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dimanche 29 mai 2022

L'ÂNE de mamé Antoinette (fin)

 


Un témoignage qui nous est resté au hasard de dizaines de cassettes audio dont quelques unes seulement, les plus nombreuses étant musicales, ont gardé des voix. Certaines ne sont plus. Qu'Antoinette, Marcel et Valentine me pardonnent d'afficher leurs prénoms. C'étaient de braves gens. (La cassette est transcrite presque intégralement, à peine adaptée pour être écrite et lue). 

Mamé Antoinette : j’allais faire de l’herbe pour les vaches. Cet âne chaque fois que je foutais une fourchée, il ruait. Je l’ai chargé tant que j’ai pu, sans faire de bruit, puis doucement me coucheri sur l’herbe. J’avais pris une branche de frêne et encore j’avais laissé quelques nœuds. Et alors pingo pango... tu veux faire le fou, je vais t'aider !

Marcel (le fils) : c’était presque à la route nationale, la traverse qui vient à Vinassan. 

Antoinette : malheur on doublait les bicyclettes. Quand on est arrivés il voulait tourner vers la maison. Pas question, j’ai continué à le taper. Puisque tu en veux "n'auras" (tu en auras). On est arrivés au chemin de St Félix. Alors je l’ai laissé retourner. Ah il était devenu doux comme tout ! Avio coumprès (il avait compris).  

burro de Galice wikimedia commons Auteur Fernando Losada Rodriguez

Valentine (la fille) : cet âne dès que tu lui mettais la charrette...

Antoinette : je l’avais parce qu’on avait les vaches. Et je n'ai plus eu de vache. Alors plutôt le vendre. 

Marcel : et oui, c'était la guerre... 

Antoinette : et c'était difficile de les nourrir. Elles étaient maigres, elles ne donnaient plus de lait. Autrement je l’aurais pas vendu. Papa il ne rentrait pas (à l'écurie), il en avait peur. Un jour l’âne l’a coincé contre le mur. Il l’aurait tué. Heureusement mon père et Vincent étaient là, ils ont réussi à le sortir. Il était méchant. Autrement je faisais la laitière, j’avais quatre vaches.  

Marcel : elle a fait naître des petits veaux, je m’en rappelle comme si c’était hier.

Antoinette : je faisais la fermière, la laitière, la vétérinaire. Les vaches on les a gardées sept ou huit ans. Son père jamais il a voulu les traire «Tu les a voulues les vaches, tu les as...» Il fallait traire le matin et le soir, et quand il pleuvait, quand il neigeait... C’était dur mais moi je me régale... 
Les vaches il a fallu les vendre. Sinon, pour traire, la main des femmes est plus douce que celle des hommes. Autrement, les veaux, je n’avais besoin de personne. Je l’avais castré et tout. Alors ce sont des gens de Coursan qui sont venus, des gens un peu âgés, dans les soixante ans, par là. Des gens braves. Moi ça m’agaçait, je voulais le vendre. Enfin je lui ai dit. Moi ça m’agaçait. Je lui ai dit "Ecoutez, y a des fois, on l’a fait castrer mais y a des fois qu’il n’est pas franc... 

Burro en Galice wikimedia commons Auteur Fernando Losada Rodriguez

Marcel : on l’avait acheté à Narbonne et mon père est revenu dessus, comme un pérot comme on dit (est-ce pour le bélier marchant devant le troupeau ?). Un dimanche après-midi, ils sont revenus tranquilles, l'âne doux comme un agneau. Eux l’ont pris comme mon père l’a pris. Un nouveau propriétaire. Il montre son meilleur côté. On n’en a plus entendu parler...

Antoinette : Oh on n’en a plus entendu parler ??

Marcel : enfin de quelque temps, quoi !

Antoinette : un jour il me vient un monsieur pour parler à papa d’une vigne à vendre ou à acheter, je sais plus, mais des années après. Il me fait « il me semble que je suis venu ici ». Et moi de répondre "Il me semble que je vous remets...Oh c’est pas vous qui êtes venus m’acheter l’âne ? ". Ah ! un neveu à ceux qui avaient acheté l'âne. 

Le neveu : Oh c’est pas moi, c’est mon oncle et ma tante. 

Antoinette : et alors à propos ? 

Le neveu : A propos ! mé dis (il me dit)(rires dans l’assistance) Mon oncle il chargeait du bois. Y avait ma tante sur le chariot (les rires sont communicatifs). Et cet âne est parti comme en 14 (les rires redoublent). La pauvre. L’âne il a traversé les fossés et tout (fous rires). Il a perdu ma tante qui est tombée dans le canalet (fous rires à se tordre). Mon oncle depuis il est malade, il a eu une crise cardiaque (c'est terrible de rire, cela ne se contrôle pas !).

Antoinette : paï beleu ? (pas peut-être ?)

Le neveu : paï beleu me dis...

Antoinette : mais moi, i disi, il était méchant mais quand même je le domptais !

Le neveu : on a dû le vendre, c’est des gitanes qui l’ont acheté.

Antoinette : les gitanes raï ! (seraient-ils plus aptes à dominer les ânes ?) 

Le neveu : c’est qu’au bout de trois mois, je ne sais pas ce qu’il leur avait fait aux gitanes. Les gitanes aussi il a fallu qu’ils le vendent. Mais lou pauré papéto, ils ont eu peur, depuis il en est malade.

Marcel : une fois on passe devant la coopé, elle n’y était pas, la coopé. Rendez-vous compte si j’étais jeune. On prend le chemin de la plaine. 

La plaine de Vinassan. 

Valentine : aquélo plancho boulinguèt (cette planche a valdingué).

Marcel : Mon père avait mis une planche et nous dessus. Mais le chemin, y avait des trous, c’était pas goudronné. Et cet âne qui commence à prendre la quatrième, dans la descente en plus. La planche saute et nous deux de cul au fond de la charrette. Il pouvait pas sentir une bicyclette devant lui ! Je m’en rappelle comme si c’était hier.

Antoinette : j’ai travaillé chez les propriétaires puis j’ai fait la laitière et quand j’ai arrêté j’ai repris le travail ; y avait douze femmes avec moi. Quand ils me voyaient arriver, tout aco s’arrestavo, se rambavoun de la route (tout le monde s'arrêtait et s'enlevait de la route). Je vous dis qu’à Coursan, je vous mens pas, cette femme il l’a faite tomber il l’a perdue ! Moi quand je montais jamais je me mettais sur la planche. 

wikimedia commons Auteur Cocollector


L'ÂNE de mamé Antoinette / Présentation.

 Les ânes... Pour Porfiri Pantazi, le "Russe" de Pérignan, les déclinaisons phonétiques du mot "âne" relevaient du mystère. Quand devait-il dire un "nâne", des "zânes", un petit "tâne" ? C'est vrai que les "zânes" restent des compagnons de travail parfois durement traités, par exemple en Afrique. Chez nous, l'égoïsme a vite mené à les gommer des mémoires comme on l'a fait ensuite des chevaux de trait, compagnons de travail pourtant livrés aux bouchers... Néanmoins, en retrouvant un bon cap, une question grave de vie ou de mort, cette Histoire qui est la nôtre n'a pas dit son dernier mot...  

C'est que, petits, notre première rencontre avec lui a eu lieu pour Noël : l'âne est à l'honneur dans la crèche. 

Ensuite à l'école "J'aime l'âne si doux marchant le long des houx..." du poète Francis Jammes qui les aimait au point de vouloir être accepté dans leur paradis. 

Troisième rencontre, à Pézenas, rappelant Cadichon de la Comtesse de Ségur, puisque, avec Jacky le copain de classe, on l'a promené sous les grands pins du parc, au domaine de Grange Rouge, la propriété des grands-parents Lapointe. 

Puis, il y a Hugues Aufray 
"... en Provence, 
Au milieu des moutons, 
Dans le Sud de la France, 
Au pays des santons..." 
La fin quand même, il aurait pu ne pas en rajouter, parler de la mort suffisait à bouleverser les petits. A propos, au pays des santons comme en Italie, ne vend-on pas du saucisson d'âne ? 

Et puis, ces jeunes mariés au pays des maisons blanches rehaussées du rouge des géraniums. Ils vont à la corvée d'eau, c'est touristique presque d'accompagner les ânes sauf que le second bloque des deux fers, dans un refus typique de l'espèce. Demi-tour du marié devant, pour le cas pas exotique, qui enfant fit ses classes auprès de l'abuelo (le grand-père) : quelques claquements de langue et plus de problème pour arriver au puits.    

Un jour, devenu adulte et curieux de lectures, on aime cette traversée des Cévennes de Robert-Louis Stevenson en équipe avec Modestine la petite ânesse si docile et serviable. 

A quelque temps de là, à nouveau dans la vie vraie, c'est mamé Antoinette pour les quelques années à la ferme avec un âne au caractère bien trempé. On va parler de leur équipage à part tout à l'heure. 

« S'il vous plaît, dessine-moi un poisson ! » (A. de Saint-Exupéry). Grains entiers frits wikimedia commons Auteur Superbass

Par la suite, comme une parenthèse triste avec d'un côté des êtres transportés de progrès mais inconscients des dégâts collatéraux à la nature et si oublieux dans leur ingratitude envers tous ces compagnons de jadis, ânes, mules, chevaux jusqu'aux cochons et aux volailles et pigeons. Il en fallut du temps pour que l'instinct de conservation ne nous ramène à un mea culpa de meilleures intentions : les municipalités ont installé des petites fermes pour que les enfants sachent de quoi ont l'air tous ces animaux domestiques jadis familiers. Peut-être la hantise du "Dessine-moi un poisson !"...  


  
L'an passé, dans les photos en noir et blanc de nos papiers, j'ai trouvé un petit âne gris certainement des années 50 - début 60. Était-il lié au vieux Cazal qui, au village, promenait ainsi sa carriole à peu près à la même époque ? 


Toujours l'an passé, au bord de l'Aude, un âne parqué (ou était-ce une dame ?) venait jusqu'à la clôture pour saluer les promeneurs. Devais-je lui dire que son coin "Nego saumo" n'était pas favorable à son espèce puisqu'au moins un jeune âne s'était noyé par là ? 

Equidae_Equus_africanus_asinus wikimedia commons Auteur NasserHalaweh

Voudrait-on les reléguer aux oubliettes qu'ils viennent poser leur tête sur notre épaule. On parle d'un élevage d'ânes à Coursan, à l'honneur ce mois-ci sur Audemag du Conseil Départemental. 



Raison de plus pour parler de l'âne de mamé Antoinette, une brave femme qui vivait à Vinassan, du côté de la cave coopérative ou du moins de ce qu'il en reste, s'agissant, bien que déplacée, d'une fontaine artésienne. (à suivre)


samedi 10 mars 2018

ENTRE SAINT-ANDRÉ-DE-SANGONIS ET PÉZENAS / Ô moun pais...


  Un pêcheur de coquillages tirant un tenillier à Saint-Pierre-la-Mer, à proximité du grau fermé en été de l'étang de Pissevaches. Un effort soutenu, d'un pied sur l'autre, à reculons, mais une traction douce et lente laissant longtemps un même champ de vision. Un prétexte, grâce aux éléments marquants du paysage et tout aussi bien à tout ce qui reste invisible, pour penser, méditer, rêvasser et aussi redessiner la trace des siens jusqu'à ceux de son espèce avec toute la liberté que permet l'imagination. 



Toujours à ses tenilles, notre pêcheur à pied pense, cette fois c'est à Saint-André-de-Sangonis où son père, alors au chômage, trouva heureusement une place de précepteur au château, auprès du fils de la comtesse avant qu'une opportunité ne s'ouvrît enfin pour lui au Brésil. La comtesse fut même contrariée qu'il n'emmenât pas Maxence… Mais c’est vrai qu’elle était un peu spéciale... se séparer ainsi de son fils…  



De là, les souvenirs descendent un peu plus en aval, à Pézenas, encore ramassée autour de sa collégiale[1], à l’écart du fleuve, mais qui a déjà fort à faire avec la Peyne, sa jolie mais si capricieuse rivière voire colérique avec ses aigats (épisode méditerranéen plutôt que cévenol) aussi fréquents que soudains. Pézenas toujours frémissante de son passé historique et qui en a gardé une animation vivifiante tant culturelle que commerçante. « Connaissance du Monde », les Mahuzier au Caucase au foyer des campagnes, c’était quelque chose pour un gamin de dix ans, avant la télé ! En haut du cours Jean-Jaurès, l’influx du changement pour une jeunesse exprimant inconsciemment son mal-être, lasse d’une société compassée mais comme poussée seulement par un instinct, sortait des juke-box avec Johnny, Sylvie[2], Frank, les Chats Sauvages pour les rythmes rock annonçant peut-être 1968 et surtout l’ambiance « Salut les copains » avec ces 45 Tours toujours nouveaux qui sortaient tous les mois tandis que la chanson française, toujours là, mutait bien obligée aussi, malgré ses valeurs sûres… 


A l’opposé, en descendant le Cours, avec les hôtels particuliers, l’allure grand siècle sous la perruque de Molière, Lulli scandant les pas de sa grande canne ne s’en formalise pas. C’est là qu’habitait Jacky Lapointe, le copain de classe qui ne disait rien du « Poisson fa »[3] de son papa mais qui, un jeudi, m’a emmené sortir le petit âne chez son papi, sous les pins du parc de la Grange Rouge alors en pleine campagne[4]… Il était calme, doux et gentil, comme Jacky… Etranges, ces coïncidences qui nous font retrouver la Comtesse de Ségur, Stevenson et Modestine, Francis Jammes, Hugues Aufray, Jacky et l’ombre de Boby Lapointe… Mémoire d’un âne… d'un petit âne, heureux, léger de ses malheurs passés, de la signature contrefaite sur le carnet de notes pour deux zéros en allemand, première langue obligée, suivie d’une fugue qui s’est bien terminée, c’est comme ça, après 70 kilomètres sur la dangereuse nationale 113…     

   
Parcourir son paysage familier, même en y retraçant son chemin de vie, c’est déjà révéler son ouverture aux autres, l’intérêt qui leur est porté. Le temps de soulever le tenillier, manière d’avoir une idée de sa pêche, avant de le poser dans l’autre sens, le laboureur de la mer s’apprête, comme pour un deuxième sillon, à forcer sur sa bricole. 

Labourer ? il faut le dire vite ; c’est à peine si une bande de sable est ameublie sur 2-3 cm attirant aussitôt des sars de petite taille comme le fait une terre fraîchement remuée avec les bergeronnettes. Labourer n’est pas charruer, cela dépend de la taille de la charrue suivant que le soc retourne jusqu’à vingt-cinq centimètres (entre quinze et vingt disons parce qu'il en est encore à la traction animale et qu'il plaint le cheval) ou que le versoir va trancher beaucoup plus profond pour arracher une vigne notamment… Qui a vu monsieur Guilhaumet derrière un chenillard, sous son éternel béret, perché à deux bons mètres du sol, au volant d’un soc géant pour voir de quoi il retourne ?

Aux tenilles, l’esprit reste libre de vagabonder, de divaguer quand la gouge du Cers sculpte le golfe vers le large de ses millions d’écailles. On n’a pas idée alors des chalutiers qui en sont arrivés à charruer les fonds marins et pire, de ces capitaines criminels qui viennent razzier, au petit matin, trop près de la plage, la faible profondeur (des herbiers ?), véritables nurseries pour nombre d’espèces…




[1] Les nouveaux quartiers des localités, quelle que soit leur taille, ont débordé sur la campagne
[2] Avec Patricia Carli, Micky Amline, des accents d’émancipation chez les filles…
https://www.youtube.com/watch?v=EeQnKdc9nls
[3] Robert Lapointe, Boby (1922-1972) qui, en 1960, 61 se fait remarquer avec les chansons Marcelle, Aragon et Castille.
Jacky Lapointe (1950-2008).
[4] Aujourd’hui les lotissements ont pris la place des vignes. 

Photo autorisée : 
4. La Peyne canalisée. Wikimedia Commons Auteur Christian Ferrer