François TOLZA, « ADORACIÓN » :
... Depuis vingt ans la Cagotte était « moussègne» (2) et elle connaissait son métier. Elle amenait tout son monde dans son sillage sans qu'il y eût jamais un grincement. A la pointe de la file, elle allait de son train régulier de femme besogneuse devant une « colle » qui avait souvent le nez en l'air. Mais, lorsque la distance se faisait par trop grande, tout bavardage cessait. Les hotteurs ne faisaient plus de plaisanteries. Les mères aidaient les jeunes qui s'empêtraient dans les feuilles. On n'entendait plus qu'un froissement de plantes, le bruit sec des sécateurs et le glissement des seaux sur les cailloux plats de la vigne.../...
Vendanges Repas_de_vendanges_dans_l'Hérault vers 1900 wikimedia commons Carte postale ancienne |
.../... ~ Voilà que tu ne sais plus voir l'heure mon pauvre Faustin. C'est-y que tu aurais trop de travail à "quicher" les comportes ? ou bien que le vin du Bagne serait trop clair ?
.../... Maintenant ils chargeaient. Debout sur le talon de la charrette, Idrou, le charretier, donnait la corde. Faustin l'enroulait deux fois autour de la cornelière, puis, les deux mains au cul de la comporte, il poussait un ah! qui la jetait, avec fracas, sur le plancher du véhicule. Idrou la faisait louvoyer d 'une ridelle à l'autre sur le plancher gluant de grappes écrasées, l'amenait sur le devant, la calait contre les supports de fer entre lesquels couraient les chaînes. La dernière comporte monta lentement. Faustin la soutenait dans ses mains en corbeille ; puis elle s'encastra, jetée d'un bloc, sur le côté de la charrette. Idrou, d'une chaîne, ceintura la jumelée. Il n'avait pas fini de vérifier tous les crochets, que la jeunesse prenait la charrette d'assaut, logeait ses paniers, installait des brassées de feuilles sur les comportes pleines. Le charretier allait et venait des brancards au talon, passait la main sous la ventrière du limonier. Déjà loin, le vieux cheval des Bagnes amenait d'un pas fatigué, dans la jardinière cahotante, les vieilles et les mères. Un coup de fouet, l'effort brutal et silencieux des muscles attentifs, le claquement des traits sur les brancards, la morsure des roues sur la terre et l'attelage s'arrachait de la vigne. A l'ouest, le soleil était encore haut. Il pouvait être cinq heures. Des quatre coins des Planes, les « colles » affluaient vers les chemins, pressées de gagner, avant le crépuscule, la route nationale, plus sûre, où l'on était certain de trouver du secours en cas de besoin. La journée finie, les femmes enlevaient les foulards de tête, passaient leurs doigts dans leurs cheveux collés, enfouissaient au fond des paniers les tabliers sales et les espadrilles trouées. Lentes de tous leurs dos meurtris, de leurs jambes raides, elles s'en venaient vers le village. Il faisait un vrai temps de vendanges. Quoique les matins fissent prévoir des après-midi chaudes, il y avait quelque chose dans l'air qui démentait les orages et la canicule. Dès dix heures, la campagne se dorait. Le ciel prenait un bleu fatigué de début d'automne. A peine si les midis brûlaient aux flancs des pierres et faisaient l'air plus lourd autour des souches. On ne mangeait pas au fort des ombres, mais dans cette zone tiède à la lisière de l'ombre et du soleil. Au ciel, pas un nuage, mais cette immobilité limpide, purifiée, de tout de qui n'est pas durable. Les soirs se teintaient d'orange, éclaboussant les vignes de verts ternis où les cépages blancs tournaient au jaune pâle.../..."
(2) Pour «moussègne», l’auteur indique « chef de colle ».
Article d'origine :
https://dedieujeanfrancois.blogspot.com/2018/09/vendanges-davant-guerre-fleury-daude-en.html