés (1). On les accuse, à l’état de carcasse, de dégrader les
conditions sanitaires ! En attendant, ils subissent les gaz et attrapent
la gale, comme les poilus ! Blessés, ils sont opérés à vif...
Il n’empêche que la nation, heureusement aidée par les alliés, les oubliera tout à fait pour la victoire... Un mot, justement sur les alliés. Le Royaume Uni les traite autrement, ses chevaux de guerre, avec un contingent plus décent de vétérinaires ! Et à Chipilly dans la Somme, le monument aux morts montre un artilleur britannique tenant dans ses bras la tête de son cheval blessé...
Il n’empêche que la nation, heureusement aidée par les alliés, les oubliera tout à fait pour la victoire... Un mot, justement sur les alliés. Le Royaume Uni les traite autrement, ses chevaux de guerre, avec un contingent plus décent de vétérinaires ! Et à Chipilly dans la Somme, le monument aux morts montre un artilleur britannique tenant dans ses bras la tête de son cheval blessé...
A Perpignan, après l’armistice et la démobilisation, le mas eut la chance de voir revenir les hommes un à un, hormis le percheron et son conducteur. Rien de grave, disait-on, les premiers avaient eu la chance d’être vite renvoyés, voilà tout. Pourtant, à peine quelques jours plus tard, le ramonet revint aussi mais seul, sans le cheval, sautant en l’air et brandissant un papier bien haut. Une joie bien compréhensible, en somme sauf que tout le domaine crut un instant que la guerre avait gardé le cheval et rendu son conducteur bizarre, sinon fou. (A suivre)
(1) lors de la Bataille
de la Marne, le général Jean-François Sordet sera accusé de ne pas
avoir laissé boire les bêtes malgré les fortes chaleurs et du côté
allemand, de nombreux chevaux devaient mourir de faim, par manque de
fourrage.
photos autorisées commons wikipedia : 1 & 2 percherons / 3 monument de Chipilly.
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