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mercredi 25 octobre 2023

ODE AU-DELÀ DU DELTA... / Rhône, Aude, Llobregat, Èbre

 « ... Mais l’amour infini me montera dans l’âme,
Et j’irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature, ~ heureux comme avec une femme. »

Sensation, Arthur Rimbaud (1854-1891).

Le Rhône embrasse ses îles et pousse les terres de Camargue vers le sud, et pas seulement dans sa propre limite. La situation climatique, entre hautes pressions au nord et la situation dépressionnaire due à la Méditerranée, mer chaude, une situation à l’origine de violents transports d’air entre les deux états ; le Mistral, les Cers, liés aux couloirs rhodanien, audois, de l’Èbre en Catalogne, en forment les porte-bannières tandis que, plus généralistes, les tramontanes, comme le nom l’indique, descendent des montagnes. Transports d’alluvions aussi, tirées des montagnes, venues combler les avancées de la mer. La géographie, en effet, duplique le schéma camarguais d’engraissement avec ses lagunes et lidos, d’érosion, aussi, de la côte. 

Du Rhône à l'Èbre.  Atlas Classique, Schrader & Gallouédec Hachette 1953


A quatre cents kilomètres, chez nos frères de Catalogne, c’est l’Èbre qui avance ses bras dans cette même Méditerranée Occidentale. Entre les deux, le Llobregat comme épongé par Barcelona (1) mais réservant encore des espaces naturels intéressants. Et, pardon de le mettre en avant « parce que c’était lui, parce que c’était moi », si présent dans ce qu’il a de sanguin, de sudiste, d’occitan, le fleuve qui continue d’échapper aux hommes venus le dompter, l’Aude qui rendit l’île de la Clape au continent, la “ rivière ”, redoutée mais familière des Pérignanais de toujours, l’Atax d’un delta aussi caché que mystérieux... 

(1) si quelqu’un peut préciser pour le Riu Fluvia (Golfe de Roses) ainsi que le Riu Tèr d’une trilogie catalane lexicale : Têt, Tech, Tèr... Sinon on parle du Mistral, du Cers du Rhône à l'Aude, de Mestral, Magistrau, des Cerç ou encore Çerç, de Tarragona à l'Ébre. 

lundi 4 septembre 2023

LA PETITE CAMARGUE.

Camargue,_Petite_Camargue_et_Parc_naturel_regional Author ChrisO, revision by Ulamm (talk)

Parler de la Petite Camargue, c’est aussi considérer les paysages de lagunes tout au long du Golfe du Lion et si nous nous en tenons aux fleuves remarquables à l’origine de deltas gagnant sur la mer, entre la puissance du Rhône et la longueur de l’Èbre, l’Aude, nonobstant sa modestie initiale, mérite une mention. Le Rhône, hors catégorie, transporte 20 millions de tonnes de sédiments, l’Èbre 3 millions de tonnes, l’Aude, un des fleuves les plus travailleurs de France, 4 millions de tonnes. Ces apports respectifs ont créé et façonné des deltas : 2000 km2 pour le Rhône (Camargue et Petite Camargue), 370 km2 pour l’Aude de part et d’autre de l’ancienne île de la Clape, 300 km2 pour l’Èbre en Catalogne. 

Vignes_et_chapelle_en_Petite_Camargue the Creative Commons Attribution 2.0 Generic Auteur tristanf

Rien ne distingue la Petite de la Camargue elle-même ; géographiquement, c’est toujours le delta du grand fleuve, un de ses bras venant jadis jusqu’à l’Étang de l’Or, donc aux abords de Mauguio ; naturellement, de la Haute à la Basse, des Costières du Gard aux dunes de l’Espiguette, du sec aux eaux douces jusqu’au salé de la Méditerranée en passant par le saumâtre et partout ce qui nous reste du merveilleux offert par les oiseaux, migrateurs ou sédentaires des zones humides ; humainement, puisque les Hommes ont accordé leurs moyens de subsistance à ce que permettait la Nature : en gros, du nord au sud, asperges, pêches, abricots, raisins, blé, riz, avant l’élevage des moutons s’opposant à celui, plus typique, des chevaux blancs et des taureaux noirs... Parce que la Naciou Gardiano, la Nation Gardiane marque de ses rites les sables, les lagunes, non seulement de la Camargue mais de tout le Golfe du Lion occidental, y compris les étangs du Roussillon ; les murs blancs de chaux, les toits de sagnes, les roseaux et canisses, les cabanes, maisons si on veut, entre terre, eau et ciel se déclinent jusqu’au delta de l’Èbre, de même que les manades respectueuses de l’interpénétration, de l’osmose entre humains, nature et éléments. 

jeudi 13 janvier 2022

LE DELTA DE L'AUDE, UNE PETITE CAMARGUE

En préalable à une balade romantique entre Saint-Pierre et Les-Cabanes, j'en étais resté à démontrer qu'il n'existait aucun lien entre le fait d'être né quelque part et de s'en trouver pour autant "imbécile heureux" (1). Quitte à me demander encore, peut-être sans raison, si nous n'aurions pas plutôt tendance à plaindre un apatride que le contraire, je tourne le dos à la polémique. Dans les facettes nourricières du milieu propre à influer sur les gens, natifs et autres, le delta de l'Aude, aux terres gagnées sur la mer et qui ont rattaché La Clape, hier encore une île, au continent. 


 Saint-Pierre-la- Mer, au pied de la garrigue. A partir des pins de Périmont, la balade vers Les-Cabanes-de-Fleury vient compiler le présent sur les strates de souvenirs plus anciens. Ne suivons pas, le long de la Clape, le sentier vers l'Oustalet, là où nous allions couper les carabènes (2) de la véranda devant la tente. Non, il faut se décider à traverser la zone lagunaire, ces confins que l'étang occupe plus ou moins l'hiver, en période de grandes eaux. 


 L'été en principe, on peut passer même si la surface craquelée reste traître, cachant sous une mince couche sèche, un sable noir, vaseux et collant où l'on s'embourbe en moins de deux. Bien que du coin, j'y bloquai une fois les roues du vélo dans une gangue très adhérente. Étaient -ce les vapeurs du gris-de-gris mis en bouteille au domaine de Gaysart qui m'avaient rendu distrait ? Ce qui est sûr est qu'elles avaient rendu la mésaventure très joyeuse, du moins avant que de devoir nettoyer... Mais je me répète, j'ai déjà raconté ça, fin août me semble-t-il... tout comme de s'embourber avec la voiture... "Non papa, on va s'embourrer ! " redoutait mon aîné... 

 https://dedieujeanfrancois.blogspot.com/2021/08/pissevaches-saint-pierre-la-mer.html


 Suite à ces espaces plutôt familiers, il fallait et il faut toujours passer la chaussée de la Grande-Cosse, inondable peut-être, en cas extrême, redescendre un peu plus loin, s'engager de l'autre côté où la piste se dirige résolument vers les dunes du littoral. La carte indique bien qu'elle rejoint un ancien lit de l'Aude. Le Payroulet, les Terres Salées, des territoires où l'eau douce le dispute au sel, où le privé veut prendre le pas sur le public : qu'en est-il de cette clôture barrant initialement le passage ? Ou, est-ce ouvert parce que les taureaux camarguais n'y sont plus ? 


 Plus loin, une petite rivière empêche de passer... Étrange : il n'a pas plu depuis belle lurette... N'est-ce pas pour dissuader ? inciter à faire demi-tour ? L'eau pour l'agriculture ?  l'eau pour la chasse ? Et la multiplication des pompages à la rivière, autorisés ou non, qu'en est-il ? Par moments, des salves de coups de fusil derrière la chaussée qui clôt le vaste domaine de Saint-Louis, jadis aux Salins du Midi. Choquant, en pleine journée... Il me semble qu'à l'affût, le gibier se tire le soir, la nuit, le matin mais qu'il se repose durant le jour. Non, excusez mes craintes mais ce n'est peut-être que du ball-trap. Le pouvoir de l'argent donne aussi celui de détruire à grande échelle, est-ce la raison de cet a priori négatif et accusateur ? Pour en finir avec cette eau, si c'était pour entretenir les zones humides afin d'en préserver la biodiversité ?  


 Aujourd'hui, le réalisme voudrait me fermer les portes du rêve alors qu'en post-adolescence romantique, à l'âge des premiers émois, des amours incertaines, c'est ici, sur la piste de limon, de sable et de sel, que je revoyais celle à laquelle je m'accrochais toujours, touché par les destins croisés de l'Arlésienne, Mireille, Magali, la condition première étant le moment de la journée. Il faut que le soleil donne fort, à la verticale presque, quand la nature et les hommes l'évitent. Alors on se retrouve seul, écrasé sous la chape implacable. Alors, la survie commande de rejoindre la forme incertaine, dansante, d'un tamaris ou d'un pin... Sauf qu'entre maléfice et enchantement, sur la platitude désolée de la sansouire, là où des croûtes de sel rappellent un chott du Sahara, les mirages savent faire danser aussi comme une silhouette disloquée et floue d'une femme en perdition : c'est Mirèio, l'héroïne de Mistral, empêchée d'épouser Vincèn, son amoureux aux origines trop modestes. En dernier recours, elle va aux Saintes-Maries-de-la Mer, implorer les saintes mais elle n'y arrive que pour y mourir, frappée d'insolation lors de la dure traversée de la Camargue. Autre histoire contrariée, celle de Jan qui se défenestre pour avoir, par respect des conventions sociales, renoncé à la femme qu'il aime, une "coquette" déjà promise mais à un parti moins intéressant, l'Arlésienne. Et comme pour conforter toute cette mythologie, dans les années 60, on entend à la radio  :  

"... Magali, Magali,
Qu’est-ce qui t’a pris de t’en aller pour le pays de nulle part
Parce qu’un gitan t’a regardée en faisant chanter sa guitare?
Magali (3)..." 

Tout y est : le refrain en occitan "... L’amour que pourra pas se taïre, e ne jamaï se repaua, Magali...", les gitans, le soleil qui rend fou ; en prime, l'évocation de la grande steppe de la Crau, créée par la Durance, encore une fille folle de Provence. 

Mais il faut absolument rejoindre les pins là-bas. Ce n'est que dans leur ombre bienfaisante que la fièvre s'apaisera même si on aime prolonger en imaginant le chaume sur les murs blancs de chaux de la maison du gardian, une cabane de sénils comme dans la Salanque ou celles, à l'origine, des pêcheurs de l'embouchure de l'Aude.  

Plus prosaïque, alors que Mistral est récompensé du Nobel de littérature pour son poème en occitan (autre chose qu'une collection de la Pléiade, à la réputation surfaite, truffée d'auteurs d'extrême droite sinon fascistes), encore pour une histoire de femme, la Vénus d'Arles (1er siècle avant JC), force est toujours de constater qu'elle reste détenue à Paris (4)... Entendez-les donc, ces racistes historiques rejetant la "race du Sud" mais s'accaparant la culture méditerranéenne ! 


 Pourtant, rien ne saurait gâcher la fin de cette balade. Au bout de la piste, le camping, puis toute la poésie du fleuve vers les Cabanes-de-Fleury, d'autant plus qu'en septembre, le pays respire à nouveau après la saison touristique (une pensée pour Gilbert Bécaud)... Le Cers a, une fois de plus, lavé et le ciel et nos âmes... 

(1) "... Je suis né quelque part
Laissez-moi ce repère..." Maxime Leforestier.
 
(2) arundo donax, roseau poussant en rideaux en bordure de cours d'eau ou dont la présence indique aussi celle de l'eau, ici les résurgences des infiltrations dans la garrigue.  Où les copains de la Barjasque allaient-ils donc couper les leurs pour leur campement sur la plage ? 
 
(3) Robert Nyel 1962. 
 
(4) demandez aux Agathois comme ils ont dû se battre pour rapatrier l’Éphèbe d'Agde, plus de vingt ans après sa découverte ! 

 

Maison_de_Frédéric_Mistral,_Maillane,_1914 wikipedia Domaine Public Source BNF, Auteur Agence Rol. La porte à mouches, les moustiquaires à guillotine à la fenêtre, les chaises en paille pour prendre le frais après la chaleur de la journée... 


 

 

jeudi 16 juillet 2020

LOU CABANOT, un genre de cabanon... / Fleury-d'Aude en Languedoc

Suite à un post il y a peu décrétant que l'Italie avait été élue "plus beau pays du monde" lors d'une soirée de gala à Rome... (à Bujumbura ils ont élu le Burundi !.. je rigole...). Dans les commentaires, le qualificatif "fier", entre nous arrogant presque con (j'en ressens avant tout le sens péjoratif), n'a pas été repris... Toujours dans l'ouverture tolérante, Jean-Marc, catalan-calabrais, a conclu que le plus beau des pays est celui où l'on vit. Encore une parenthèse à l'attention des aptes à éructer une opinion aussi blindée que cassante... pour le leur dire positivement, avec ce que j'ai dit de l'Italie récemment ...

https://dedieujeanfrancois.blogspot.com/2020/07/italia-mon-cinema-italien.html
https://dedieujeanfrancois.blogspot.com/2020/07/italia-fin-mon-cinema-italien.html



Je rentrais juste d'une de ces balades bucoliques dans le delta apprivoisé et la lecture de ce post m'a donné à revoir la promenade sous cet angle.
Mon plaisir à parcourir ce territoire étant fondamentalement viscéral, ce n'est pas pour autant que j'ai à imposer ce sentiment aux autres. Me reste la liberté de faire partager ou, a minima, la liberté de me laisser aimer qui ou ce que j'ose aimer. 





Plus encore après l'épanouissement printanier, au tournant de l'été, prête à affronter les excès de l'été, entre les étendues colonisées par l'homme et le ruban de nature dont se pare le fleuve, la plaine est attachante, émouvante même. La verdure venue à maturité en est à se reproduire et à se préparer à subir le soleil brûlant, la sécheresse qui persiste. Les vignes, elles, l'encépagement aurait-il évolué, continuent de témoigner de presque deux siècles de travail, d'adaptation avec notamment ces marteilhières, ces vannes qui gardent l'eau des inondations.

Avant 1970, au pas du cheval, il fallait bien quarante-cinq minutes pour rejoindre les vignes dans la plaine depuis les villages prudemment juchés sur les coteaux voisins. Aussi, suivant la taille des pièces, du temps à passer et des finances du propriétaire, il était judicieux de construire un cabanot...
Oh je vous entend déjà à fredonner "... Un petit cabanon pas plus grand qu'un mouchoir de poche..." ! Oh que oui ! le cabanon du Marseillais typique ! Soleil, pin, cigale, romarin, Scotto, mer, calanque, pastis, grillade, thym, bouillabaisse, aïoli, boules, sieste, galéjades... Mais non, pas ici... Même si la Clape tombe presque dans la mer, cette ambiance là n'était que de l'été à la baraque, un abri de bois, de toile et de tôle qui se montait sur le sable du 14 juillet au 15 août.
Le cabanon de la plaine est pratiquement l'antithèse de celui de Marseille. Peut-être que de dire "cabanOT" exprime déjà l'atmosphère au travail. Un portail ouvre sur un espace plus dédié au cheval : au mur un râtelier, au sol de la paille. En face, une cheminée, à l'intérieur une poêle noire accrochée à un clou. Sur le foyer, un trépied. Non loin, deux ou trois bouffanelles (fagots de sarments).
Etait-ce seulement pour se protéger d'une ramade (une averse), d'un orage ? Ou pouvait-on y passer quelques jours ? Là-haut sur le palier, du foin ? d'autres fagots ? de quoi dormir ? 

Est-il beau ? Est-il le plus beau, mon pays de vignes quand il me plait de parcourir les chemins vicinaux contraints par la rivière ? Et surtout pas une fierté quelconque à opposer aux autres, seulement une palette complète de sensations profondes, une plénitude émouvante, coulant, tranquille, vers son destin, aussi fini qu'infini, à l'image du fleuve parti se fondre dans la mer.
 

vendredi 3 juillet 2020

ITALIA (fin) / Mon cinéma italien.


L'autre jour, pour mieux digérer ensuite et ne pas risquer le contrôle alcoolémique, j'ai pris le vélo pour aller à Narbonne, par les chemins vicinaux sans trop de voitures. La plaine de l'Aude aussi, au niveau du delta, est parcourue par des canaux, d'évacuation des crues, de dérivation, d'arrosage : partout des vannes de fer s'ouvrent et se ferment à l'eau. 



Au dessert, je ne sais plus à quel propos, Henri évoqua un film rustique et Alain prolongea en citant l'Arbre aux Sabots. Je n'ajoutai rien mais n'en pensai pas moins. Au retour, en pédalant, les tunnels de fraîcheur à l'ombre des frondaisons, les iris jaunes dans les fossés, les peupliers, les osiers et l'eau qui court me rappelèrent si fort la Plaine du Pô, le vertige d'une soixantaine d'années écoulées aussi.
En complément des sensations d'alors, dans la régularité d'allure que donne le profil plat, je me suis repassé mes films. Mieux pour l'ambiance que ne saurait le passer la technologie informatique, n'avais-je pas vu Rocco et ses Frères ou Riz Amer au cinéma du village ? 
Riso Amaro, Riz Amer, wikimedia commons, Auteur Giuseppe De Santis  Otello Martelli. Uploaded by User Pizzaebirra 2008 om Italian wikipedia.

Plutôt porté par les films d'action et seulement touché par le charme des actrices italiennes, je ne m'éveillai à une conscience sociale qu'avec les années télé, à la suite d'un père fervent de néoréalisme italien avec le Voleur de Bicyclette ou la Strada : l'émigration intérieure du Mezzogiorno vers le Nord industrieux, le chômage, le statut des saisonnières du riz, le beurre, le fromage qui profitent au riche propriétaire, celui-là même qui chasse l'ouvrier agricole coupable d'avoir taillé des sabots pour son garçon qui par miracle pourrait suivre l'école. 

Franco Fabrizi Wikipedia Author Gawain 78

Dans ces années soixante, le style des films s'est voulu moins triste, moins gris. Avec l'optimisme des années d'après-guerre, il passe à la comédie. Le cinéma Balayé (au village) nous a programmé les Don Camillo, Fernandel et Gino Cervi dans le rôle de Peppone, encore dans la vallée du Pô. Je vois aussi Alberto Sordi. Je pense à Franco Fabrizi de Cortemaggiore justement, de cette localité qui a donné le dragon à six pattes crachant la flamme de ce pétrole trouvé là, dans la plaine, entre Cremona et Piacenza, un acteur fringant et qui a tourné qui plus est, aux Cabanes-de-Fleury dans le Petit Baigneur, avec Louis de Funès. 

Benzina Supercortemaggiore wikimedia commons Author Sailko

J'ai dit tout le bien possible du tourisme de masse. Aujourd'hui Venise est aussi menacée par la montée des eaux, l'arrivée de nouveaux parasites, mais l'eau serait devenue claire, covid 19 aidant. Je peux dire aussi que l'Europe ne va vraiment pas fort, l'égoïsme, les manques de coordination, de solidarité contre ce même virus en attestent. Et que reste-t-il de ces productions cinématographiques coproduites ? Que partageons-nous des chansons à succès ? Il y a soixante ans, je crois encore entendre la lacrima sul viso de Bobby Solo, les 24000 baci de Celentano et Gigliola Cinquetti prix de l'Eurovision... nous nous sommes tant aimés...    




mardi 19 mai 2020

DÉCONFINEMENT... Ô MOUN PAÏS... / microcosmos

Le Cers a pris confiance. Il bourdonne et corne dans le conduit de quand les gens vivaient autour du foyer. 

Dimanche il s'étirait après un long sommeil, dans un réveil tout en douceur... Allons donc, le changement climatique... Le positif : les paysages sont magnifiquement verts après deux mois gris, sans le bleu du ciel, sans celui, aussi marquant que mythique, de la Grande Bleue. 
L'Aude après la crue, les vignes exposées au mildiou. En regard, celles des bord de Saône, menacées de sècheresse, sans parler d'une Europe moyenne ou déjà de l'Est où le problème se pose aussi. Un monde à l'envers. 

Le déconfinement suite à un exil intérieur, en miroir à un éloignement sous d'autres latitudes, un nouveau retour en arrière et pourtant un jour toujours nouveau, un regard toujours neuf dans ce qu'il n'avait pas vu, dans le passé qu'il reconstitue et même dans ce qu'il reconnait.  

L’Étang de Pissevaches. Inutile d'épiloguer sur les sources ou les vagues qui compilent leurs flux... (Oh faudra aller voir si un grau s'est formé !). Milieu entre le salin, le saumâtre et le suave suivant les saisons. Tamaris, salicorne et même des pins qui auraient colonisé, établi un comptoir. 
Fleurs qui me pardonneront de ne pas savoir comment les appeler.
Et encore... iris pour la taille ou narcisses pour le panachage ? Instantané raté pour le beau beau colvert qui s'est levé. Sinon pas de colonie de beaux oiseaux blancs ou roses... en période faste, ils n'ont que l'embarras du choix pour manger ou dormir. 

"Ajouter une légende" une possibilité pour les images proposées. Alors oui, ce pin remarquable, une légende en légende.
Sur ce piémont fertile des débris arrachés au clapas qui donnent de si bons vins, entre la garrigue et l'étang, abrité du Cers et ouvert aux vents marins, ce grand pin illustre à lui seul le climat au sens écolooenologique du terme, le cadre, les conditions bienveillantes du coin... Ce n'est pas un hasard si huit campagnes (domaines) occupent cette terrasse sur quatre kilomètres à peine, à vol d'oiseau.
Soit loué, homme sage qui n'a jamais hésité à laisser de beaux arbres (est-il classé ? il le mériterait !) quitte à se priver de quelques dizaines de kilos de raisin. Il n'en reste qu'un mais la voiture nous donne une idée de ses belles dimensions ! Presque vingt mètres de haut, quinze environ pour sa frondaison !
Des vignes jusqu'au bord de l'étang. Ensuite, par ce bel itinéraire qui nous fait longer une petite Camargue, la déception de ne pas voir des hirondelles chassant les moustiques dans le creux des tamarins et oliviers de Bohême et seulement ces goélands soit disant protégés qui envahissent le ciel... 
A Fleury on dit "la plaine", celle de la rivière... Hâbleurs, prétentieux les Sudistes ? La plupart ne pensent même pas à l'Aude, fleuve. Comment se douteraient-ils qu'il figure tout modeste qu'il est, entre ses grands frères, le Rhône d'un côté et l'Èbre au sud ? A la suite des Romains, on a renoncé à le dompter, c'est à peine si les hommes se sont permis de l'apprivoiser... Enfin j'ai déjà soupiré mon ode à l'Aude dans des articles plus anciens... Et si les "Racines et les ailes" viennent faire leur miel de ce delta unique par bien des dimensions, par pitié, qu'on nous épargne les commentaires avec l'accent du nord ! Marre d'entendre "pièr" et "rivièr" !     
Le charme, entre la fougue de l'Atax historique et les humains qui résistent lors de ses colères pour profiter de ses alluvions et limons, agit toujours quand on parcourt la route en balcon, là où la Montagne de la Clape s'arrête.
Un pays ouvert à tous les horizons (ici la Montagne Noire au fond) mais aussi à un champ immédiat, la terre qu'on foule comme dans Microcosmos, ce si joli film sur les peuples de l'herbe, de la prairie. Un terroir aux pieds de ceux qui aiment, locaux, adoptés voire parachutés mais qui acceptent que le natif que je suis puisse se dire, humble d'amour, "Ô moun païs...".

vendredi 26 mai 2017

AUDE, ODE AU DELTA (5) / Les îles de la Narbonnaise (fin)


 

Les chiffres en attestent, les géographes confirment : avec quatre millions de tonnes de sédiments en un an, l’Aude fait partie des fleuves les plus travailleurs de France et son delta s’est formé, la régression de la mer aidant. Voilà quasiment deux millénaires, en construisant un barrage (une digue), les Romains ont favorisé le bras méridional sans lequel le commerce maritime avec Narbonne n’aurait pu se faire. Ce bras avançait dans l’ancien lacus Rubresus (lagune aux eaux rouges / étangs actuels de Bages-Sigean et de l’Ayrolle) jusqu’au niveau des îles de l’Aute et de Sainte-Lucie où les vaisseaux romains transbordaient leurs marchandises sur des barges à faible tirant d’eau (cette pratique durera jusqu’au IXème siècle). Le Canal de la Robine et le rail sur ce même remblai empruntent ce même trajet. Son avancée vers Port-la-Nouvelle a coupé la lagune en étangs séparés (1).
 

Pourquoi peut-on parler d’un delta a demandé un lecteur ? Il est vrai que l’Aude joue les originaux, comme souvent et c’est surtout son bras oriental qui est naturel. En 1316, le fleuve a emporté le barrage et repris son cours primitif et malgré les efforts des hommes, à partir de 1531 il ne coulera plus à Narbonne. En 1799 (Brumaire an VIII), après la partie Coursan-Salles-d’Aude, le cours est entièrement canalisé de Moussoulens à la mer : ses riverains veulent se prévenir de ses colères dangereuses !
 

Au Nord (Capestang, Salles-d’Aude, Lespignan, Fleury-d’Aude, Vendres), les hommes laissent plutôt les étangs à la nature ; au sud de Narbonne, les lagunes sont exploitées. Des professionnels inscrits au rôle (prud’homie de Port la Nouvelle-Bages) pêchent l’anguille, le joël et, à la belle saison, les muges, les daurades, les loups, les soles. Des bancs de coquillages sont mentionnés dont des moules et des palourdes (2). Il faudra redemander à Yves concernant l’étang de Bages (3) et se souvenir de Robert sur l’Ayrolle pour en apprendre davantage...  

Nous reviendrons sur ce volet humain et économique qui interfère et perturbe les cycles naturels avec d’abord les déséquilibres entre salinité et apports d’eau douce (Robine, rivière Berre... et peut-être un cours souterrain de l’Aude), ensuite les excès de nutriments dans l’eau dus aux rejets humains, envahissement par les algues vertes ou rouges, pollutions récurrentes au cadmium (Micron Couleurs / Narbonne), à l’insecticide (SOFT / La Nouvelle), à l’azote (Comurhex / Malvézy).

Sans vouloir oublier ces réalités, c’est la poésie du delta que nous voulions retrouver, ce monde flou encore empreint de mystère, engendré par la rencontre entre la mer et la terre, les milieux salins et dulçaquicoles, ces calmes vénéneux que des vents fous balaient avec régularité.
Dans l’étang de Bages et de Sigean, les îles ne peuvent que nourrir la rêverie : la Margotte et ses oiseaux de mer (4), Planasse où les moutons, comme à l’île Amsterdam auraient éliminé la flore originelle, les Oulous «... rôtie par le soleil et le Cers... » comme l’a décrite Jean Girou, l’île du Soulier «... si petite qu’elle semble destinée au pied de Cendrillon...» écrit encore l’auteur de l’Itinéraire en Terre d’Aude (5).
 


Plus au sud vers La Nouvelle, les trois autres terres émergées sont marquées par la présence humaine. Émouvant, le tout petit îlot de la Nadière, presque un coin de Bretagne, qui abrita longtemps un village de pêcheurs. 



Souriante, Sainte-Lucie, de son ancien nom Cauquenne ("port" en ibère), où la forêt a remplacé les vignobles des moines. En 1809, un décret impérial a débouté Gruissan (au profit de Sigean, Port-la-Nouvelle n’étant commune que depuis 1844 ?) qui voulait y préserver ses privilèges (cueillette de la salicorne, accès à la fontaine, libre disposition de cabanes de pêcheurs, droit de passage). 

 

L’île de l’Aute au soleil du matin : un bout du monde à portée, un rêve de milliardaire heureusement confisqué puisqu’elle appartient désormais à notre communauté républicaine depuis que nous l’avons achetée grâce au Conservatoire du littoral. Un corps de ferme massif mais si méridional, entouré de sa pinède, flanqué d’un palmier phœnix. Derrière les bleus de l’étang, dans un écrin de roches blanches, je me souviens encore des vignes... Sûr que depuis l’autorail rouge, elle faisait rêver, l’île de l’Aute. 


Dans son histoire, la chronique a aussi retenu que le grand filtre à café pour les bètes, bétous, bétounes, les barques montantes de la Nadière et celles de Bages qui descendaient à La Nouvelle, s’est jusqu’à nos jours, transmis par héritage. Les fermiers de l'île de l'Aute étaient aussi bistrotiers ! Une autre anecdote (voir absolument la page facebook Ile de l’Aute) vient nous rappeler un amour de delta mais rose cette fois, comme la fleur du tamaris, en pendant à Mirèio et Magali, autres amoureuses tragiques de Camargue.
François, un Sigeanais, s’était entiché de Célestine, l’une des trois filles du fermier. Aux beaux jours, pour la voir plus souvent, il cachait sa bicyclette sur les bords, une chemisette sous son chapeau et partait rejoindre sa bien-aimée à la nage ! 

Crédit photos : 1, 2, 3, 6 Commons wikimedia
1. Plan incliné de Gailhousty Sallèles Auteur Gerbil
2. Canal de jonction Gailhousty Sallèles auteur Nancy
3 Canal de la Robine along Sainte-Lucie Island Author Christian Ferrer
6. Ile Sainte-Lucie Author Christian Ferrer

4. Carte des Cassini Géoportail IGN
5. Ile de la Nadière Ministère de la Culture et de la Communication
7. Ile de l'Aute vue depuis Port-Mahon parc de la Narbonnaise

mercredi 26 avril 2017

DELTA DE L’AUDE (4) / Les îles de la Narbonnaise.

  

Un autorail rouge et crème s’en va dans le petit matin blême. Ambiance enfumée d’un temps où la clope tue en toute impunité. Presque tous ont un abonnement de travail (merci la SNCF), et des habitudes. L’encre pas encore sèche de l’Indépendant ou de la Marseillaise noircit les doigts. D’autres forment une table à quatre pour une belote bruyante. Moi je retrouve Alain qui enseigne, toujours dans les P.O. où il a "fait" l’École Normale. Malgré nos discussions, les instantanés des lagunes, des îles, viennent forcément meubler nos silences. En attendant d’en savoir davantage, un jour, sur cette langue de terre avec le canal et le rail entre des étangs qui, sans cela, ne feraient peut-être qu’un, nous sommes si habitués qu’il faut se pincer pour admettre le caractère admirable de ces paysages dont nous semblons blasés. 


Avec le Paris-Port-Bou, toute cette beauté vous saute aux yeux. Jamais aussi bien perçue que dans les yeux des voyageurs du train de nuit. "Le train de nuit, c'est Paris à une heure de Perpignan : une demi-heure pour s'endormir, une demi-heure pour se réveiller" (1). La surprise donne à tous cet air émerveillé des enfants à Noël : la lumière toute méditerranéenne, magie de toutes ces nuances encore mêlées de bleus, de gris, de verts, le ciel, les étangs, le canal, les pins émergeant peu à peu de la nuit sous un soleil encore froid comme un œuf clair mais qui n’a plus rien à voir avec celui d’Austerlitz. 
    

Depuis sept millénaires, sur près de 250 km2 (2), le delta de l’Aude occupe à peu près la surface qui est la sienne  aujourd’hui. Le littoral abordé par les Romains ressemble beaucoup à celui que nous connaissons. Le maintien artificiel du bras méridional de l’Aude (barrage ou digue seulement à Sallèles ?) (3) ne permettait déjà plus d’atteindre Narbo Martius et les marchandises passaient des navires de haute mer sur des barges à fond plat, à hauteur des îles de Sainte-Lucie et de l’Aute. La Clape a longtemps gardé son insularité ; appelée « Île du Lec », elle se trouvait en effet séparée du fossé comblé de Narbonne par un étang salin qui s’est maintenu jusqu’au XVIIIe siècle (4).     

(1) train supprimé en décembre 2016...
(2) plus marqué, le delta de l’Ebre s’avance sur 320 km2 tandis que celui du Rhône avec une Camargue plurielle (la Petite et la Grande) s’étend sur 1500 km2.
(3) «... Gaston Galtier (La côte sableuse du Golfe du Lion [Bulletins de la Société languedocienne de Géographie - année 1958] pense que le bras oriental, plus court et présentant une pente plus forte, écoulait la majeure partie des eaux et que les Romains ont barré ce bras oriental à Sallèles pour augmenter le tirant d'eaux du bras méridional et le rendre plus propice à la navigation, ce qui paraît plausible en raison de l'importance du port de Narbonne.../... à la suite de l'inondation de 1316, l'Aude a emporté le "barrage" de Sallèles et repris son cours primitif dans le bras oriental... /... les efforts déployés, après la rupture du barrage, pour maintenir le cours de l’Aude vesr Narbonne se sont révélés vains. Depuis le milieu du XIVe siècle et jusqu'à la fin du Moyen-Âge, l'Aude n'arrose qu'irrégulièrement la ville. Une nouvelle robine doit être établie à Moussoulens en 1468.../... Ces efforts restent vains ; le 3 octobre 1531, l'Aude change définitivement son cours et quitte Narbonne.../... La situation des embouchures de l'Aude ne sera stabilisée qu'au début du XIXe siècle : la Robine a été canalisée de Moussoulens à la mer, la branche nord sera à son tour canalisée en Brumaire an VIII...» (22 oct- 21 nov 1799).
Source Vilatges al pais, Canton de Coursan (2005 / Francis Poudou et habitants) 
(4) Etang Salin sur les communes de Vinassan et Narbonne, restes du lacus Rubressus, desséché en 1585 grâce au canal Ste Marie. La mention des salines de Coursan apparaît en 844. Estang salin ou marais de la Clape 1680. Le canal de l’étang-Salin ou de Ste marie prend à Coursan le trop-plein de la rivière Aude, arrose les basses plaines de Coursan (A l’estang 1768), Armissan (Tot lo lonc de l’Estanh 1537), Narbonne et se jette dans l’étang de Campignol au roc de Conilhac. 
https://dedieujeanfrancois.blogspot.com/search?q=Coursan

 
Crédit photos commons wikimedia : 
1. autorail quittant Calvi auteur Didier Duforest
2. Étang_de_l'Ayrolle,_Gruissan Auteur Christian Ferrer / cliché pris vers l'ouest depuis l'île Saint-Martin / La voie ferrée et le canal séparent l'Ayrolle de l'étang de Bages-et-de-Sigean. 
4. Étang de Bages et de Sigean  depuis Sainte-Lucie Author Christian Ferrer / photo prise vers le sud : on distingue la petite île de la Nadière ainsi que les silos et les cuves à hydrocarbures de Port-la-Nouvelle. 

Photo de nos impôts : 
3. Ile de l'Aute vue aérienne Conservatoire du Littoral

mardi 11 avril 2017

DAUDET : ODE AU DELTA... (3) / Lettres de mon Moulin


Dans les Lettres de mon Moulin, Alphonse Daudet a su aussi mêler l’avancée grandiose du delta au tragique des destinées humaines. A Mirèio, à Magali, il associe l’Arlésienne, celle qu’on ne voit jamais alors que tout tourne autour du malheur qu’elle cause.
Daudet a sûrement eu le tort de joindre cette nouvelle à ses Lettres. 


Aux marges de la Crau, dans un mas aux micoucouliers, vit Jan, le fils de maître Estève.

«... Il s’appelait Jan. C’était un admirable paysan de vingt ans, sage comme une fille, solide et le visage ouvert. Comme il était très beau, les femmes le regardaient ; mais lui n’en avait qu’une en tête, ~ une petite Arlésienne, toute en velours et en dentelles, qu'il avait rencontrée sur la Lice d'Arles, une fois. ~ Au mas, on ne vit pas d’abord cette liaison avec plaisir. la fille passait pour coquette, et ses parents n’étaient pas du pays. Mais Jan voulait son Arlésienne à toute force; il disait :
~ Je mourrai si on ne me la donne pas. »

 


Hélas, le jour même où on officialise sa liaison, un homme demande à voir maître Estève, seul à seul. Le soir venu, le père se doit de dévoiler à Jan ce qu’il lui a appris :
«  ~  Femme, dit le ménager, en lui amenant son fils, embrasse-le ! il est malheureux... »   

Daudet a eu tort de joindre cette nouvelle à ses Lettres : elle s’inspire directement de la triste fin d’un neveu de Mistral et c’est Mistral lui même qui s’en est confié. La publication d'une intimité à ne pas mettre au grand jour pèse certainement dans le froid à venir entre les deux hommes...

Arles est à l’entrée du delta, sur le bras principal du fleuve alors que le Petit Rhône, lui, en amont de la ville, est déjà parti divaguer vers l’ouest, vers Saint-Gilles. Dans sa "lettre" « En Camargue », Alphonse Daudet nous livre quelques impressions liées au delta d’un temps où le vapeur assurait le service dès le matin :

«... Avec la triple vitesse du Rhône, de l’hélice, du mistral, les deux rivages se déroulent. d’un côté c’est la Crau, une plaine aride, pierreuse. de l’autre, la Camargue, plus verte, qui prolonge jusqu’à la mer son herbe courte et ses marais pleins de roseaux... /...
Les terres cultivées dépassées, nous voici en pleine Camargue sauvage. À perte de vue, parmi les pâturages, des marais, des roubines, luisent dans les salicornes. Des bouquets de tamaris et de roseaux font des îlots comme sur un mer calme. pas d'arbres hauts. L'aspect uni, immense, de la plaine, n'est pas troublé... /... Comme de la mer unie malgré ses vagues, il se dégage de cette plaine un sentiment de solitude, d'immensité, accru encore par le mistral qui souffle sans relâche, sans obstacle, et qui, de son haleine puissante, semble aplanir, agrandir le paysage. Tout se courbe devant lui. les moindres arbustes gardent l'empreinte de son passage, en restent tordus, couchés vers le sud dans l'attitude d'une fuite perpétuelle... »


Et sur le Vaccarès, l’étang le plus grand et le plus emblématique de la Camargue :

«... le Vaccarès, sur son rivage un peu haut, tout vert d’herbe fine, veloutée, étale une flore originale et charmante : des centaurées, des trèfles d’eau, des gentianes, et ces jolies saladelles bleues en hiver, rouges en été, qui transforment leur couleur au changement d’atmosphère, et dans une floraison ininterrompue marquent les saisons de leurs tons divers... »  


Va pour les centaurées, les gentianes maritimes mais pour les saladelles, monsieur Daudet, vos détails ne peuvent que laisser interdit un natif du delta (serait-ce celui de l’Aude) : même pour la variante audoise de la saladelle (limonium narbonense) la couleur varie du bleu au mauve pour une floraison en fin d’été ! Alors seuls des Parisiens peuvent se pâmer en imaginant des saladelles rouges, en été qui plus est ! 
 

S’il s’agit peut-être d’une confusion avec les salicornes qui rougissent mais en hiver, ce qui est sûr est qu’Alphonse Daudet, aspiré par la capitale (nous parlions de Pergaud, dernièrement, monté lui aussi à Paris), ne peut éviter l’écueil du détail inexact !
S’il a su parler néanmoins de Nîmes, de la Provence rhôdanienne, parce qu’il y a passé les neuf premières années de sa vie (et peut-être trois ans comme répétiteur au collège d’Alès après la ruine de son père alors que la famille était installée à Lyon), il n’est plus du Midi... les dernières lignes des Lettres de mon Moulin en attestent :

«... Et moi, couché dans l’herbe, malade de nostalgie, je crois voir, au bruit du tambour qui s’éloigne, tout mon Paris défiler entre les pins...
Ah ! Paris... Paris !... Toujours Paris ! »


Si l’erreur est humaine, perseverare diabolicum se doit-on d’ajouter même si, pour tout ce qu’il a su offrir de beau, notamment dans ces Lettres de mon Moulin, on ne peut que pardonner. Merci, monsieur Daudet ! 

crédit photos commons wikimedia
1. Alphonse Daudet. 
2. ferme à Arles. Paul Gauguin 1888. 
3. étang du Vaccarès attribution ShareAlike 3.0