Finissons de monter au cerisier
de Caussé. Le lit d’une eau qui découche est bien là, avec, par endroits, la
pierre creusée en cuvettes, un bonheur rare, après la pluie, pour les
perdrigals. Une forme en chien de fusil, un « S » allongé dans ce qui
ressemble à un petit défilé… Et dire que ce « S » correspond à un
arpent de terre échu à mon grand-père (par quel biais mystérieux ?),
théoriquement propriétaire d’une concession, dûment cadastrée et pourtant ne
correspondant à rien ! J’étais loin de m’en douter alors, en montant ce
chemin de garrigue parfumée. J’oubliais même les plantes odorantes, surtout en
fin d’après-midi, quand les rayons obliques réveillent les peurs des gamins… La
selle à ressorts d’un vieux vélo bien démultiplié me faisait jouer à la
diligence de Santa Fé sur le chemin blanc et poudreux des pins de Barral et
quand le courageux cow-boy que j’étais poursuivait à pied jusqu’au défilé, le
colt à la main, c’était pour vite fuir et ne pas laisser mon scalp aux Apaches
embusqués dans les rochers. On croyait si fort au bon Blanc et au cruel Indien[1] !
Au débouché de l’étroit passage, à
la vision sereine d’une combe, belle de ce qu’en fit la nature sur des millions d’années, du
travail de l’homme aussi, à une échelle pourtant à peine plus perceptible, se
lève comme un souffle d’allégresse. Le rajol d’abord, profond d’une paire de
mètres, se coulant en courbes courtes, arquées, cassées, bien marqué par une
double ligne d’arbres, aux racines si utiles contre l’érosion, dont
l’auzino, le chêne-vert (la yeuse ?), peut-être quelque autre feuillu, favorisé par l’eau résiduelle du sous-sol.
Amandier fleuri sur fond de pins d'Alep. |
Azerolier, boutélhétiè... année d'azeroles, année de peu de vin... |
Pour l’amètliè, lou boutélhétiè, lou
lauriè-saouso (l’amandier, l’azerolier, le laurier-sauce), je crois que l’homme
y est pour quelque chose. Sous l’étroit couvert[2]
la salsepareille accroche les socquettes par méchanceté alors que l’espargo,
l’asperge sauvage ne griffe pas la main pour rien (il y en a eu beaucoup cette
année !).
Vers Noël, avec les cousins, nous
y allions aussi pour le verd-bouisset, le petit houx aux jolies boules rouges
(fruits du fragon). En décembre, la nuit monte vite et quand mes yeux cherchaient,
au-dessus de la barre rocheuse fermant le petit cirque, l’indigo plus clair du
ciel, j’imaginais Blanquette, en haut, attendant le loup. Touchés alors par une
pétoche aussi soudaine que contagieuse, nous dévalions le long de la vigne,
le clos, sûrement, où monsieur Seguin sonnait encore de la trompe et cette
course éperdue d’adrénaline ne s’arrêtait qu’après le défilé des Indiens, là où
la vision à contre-jour du clocher rassure, là où les vignes gardent le jour
encore un peu avant que les étoiles ne s’allument une à une… Tant pis pour les
quelques boulettes rouges perdues dans le bouquet malmené…
Plus grand, quand on ne risque
plus grand-chose à aller voler des cerises sous la lune, à plusieurs, comme on
va seul faire le courageux avec une fille, dans une nuit complice, plus absorbé
par la mutation tant psychique que physique menant à l’âge adulte, on trouverait
saugrenue de penser à l’œuvre de la nature, à l’intégration de l’homme en son
sein par le travail. Il y faut plus que la force de l’âge pour se tourner vers
son passé, seulement parce que le chemin restant est plus court que celui déjà parcouru.
Alors seulement, on imagine comment ce torrent de quelques jours par an a
finalement sculpté la barre calcaire[3]
dans laquelle il s’enfonce en coin. La combe s’est formée et l’homme a mis à
profit cette terre plus ou moins argileuse issue du long travail de la pluie, des
eaux, des végétaux. Pour ne pas que tout soit emporté, il a dressé des murs de
pierres sèches, formant des terrasses, il a modelé le paysage à son profit…
« …Avec leurs mains dessus leurs têtes
Ils avaient monté des murettes
Jusqu'au sommet de la colline… »
Ils avaient monté des murettes
Jusqu'au sommet de la colline… »
Cette fois encore, les paroles de
Ferrat reviennent. Les paysans qui n’avaient pas à disposition une plaine à
modeler, n’auraient pu, sans ténacité, sans ingéniosité, s’accrocher aux milieux
plus difficiles, qu’ils soient montagneux, marécageux ou de garrigue. (à
suivre).
Encore une combe perdue, ou retrouvée pour la nature, celle de Caboujolette. |
[1]
Une propagande ensuite entretenue par une interprétation spécieuse du « melting
pot » de la part du prof d’histoire au lycée…
[2]
Pour parler de cette ripisylve, véritable corridor biologique gainant le cours
d’eau, et, dans son autre dimension, préservant la berge, gardant la terre
issue de l’érosion et filtrant les ruissellements, formée de quelques arbres,
arbustes, buissons et herbacées, Georges Kuhnholtz-Lordat (1888-1965) ,
ingénieur agronome, professeur de botanique à l’ENS agronomique de Montpellier
a utilisé la jolie expression de « fourré-galerie ».
[3] Proche
de la surface mais encore sous l’eau il y a cinq millions d’années…