mardi 10 février 2015

LES CHEVAUX DE 14 (première partie) / Fleury en France


Je connais une histoire pas encore enterrée. Comme un trémor enfoui qui s’est fait oublier, du fond de ma mémoire elle vient me réveiller. Avec elle s’épanche tout un passé, celui d’abord de mes jeunes années, ancrées au pays qui nous a faits, liées surtout aux aînés qui ont accompagné. Avec mes ascendants, c’est aussi une France rurale qui parle, une France de paysans. Ils avaient des chevaux pour les vignes et les champs. Mais les guerres sont venues saloper le tableau, effaçant les vivants, brassant les survivants, hommes et bêtes mêlées. Pour mes parents, la seconde, mes grands-parents, la première, "grande" certainement du massacre qu’elle a causé... Au nom de quoi ces catastrophes ? Pourquoi ces horreurs ? Est-ce une malédiction pour laquelle il faut payer ? Et qu’en est-il des chevaux entrainés dans ces haines ? De tous les animaux abusés par les hommes, avec les mulets, les ânes, les bœufs, ne sont-ils pas les plus à plaindre ? Leur innocence, leur fidélité, leur dévouement sans faille rendent notre culpabilité plus flagrante, plus accablante encore.
1914. Un mas, dans le Sud, non loin de Perpignan. Les hommes de la famille, les ouvriers agricoles sont mobilisés, même le percheron est réquisitionné. Par chance, la propriétaire obtient qu’il soit accompagné par le ramonet, celui qui le conduit, qui laboure avec, qui le soigne et le bouchonne après la journée. 


 Pour les équidés dont les chevaux de la cavalerie, les charges finissent hachées par les mitrailleuses d’en face. Nos généraux semblent en être restés à 1870, au désastre de Reichshoffen, à un contre trois et face à un matériel supérieur ! Pire, l’État-major ne veut toujours pas comprendre que depuis Waterloo, l’offensive des cuirassiers loin d’être déterminante, ne conduit qu’au massacre ! Et dire que les « charges héroïques » sont quand même exploitées par la propagande exaltant le patriotisme ! Les cavaliers ont vite été versés dans l’infanterie tandis que, pour les chevaux de travail, habitués à aller au pas, la guerre c’est un rythme effréné, un harnachement souvent inadapté qui attaque la peau puis les chairs, des zones chamboulées par les obus, la boue jusqu’au ventre parfois, la panique due aux bombardements, la terreur causée par l’odeur des cadavres. La récupération est d’autant plus difficile que les rations sont insuffisantes, que l’eau manque, qu’ils ne sont plus pansés, plus ferrés (1). On les accuse, à l’état de carcasse, de dégrader les conditions sanitaires ! En attendant, ils subissent les gaz et attrapent la gale, comme les poilus ! Blessés, ils sont opérés à vif...
Il n’empêche que la nation, heureusement aidée par les alliés, les oubliera tout à fait pour la victoire... Un mot, justement sur les alliés. Le Royaume Uni les traite autrement, ses chevaux de guerre, avec un contingent plus décent de vétérinaires ! Et à Chipilly dans la Somme, le monument aux morts montre un artilleur britannique tenant dans ses bras la tête de son cheval blessé... 


A Perpignan, après l’armistice et la démobilisation, le mas eut la chance de voir revenir les hommes un à un, hormis le percheron et son conducteur. Rien de grave, disait-on, les premiers avaient eu la chance d’être vite renvoyés, voilà tout. Pourtant, à peine quelques jours plus tard, le ramonet revint aussi mais seul, sans le cheval, sautant en l’air et brandissant un papier bien haut. Une joie bien compréhensible, en somme sauf que tout le domaine crut un instant que la guerre avait gardé le cheval et rendu son conducteur bizarre, sinon fou. (A suivre)


 (1) lors de la Bataille de la Marne, le général Jean-François Sordet sera accusé de ne pas avoir laissé boire les bêtes malgré les fortes chaleurs et du côté allemand, de nombreux chevaux devaient mourir de faim, par manque de fourrage. 

photos autorisées commons wikipedia : 1 & 2 percherons / 3 monument de Chipilly.

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