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vendredi 26 mai 2017

AUDE, ODE AU DELTA (5) / Les îles de la Narbonnaise (fin)


 

Les chiffres en attestent, les géographes confirment : avec quatre millions de tonnes de sédiments en un an, l’Aude fait partie des fleuves les plus travailleurs de France et son delta s’est formé, la régression de la mer aidant. Voilà quasiment deux millénaires, en construisant un barrage (une digue), les Romains ont favorisé le bras méridional sans lequel le commerce maritime avec Narbonne n’aurait pu se faire. Ce bras avançait dans l’ancien lacus Rubresus (lagune aux eaux rouges / étangs actuels de Bages-Sigean et de l’Ayrolle) jusqu’au niveau des îles de l’Aute et de Sainte-Lucie où les vaisseaux romains transbordaient leurs marchandises sur des barges à faible tirant d’eau (cette pratique durera jusqu’au IXème siècle). Le Canal de la Robine et le rail sur ce même remblai empruntent ce même trajet. Son avancée vers Port-la-Nouvelle a coupé la lagune en étangs séparés (1).
 

Pourquoi peut-on parler d’un delta a demandé un lecteur ? Il est vrai que l’Aude joue les originaux, comme souvent et c’est surtout son bras oriental qui est naturel. En 1316, le fleuve a emporté le barrage et repris son cours primitif et malgré les efforts des hommes, à partir de 1531 il ne coulera plus à Narbonne. En 1799 (Brumaire an VIII), après la partie Coursan-Salles-d’Aude, le cours est entièrement canalisé de Moussoulens à la mer : ses riverains veulent se prévenir de ses colères dangereuses !
 

Au Nord (Capestang, Salles-d’Aude, Lespignan, Fleury-d’Aude, Vendres), les hommes laissent plutôt les étangs à la nature ; au sud de Narbonne, les lagunes sont exploitées. Des professionnels inscrits au rôle (prud’homie de Port la Nouvelle-Bages) pêchent l’anguille, le joël et, à la belle saison, les muges, les daurades, les loups, les soles. Des bancs de coquillages sont mentionnés dont des moules et des palourdes (2). Il faudra redemander à Yves concernant l’étang de Bages (3) et se souvenir de Robert sur l’Ayrolle pour en apprendre davantage...  

Nous reviendrons sur ce volet humain et économique qui interfère et perturbe les cycles naturels avec d’abord les déséquilibres entre salinité et apports d’eau douce (Robine, rivière Berre... et peut-être un cours souterrain de l’Aude), ensuite les excès de nutriments dans l’eau dus aux rejets humains, envahissement par les algues vertes ou rouges, pollutions récurrentes au cadmium (Micron Couleurs / Narbonne), à l’insecticide (SOFT / La Nouvelle), à l’azote (Comurhex / Malvézy).

Sans vouloir oublier ces réalités, c’est la poésie du delta que nous voulions retrouver, ce monde flou encore empreint de mystère, engendré par la rencontre entre la mer et la terre, les milieux salins et dulçaquicoles, ces calmes vénéneux que des vents fous balaient avec régularité.
Dans l’étang de Bages et de Sigean, les îles ne peuvent que nourrir la rêverie : la Margotte et ses oiseaux de mer (4), Planasse où les moutons, comme à l’île Amsterdam auraient éliminé la flore originelle, les Oulous «... rôtie par le soleil et le Cers... » comme l’a décrite Jean Girou, l’île du Soulier «... si petite qu’elle semble destinée au pied de Cendrillon...» écrit encore l’auteur de l’Itinéraire en Terre d’Aude (5).
 


Plus au sud vers La Nouvelle, les trois autres terres émergées sont marquées par la présence humaine. Émouvant, le tout petit îlot de la Nadière, presque un coin de Bretagne, qui abrita longtemps un village de pêcheurs. 



Souriante, Sainte-Lucie, de son ancien nom Cauquenne ("port" en ibère), où la forêt a remplacé les vignobles des moines. En 1809, un décret impérial a débouté Gruissan (au profit de Sigean, Port-la-Nouvelle n’étant commune que depuis 1844 ?) qui voulait y préserver ses privilèges (cueillette de la salicorne, accès à la fontaine, libre disposition de cabanes de pêcheurs, droit de passage). 

 

L’île de l’Aute au soleil du matin : un bout du monde à portée, un rêve de milliardaire heureusement confisqué puisqu’elle appartient désormais à notre communauté républicaine depuis que nous l’avons achetée grâce au Conservatoire du littoral. Un corps de ferme massif mais si méridional, entouré de sa pinède, flanqué d’un palmier phœnix. Derrière les bleus de l’étang, dans un écrin de roches blanches, je me souviens encore des vignes... Sûr que depuis l’autorail rouge, elle faisait rêver, l’île de l’Aute. 


Dans son histoire, la chronique a aussi retenu que le grand filtre à café pour les bètes, bétous, bétounes, les barques montantes de la Nadière et celles de Bages qui descendaient à La Nouvelle, s’est jusqu’à nos jours, transmis par héritage. Les fermiers de l'île de l'Aute étaient aussi bistrotiers ! Une autre anecdote (voir absolument la page facebook Ile de l’Aute) vient nous rappeler un amour de delta mais rose cette fois, comme la fleur du tamaris, en pendant à Mirèio et Magali, autres amoureuses tragiques de Camargue.
François, un Sigeanais, s’était entiché de Célestine, l’une des trois filles du fermier. Aux beaux jours, pour la voir plus souvent, il cachait sa bicyclette sur les bords, une chemisette sous son chapeau et partait rejoindre sa bien-aimée à la nage ! 

Crédit photos : 1, 2, 3, 6 Commons wikimedia
1. Plan incliné de Gailhousty Sallèles Auteur Gerbil
2. Canal de jonction Gailhousty Sallèles auteur Nancy
3 Canal de la Robine along Sainte-Lucie Island Author Christian Ferrer
6. Ile Sainte-Lucie Author Christian Ferrer

4. Carte des Cassini Géoportail IGN
5. Ile de la Nadière Ministère de la Culture et de la Communication
7. Ile de l'Aute vue depuis Port-Mahon parc de la Narbonnaise