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dimanche 2 juin 2024

De Théodore AUBANEL à Giovanni BOCCACCIO...


Boccace (1313-1375). À 21 ans, Giovanni Boccaccio est l'auteur d'un poème érotique « La caccia di Diana » : après un bain, la déesse Diane invite à la chasse un groupe des plus belles femmes de Naples ; elle les incite ensuite à rester chastes, or, parmi elles, l'aimée (1) de Boccaccio se fait la porte-parole du refus du groupe. Vénus prend alors la place de Diane et transforme les animaux tués en séduisants jeunes hommes. Représentant de cette caste ouverte aux plaisirs parce que cultivée, Boccace, écrivain des galanteries, des beautés féminines sublimées, de l'amour, est l'auteur du « Décaméron ».  Est-ce pour se remettre de ses déboires sentimentaux qu'il entreprend d'écrire sur les plaisirs des femmes ? 
 
Giovanni_Boccaccio Portrait antérieur au XIXe siècle. Domaine public. Auteur anonyme


1348 : la peste noire ravage Florence ; sept jeunes femmes (entre 18 et 28 ans) se retirent à la campagne pour survivre à la pandémie et... protéger leur réputation car elles proposent innocemment à des hommes d'accompagner leur retraite au prétexte que sans eux, sans leur magistère, entre femmes c'est ennui et chamailleries (c'est un homme, l'auteur, qui leur prête cette psychanalyse). 
Au cours des jeux de l'esprit qui vont se renouveler durant dix jours, chacun doit raconter une histoire ; sur un fond sociétal tel qu'il se présente à Florence alors, chez ces riches qui disposent d'un palais avec jardins et fontaines, ces histoires vont tourner autour de tout ce qui forme l'amour, qu'il soit irrespectueux, amoral, grivois, charnel, de fornication, adultérin, pornographique ou platonique, conventionnel, courtois, marital, exclusif. Les hommes provoquent, les femmes rougissent... Cela va du coït animal à la chaste émotion : un vieil abbé moraliste voulant punir le jeune moine qui a couché se laisse aussi aller au péché de la chair avec la même jeune fille intéressée... consentante même pour plus d'expériences encore puisque ne refusant pas l'invitation des deux ecclésiastiques complices. Amour malheureux jusqu'au suicide, heureux sentiment avec l'amoureux qu'on a cru mort, adultérin avec la confession d'une femme à son mari déguisé en curé ; femme donc qui avoue mais qui va continuer à le tromper sous son nez (il garde la porte... l'amant passe par la fenêtre) ; amour-tentation : un roi, tenté par de jeunes et belles donzelles, préfère les marier à de jeunes hommes de leur âge.

Aussitôt attaqué pour cet amour des femmes trop marqué, Boccace se défendra en le revendiquant, ce qui, vu qu'il restait conscient qu'un auteur licencieux attire des lecteurs licencieux, ne l'empêchera pas de s'en vouloir pour avoir commis le Décameron, de rester tiraillé entre la morale et le péché, d'autant plus exacerbé par la culture et l'art de décrire. L'esthétisme sensuel s'offre plus à ceux qui ont les mots pour le dire ; plus vicieux en principe, les intellectuels risquent néanmoins de se retrouver cérébraux. 
Initiant ce qui reste dans le genre littéraire en tant que « nouvelle », et par son sujet toujours patent (trivialité oblige), l'œuvre continue de nourrir une postérité certaine. Dès qu'il est question de sexe serait-il effleuré, suggéré, le naturel humain en reste impressionné avant le plaisir de la littérature sinon tout le reste, nourriture comprise. Si l'arrière-fond demeure si prégnant, le style, la qualité ne peuvent que passer après, le sexe est si fort comme besoin que même certains traducteurs s'en retrouvent détournés et travaillent sous cet angle là... Quant aux illustrateurs il leur est plus aisé de dessiner un couple à  la seconde de la pénétration, en présence ou non d'un voyeur. En comparaison le lourd réquisitoire contre les mœurs dépravées du clergé ne passent qu'après. Le sexe, le sexe, de toujours, cette addiction assumée en non-dits continue d'inspirer bien des œuvres de l'esprit, peintes, modelées, écrites, mises en musiques, filmées. 
 
Boccace_-_Décaméron_-_Gino_Boccasile (1901-1952)_-_deuxième_journée,_nouvelle_9

Art populaire par excellence, le cinéma ne s'est pas privé d'exploiter ce filon facile jusque dans la plus modeste des salles de projection, celle de Fleury, mon village. Serait-ce seulement par ouï-dire, vu que les camarades, surtout des générations à peine antérieures à la mienne, n'ont pas manqué d'en faire des gorges chaudes, la semaine durant... de quoi laisser libre cours à l'imagination jusqu'au fantasme même si je ne me souviens que de l'histoire d'un jardinier sourd-muet caché dans un tonneau (ou une jarre) qui n'en pouvait plus de satisfaire sexuellement les nonnes et la mère supérieure d'un couvent. Je crois dans le Décaméron de 1971 de Pier Paolo Pasolini... une paillardise pas virtuelle du tout puisque, cheveux et manteau long, sur la route de Perpignan, le pouce en l'air, j'ai été pris en stop par deux sœurs... oui, oui, sans cornettes mais religieuses... l'aînée, celle qui conduisait, a demandé si j'étais disponible pour faire l'amour aux deux... Non, ce fut aussi net que spontané... je me souviens, en réaction, des belles joues de la passagère, troublantes, rosissantes... Était-ce de désir ? de la tentation du péché ? de honte ? de déception suite à ma réaction ? Il faut dire que me concernant, j'étais tout amour pour celle qui de ce côté-là me comblait et avec qui je devais convoler moins d'un an après. Et alors ? d'abord la conductrice, la meneuse, n'a pas plus insisté qu'incité... sa consœur aurait pu mais ne s'est pas retournée... un demi-siècle plus tard, bien sûr que je ne regrette pas par rapport à la chérie de mes vingt ans mais avec l'âge, je regrette l'expérience avortée, les pommettes rosées prometteuses de plaisir de la passagère à lunettes... 

(1) Est-ce celle qu'il a appelée « Fiammetta », amoureuse qu'il prétend avoir quittée alors que ce serait le contraire ? sinon Pampinea, la plus âgée et pour cette raison la plus sensuelle du groupe ? 

PS : voir éventuellement les illustrations sur wikimédia commons            

lundi 6 novembre 2023

MARTIGUES et le CANAL (fin) .

Guédiguian-Darroussin 2008 Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported, 2.5 Generic, 2.0 Generic and 1.0 Generic Auteur Thierry Caro

Martigues a beaucoup plu aux faiseurs d’images dont, dans plus de trente réalisations listées par Wikipedia, Jean Renoir (“ Toni ” 1935), Karl Anton (“ Arènes Joyeuses ” et la chanson “ Venise Provençale ” 1935), “ La Cuisine au Beurre ”, 1963, Gilles Grangier, avec Bourvil, Fernandel, un film qu’on croirait tourné au fond d’une calanque marseillaise. Quoique... à parler des calanques, même la commune de Martigues en compte, sur la Côte Bleue. Sans quoi, il y a au moins un autre parallèle à faire avec Marseille, à savoir l’expression d’une fibre populaire, la mise en scène d’employés, d’ouvriers, de pêcheurs, les problèmes de société aux marges interlopes jusqu’au glauque, avant tout la vie simple pointant du doigt les inégalités devant un ramequin d’olives vertes et le pastis, une atmosphère si bien saisie par Robert Guédiguian (1953-), à Marseille et Martigues (“ Dieu vomit les Tièdes ” 1991, “ À la Vie, à la Mort 1995 ”).      

LE CANAL (ou chenal) de CARONTE. 

Pedro_Américo (1843-1905) Caronte_Atravessando_o_Aqueronte Collection privée bien que du Domaine public


Caronte ? « Bon dieu mais c’est bien sûr ! » dirions-nous, nous qui avons connu le commissaire Bourrel des Cinq dernières Minutes, années 58-73, en noir et blanc ... je n’avais pas fait le rapport or, grâce à Pedro Americo (1843-1905), le peintre brésilio-italien et plus précisément sa toile “ Caronte Atravessando o Aqueronte ”, il est question de Charon, passeur des morts, traversant l’Achéron ou le Styx, marais et fleuve des Enfers. Quoique, à ce stade, je ne suis plus bien sûr : ce sont des morts que Charon charrie, non ? Et là ce sont de charmantes créatures dans leur plus simple appareil, de celles, négligemment offertes par nos manuels d’histoire et de littérature sur l’antiquité, que je (les autres aussi j’espère) mangeais des yeux avec l’envie du puceau en mal d’initiation aux mystères d'Éros... Pas possible qu'elles aient l’obole sous la langue : trop belles et vivantes, les créatures de Pedro Americo ! 

Martigues Canal_de_Caronte 2008 Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International, 3.0 Unported, 2.5 Generic, 2.0 Generic and 1.0 Generic Author Jarke

 
Pont ferroviaire Caronte 2007 Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported, 2.5 Generic, 2.0 Generic and 1.0 Generic Author Peiom

Entre la mer et l’étang de Berre refermé, ce sont les Romains qui ont percé le canal initial à travers un étang et des marécages. Historiquement, il traverse Martigues et ses îles ; long de près de cinq kilomètres depuis le port de Lavéra, large de quarante mètres, profond d’une dizaine, au prix de la suppression des salines et des bourdigues pièges à poissons, grâce au pont levant en ville (de 1929 mais qui n’était pas le premier à libérer le passage), aussi à celui, tournant, pour le chemin de fer (1915), du fait de ses aménagements, le canal de Bouc à Martigues permet la transition, pour les pétroliers, entre la mer et l’étang, jusqu’aux raffineries de la Mède et Berre.

Avec la section d’Arles à Bouc, il fait partie de la liaison Marseille-Rhône, malheureusement empêchée depuis 1963, par un effondrement dans le canal souterrain du Rove. 

Martigues viaduc autoroutier 2018 Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International Auteur Georges Seguin (Okki)

Martigues_viaduc_A55 2008 Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International, 3.0 Unported, 2.5 Generic, 2.0 Generic and 1.0 Generic Author Wierzbowski

Et puisque le transport par la route a toujours prévalu sur le rail, la réussite et l’opulence du privé valant plus que le bien commun (entre 1995 et 2018, la France a investi deux fois plus d’argent PUBLIC pour la route et les intérêts particuliers que pour le rail), le pont autoroutier a remédié à l’étranglement du trafic par la nationale et le pont mobile ; un pont très esthétique, à béquilles, inspiré de celui de la Grande Duchesse Charlotte au Luxembourg, antérieur de seulement quelques années, d’une longueur proche de 900 mètres comprenant de part et d'autre, les viaducs d’accès à la partie centrale, aux 45 mètres de hauteur permettant le passage des gros navires. 

Martigues Pont basculant (levant) 2018 Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International Author Georges Seguin (Okki)

Martigues Pont levant 2018 Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International Author Georges Seguin (Okki)

Martigues_—_Pont_levant_sur_le_canal_Galliffet 2008 Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Author Airair
Alors ? Martigues ? 

samedi 19 décembre 2020

LE POUMAÏROL, un pays perdu (1)/ CES VIEUX SCHNOKS ERRANTS, QU'ON LES CONFINE, QU'ON LES VACCINE, QU'ON LES INOCULE !


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Serge et Roger, deux copains d'avant, du même village, désormais septuagénaires, se sont retrouvés dans une vieille complicité d'autant plus partagée que tous deux, outre les affres du temps, subirent jadis celles du divorce. 

Serge : " Mais si je te dis, il faut y aller ! Un pays perdu, dans les hauts, le plateau du Poumaïrol, tu peux chercher, rien sur la toile, juste une chronique complètement imprévisible sur les filles de là-bas ! C'est pour nous ! Tu sais, ça me fait penser à un film avec Michaël Caine mercenaire, il défendait une vallée perdue avec des gens encore en dehors d'une guerre terrible, celle de Trente Ans je crois... 

Roger : Michaël Caine ? il est mort non ? 

- Non je ne crois pas, c'est Sean Connery qui est mort, ils jouaient ensemble dans l'Homme qui Voulait être Roi, enfin quelque chose comme ça... Il est chouette cet acteur anglais, il jouait dernièrement sur Arte, un film sur la guerre froide, à Berlin... C'est fou, ces vieux films, j'aime tellement que j'ai du mal à me laisser embarquer dans les récents... 

- Je crois bien être comme toi : Arte, ils ont passé les Sept Mercenaires, Mon Nom est Personne et qu'est-ce que tu veux, j'adore, ces gros plans de grandes gueules ! Entre parenthèses ils ont programmé aussi les Grandes Gueules avec Bourvil et Ventura ! Je ne sais pas si c'est passé au cinéma Balayé. Tu te souviens, l'ambiance quand les Francis, Farinau, Arnaud et Kaiser, et ceux que j'ai oubliés (après tout ils n'ont qu'à nous faire coucou !), tapaient des pieds au fond de la salle chaque fois que ça dézinguait, avec le vieux Balayé qui les houspillait pour la forme. Alors ça riait, ça ricanait avant de chahuter de nouveau ! Qu'est-ce que tu veux, j'en ai encore les larmes aux yeux même si ce n'est plus de rire... C'était quelque chose, l'ambiance, en plus de celle du film... 

- Au moins on profitait du spectacle, encore gamins, sur les bancs devant, encadrés par madame à la caisse, et la mamé Calavéra pour les cacahuètes sans oublier le bambou de Balayé ! 

- "Fafa", "Patanet"... et les autres ? C'est malheureux la mémoire, même les surnoms m'échappent... 

- Et pardi, ça se travaille... 

- Et dire qu'Henri le mécanicien en a dressé une belle liste, remontant loin dans le temps mais aussi de ceux de nos âges... 

- Comme quoi ? 

Roger : A froid comme ça, je ne sais pas, tiens comme "Mazo" ou "Chuello", les pauvres, ça me fait quelque chose de penser à eux... J'aimerais avoir des nouvelles de "Lapanne" ... 

- C'est vrai qu'il s'en est sorti d'une... Tiens, j'ai croisé "Caïus" pendant le confinement...  

Roger : Tu as raison ! parlons des vivants, il vaut mieux et puis il faut les apprécier tant qu'ils sont là plutôt que les regretter une fois morts ! Comment il est Caïus ?

- Bien, pas un poil sur le caillou mais la ligne et toujours le même sourire malgré le confinement... Il faut vivre macarel ! Démarre ton engin, on y va, je te dis ! Ça va être chouette ! 

- Minute papillon ! Qu'est-ce que tu crois ? Tes filles du Poumérol, c'est pas les filles de Pomérol quand une loi méchamment assimilationniste obligeait à franciser même le nom de nos immigrés d'Espagne ? La famille Palmérola... Sinon ton Pomérol dans la Montagne-Noire, ça s'est perdu dans les brumes d'une France de paysans... C'est une vieille histoire ! Et puis il est loin ton coin ?

-  Si je te dis qu'on y va, c'est que ce n'est pas loin, dans le Tarn, aux limites de l'Aude et de l'Hérault ! Les vieilles histoires et les graillous, ça nous connait, même à deux... Alors... Et puis pas moyen cette année d'aller faire une sortie en Espagne, virus oblige !

Roger : Tu as prévu pour l'intendance...

- Écoute, j'ai une bonne barquette de cassoulet mais pas que de mounjetos, cuit avec les couennes, la saucisse, enfin, ce qu'il faut, pas encore congelé... Et du congelo, un bourguignon, ça te dit ? Et on achète en chemin, le pain en priorité et ce qui nous fait envie, des huîtres s'ils en ont, sinon des moules, on verra bien !  

- Hééé ! où tu vas si vite ! Le couvre-feu, tu y as pensé ? 

Serge : Quoi ? On a le droit de circuler non ? et à partir de vingt heures on bouge plus... de toute façon tu sais bien qu'à cette heure-là, ça fait plus d'une heure qu'on est à l'apéro... 

- Pétard t'es pire que les Chevaliers du Fiel ! 

- Tu crois que c'est du vrai jaune qu'ils picolent pur, sans eau ? 

- Et non heureusement, c'est ce genre de sketch qui demande l'exagération... A tous les coups, c'est de l'antésite... Si je te suis, sobres à midi et relâche le soir comme pour toutes nos virées... 

Serge : Oui, oui ! Aïe qu'elles sont jolies les filles du Poumaïrol ! 

- Holà ! plutôt que de dire que ce n'est plus de nos âges, disons qu'il n'est pas interdit de rêver, que nous trinquerons à leur santé, de loin ! Et attention aux 135 euros chacun, ça ferait cher la sortie ! Ils mettent 100.000 flics et gendarmes pour contrôler la nuit !

- Mais non, attends je te dis, la nuit on trouve un chemin forestier, ça nous connait... à l'aventure, en toute discrétion, toujours ! on a même le droit de sortir la table et le fauteuil à côté ! Alors tant que la santé le permet, si elle ne permet pas autre chose, un bon moment à passer, comme d'habitude, et puis de parler d'un temps qui ne reviendra pas ne peut pas faire de mal... 

- La table ? en décembre ? la nuit ? n'y compte pas... Sinon, impossible d'être et d'avoir été...

Serge : On peut plus... on peut plus... on peut ce qu'on peut et l'occasion fait le larron non ? méfi de l'eau qui dort... et des chercheurs de champignons !

Roger : Ce n'est pas l'eau qui nous fait dormir, plutôt ce qu'on picole surtout que pour parler des filles, on est bons... 

senior pixabay (2)

 

- Qu'est-ce qu'on ne ferait pas avec la langue... Heureusement qu'on crapahute en balade et pour les champignons !

- Hé ! ça émoustille cette vie rustique même si à force le verre n'est plein qu'au huitième, quitte à compenser avec les coups en trop. La nostalgie nous fait boire. Au moins, ça nous ouvre l'appétit, puis, le ventre plein, on pète, on rote, on ronfle chacun dans sa bauge de sanglier solitaire ! 

Serge : Oui mais qu'est-ce qu'on ronfle ! Et si ce n'était que l'envie de festoyer, ne dis pas que cela ne nous garde pas en forme ! Et tu sais bien qu'il n'y a qu'une possibilité de ne pas mourir... 

- Et oui, c'est vieillir mais alors en vieux-jeunes ! La preuve, pour les filles du Poumérol ? Ount as trapat aco ? Où tu les as trouvées ?

Serge : Figure-toi que j'ai lu un post, écrit par "Djèou", sur Fleury et le coin... Tu le connais "le Djèou" ? c'est un petit canaillou celui-là, enfin un vieux canaillou comme nous, il annonce qu'il va écrire sur les raisins et les châtaignes, et l'air de ne pas y toucher... trois points de suspension après, il ajoute en sous-titre "les filles du Poumaïrol"... 

Roger : Et il est allé voir ? 

- Non, il l'a lu, il en parle, des Mountagnoles descendues pour les vendanges, les olives, les sarments... un mode de vie perdu, d'avant la guerre de 14...  qui a rejoint ces histoires de gentilles bergères... sauf que là, en groupe, elles n'hésitent pas à provoquer... des allumeuses...

- Et bien sûr, ce sang neuf dans les villages de la plaine laisse des traces. 

- Comme tu dis enfin, surtout qu'en groupe, elles n'ont pas froid aux yeux... Et même rien que d'être présentes, tu te souviens, les petites Espagnoles pourtant si réservées, elles en ont fait gamberger plus d'un à l'âge où ça fouette le sang...

- Je sais, près de soixante ans plus tard, on s'est dit bonjour avec une qui vendangeait chez Lamur. 

Serge : Et alors ? 

- Et alors rien, c'est comme la mayonnaise, si tu ne remues pas assez, elle ne monte pas ? Nous avions juste à nous dire que nous étions de la même colle, une certaine année et plus rien, juste un constat qui ne remue plus rien... 

- Pourtant, jusqu'où ne serait-on pas allés pour une fille, même à vélo... 

Roger : M'en parle pas, deux fois j'ai fait plus de cinquante kilomètres pour me prendre une claque d'avoir mis la main où il ne fallait pas... de bons souvenirs !

Serge : de bons souvenirs ??? 

- Bien sûr, j'étais jeune, je pédalais bien, en sifflant et en chantant même... "Jamais de la vie on ne l'oubliera..." ... la première fille qui nous claqua dans les bras... 

- Mais puisque tu dis que c'est de l'histoire ancienne...

- Sans l'ancien, pas de nouveau ! Mourons pour des idées, "d'accord, mais de mort lente", tiens, encore comme Georges, un de plus mort à soixante ans, tu te rends compte... Et cette grognasse de Lagarde qui ose dire que les vieux sont un problème ! 

Serge : C'est elle le problème oui, la tanèque qui pompe du fric parce que la retraite ne lui suffirait pas ! 

Roger : Brrrrrr.... Pour des idées de filles alors... je préfère le Brassens qui nous fait les portraits de Marinette, d'Hélène, de Margot, de Flora des neiges d'antan... 

- Et doña Sabine " Chantez, dansez, villageois, la nuit tombe...". On la chantera, tu vas voir. Et quand on sortira pisser, par-dessus les hêtres, les sapins et le brouillard, on les entendra faire la fête, les villageois du Poumaïrol... et lorsqu'ils nous verront, quelle hospitalité pour des voyageurs attardés comme nous... ils nous recevront à bras ouverts !

Roger : C'est ça, ils vont te donner leurs filles comme dans la Guerre du Feu, la peuplade qui veut éviter la consanguinité ! Méfie-toi qu'ils ne te brûlent pas comme Martin Guerre ! En attendant, regarde bien la météo qu'il a neigé il y a peu, je ne sais pas si le chauffage marche et la route glisserait trop pour mon engin...qu'on ne soit pas récupérés par les secouristes...

- Ils nous en voudront pas ! Nous leur chanterons : "Le vent qui vient à travers la montagne" nous a rendus fous... 

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samedi 11 avril 2020

C'ÉTAIT UN MONDE MERVEILLEUX... / Un printemps d'avant.

Tu vois ces vieux pins au milieu des vignes, avant-garde de la garrigue pas loin, au-dessus du coteau ? Des squelettes pour quelques uns mais ceux qui restent gardent de la noblesse, une prestance je veux dire... Tu trouves pas ? Ils me font penser à une compagnie de mousquetaires se découvrant ensemble pour saluer. Que veux-tu, les films de cape et d'épée, on aimait, au cinéma Balayé ! Regarde comme le Cers, le maître vent, a tourné la plume des chapeaux vers la Clape et la mer !

A ce propos, je veux te parler d'un jour précis parce que cette fois là, ce que j'appris sur moi et le monde m'a marqué les années aidant.
Le film vient de casser, l'image reste fixe. "Arrêt sur image" on dirait aujourd'hui. Immobiles les panaches d'aiguilles. Pas un pet d'air, pas un souffle, juste un beau soleil, un ciel sans nuages. Et les cloches, nos trois cloches, déjà de Pâques, s'en donnent à cœur joie. Ce dimanche là, Saint Martin, tu sais, celui qui donne la moitié de son manteau à un pauvre, me libère pour une messe buissonnière. L'idée ne m'en serait pas venue tout seul. C'est que depuis le vitrail, celui de gauche, plus qu'auréolé, rayonnant dans une mandorle fulgurante du feu de l'astre, de me tirer vers la lumière, à force de dimanches, il me fait passer le rempart de verre. Une fois, une fois seulement. Si je suis un passe vitrail, il est ma circonstance atténuante et je ne suis pas perfide au point de dire que c'est de sa faute. 

Alors, au lieu de m'arrêter à l'église, je trottine par le quartier haut, si tranquille et innocent que personne ne s'étonne de mon trajet à rebours. Et je me retrouve là, dans les pins au bord d'un chemin blanc de poussière, pas ailleurs. 

Les cloches m'appellent, me rappellent et je ne culpabilise même pas. Au contraire, je souris, pas moqueur du tout, malicieux plutôt du bon tour joué, avec la complicité de Martin, même si je n'en ai qu'une vague idée, aux adultes, aux traditions, à l'ordre social. Rien d'une révolte ! 

Le village depuis le coteau de Caboujolette. Photo François Dedieu, début des années 60. Il y a bien le château d'eau mais quand a-t-il été construit ? 

Depuis le coteau bordant la garrigue, les toits autour du clocher épaulé par la tour Balayard nous gardent toujours des incursions barbaresques. C'est émouvant un village. La parabole du berger , presque, qui rassemble son troupeau aidé par son chien. Et la suite de l'histoire avec la brebis égarée, l'agneau perdu ou prodigue, échappé. Non, pas moi. Je viens de lire les Lettres de mon Moulin ; j'ai vu le film aussi, de Marcel Pagnol, avec deux ou trois histoires et Paul Préboist en moine ivrogne qui nous fit bien rigoler, même en noir et blanc. 

Et là, dans cette oasis cernée de vignes (1), je suis comme la chèvre de monsieur Seguin, libre. Depuis mon île plantée de pins, je regarde, au loin, le village. Mon cœur balance entre tendresse et recul ; touchantes en effet, les maisons qui comme les êtres se serrent mais ne faut-il pas parfois distendre un lien qui, sous prétexte de réchauffer, étouffe, empêche de penser par soi-même ? Muselés, ligotés, fragilisés, lobotomisés, trop nombreux sont ceux qui en arrivent à ne vouloir que leur prison pour horizon et n'avoir de cesse que de l'imposer aux autres. Nous concernant, pourtant, quiconque le souhaite et n'a que faire des ragots, peut aller jusqu'à la rejeter, la religion... Laissons ces raisonnements qui corrompent la magie du moment.   

 
Papilio machaon Wikimedia Commons Auteur LG Nyqvist

Un matin magique éclabousse notre cadre familier de ses brillants de printemps. Les fleurs, la petite, blanche au cœur d'or, du ciste de Montpellier, la grande, mauve, fripée, du ciste cotonneux, les toupets de la bourrache dans les bleus. De l'une à l'autre, d'autres fleurs, mais mouvantes : les papillons. Non, je ne rêve pas, les feuilles collantes ou duveteuses des cistes, les piquantes de la garouille, la hampe du romarin, ce sont bien mes mains qui les reconnaissent. Les poursuites des piérides, la farandole du paon du jour, la voltige de l'apollon, les ailes qui respirent d'un machaon posé m'en mettent plein les yeux. Et à côté, la vieille vigne de l'oncle Noé, plus que centenaire, où parrain a dit qu'il connait un lièvre...


Mon temps suspend son vol mais l'heure est trop vite passée, pourtant seulement à me retourner sur les fleurs et à suivre l'envolée des papillons dans la magie d'un matin étincelant. Les cloches carillonnent à nouveau l'espérance. Elles me disent aussi qu'elles ont bien reçu toute cette beauté montée au ciel et qu'en retour elles me renvoient une paix angélique. Et aussi que je peux garder mon secret trop beau, personne ne demandera, je n'aurai pas à mentir, à en rougir. 

(1) un mystère ce bosquet au milieu des vignes... peut-être la volonté du propriétaire d'alors...  

Fleury-d'Aude, Pins de Barral années 60. Diapositive François Dedieu. Oui, je sais nous sommes au printemps et je vous donne à voir l'automne mais pour en avoir passé des milliers je n'en ai pas d'autre en magasin...