Pour couper aux restrictions liées au covid, deux copains se sont mis d'accord pour une petite virée pas loin et pourtant dans une contrée à la vie rude, dans la Montagne Noire sauvage, à l'écart de l'axe Mazamet-Carcassonne.
Depuis Narbonne, en passant par Minerve, ils ont suivi le cours étonnant de la Cesse avant de monter vers le Plateau du Poumaïrol.
"ATTENTION : ces individus ne souhaitent pas révéler leurs visages, nous les avons appelés Serge et Roger ; sur quelques lignes, ils se laissent aller à un certain vocabulaire réservé aux adultes et pas encore à une jeunesse chaste, innocente et fragile... du moins, c'est ce qu'on croit.
Roger
: avec plus d'eau, des conditions idéales pour une forêt dense, même si
elle est cultivée depuis longtemps. Beaucoup de petites industries du
verre dans le coin ; il en fallait du bois !
Serge
: et oui, les Verreries-de-Moussan... Dire que j'y suis monté en bonne
compagnie à l'arrière de la 203 du copain lui aussi en couple !
Roger : hééééé tu n'en avais jamais parlé !
Serge
: et oui, à propos d'amour, on ne dit jamais tout...
Roger : ou l'inverse : on en dit trop quitte à en rajouter... sauf pour nous qui avons dépassé ce plafond de verre depuis longtemps !
Serge : le printemps débutait à peine... chacun dans une chambre de la maison
inoccupée, de sa grand-mère, sauf l'été. Du concret, pas le virtuel des
filles du Poumaïrol ! Pas même le souvenir d'avoir eu froid !
Roger : tu vas bien, c'est loin derrière nous... Être ou avoir été...
Serge : et oui, bien cinquante ans en arrière !
Roger
: c'est sûr que tu n'as pas regardé les châtaigniers, les hêtres, les
épicéas, les pins et les séquoias ! tu ne t'es pas demandé pourquoi la forêt était si
dense, seule comptait la gonzesse qui avait tout pour plaire ! Qu'est-ce que ça a donné ?
Serge : ah ! m'en parle pas... du plaisir, on s'aimait... c'était avec mon ex... Hélas, ces deux lettres suffisent pour connaître la suite... Que la vie passe vite quand même...
Roger
: ne nous plaignons pas, nous n'avons pas connu la guerre ! quel reproche injuste, définitif, trop commode de la part des parents qui n'ont pas d'autre argument ! Dans ce coin, pourtant, des familles gardent en mémoire des faits plus
tragiques. On laisse à droite la route du col de Serières qui redescend,
justement, vers les Verreries-de-Moussan... Dis, avec ou sans protection l'amour des années 60 ?
Serge : tu es bien indiscret, animal ! Sans si tu veux savoir... Je
te renvoie à la chanson de Stromae qui a fait beaucoup de bien dans la
psychologie machiste, question pureté ou impureté de la femme...
"Rendez-vous aux prochaines règles..." : au moins nous savions qu'elles nous protégeaient, enfin, je n'en sais pas plus, on ne savait rien, les tabous et non-dits empêchaient tout... Je n'ai
retenu que ça, comme pour les paroles de Stromae, le leitmotiv, sans rien chercher le sens profond du morceau... Il
fait déjà partie des chanteurs qui comptent, une classe au moins au dessus... Hé ! ne raconte pas tout dans tes articles, attends d'écrire un jour des pages olé olé pour les plus de dix-huit ans...
Roger
: Holà ! il faut être connu pour se le permettre ! La Fontaine,
Apollinaire, Miller, le seul que j'ai lu... tu vois, je ne suis pas
initié...
Serge
: c'est que dans ce domaine, la théorie peut venir après la pratique... Gare-toi un moment qu'on ne capte pas partout par ici...
Roger : tu as de la chance ! Là on peut stationner, il y a un point de vue... et puis allume mon bidule, mon module, enfin mon capteur que je ne sais plus comment ça s'appelle !
Serge
: bon, c'est encore sur Wikipedia que les références sont les plus
complètes. la littérature érotique et même porno a existé de tous temps
et je te dis pas les illustrations, de même que la libido des religieux
des deux sexes ! Ah ! Kessel, "Belle de Jour", Léautaud, je ne savais
pas, et Aragon dis, "Le con d'Irène" ! Virginie Despentes "Baise-moi" ! fallait oser !
Roger : et cette femme, devenue chroniqueuse, attention, pas commode, agressive, qui donne pas envie... son nom m'échappe...
Serge
: je la cherchais aussi : elle est marquée dans les autobiographies, ça y est, je l'ai :
"La vie sexuelle de Catherine M.", Catherine Millet !
Roger
: oui, c'est ça ! je suis d'une inculture crasse... On va le voir ce
point de vue, manière de se laver l'esprit de ces pulsions lubriques ? J'y suis monté en été, dans les bruyères fleuries, un
temps frais avec une brume étonnante, si près de la Méditerranée. Dans
le vallon en dessous, le ruisseau, la Cesse, je
l'ignorais à l'époque. Tu as regardé la carte ? le Roc Suzadou ça
s'appelle, dans les sept-cents mètres à quicon proché (à quelque chose près)...
Serge
: oui, j'ai vu, ensuite ça grimpe encore mais dans deux ou trois
kilomètres, ce sera le plateau du Poumaïrol d'où les filles fraîches
descendaient pour les vendanges, les pommes, les châtaignes en
remontant, les olives, les sarments à nouveau dans la plaine...
Roger
: quelle belle histoire ! Heureusement que ce numéro de Folklore de
l'hiver 1974, ils publiaient à chaque saison, nous est tombé sous les
yeux ! Chez elles, une vie rustique entre huit et neuf-cents mètres d'altitude,
avec le froid, la neige, les brouillards, le printemps et l'automne plus courts et seulement une paire de
vaches, le foin pour l'hiver, des pommes-de-terre...
Serge : oui, je l'ai là, l'article, il
dit aussi qu'ils cultivaient des navets noirs, des oignons qu'elles
tressaient par douzaines les jours de pluie, les moungils, une variété de haricots
qu'elles triaient à la veillée... ah, pour un cassoulet ! Le nôtre on l'a bien digéré, tu as vu ! Enfin, une économie
de subsistance, du lait, des fromages sûrement, peut-être aussi des
stères de bois de chauffage, des charbonnières... c'est sûr que les
quatre sous gagnés en bas étaient les bienvenus... Ah ! je lis aussi
qu'ils entretenaient des glacières remplies de neige l'hiver et qu'ils
descendaient la glace l'été, pour les cafés de Carcassonne.
Roger
: c'est sûr que les Mountagnols appréciaient de remonter avec l'argent des
vendanges, ça me fait penser aux Ariégeois... la
montagne était pauvre et faisait beaucoup d'enfants.
Serge : c'est après la guerre de 14 que le plateau a commencé à se dépeupler...
Roger
: avant, peut-être, regarde, mon grand-père Jean, né en 1897, sa
famille avait déjà quitté les montagnes de Montagagne, au-dessus de la
haute vallée de l'Arize et de La-Bastide-de Sérou (1).
(1) En
1926, 45 familles soit 285 habitants vivaient encore sur le plateau. En
1960 les familles n'étaient plus que 4 avec 18 personnes ; l'école a
fermé en 1962, l'activité agricole a été abandonnée. Dans les années 70,
alors qu'il ne restait que les vieux, de nouvelles familles sont venues, même si leurs visées étaient plus personnelles,
apporter du sang neuf pour que le Poumaïrol ne meure pas.