Les Cévennes ne se déclinent pas
seulement à travers la beauté sévère des reliefs, la foi austère des protestants
très présente dans une littérature inspirée par l’Histoire. A la rudesse des
hauteurs répond aussi la douceur des vallées protégées où les oliviers n’ont
pas péri suite au grand gel de 1956. La mentalité des gens, elle, loin des
a-priori et des archétypes imputables aux développements historiques justement,
se présente ouverte, solidaire… la chaleur du Midi, toujours.
Corniche des Cévennes,
Barre-des-Cévennes, encore des itinéraires, des lieux aux noms qui parlent de
points de vue, de randonnées liées néanmoins dans sa tête au tragique destin de
Pauline Lafont, fille de Bernadette, actrice attachante comme elle, tant sur le
fond que sur les formes[1],
retrouvée par un agriculteur, des mois après sa disparition, à l’état de
squelette au fond d’un ravin[2]…
Saint-Jean-du-Gard,
capitale des camisards, n’est pas loin. C’est ici que finit le voyage de
Robert-Louis Stevenson[3]
(1850–1894) accompagné de son ânesse Modestine et venu se consoler en
parcourant les monts et vallées marqués par la lutte des camisards. A vingt-huit ans
seulement et bien que protestant de naissance (mais de peu de foi, ce qui
scandalisa son père !), son propos sur un conflit religieux rappelant la
situation en Ecosse, reste celui d’un observateur neutre, mesuré.
Il donne libre cours, par contre, au
plaisir qu’il a d’admirer « l’arbre à pain » des Cévenols :
« …
sur les terrasses j’essayai vainement de rendre avec un crayon le port
majestueux des châtaigniers soutenant leur dôme de verdure. Par moments, un
vent léger s’élevait et les châtaignes tombaient tout autour de moi sur l’herbe
avec un son faible et sourd […] mon âme y mêlait un sentiment de sympathie à
l’idée de la récolte qui s’amassait pour la plus grande joie des
fermiers… » « Voyage avec un âne dans les Cévennes » 1879.
R.-L. Stevenson (journée du 2 octobre 1878).
Sa relation avec Modestine permet de réfléchir à la place des animaux dans le temps. Les bêtes de somme, de travail, portant ou tirant, traités durement, menaient une vie rude. La mentalité de Stevenson est presque, à cet égard, celle de presque tout le monde aujourd’hui. Chez ses contemporains, par contre, seule une minorité, surtout de privilégiés cultivés dont Stevenson et ceux qui n’avaient pas à gagner leur vie, partageaient une tendresse particulière pour les ânes. La comtesse de Ségur née Rostopchine (1799-1874) avec « Les mémoires d’un âne » pour tous ceux qui aiment Cadichon, l’amour extrême du poète Francis Jammes au point de désirer un dernier repos au paradis des ânes, le manifestent avec ferveur [4].
« …
Je décidai de vendre ma jeune amie et de partir (pour Alès) par la diligence de l’après-midi […] ce fut
seulement lorsque je fus bien installé, à côté du conducteur sur une diligence
qui roulait avec fracas dans une vallée rocheuse remplie d’oliviers nains que
j’eus conscience de ce qui me manquait : j’avais perdu Modestine. Jusqu’à
ce moment j’avais cru la détester mais à présent elle s’en était allée. Hélas !
quel changement pour moi ! Pendant douze jours, nous avions été des
compagnons inséparables, nous avions parcouru plus de cent-vingt milles, gravi
des hauteurs respectables et suivi notre petit bonhomme de chemin, sur nos six
jambes, à travers rochers et marécages. Elle me portait un peu sur les nerfs, sans
doute, et j’avais parfois, vis-à-vis d’elle, des manières de grand seigneur.
Après le premier jour, je sus conserver mon sang-froid et pour elle, pauvre
âme, elle était patiente, elle avait des formes élégantes, une couleur d’un
charmant gris souris et sa taille était petite à souhait. Ses défauts étaient
ceux de sa race, ses vertus étaient bien à elle. Adieu, et… si c’est pour
toujours… Le père Adam avait pleuré quand il me l’avait vendue. Après l’avoir
vendue à mon tour, je fus tenté de suivre son exemple. Et comme je me trouvais
seul avec le conducteur de la diligence […], je n’hésitai pas à me laisser
aller à mon émotion. » « Voyage
avec un âne dans les Cévennes » 1879. R.-L. Stevenson (journée du 2
octobre 1878).
[1]
« L’été en pente douce » 1987.
[2]
Disparue le 11 août 1988 au cours d’une randonnée pédestre, retrouvée le 21
novembre au lieu-dit l’Adrech, morte sur le coup suite à une chute de dix
mètres, identifiée grâce à sa bague et à sa denture. (wikipedia).
[3]
De faible constitution, toujours malade dès son plus jeune âge, Stevenson qui
écrira plus tard « L’île au trésor » et « L’étrange cas du
docteur Jekyll et M. Hyde », affecté qui plus est par un gros chagrin
d’amour, part sur les traces de George Sand au Puy-en-Velay puis décide de
faire son « Voyage avec un âne dans les Cévennes » (1879), 230
kilomètres pour celui qui fut un enfant chétif ne pouvant pas jouer avec les
autres ! Sa santé déficiente n’empêcha pas ses nombreux voyages dont celui
pour retrouver Fanny, la femme aimée, aux Etats-Unis. La tuberculose eut raison
de lui chez les Samoans qui l’avaient intronisé comme chef de tribu
(« Tusitala », conteur d’histoires) pour le soutien apporté contre
les Allemands. Il n’avait que 44 ans.
[4]
« J’aime l’âne si doux marchant le
long des houx.
Il prend garde
aux abeilles et bouge ses oreilles… » « J’aime l’âne si doux ».
Francis Jammes (1868 – 1938)
Plus près de nous :
« … Au
temps des transhumances
Il s'en allait
heureux
Remontant la
Durance
Honnête et
courageux […] Mais un jour de Marseille
Des messieurs
sont venus
La ferme était
bien vieille alors on l’a vendue… » « Le petit âne gris. » (1968) Hugues Aufray (1929).
Photos autorisées :
1. wikimedia commons Corniche des Cévennes entre Saint-Jean-du-Gard et Florac Auteur Henri MOREAU
2. pxhere Cévennes terrasse attribué à selengkapnya
3. wikimedia commons Robert_Louis_Stevenson Author Rls-pc1jpg Knox series derivative work Beao
4. wikimedia commons Cévennes Ane Author KoS
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