Roger et Serge, complices depuis des lustres, se jouent (légalement) des limites imposées par l'épidémie de covid. En décembre 2020 ils ont entrepris de monter voir un pays aussi montagneux que mystérieux, pour les filles de là-bas qui ont de toujours laissé un souvenir si pimpant aux hommes émoustillés de la plaine. Depuis Narbonne, l'itinéraire des deux amis quitte le couloir de l'Aude pour gagner les causses et les garrigues du village historique de Minerve. De là, en suivant le cañon de la Cesse, ils vont monter jusqu'aux rudes reliefs du Poumaïrol ce pays méconnu oublié dans les brumes, aux mountagnoles si vaillantes, charmantes et piquantes...
Causses de Minerve wikimedia commons Auteur Hugo Soria |
Roger : une belle route, vraiment... une nature sauvage que nous n'avons pas trop entamée je dirais...
Serge : c'est l'eau qui l'a entamée pour nous... regarde ces grottes rongées dans la falaise, où les humains purent s'abriter alors que la Cesse avait déjà bien creusé son cañon, je te le dis avec le ou la tilde... tu le sais qu'encore dans les années 70, certains dicos français orthographiaient comme ça, à l'espagnole ?
Roger : elle me plait ta remarque... S'il y a une frontière, nous sommes si proches des Espagnols...
Serge : Espagnols ? Catalans ? Tilde ou non... nous ne l'avons pas passée la frontière cette année...
Roger : et oui, ce foutu covid... Tiens, nous devons être au niveau du Moulin de Monsieur, regarde sur la carte...
Serge : et non, tu confonds avec le moulin d'Azam... presque Azan, le facteur je crois, tu sais celui qui apporte la lettre qui va faire partir Alphonse chez les vieux parents de son ami Maurice par un cagnard pas possible... une belle lettre depuis le Moulin de Daudet...
Roger : décidément tu me plais ce matin...
Serge : andouille, heureusement que personne ne t'entend, déjà qu'ils nous prennent pour ce que nous ne sommes pas !
Roger : tu as raison, tu crois qu'ils comprendraient que je te dis ça parce que nous sommes avant les fêtes et que ces Lettres de Daudet restent pour moi de merveilleuses histoires, une magie qui revient toujours à la même époque, je me revois enfant avec des sensations que l'âge n'arrive pas à gommer...
Serge : et oui mais tu sais, ça les rend méchants, ceux qui sont insensibles à cette grâce... ils ont tôt fait de te cataloguer d'intellectuel... une jalousie qui les rend abjects parce qu'ils réalisent trop bien qu'un monde leur est fermé... ils ont tôt fait de donner dans les ragots et là jusqu'à l'homophobie...
Roger : ... quand ils ne disent pas, dans l'autre sens, que ceux qui, mariés ou non, vont en Espagne, y partent pour les maisons de passe de la Junquera...
Serge : oui, ça va, tu comprends, c'est suspect d'aimer les auteurs, c'est trop chelou d'aimer les vestiges grecs ou de ne pas vouloir oublier la page de la Retirada, si poignante et terrible...
Roger : ah bon ? l'Histoire te touche ? Et moi qui pensais que tu passais la frontière pour partouzer !
Serge : et alors animal ? Entre personnes consentantes, c'est interdit ?
Roger : animal, tu peux le dire, il y aurait tant à dire... et tout peut arriver, même le pire... comment expliquer, sinon, me concernant, du moins, cette peur du futur, ce remords de laisser un monde plus mauvais et par contrecoup, que je me réfugie dans le passé...
Serge : passé, présent, avenir... Yourcenar avait dit quelque chose de bien à ce sujet mais j'ai oublié... attends, je me connecte, c'était beau, je m'en veux d'avoir oublié...
Roger : dis on ne va quand même pas broyer du noir...
Serge : malheureux, évite ce genre d'expression à te faire de suite passer pour le pire des racistes ! j'ai trouvé, elle a dit :
Quand on aime la vie, on aime le passé, parce que c'est le présent tel qu'il a survécu dans la mémoire humaine.
Marguerite Yourcenar dans Les yeux ouverts (1980)
Roger : maintenant que tu le rappelles, je m'en veux aussi : cette citation avait beaucoup plu à mon pauvre père, il me l'avait relevée dans une lettre...
Serge : sinon, nous sommes au niveau de la Grotte de l'Aldène ou de la Coquille ou encore de Fauzan, c'est la même... ils y ont trouvé de grands dessins de rhinocéros et d'ours, des empreintes humaines et de hyènes et d'ours encore, des traces noires des torches et puis, écoute ça, un engrais phosphatique issu des os des animaux... quel cimetière puisqu'ils ont exploité le gisement pendant près de cinquante ans !
Roger : ça se visite ?
Serge : en décembre, ça m'étonnerait... ni à la belle saison je vois, la grotte n'est pas ouverte au public... Et ton Moulin de Monsieur doit se trouver un peu plus en amont...
Roger : on ne peut pas le dire autrement mais le lit de la Cesse est à sec sauf en cette saison : elle disparaît au niveau du Moulin de Monsieur pour ressortir à l'air libre, après peut-être une vingtaine de kilomètres sous la terre au niveau du Moulin de Madame... C'est la résurgence du Boulidou, après Agel, lors d'un dernier détour par les garrigues calcaires avant Bize, toujours dans le Minervois, et la plaine.
Serge : tu as vu le panneau à gauche ?
Curiosité_de_Lauriole wikimedia commons Author Pokemon59
Roger : oui, pour la curiosité de Lauriole, la route qui monte et qui descend...
Serge : oui, juste une illusion et encore, suivant le point d'observation... C'est très visité... certains sont si crédules et perméables à des idées de magnétisme, de tellurisme sinon au paranormal...
Roger : à voir avec des enfants, c'est récréatif, par contre, je préfère la magie des dolmens, par dizaines dans le coin, même plus haut sur les causses de Minerve. Ils me fascinent...
Serge : tu dis la magie mais ils n'ont rien de magique, seulement des tombes...
Dolmen de la Cigalière Cesseras wikimedia commons Author O.allegre
Roger : "Seulement des tombes" tu dis... Je veux bien qu'ils n'aient rien de magique mais même cassés, ils continuent de parler pour des ancêtres sur deux ou trois fois plus de temps que depuis l'an zéro. Et puis, c'est terrible, tout a été pillé, dispersé et même les locaux qui auraient voulu garder une trace n'en avaient pas la capacité... j'ai entendu dire qu'au musée de Minerve, il y avait quelques perles, quelques pointes de flèches, qu'à Olonzac le musée des écoles exposait des dents humaines...
Un commentaire que Jean de Siran m'autorise à publier :
RépondreSupprimer"Nous voilà donc en route pour le Poumaïrol et ce jour au dessus de Siran.
Oui le moulin d'Azam je connais bien et il y a toujours des Azam à Cesseras. Au XIXe s., pour aller à la grotte de la Coquille, on prenait le chemin du moulin d'Azam et on le quittait très vite sur la gauche pour longer le pied de la falaise en direction de la Balme Rouge, à la rencontre du guide Pierre Solomiac (le légendaire Camba de Fer). On trouve sur le site Occitanica une lettre inédite d'Achille Mir qui conte sa visite de la grotte de Fauzan . Il était accompagné de son illustrateur qui pris là des croquis pour illustrer la descente aux enfers du curé de Cucugnan.
La descente actuelle, par un sentier escarpé , suit une diaclase sous l'usine de phosphates.
Oui Azan, Azam c'est bien la même chose, Adam à l'origine. Dans notre langue, les "d"> "z" et les "m " finaux > "n". Ainsi Adémar devient Azéma et "rasim" ( graphie classique) est "rasin" (graphie de mistral).
J'ajoute que le moulin d'Azam porte aussi le nom de moulin de Gentil (Jantil est tout simplement un diminutif occitan du prénom Jean).
Monsieur, (du moulin de Monsieur) c'était jusqu'à la révolution le seigneur de Cesseras. Le dernier fut Jean François de Seigneuret de Loubens (1723-1792), mort en exil à Chambéry (Royaume de Savoie), dont les biens furent confisqués (émigré).
Plus a en amont on a le moulin de Fabas et plus en amont encore le moulin d'Alger ( famille Brail de La Livinière) dont un ancêtre avait participé à la conquête d'Alger.Le Moilin d'Alger est sous le hameau de St Julirndes meulières, commiune de LaLivinière.