« … Fasen un traouc a la nèit,
la fenno, per veïre si dema i fa journ. »
Jean-Claude Carrière de Colombières-sur-Orb
annonce la couleur ! C’est dit sans fioriture, avec l’accent de ceux qui
l’ont en partage, ça fout un pic d’amour-propre à faire gonfler le jabot !
On rayonne d’avoir l’occitan en plus grand commun diviseur ! En flagrant
délit de vanité, on se prend à penser que cet homme remarquable est des nôtres,
qu’il boira son verre comme les autres !
Remarquable, Jean-Claude Carrière
l’est avant tout pour la démarche foncière qui le fait toujours s’effacer par rapport
au sujet de sa réflexion ; il fait tout pour que son questionnement, son
cheminement intellectuel, l'objet de son intérêt détournent les lumières de sa personne. Mais en se voulant
ordinaire, accessible, ni snob, ni star, le résultat va complètement à l’encontre
de son obsession. Pourquoi s’auto-amputer lorsque le talent, l’originalité de l’approche,
la curiosité, le doute, le travail surtout justifient l’ascendant sur ses tenants,
ses partisans ?
Qui serait assez fou pour nier l’héliocentrisme ? Qu’il
se rassure : ni guide, ni berger, il est de ceux qui vont plus loin, qui savent
exprimer ce qui est ressenti et partagé par tant d’autres.
Pardon de me laisser embarquer ainsi… et si j’apprécie l’adhésion qu’il sollicite, sa curiosité tous azimuts, je l’aime pour « Le Retour de Martin Guerre » (Nathalie Baye, G. Depardieu, Bernard-Pierre Donnadieu dans l'Ariège), pour ses souvenirs du « Le Vin bourru », pour notre langue d’Oc en héritage, parce qu’il honore de sa présence la Mirondella de Pézenas et qu’il est de chez nous, macarel !
Pardon d’être ignare parce qu’il y a tous ses livres, ses scenarii, ses essais philosophiques (dernièrement sur la croyance, sur la paix), sa controverse de Valladolid (la voix grave et chaude de Jean-Pierre Marielle dans le rôle de Bartolomé de las Casas !), ses collaborations avec Buñuel, Forman, Schondorf, entre autres, ses accointances, ses conversations sur l’invisible, menées depuis trente ans avec des astrophysiciens... Mais ça c’est son côté érudit, parisien, international, à partager avec tous ! Laissez-moi le méridional, celui qui revendique la défense culturelle du Sud :
« … depuis trente ans je préside le
Printemps des Comédiens à Montpellier, j’ai animé beaucoup de rencontres dans
les villages, nous sommes ici dans le Midi, le pur Midi de la France… »
https://www.youtube.com/watch?v=73TSvLNDDAc
Écoutez-les les deux minutes de la vidéo, regardez-le dire
Écoutez-les les deux minutes de la vidéo, regardez-le dire
« … nous avons un lien
particulier avec la terre où nous sommes nés […] on peut dire simplement que si ce n’était pas là, ça manquerait… »
« … Quand j’étais enfant, j’étais
bilingue, occitan-français… »
Cet imparfait répété n’exprime-t-il
pas la réserve viscérale de l’auteur … contrebalancée aussitôt pourtant par l’affirmation
nette d’un bilinguisme avec l’occitan comme première langue. Et cette allégorie
magnifique du couple de paysans s’interrogeant sur le mystère du jour succédant
à la nuit ? N’y retrouve-t-on pas l’esprit même des contes des petits
vieux et du haricot géant ? Est-ce intentionnel de la part de Carrière
? Mais l’image est symbolique de sa quête, de la mise en relation des mythes et
de la science, de ses « conversations sur l’invisible » avec des
astrophysiciens de renom. Elle en appelle une autre, une gravure sur
bois attribuée à l’Allemagne médiévale mais marquant plutôt le renouveau de la
Renaissance, la remise en question de l'obscurantisme, des diableries et autres tabous religieux comme la Terre plate !
L’homme de la gravure de Flammarion, dite aussi « du pèlerin », passe
sous la voûte céleste et montre sa surprise à cause de ce qu’il trouve derrière, exactement comme ces deux qui veulent déchirer la nuit !
Et puis vous l'avez, la traduction de
ces quelques mots d’occitan :
« Faisons un trou à la nuit,
la femme, pour voir si demain il fait jour »
L’occitan, il en parle Jean-Claude
Carrière dans « Le Vin bourru » (2000) : sept pages magnifiques grâce à l’originalité de l’approche, à la précision du vocabulaire, au rejet de tout artifice académique.
Si la quatrième de couverture
relève une rare imp(r)udence sous sa plume, la suite du paragraphe demeure
conforme à ce qu’il est :
« … je mesurais pour la
première fois la quantité étonnante de choses que l’on m’avait apprises et qui
plus tard ne m’ont servi à rien. Car, né dans une culture, j’ai vécu dans une
autre. De là mille questions sur ce qui nous fait et nous défait. Sur ce que
nous avons perdu, gagné, sur ce qui nous reste… »
Jean-Claude Carrière de la vallée
souriante, de la montagne belle, du pays des châtaignes et des cerises tient à
ses racines. Contrairement à ces renégats montés à Paris et qui, vergogneux,
regardent leur berceau de haut et considèrent la maison natale avec condescendance
et mépris, Jean-Claude Carrière est resté des nôtres sauf qu’ici nous ne
cultivons pas ce complexe de supériorité qui fait toujours tirer la couverture
à soi ! On en laisse aux autres, nous...
A propos, c’était pour
savoir si on tuait le cochon, au village de Jean-Claude, petit garçon qui n'a plus goûté le vin
bourru à partir de 1945. Mais comment passer à Colmbières sans dire que sa présence nous fait du bien ?
crédit photos commons wikimedia :
1. Colombières-sur-Orb église St-Pierre auteur Fagairolles 34.
2. Jean-Claude_Carrière_à_la_BNF Author Roman Bonnefoy
3. gravure de Flammarion ou "du pélerin" Author Heikenwaelder Hugo, Austria.
crédit photos commons wikimedia :
1. Colombières-sur-Orb église St-Pierre auteur Fagairolles 34.
2. Jean-Claude_Carrière_à_la_BNF Author Roman Bonnefoy
3. gravure de Flammarion ou "du pélerin" Author Heikenwaelder Hugo, Austria.
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