Un pêcheur de coquillages tirant un
tenillier à Saint-Pierre-la-Mer, à proximité du grau fermé en été de l'étang de
Pissevaches. Un effort soutenu, d'un pied sur l'autre, à reculons, mais une
traction douce et lente laissant longtemps un même champ de vision. Un
prétexte, grâce aux éléments marquants du paysage et tout aussi bien à tout ce
qui reste invisible, pour penser, méditer, rêvasser et aussi redessiner la
trace des siens jusqu'à ceux de son espèce avec toute la liberté que permet
l'imagination.
Toujours à ses tenilles, notre pêcheur à pied pense, cette fois c'est à
Saint-André-de-Sangonis où son père, alors au chômage, trouva heureusement une
place de précepteur au château, auprès du fils de la comtesse avant
qu'une opportunité ne s'ouvrît enfin pour lui au Brésil. La comtesse fut même
contrariée qu'il n'emmenât pas Maxence… Mais c’est vrai qu’elle était un peu
spéciale... se séparer ainsi de son fils…
De là, les souvenirs descendent un peu plus en aval, à Pézenas, encore
ramassée autour de sa collégiale[1], à l’écart du fleuve, mais qui a déjà fort à
faire avec la Peyne, sa jolie mais si capricieuse rivière voire colérique avec
ses aigats (épisode méditerranéen plutôt que cévenol) aussi fréquents que
soudains. Pézenas toujours frémissante de son passé historique et qui en a
gardé une animation vivifiante tant culturelle que commerçante.
« Connaissance du Monde », les Mahuzier au Caucase au foyer des
campagnes, c’était quelque chose pour un gamin de dix ans, avant la télé !
En haut du cours Jean-Jaurès, l’influx du changement pour une jeunesse
exprimant inconsciemment son mal-être, lasse d’une société compassée mais comme
poussée seulement par un instinct, sortait des juke-box avec Johnny, Sylvie[2], Frank, les Chats Sauvages pour les rythmes
rock annonçant peut-être 1968 et surtout l’ambiance « Salut les
copains » avec ces 45 Tours toujours nouveaux qui sortaient tous les mois tandis que la
chanson française, toujours là, mutait bien obligée aussi, malgré ses valeurs
sûres…
A l’opposé, en descendant le Cours, avec les hôtels particuliers, l’allure
grand siècle sous la perruque de Molière, Lulli scandant les pas de sa grande
canne ne s’en formalise pas. C’est là qu’habitait Jacky Lapointe, le copain de
classe qui ne disait rien du « Poisson fa »[3] de son papa mais qui, un jeudi, m’a emmené
sortir le petit âne chez son papi, sous les pins du parc de la Grange Rouge
alors en pleine campagne[4]… Il était calme, doux et gentil, comme Jacky…
Etranges, ces coïncidences qui nous font retrouver la Comtesse de Ségur,
Stevenson et Modestine, Francis Jammes, Hugues Aufray, Jacky et l’ombre de Boby
Lapointe… Mémoire d’un âne… d'un petit âne, heureux, léger de ses malheurs passés, de la signature contrefaite sur
le carnet de notes pour deux zéros en allemand, première langue obligée, suivie
d’une fugue qui s’est bien terminée, c’est comme ça, après 70 kilomètres sur la
dangereuse nationale 113…
Parcourir son paysage familier, même en y retraçant son chemin de vie, c’est déjà révéler son ouverture aux autres, l’intérêt qui leur est porté. Le
temps de soulever le tenillier, manière d’avoir une idée de sa pêche, avant de
le poser dans l’autre sens, le laboureur de la mer s’apprête, comme pour un
deuxième sillon, à forcer sur sa bricole.
Labourer ? il faut le dire
vite ; c’est à peine si une bande de sable est ameublie sur 2-3 cm attirant
aussitôt des sars de petite taille comme le fait une terre fraîchement remuée avec les bergeronnettes. Labourer n’est pas charruer, cela dépend de la taille de la charrue
suivant que le soc retourne jusqu’à vingt-cinq centimètres (entre quinze et
vingt disons parce qu'il en est encore à la traction animale et qu'il plaint
le cheval) ou que le versoir va trancher beaucoup plus profond pour arracher
une vigne notamment… Qui a vu monsieur Guilhaumet derrière un chenillard, sous
son éternel béret, perché à deux bons mètres du sol, au volant d’un soc géant
pour voir de quoi il retourne ?
Aux tenilles, l’esprit reste libre de vagabonder, de divaguer quand la
gouge du Cers sculpte le golfe vers le large de ses millions d’écailles. On n’a
pas idée alors des chalutiers qui en sont arrivés à charruer les fonds marins
et pire, de ces capitaines criminels qui viennent razzier, au petit matin, trop
près de la plage, la faible profondeur (des herbiers ?), véritables
nurseries pour nombre d’espèces…
[1]
Les nouveaux quartiers des localités, quelle que soit leur taille, ont débordé
sur la campagne
[2]
Avec Patricia Carli, Micky Amline, des accents d’émancipation chez les filles…
https://www.youtube.com/watch?v=EeQnKdc9nls
https://www.youtube.com/watch?v=EeQnKdc9nls
[3]
Robert Lapointe, Boby (1922-1972) qui, en 1960, 61 se fait remarquer avec les
chansons Marcelle, Aragon et Castille.
Jacky Lapointe (1950-2008).
[4]
Aujourd’hui les lotissements ont pris la place des vignes.
Photo autorisée :
4. La Peyne canalisée. Wikimedia Commons Auteur Christian Ferrer
Photo autorisée :
4. La Peyne canalisée. Wikimedia Commons Auteur Christian Ferrer
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