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dimanche 26 décembre 2021

Grottes et dolmens avant les filles du Poumaïrol ! (9)

Roger et Serge, complices depuis des lustres, se jouent (légalement) des limites imposées par l'épidémie de covid. En décembre 2020 ils ont entrepris de monter voir un pays aussi montagneux que mystérieux, pour les filles de là-bas qui ont de toujours laissé un souvenir si pimpant aux hommes émoustillés de la plaine. Depuis Narbonne, l'itinéraire des deux amis quitte le couloir de l'Aude pour gagner les causses et les garrigues du village historique de Minerve. De là, en suivant le cañon de la Cesse, ils vont monter jusqu'aux rudes reliefs du Poumaïrol ce pays méconnu oublié dans les brumes, aux mountagnoles si vaillantes, charmantes et piquantes... 

Causses de Minerve wikimedia commons Auteur Hugo Soria

 

Roger : une belle route, vraiment... une nature sauvage que nous n'avons pas trop entamée je dirais... 

Serge : c'est l'eau qui l'a entamée pour nous... regarde ces grottes rongées dans la falaise, où les humains purent s'abriter alors que la Cesse avait déjà bien creusé son cañon, je te le dis avec le ou la tilde... tu le sais qu'encore dans les années 70, certains dicos français orthographiaient comme ça, à l'espagnole ? 

Roger : elle me plait ta remarque... S'il y a une frontière, nous sommes si proches des Espagnols... 

Serge : Espagnols ? Catalans ? Tilde ou non... nous ne l'avons pas passée la frontière cette année... 

Roger : et oui, ce foutu covid... Tiens, nous devons être au niveau du Moulin de Monsieur, regarde sur la carte... 

Serge : et non, tu confonds avec le moulin d'Azam... presque Azan, le facteur je crois, tu sais celui qui apporte la lettre qui va faire partir Alphonse chez les vieux parents de son ami Maurice par un cagnard pas possible... une belle lettre depuis le Moulin de Daudet... 

Roger : décidément tu me plais ce matin... 

Serge : andouille, heureusement que personne ne t'entend, déjà qu'ils nous prennent pour ce que nous ne sommes pas ! 

Roger : tu as raison, tu crois qu'ils comprendraient que je te dis ça parce que nous sommes avant les fêtes et que ces Lettres de Daudet restent pour moi de merveilleuses histoires, une magie qui revient toujours à la même époque, je me revois enfant avec des sensations que l'âge n'arrive pas à gommer... 

Serge : et oui mais tu sais, ça les rend méchants, ceux qui sont insensibles à cette grâce... ils ont tôt fait de te cataloguer d'intellectuel... une jalousie qui les rend abjects parce qu'ils réalisent trop bien qu'un monde leur est fermé... ils ont tôt fait de donner dans les ragots et là jusqu'à l'homophobie... 

Roger : ... quand ils ne disent pas, dans l'autre sens, que ceux qui, mariés ou non, vont en Espagne, y partent pour les maisons de passe de la Junquera...    

Serge : oui, ça va, tu comprends, c'est suspect d'aimer les auteurs, c'est trop chelou d'aimer les vestiges grecs ou de ne pas vouloir oublier la page de la Retirada, si poignante et terrible... 

Roger : ah bon ? l'Histoire te touche ? Et moi qui pensais que tu passais la frontière pour partouzer !

Serge : et alors animal ? Entre personnes consentantes, c'est interdit ? 

Roger : animal, tu peux le dire, il y aurait tant à dire... et tout peut arriver, même le pire... comment expliquer, sinon, me concernant, du moins, cette peur du futur, ce remords de laisser un monde plus mauvais et par contrecoup, que je me réfugie dans le passé... 

Serge : passé, présent, avenir... Yourcenar avait dit quelque chose de bien à ce sujet mais j'ai oublié... attends, je me connecte, c'était beau, je m'en veux d'avoir oublié... 

Roger : dis on ne va quand même pas broyer du noir... 

Serge : malheureux, évite ce genre d'expression à te faire de suite passer pour le pire des racistes ! j'ai trouvé, elle a dit :

  Quand on aime la vie, on aime le passé, parce que c'est le présent tel qu'il a survécu dans la mémoire humaine.
Marguerite Yourcenar dans Les yeux ouverts (1980)

Roger : maintenant que tu le rappelles, je m'en veux aussi : cette citation avait beaucoup plu à mon pauvre père, il me l'avait relevée dans une lettre... 

Serge : sinon, nous sommes au niveau de la Grotte de l'Aldène ou de la Coquille ou encore de Fauzan, c'est la même... ils y ont trouvé de grands dessins de rhinocéros et d'ours, des empreintes humaines et de hyènes et d'ours encore, des  traces noires des torches et puis, écoute ça, un engrais phosphatique issu des os des animaux... quel cimetière puisqu'ils ont exploité le gisement pendant près de cinquante ans !

Roger : ça se visite ? 

Serge : en décembre, ça m'étonnerait... ni à la belle saison je vois, la grotte n'est pas ouverte au public... Et ton Moulin de Monsieur doit se trouver un peu plus en amont... 

Roger : on ne peut pas le dire autrement mais le lit de la Cesse est à sec sauf en cette saison : elle disparaît au niveau du Moulin de Monsieur pour ressortir à l'air libre, après peut-être une vingtaine de kilomètres sous la terre au niveau du Moulin de Madame... C'est la résurgence du Boulidou, après Agel, lors d'un dernier détour par les garrigues calcaires avant Bize, toujours dans le Minervois, et la plaine. 

Serge : tu as vu le panneau à gauche ? 

Curiosité_de_Lauriole wikimedia commons Author Pokemon59
 

Roger : oui, pour la curiosité de Lauriole, la route qui monte et qui descend... 

Serge : oui, juste une illusion et encore, suivant le point d'observation... C'est très visité... certains sont si crédules et perméables à des idées de magnétisme, de tellurisme sinon au paranormal...

Roger : à voir avec des enfants, c'est récréatif, par contre, je préfère la magie des dolmens, par dizaines dans le coin, même plus haut sur les causses de Minerve. Ils me fascinent...

Serge : tu dis la magie mais ils n'ont rien de magique, seulement des tombes... 

Dolmen de la Cigalière Cesseras wikimedia commons Author O.allegre
 

Roger : "Seulement des tombes" tu dis... Je veux bien qu'ils n'aient rien de magique mais même cassés, ils continuent de parler pour des ancêtres sur deux ou trois fois plus de temps que depuis l'an zéro. Et puis, c'est terrible, tout a été pillé, dispersé et même les locaux qui auraient voulu garder une trace n'en avaient pas la capacité... j'ai entendu dire qu'au musée de Minerve, il y avait quelques perles, quelques pointes de flèches, qu'à Olonzac le musée des écoles exposait des dents humaines...

 

 

vendredi 10 décembre 2021

Le Poumaïrol (8) PETITE VISITE DE MINERVE DANS L'HERAULT

 « ROGER, ET SI TU ME RACONTAIS MINERVE ? »

« Salut animal, il y a pratiquement un an, on montait au Poumaïrol, manière de se libérer des contraintes du covid. Tu te souviens ? Parce que, si tu as oublié, je te rappelle que tu as laissé une chronique en plan... il me semble (tu me corriges si je me trompe) que tu t’es arrêté  à l’épisode « Minerve »... avant qu’on ne visite un peu le coin... nous venions de gober des huîtres avec du vin blanc, la balade de huit kilomètres devant écluser notre alcoolémie avant  de remonter le canyon de la Cesse vers le pays mystérieux.

J’espère que tu vas toujours bien... Ici le temps reste frisquet mais avec le soleil après les pluies, nous avons encore de belles journées. A bientôt de te lire. Serge.»

Mon cher Serge, aïe, aïe aïe, me remettre dans le bain, reprendre le fil de notre progression vers la montagne, de ce que nous disions, même de ce qu’on a mangé. Vu l’obstacle à franchir, je pourrais te dire que finalement ce n’est pas grave d’être resté en chemin, que ce n’est pas plus mal d’être encore là, un an après... Et puis, c’est toi, non qui a eu l’idée du Poumaïrol ? Rassure-toi, je ne vais pas faire ma mauvaise tête ; nous sommes tant de fois partis pour des paniers de champignons dont on n’a même pas rempli le fond que c’était une bonne idée de partir pour des filles qu’on savait ne plus trouver. C’est toi qui as raison, surtout que cette année nous n’avons rien à raconter. C’est mieux que de transiger, de se trouver de mauvaises excuses : une désinvolture cachant mal la médiocrité de ses petitesses. Vétille ? Bagatelle ? Détail insignifiant ? je ne crois pas : mis bout à bout, ils donnent un ressenti négatif... comme par exemple l’effet affligeant que nous laisse la caste politique à force de manque de volonté, de mensonges, de compromissions. Laissons les grands mots, je m’y mets, il n’y a pas de petite résolution...

Nous avons bu le café je suppose sur ce grand parking vide, payant l’été, ce qui est symptomatique d’un village qui ne vit plus que du tourisme. Il y a bien les vignes autour mais cette production est elle aussi liée aux visiteurs. Et les volets qui ne s’ouvrent que l’été me font l’effet d’une réanimation ne pouvant déboucher que sur une fin de vie. Notre chance fut d’avoir un des plus beaux villages de France seulement pour nous. 



 En descendant vers le village, ce fut une histoire de ponts, d’abord ce viaduc d’accès, monumental ! Mais comment les quelques habitants ont-ils fait pour obtenir satisfaction alors que deux autres ponts naturels au-dessus de la Cesse permettaient d’arriver ? Trois ans de travaux, 115 mètres de long, 40 mètres au-dessus de la rivière, livré en 1912... la France profonde n’était pas abandonnée comme de nos jours ! Concernant les Ponts Naturels ainsi mentionnés sur la carte, un effort d’imagination est nécessaire pour réaliser que nous la route, les garrigues surplombent des tunnels, deux tunnels creusés par la Cesse qui a abandonné d’anciens méandres. D’ailleurs elle coule la rivière en ce mois de décembre, belle et claire... cette fois, nous ne descendrons pas. Et dire qu’en été, on n’en sortirait pas tant il fait bon là dessous ! 

La_Cesse_au_Pied_de_Minerve licence  Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International Author PerPhi
 

Sinon avant d’entrer dans le village, nous avons vu ce qui reste du château, surtout ce coin de muraille « la candéla », ensuite l’endroit où plus d’une centaine de Parfaits cathares choisirent le bûcher plutôt que d’abjurer leur croyance. Dans l’église romane des XI-XIIe siècles, l’autel date de 456 et le Christ a été sculpté dans de l’olivier par Jean-Luc Séverac qui, à plus de 80 ans, vit à Minerve. On lui doit aussi, plus loin, «Als Catars», la sculpture de la colombe cathare en mémoire des victimes de ce 22 juillet 1210... Ne me félicite pas pour la date, c’est juste que je me suis arrêté de fumer un 22 juillet... Et pour l’année tu me diras... Et bé, c’est que Simon de Monfort a pris Minerve un an après Béziers et Carcassonne... bien aidé par les Narbonnais... maintenant quand on traite quelqu’un d’«amori», d’étourdi dans la version aimante sinon d’imbécile en la circonstance, est-ce pour moquer le prélat de Narbonne ou l’abbé chargé de la croisade ou encore le fils de Simon de Monfort prénommés Amaury ou quelque chose comme ça, le prénom devait être à la mode à l’époque... Enfin, regarde sur le Net, toi que je l’ai en panne depuis deux jours) ? A moins que ce ne soit le vicomte Aymeri, ce qui revient au même puisque être bouché à l’émeri n’est pas valorisant... Qu’est-ce qu’on a fait encore ? Nous avons suivi les calades, les rues empierrées  avec, au bout, la vue sur le confluent avec le Brian, l’accès au puits que la catapulte des Croisés a bombardé avec des pierres et aussi des animaux morts pour empoisonner l’eau. Nous sommes sortis par le viaduc puis, d’en haut, par la route, avec de belles vues sur les tunnels, nous avons remonté le cours de la rivière avec l’intention de traverser le causse jusqu’à rejoindre le canyon du Brian. Hélas mais tant mieux pour la nature, un passage à gué qui ne nous aurait pas fait peur en période sèche, nous aurait obligés à mouiller nos pieds. Retour donc au parking et montée vers les dolmens de Bruneau manière d’ajouter deux à quatre mille ans à notre époque et de doubler les deux petits kilomètres à peine parcourus. Figure-toi, je viens de regarder sur la carte détaillée de l’IGN, cette route qui coupe par les causses mène finalement à Ferrals... trop présent, trop pressant, l’homme étreint la planète et je ne te parle pas des huit milliards qui pullulent et qui parlent de bouffer des insectes qui, pour 80 pour cent d’entre eux ont disparu... bien la peine de réhabiliter les quelques colonies de chauves-souris en sursis...

J’arrête, j’arrête, tu m’as déjà entendu répapiller tout ça une centaine de fois. En attendant, rafraîchis-moi la mémoire si tu as quelque chose à ajouter. 

PS : je t'ai mis quelques photos. 

 

lundi 18 janvier 2021

A la recherche du Poumaïrol perdu (6) MINERVE du fond des mers.

Serge et Roger font route buissonnière vers le pays du Poumaïrol où, dit-on, les filles sont si charmantes... l'itinéraire leur fait couper le Minervois des garrigues et des gorges dont celles, étonnantes, de la Cesse, la rivière attachante qui les accompagne.  

Le Brian gorges / Minerve est au sud wikimedia commons Author Jcb-caz-11

Serge : ah  ! Minerve, Menerbo peut-être en occitan avec le "v" encore devenu "b"... Minerve du fond des mers... 

Roger : du fond des mers ? pardon ! faut que tu m'expliques... 

S. :  oh juste une impression, un reste du lycée... je ne sais plus si c'est avec Sinsolle (Sinsollier) ou le Jack (Jalaguier), Sinsolle plutôt, un schéma en 3D du relief karstique, je le vois encore, mes couleurs juraient : du jaune avec du marron... quelle idée... enfin, les premiers feutres à notre disposition je pense... Et ce karst quelque part en Yougoslavie qui nous dépaysait... je ne me doutais pas à l'époque qu'on l'avait à côté avec des milliers de grottes, entre le Carcassonnais et les garrigues de l'Hérault. Limousis, le gouffre de Cabrespine dans l'Aude, la Devèze, pas le quartier difficile de Béziers, non, à Courniou près de Saint-Pons, et encore Clamouse ou la grotte des Demoiselles, pour celles qui se visitent sinon les spéléos n'ont que l'embarras du choix. Bref, je t'en parle comme d'un ressenti, de ce que je crois avoir saisi concernant cette masse de dépôts calcaires au fond de la mer, ici soulevés par la poussée des Pyrénées, faite de fossiles, de coquilles... A Fleury des huîtres géantes ! D'où le joli calcaire coquillier, en plus fin, pour les jambages des cheminées. 

Minerve wikimedia commons Author Jcb-caz-11

R. : d'accord, le fond des mers surélevé et entaillé depuis que la pluie et les rivières existent par le travail permanent de l'eau... 

S. : et encore pour notre plaisir de touristes avec toutes ces gorges, ici du Brian et bien sûr de la Cesse, magnifiques... Mais pour le fond des mers, que je te dise... ce ne sont que des associations d'idées sauf que certaines t'impressionnent davantage dans l'âge immature... et je ne peux m'empêcher de penser  à la Minerve, le sous-marin français qui a coulé et implosé au large de Toulon l'hiver 1968. Comme pour Francis Andrieu notre appelé, soldat et tué en Algérie, qu'un jeune sous-marinier d'Ouveillan soit parmi la cinquantaine de victimes me touche encore aujourd'hui. Faudrait chercher son nom. Et ce n'est pas tout ! juste une coïncidence sauf qu'à Ouveillan, je crois qu'il y a une statue de Minerve... 

 

La Minerve à Bergen Norvège 1962 wikimedia commons Author Granit29

PS 1 : Le marin d'Ouveillan est Marcel Coustal ( merci l'Indépendant, un des journaux locaux).

https://www.lindependant.fr/2018/05/14/la-minerve-50-ans-apres-toujours-autant-demotion,3989589.php

PS 2 : il y a bien une Minerve depuis 1880 sur la place Rouquié à Ouveillan. 

https://ouveillanpatrimoine.blogspot.com/2018/11/un-monument-la-republique-ouveillan-la.html



samedi 19 décembre 2020

LE POUMAÏROL, un pays perdu (1)/ CES VIEUX SCHNOKS ERRANTS, QU'ON LES CONFINE, QU'ON LES VACCINE, QU'ON LES INOCULE !


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Serge et Roger, deux copains d'avant, du même village, désormais septuagénaires, se sont retrouvés dans une vieille complicité d'autant plus partagée que tous deux, outre les affres du temps, subirent jadis celles du divorce. 

Serge : " Mais si je te dis, il faut y aller ! Un pays perdu, dans les hauts, le plateau du Poumaïrol, tu peux chercher, rien sur la toile, juste une chronique complètement imprévisible sur les filles de là-bas ! C'est pour nous ! Tu sais, ça me fait penser à un film avec Michaël Caine mercenaire, il défendait une vallée perdue avec des gens encore en dehors d'une guerre terrible, celle de Trente Ans je crois... 

Roger : Michaël Caine ? il est mort non ? 

- Non je ne crois pas, c'est Sean Connery qui est mort, ils jouaient ensemble dans l'Homme qui Voulait être Roi, enfin quelque chose comme ça... Il est chouette cet acteur anglais, il jouait dernièrement sur Arte, un film sur la guerre froide, à Berlin... C'est fou, ces vieux films, j'aime tellement que j'ai du mal à me laisser embarquer dans les récents... 

- Je crois bien être comme toi : Arte, ils ont passé les Sept Mercenaires, Mon Nom est Personne et qu'est-ce que tu veux, j'adore, ces gros plans de grandes gueules ! Entre parenthèses ils ont programmé aussi les Grandes Gueules avec Bourvil et Ventura ! Je ne sais pas si c'est passé au cinéma Balayé. Tu te souviens, l'ambiance quand les Francis, Farinau, Arnaud et Kaiser, et ceux que j'ai oubliés (après tout ils n'ont qu'à nous faire coucou !), tapaient des pieds au fond de la salle chaque fois que ça dézinguait, avec le vieux Balayé qui les houspillait pour la forme. Alors ça riait, ça ricanait avant de chahuter de nouveau ! Qu'est-ce que tu veux, j'en ai encore les larmes aux yeux même si ce n'est plus de rire... C'était quelque chose, l'ambiance, en plus de celle du film... 

- Au moins on profitait du spectacle, encore gamins, sur les bancs devant, encadrés par madame à la caisse, et la mamé Calavéra pour les cacahuètes sans oublier le bambou de Balayé ! 

- "Fafa", "Patanet"... et les autres ? C'est malheureux la mémoire, même les surnoms m'échappent... 

- Et pardi, ça se travaille... 

- Et dire qu'Henri le mécanicien en a dressé une belle liste, remontant loin dans le temps mais aussi de ceux de nos âges... 

- Comme quoi ? 

Roger : A froid comme ça, je ne sais pas, tiens comme "Mazo" ou "Chuello", les pauvres, ça me fait quelque chose de penser à eux... J'aimerais avoir des nouvelles de "Lapanne" ... 

- C'est vrai qu'il s'en est sorti d'une... Tiens, j'ai croisé "Caïus" pendant le confinement...  

Roger : Tu as raison ! parlons des vivants, il vaut mieux et puis il faut les apprécier tant qu'ils sont là plutôt que les regretter une fois morts ! Comment il est Caïus ?

- Bien, pas un poil sur le caillou mais la ligne et toujours le même sourire malgré le confinement... Il faut vivre macarel ! Démarre ton engin, on y va, je te dis ! Ça va être chouette ! 

- Minute papillon ! Qu'est-ce que tu crois ? Tes filles du Poumérol, c'est pas les filles de Pomérol quand une loi méchamment assimilationniste obligeait à franciser même le nom de nos immigrés d'Espagne ? La famille Palmérola... Sinon ton Pomérol dans la Montagne-Noire, ça s'est perdu dans les brumes d'une France de paysans... C'est une vieille histoire ! Et puis il est loin ton coin ?

-  Si je te dis qu'on y va, c'est que ce n'est pas loin, dans le Tarn, aux limites de l'Aude et de l'Hérault ! Les vieilles histoires et les graillous, ça nous connait, même à deux... Alors... Et puis pas moyen cette année d'aller faire une sortie en Espagne, virus oblige !

Roger : Tu as prévu pour l'intendance...

- Écoute, j'ai une bonne barquette de cassoulet mais pas que de mounjetos, cuit avec les couennes, la saucisse, enfin, ce qu'il faut, pas encore congelé... Et du congelo, un bourguignon, ça te dit ? Et on achète en chemin, le pain en priorité et ce qui nous fait envie, des huîtres s'ils en ont, sinon des moules, on verra bien !  

- Hééé ! où tu vas si vite ! Le couvre-feu, tu y as pensé ? 

Serge : Quoi ? On a le droit de circuler non ? et à partir de vingt heures on bouge plus... de toute façon tu sais bien qu'à cette heure-là, ça fait plus d'une heure qu'on est à l'apéro... 

- Pétard t'es pire que les Chevaliers du Fiel ! 

- Tu crois que c'est du vrai jaune qu'ils picolent pur, sans eau ? 

- Et non heureusement, c'est ce genre de sketch qui demande l'exagération... A tous les coups, c'est de l'antésite... Si je te suis, sobres à midi et relâche le soir comme pour toutes nos virées... 

Serge : Oui, oui ! Aïe qu'elles sont jolies les filles du Poumaïrol ! 

- Holà ! plutôt que de dire que ce n'est plus de nos âges, disons qu'il n'est pas interdit de rêver, que nous trinquerons à leur santé, de loin ! Et attention aux 135 euros chacun, ça ferait cher la sortie ! Ils mettent 100.000 flics et gendarmes pour contrôler la nuit !

- Mais non, attends je te dis, la nuit on trouve un chemin forestier, ça nous connait... à l'aventure, en toute discrétion, toujours ! on a même le droit de sortir la table et le fauteuil à côté ! Alors tant que la santé le permet, si elle ne permet pas autre chose, un bon moment à passer, comme d'habitude, et puis de parler d'un temps qui ne reviendra pas ne peut pas faire de mal... 

- La table ? en décembre ? la nuit ? n'y compte pas... Sinon, impossible d'être et d'avoir été...

Serge : On peut plus... on peut plus... on peut ce qu'on peut et l'occasion fait le larron non ? méfi de l'eau qui dort... et des chercheurs de champignons !

Roger : Ce n'est pas l'eau qui nous fait dormir, plutôt ce qu'on picole surtout que pour parler des filles, on est bons... 

senior pixabay (2)

 

- Qu'est-ce qu'on ne ferait pas avec la langue... Heureusement qu'on crapahute en balade et pour les champignons !

- Hé ! ça émoustille cette vie rustique même si à force le verre n'est plein qu'au huitième, quitte à compenser avec les coups en trop. La nostalgie nous fait boire. Au moins, ça nous ouvre l'appétit, puis, le ventre plein, on pète, on rote, on ronfle chacun dans sa bauge de sanglier solitaire ! 

Serge : Oui mais qu'est-ce qu'on ronfle ! Et si ce n'était que l'envie de festoyer, ne dis pas que cela ne nous garde pas en forme ! Et tu sais bien qu'il n'y a qu'une possibilité de ne pas mourir... 

- Et oui, c'est vieillir mais alors en vieux-jeunes ! La preuve, pour les filles du Poumérol ? Ount as trapat aco ? Où tu les as trouvées ?

Serge : Figure-toi que j'ai lu un post, écrit par "Djèou", sur Fleury et le coin... Tu le connais "le Djèou" ? c'est un petit canaillou celui-là, enfin un vieux canaillou comme nous, il annonce qu'il va écrire sur les raisins et les châtaignes, et l'air de ne pas y toucher... trois points de suspension après, il ajoute en sous-titre "les filles du Poumaïrol"... 

Roger : Et il est allé voir ? 

- Non, il l'a lu, il en parle, des Mountagnoles descendues pour les vendanges, les olives, les sarments... un mode de vie perdu, d'avant la guerre de 14...  qui a rejoint ces histoires de gentilles bergères... sauf que là, en groupe, elles n'hésitent pas à provoquer... des allumeuses...

- Et bien sûr, ce sang neuf dans les villages de la plaine laisse des traces. 

- Comme tu dis enfin, surtout qu'en groupe, elles n'ont pas froid aux yeux... Et même rien que d'être présentes, tu te souviens, les petites Espagnoles pourtant si réservées, elles en ont fait gamberger plus d'un à l'âge où ça fouette le sang...

- Je sais, près de soixante ans plus tard, on s'est dit bonjour avec une qui vendangeait chez Lamur. 

Serge : Et alors ? 

- Et alors rien, c'est comme la mayonnaise, si tu ne remues pas assez, elle ne monte pas ? Nous avions juste à nous dire que nous étions de la même colle, une certaine année et plus rien, juste un constat qui ne remue plus rien... 

- Pourtant, jusqu'où ne serait-on pas allés pour une fille, même à vélo... 

Roger : M'en parle pas, deux fois j'ai fait plus de cinquante kilomètres pour me prendre une claque d'avoir mis la main où il ne fallait pas... de bons souvenirs !

Serge : de bons souvenirs ??? 

- Bien sûr, j'étais jeune, je pédalais bien, en sifflant et en chantant même... "Jamais de la vie on ne l'oubliera..." ... la première fille qui nous claqua dans les bras... 

- Mais puisque tu dis que c'est de l'histoire ancienne...

- Sans l'ancien, pas de nouveau ! Mourons pour des idées, "d'accord, mais de mort lente", tiens, encore comme Georges, un de plus mort à soixante ans, tu te rends compte... Et cette grognasse de Lagarde qui ose dire que les vieux sont un problème ! 

Serge : C'est elle le problème oui, la tanèque qui pompe du fric parce que la retraite ne lui suffirait pas ! 

Roger : Brrrrrr.... Pour des idées de filles alors... je préfère le Brassens qui nous fait les portraits de Marinette, d'Hélène, de Margot, de Flora des neiges d'antan... 

- Et doña Sabine " Chantez, dansez, villageois, la nuit tombe...". On la chantera, tu vas voir. Et quand on sortira pisser, par-dessus les hêtres, les sapins et le brouillard, on les entendra faire la fête, les villageois du Poumaïrol... et lorsqu'ils nous verront, quelle hospitalité pour des voyageurs attardés comme nous... ils nous recevront à bras ouverts !

Roger : C'est ça, ils vont te donner leurs filles comme dans la Guerre du Feu, la peuplade qui veut éviter la consanguinité ! Méfie-toi qu'ils ne te brûlent pas comme Martin Guerre ! En attendant, regarde bien la météo qu'il a neigé il y a peu, je ne sais pas si le chauffage marche et la route glisserait trop pour mon engin...qu'on ne soit pas récupérés par les secouristes...

- Ils nous en voudront pas ! Nous leur chanterons : "Le vent qui vient à travers la montagne" nous a rendus fous... 

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