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samedi 11 avril 2020

C'ÉTAIT UN MONDE MERVEILLEUX... / Un printemps d'avant.

Tu vois ces vieux pins au milieu des vignes, avant-garde de la garrigue pas loin, au-dessus du coteau ? Des squelettes pour quelques uns mais ceux qui restent gardent de la noblesse, une prestance je veux dire... Tu trouves pas ? Ils me font penser à une compagnie de mousquetaires se découvrant ensemble pour saluer. Que veux-tu, les films de cape et d'épée, on aimait, au cinéma Balayé ! Regarde comme le Cers, le maître vent, a tourné la plume des chapeaux vers la Clape et la mer !

A ce propos, je veux te parler d'un jour précis parce que cette fois là, ce que j'appris sur moi et le monde m'a marqué les années aidant.
Le film vient de casser, l'image reste fixe. "Arrêt sur image" on dirait aujourd'hui. Immobiles les panaches d'aiguilles. Pas un pet d'air, pas un souffle, juste un beau soleil, un ciel sans nuages. Et les cloches, nos trois cloches, déjà de Pâques, s'en donnent à cœur joie. Ce dimanche là, Saint Martin, tu sais, celui qui donne la moitié de son manteau à un pauvre, me libère pour une messe buissonnière. L'idée ne m'en serait pas venue tout seul. C'est que depuis le vitrail, celui de gauche, plus qu'auréolé, rayonnant dans une mandorle fulgurante du feu de l'astre, de me tirer vers la lumière, à force de dimanches, il me fait passer le rempart de verre. Une fois, une fois seulement. Si je suis un passe vitrail, il est ma circonstance atténuante et je ne suis pas perfide au point de dire que c'est de sa faute. 

Alors, au lieu de m'arrêter à l'église, je trottine par le quartier haut, si tranquille et innocent que personne ne s'étonne de mon trajet à rebours. Et je me retrouve là, dans les pins au bord d'un chemin blanc de poussière, pas ailleurs. 

Les cloches m'appellent, me rappellent et je ne culpabilise même pas. Au contraire, je souris, pas moqueur du tout, malicieux plutôt du bon tour joué, avec la complicité de Martin, même si je n'en ai qu'une vague idée, aux adultes, aux traditions, à l'ordre social. Rien d'une révolte ! 

Le village depuis le coteau de Caboujolette. Photo François Dedieu, début des années 60. Il y a bien le château d'eau mais quand a-t-il été construit ? 

Depuis le coteau bordant la garrigue, les toits autour du clocher épaulé par la tour Balayard nous gardent toujours des incursions barbaresques. C'est émouvant un village. La parabole du berger , presque, qui rassemble son troupeau aidé par son chien. Et la suite de l'histoire avec la brebis égarée, l'agneau perdu ou prodigue, échappé. Non, pas moi. Je viens de lire les Lettres de mon Moulin ; j'ai vu le film aussi, de Marcel Pagnol, avec deux ou trois histoires et Paul Préboist en moine ivrogne qui nous fit bien rigoler, même en noir et blanc. 

Et là, dans cette oasis cernée de vignes (1), je suis comme la chèvre de monsieur Seguin, libre. Depuis mon île plantée de pins, je regarde, au loin, le village. Mon cœur balance entre tendresse et recul ; touchantes en effet, les maisons qui comme les êtres se serrent mais ne faut-il pas parfois distendre un lien qui, sous prétexte de réchauffer, étouffe, empêche de penser par soi-même ? Muselés, ligotés, fragilisés, lobotomisés, trop nombreux sont ceux qui en arrivent à ne vouloir que leur prison pour horizon et n'avoir de cesse que de l'imposer aux autres. Nous concernant, pourtant, quiconque le souhaite et n'a que faire des ragots, peut aller jusqu'à la rejeter, la religion... Laissons ces raisonnements qui corrompent la magie du moment.   

 
Papilio machaon Wikimedia Commons Auteur LG Nyqvist

Un matin magique éclabousse notre cadre familier de ses brillants de printemps. Les fleurs, la petite, blanche au cœur d'or, du ciste de Montpellier, la grande, mauve, fripée, du ciste cotonneux, les toupets de la bourrache dans les bleus. De l'une à l'autre, d'autres fleurs, mais mouvantes : les papillons. Non, je ne rêve pas, les feuilles collantes ou duveteuses des cistes, les piquantes de la garouille, la hampe du romarin, ce sont bien mes mains qui les reconnaissent. Les poursuites des piérides, la farandole du paon du jour, la voltige de l'apollon, les ailes qui respirent d'un machaon posé m'en mettent plein les yeux. Et à côté, la vieille vigne de l'oncle Noé, plus que centenaire, où parrain a dit qu'il connait un lièvre...


Mon temps suspend son vol mais l'heure est trop vite passée, pourtant seulement à me retourner sur les fleurs et à suivre l'envolée des papillons dans la magie d'un matin étincelant. Les cloches carillonnent à nouveau l'espérance. Elles me disent aussi qu'elles ont bien reçu toute cette beauté montée au ciel et qu'en retour elles me renvoient une paix angélique. Et aussi que je peux garder mon secret trop beau, personne ne demandera, je n'aurai pas à mentir, à en rougir. 

(1) un mystère ce bosquet au milieu des vignes... peut-être la volonté du propriétaire d'alors...  

Fleury-d'Aude, Pins de Barral années 60. Diapositive François Dedieu. Oui, je sais nous sommes au printemps et je vous donne à voir l'automne mais pour en avoir passé des milliers je n'en ai pas d'autre en magasin...
 

jeudi 19 avril 2018

LA COMBE DE MONSIEUR SEGUIN (suite) / Fleury-d’Aude en Languedoc.


Finissons de monter au cerisier de Caussé. Le lit d’une eau qui découche est bien là, avec, par endroits, la pierre creusée en cuvettes, un bonheur rare, après la pluie, pour les perdrigals. Une forme en chien de fusil, un « S » allongé dans ce qui ressemble à un petit défilé… Et dire que ce « S » correspond à un arpent de terre échu à mon grand-père (par quel biais mystérieux ?), théoriquement propriétaire d’une concession, dûment cadastrée et pourtant ne correspondant à rien ! J’étais loin de m’en douter alors, en montant ce chemin de garrigue parfumée. J’oubliais même les plantes odorantes, surtout en fin d’après-midi, quand les rayons obliques réveillent les peurs des gamins… La selle à ressorts d’un vieux vélo bien démultiplié me faisait jouer à la diligence de Santa Fé sur le chemin blanc et poudreux des pins de Barral et quand le courageux cow-boy que j’étais poursuivait à pied jusqu’au défilé, le colt à la main, c’était pour vite fuir et ne pas laisser mon scalp aux Apaches embusqués dans les rochers. On croyait si fort au bon Blanc et au cruel Indien[1] ! 

Au débouché de l’étroit passage, à la vision sereine d’une combe, belle de ce qu’en fit  la nature sur des millions d’années, du travail de l’homme aussi, à une échelle pourtant à peine plus perceptible, se lève comme un souffle d’allégresse. Le rajol d’abord, profond d’une paire de mètres, se coulant en courbes courtes, arquées, cassées, bien marqué par une double ligne d’arbres, aux racines si utiles contre l’érosion, dont l’auzino, le chêne-vert (la yeuse ?), peut-être quelque autre feuillu, favorisé par l’eau résiduelle du sous-sol. 
Amandier fleuri sur fond de pins d'Alep.

Azerolier, boutélhétiè... année d'azeroles, année de peu de vin...

Pour l’amètliè, lou boutélhétiè, lou lauriè-saouso (l’amandier, l’azerolier, le laurier-sauce), je crois que l’homme y est pour quelque chose. Sous l’étroit couvert[2] la salsepareille accroche les socquettes par méchanceté alors que l’espargo, l’asperge sauvage ne griffe pas la main pour rien (il y en a eu beaucoup cette année !). 


Vers Noël, avec les cousins, nous y allions aussi pour le verd-bouisset, le petit houx aux jolies boules rouges (fruits du fragon). En décembre, la nuit monte vite et quand mes yeux cherchaient, au-dessus de la barre rocheuse fermant le petit cirque, l’indigo plus clair du ciel, j’imaginais Blanquette, en haut, attendant le loup. Touchés alors par une pétoche aussi soudaine que contagieuse, nous dévalions le long de la vigne, le clos, sûrement, où monsieur Seguin sonnait encore de la trompe et cette course éperdue d’adrénaline ne s’arrêtait qu’après le défilé des Indiens, là où la vision à contre-jour du clocher rassure, là où les vignes gardent le jour encore un peu avant que les étoiles ne s’allument une à une… Tant pis pour les quelques boulettes rouges perdues dans le bouquet malmené… 
Fragon, faux-houx, WikimediaCommons Author Père Igor.

Plus grand, quand on ne risque plus grand-chose à aller voler des cerises sous la lune, à plusieurs, comme on va seul faire le courageux avec une fille, dans une nuit complice, plus absorbé par la mutation tant psychique que physique menant à l’âge adulte, on trouverait saugrenue de penser à l’œuvre de la nature, à l’intégration de l’homme en son sein par le travail. Il y faut plus que la force de l’âge pour se tourner vers son passé, seulement parce que le chemin restant est plus court que celui déjà parcouru. Alors seulement, on imagine comment ce torrent de quelques jours par an a finalement sculpté la barre calcaire[3] dans laquelle il s’enfonce en coin. La combe s’est formée et l’homme a mis à profit cette terre plus ou moins argileuse issue du long travail de la pluie, des eaux, des végétaux. Pour ne pas que tout soit emporté, il a dressé des murs de pierres sèches, formant des terrasses, il a modelé le paysage à son profit…

« …Avec leurs mains dessus leurs têtes
Ils avaient monté des murettes
Jusqu'au sommet de la colline… »

Cette fois encore, les paroles de Ferrat reviennent. Les paysans qui n’avaient pas à disposition une plaine à modeler, n’auraient pu, sans ténacité, sans ingéniosité, s’accrocher aux milieux plus difficiles, qu’ils soient montagneux, marécageux ou de garrigue. (à suivre).  

Encore une combe perdue, ou retrouvée pour la nature, celle de Caboujolette.

[1] Une propagande ensuite entretenue par une interprétation spécieuse du « melting pot » de la part du prof d’histoire au lycée…
[2] Pour parler de cette ripisylve, véritable corridor biologique gainant le cours d’eau, et, dans son autre dimension, préservant la berge, gardant la terre issue de l’érosion et filtrant les ruissellements, formée de quelques arbres, arbustes, buissons et herbacées, Georges Kuhnholtz-Lordat (1888-1965) , ingénieur agronome, professeur de botanique à l’ENS agronomique de Montpellier a utilisé la jolie expression de « fourré-galerie ». 
[3] Proche de la surface mais encore sous l’eau il y a cinq millions d’années…