En novembre dernier, je vagabonde dans un exotisme encore concret en mai 1945. Vagabondage vu qu’en cherchant « moussègne » (1) je ne retrouve nos vignes du Sud que grâce à une revue égyptienne. L’exotisme, lui, bien qu’empreint encore de la vogue des orientalistes, nous laisse, avec le recul, l’impression d’un monde fossile à l’agonie. Au paternalisme colonial, a succédé une prédation des Occidentaux pour le pétrole et le gaz. La naphte âcre a remplacé les senteurs musquées de l’Orient, la hantise du cancer la fumée parfumée des tabacs du roi Farouk. Une faune d’Anglais affairistes, de Français guindés, de Grecs obséquieux, mêlée d’espions et d’aventuriers, tolérant l’élite locale et regardant de haut le fellah, demeure. Hitler s‘est suicidé, l’Allemagne est désormais aux abois, la menace de l’Afrikakorps n’est plus qu’un mauvais souvenir pour les résidents.
Tous les mois, la Revue du Caire, imprimée à l’Institut Français d’Archéologie, apporte, pour douze piastres, sa centaine de pages de culture. La participation de François Tolza (2) date du numéro 76, en mars 1945, sous un simple titre « ADORACION ».
Parce que la vie dans nos vignes nous marque à jamais, les pages de cette nouvelle, de ce roman peut-être dont rien n’est dit, s’apprêtent à défiler sur l’écran. Et déjà à la deuxième ligne, une de ces images à cueillir avec envie :
« ... Et avant que les cloches n’aient fini de s’égoutter sur les toits de Sainte-Marie-des-Corbières... ».
Sainte-Marie-des-Corbières ? Un nom inventé... Il y a bien Sainte-Marie-de-la-Mer dans les Pyrénées Orientales (dépt. 66), il y a bien les Corbières derrière, qui ferment la plaine mais Sainte-Marie-des-Corbières ? L’auteur semble vouloir ménager les susceptibilités...
Les gens soulèvent les rideaux pour voir qui passe dans la rue :
« - Voilà la Philippine qui court "aux provisions".
A Fleury on disait plutôt « aux commissions ». Et les femmes, de tous âges, bien méditerranéennes, vétues de noir, ajoutent à la fermentation des ragots sans jamais se sentir coupables du mal qu’elles insinuent, tant elles ont toutes rajouté leur venin.
Pour Philippine, aller aux provisions, c’est une joie « ... la seule qu’elle eût avec l’excitation que donne le café... ». Sans haine comme sans amour, cette femme est d’une curiosité maladive, aussitôt désireuse de dénouer la moindre nouvelle encore peu claire. Sous des semblants aimables, familière, rien ne l’arrête quand elle a un commérage en tête, le lancerait-elle à une personne concernée :
« - Ce que j’en dis, c’est par ouï-dire. Et puis, je ne voudrais pas te faire de peine, Louise... »
A cinq heures Lucien est entré dans un casot (un cabanon) avec Adoracion : « C’est Titou qui les a vus, des Oliviers. » C’est que ce Lucien a fréquenté sa fille, pas longtemps mais la petite en a été malheureuse et comme les belles-mères elles, s’étaient si bien entendues, les moqueries n’ont pas manqué.
Et Louise qui doit aller à la pompe, avec sa cruche, tandis que le chevrier suit ses bêtes dans les garrigues rousses.
A Fleury aussi, le troupeau du village partait ainsi brouter jusqu’au soir où, au fur et à mesure, chaque chèvre retrouvait son logis. Céline, ma grand tante, en avait... Ils avaient du lait dit maman... Ils ont invité la famille pour le chevreau de Pâques... Ma mère n’a pas trop mangé... L’oncle Noé en a déduit qu’elle attendait un petit et c’est vrai que huit mois plus tard, au jour près, j’arrivai...
Si quelqu’un peut nous parler de François Tolza, qu’il n’hésite pas !
A suivre mais allez lire l’original plutôt que ma resucée :
http://www.cealex.org/pfe/diffusion/PFEWeb/pfe_002/PFE_002_029_w.pdf
(1) https://dedieujeanfrancois.blogspot.fr/search?q=Fran%C3%A7ois+Tolza
(2) Régis du même nom, le copain de fac à Perpignan, je te salue !
Photos autorisées :
2. qurush égyptien 1944 à l'effigie du roi Farouk, pièce hexagonale. Auteur Abubiju
3. vieille devanture d'alimentation, Fabrezan Corbières.
4. King Rove_garrigue1.JPG Auteur Roland Darré.