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vendredi 1 novembre 2024

PROVENCE du RHÔNE (11) Un nid brillant susceptible de crisper (4)

À une douzaine de kilomètres à peine d'Avignon, Châteauneuf-de-Gadagne et le château de Font Ségugne où, le 21 mai 1854, le Félibrige, mouvement des poètes provençaux, fut lancé. Font Ségugne, du nom de la source au pied des murs, bastide de plaisance d'un cardinal romain (1). 

Felibres au château de Font Segugne_1854 Domaine public.

« Voilà où nous venions nous récréer comme perdreaux, Roumanille, Giéra, Mathieu, Brunet, Tavan, Crousillat, moi et autres, Aubanel plus que tous, retenu sous le charme par les yeux de Zani (Jenny Manivet de son vrai nom), Zani l’Avignonnaise, une amie et compagne des demoiselles du castel ». Frédéric Mistral, Mémoires et récits - Mes Origines, 1906. (1)

Alphonse Tavan (1833-1905), le félibre de Gadagne, agriculteur-poète aux vers simples et rustiques, relève ce que l'endroit a de bucolique : les amoureux du dimanche y trouvent des bancs de pierre, le calme, l'ombre, la fraîcheur, les cachettes, des sentiers entre les arbres, des feuillages qui bruissent avec des chants d'oiseaux, la fontaine « Partout, sur le gazon, vous pouvez vous asseoir, rêver d’amour, si l’on est seul et, si l’on est deux, aimer ».Alphonse Tavan. (1) (2). 

Autour de Mistral, premier soutien et collaborateur dans la mise au point de la graphie provençale moderne (mistralienne), Joseph Roumanille (1818 St-Rémy-de-Provence - 1891 Avignon), écrivain, éditeur, libraire ; Jean Brunet (1822 Avignon - 1894 Avignon), ardent républicain, poète triste, généreux sans compter et qui mourut sans le sou à l'hôpital : il ne laissa que quelques poésies ainsi qu'un recueil inachevé de proverbes provençaux. 
Aux sept primadiés, Mistral joint Antoine Blaise Crousillat (1814-1899) de Salon-de-Provence ; il laisse entendre qu'une assistance plus nombreuse soutenait et encourageait les sept signataires en vue du mouvement. 

L'Isle-sur-la-Sorgue 2021 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International license Auteur Mathieu Brossais

L'Isle-sur-la-Sorgue doit beaucoup à la Sorgue, la rivière aussi singulière que multiple, révélant une énième plaine fertile vauclusienne. Multiple, elle l'est, se divisant en deux bras principaux, Sorgue de Velleron, Sorgue d'Entraigues, au point de s'approprier en nom propre le site du Partage des Eaux. Des bras secondaires, de nombreux canaux dessinent des îles qui ont valu à la ville le surnom de Venise Comtadine. (1) L'Isle a vu naître le poète et résistant René Char (1907-1988). Il partage avec son ami Camus le pessimisme de L'Homme Révolté. 
Même perplexe face à bien des traits restés surréalistes chez le poète, cela vaut la peine d'explorer ses écrits pour les pépites éblouissantes qui peuvent surgir à tout moment :  

« J'envie cet enfant qui se penche sur l'écriture du soleil, puis s'enfuit vers l'école, balayant de son coquelicot pensums et récompenses. » Fureur et Mystère 1948, René Char. 

René Char parlait avec un accent resté fidèle à sa terre de naissance... De la part d'esprits aussi primaires qu'étriqués, l'accent de l'autre peut vite être révélateur de ségrégation, de racisme. Un tel positionnement par contre, venant d'un représentant de l'élite de la pensée philosophique, ne peut provoquer qu'un effarement consterné : 
 
«... l’accent, quelque accent français que ce soit, et avant tout le fort accent méridional, me paraît incompatible avec la dignité intellectuelle d’une parole publique. (Inadmissible n’est-ce pas ? je l’avoue.) Incompatible a fortiori avec la vocation d’une parole poétique : avoir entendu René Char, par exemple, lire lui-même ses aphorismes sentencieux avec un accent qui me parut à la fois comique et obscène, la trahison d’une vérité, cela n’a pas peu fait pour ruiner une admiration de jeunesse […] ». Jacques Derrida (1930-2004), Le monolinguisme de l’autre, 1996 » 
Ces amalgames entre accent comique, dignité, parole publique sinon poétique demeurent intolérables ; l'obscénité réside plutôt dans ce racisme inadmissible, d'autant plus insoutenable venant de quelqu'un de renommée internationale ayant subi l'antisémitisme... Bien la peine, dans son ouvrage, de fustiger la tyrannie édulcorée de la langue unique imposée, dominante, exclusive. 
Comment ? Et il faudrait souscrire à de telles contradictions ? à des propos rappelant ceux d'un certain Louis-Ferdinand Destouches ? 

« Zone Sud, peuplée de bâtards méditerranéens, de Narbonoïdes dégénérés, de nervis, Félibres gâteux, parasites arabiques que la France aurait eu tout intérêt à jeter par-dessus bord. Au-dessous de la Loire, rien que pourriture, fainéantise, infect métissage négrifié. » LFDestouches nov 1942. 

« Je tiens René Char pour notre plus grand poète vivant... » 1959. Plutôt s'en tenir aux propos d'Albert Camus, non ? 

À Céreste, René Char et son chat dans son PC de résistant 1941 Domaine Public Auteur Habitant anonyme de Céreste

(1) source Wikipedia.   

(2) Autour des demeures souvent aux volets clos, de leurs parcs délaissés, flottent des voiles de muses porteuses d'un souffle poétique. Faisant mien le mot de Jules Michelet, « Chaque homme est une humanité, une histoire universelle » et pour la raison qu'au fil des mots et des pages, se perd l'humilité du ver de terre regardant ses étoiles, l'exploration particulière de ce monde occitan n'a plus peur de faire part de ce qui est personnel, d'accoler son impulsion à tant de grands noms reconnus... Ainsi les parcs dans ma vie... Les grands pins, les frêles violettes de la campagne du docteur Rolland à Pézenas ; 


Toujours à Pézenas, en haut de la ville, le Parc de Sans-Souci ; les plumes de paon de Marmorières ; à Salles-d'Aude, chez nos voisins, le parc du château et à Fleury une ballade poétique à propos du parc abandonné de Gibert, un texte perdu que je n'espère qu'égaré tant cette veine dépend de circonstances, d'un moment qui ne se répètent jamais, toujours uniques.     

mardi 15 février 2022

Dans le PARC & les abords d'un des CHÂTEAUX, balade & ballade.

 


"Dans le vieux parc solitaire et glacé
Deux formes ont tout à l'heure passé.../...
  Et la nuit seule entendit leurs paroles."
Colloque sentimental / Fêtes Galantes. Paul Verlaine.

 
Bien que non revêtue, avec cette passerelle, à gauche, qui donne sur le lotissement actuel, l'allée semble publique. Au fond, de grands arbres au-delà du parc, avec des arbres aussi beaux, un espace boisé, comme indépendant, comme rendu à la nature, laissé à sa poésie. j'aime l'idée que le propriétaire ne tenait pas à avoir des ares de blé ou du vignoble en plus. Quel âge peuvent-ils avoir, ces arbres ?

Avec les dépendances, écuries et bien plus tard la cave, lors du boum de la vigne, tous ces extérieurs devaient faire partie du château de Salles. A propos d'une origine plausible du nom du village, le francique "Saal", le germanique "sala » signifient "château, demeure fortifiée, manoir" (1). 
 
Par ailleurs, le poète, auteur et chercheur cultivé, Alexandre Macabiès, qui a si bien défendu notre langue, monté comme tant d'autres, pour raison vitale à Paris, lui, comme courtier en vins à Levallois-Perret Hauts-de-Seine, heureux de rentrer au pays (2) pas vieux encore, évoque l'existence passée de deux autres châteaux à Salles-d'Aude, celui de Maurel, un kilomètre au sud (XIV ou XVe siècle) et celui de Rouch (XVIIe s., en prolongeant après le cimetière neuf, en direction de Coursan par la plaine de l'Aude, mentionné seulement en tant que ferme dans le dictionnaire topographique de Sabarthès).   
 

 Délabré, ne barrant plus le passage, un vieux portail aux bandes de fers plats rivetées marquant une époque à présent introuvable, le web détournant nos demandes exclusivement vers des sites marchands... 
 

Pas de panneau, ma foi, la tentation d'une incursion pour un papi dissipé, se souvenant trop bien du galapiat qu'il fut, justifiant un tant soit peu sa mauvaise conscience puisque, finalement, ne faisant rien de mal, voulant seulement transmettre son petit "pas grand chose"... (3)
 
 
Autre grille en fer forgé, belle, d'avant Alazet et Guilleré, les maréchaux-ferrants sinon forgerons d'une époque plus contemporaine, disons. C'est étonnant qu'elle soit encore en place alors que tout se vole et se monnaye (j'ai vu, pour les gogos, les 4700 € demandés pour un portail de récupération !)... Cette jolie grille précède une brèche dans le mur du parc... à donner encore des idées aux galopins... 
 

Plus loin, à peine, un petit pont sur un ruisseau, des Fontanelles, précise l'IGN, toujours aussi fidèle auxiliaire. (à suivre)

(1) Mention du "Castrum de Salis 1322" dans le dictionnaire topographique de l'Aude de l'abbé Antoine Sabarthès en 1322. 
(2) "Escrivi coumo lou pople parlo, es per aco que me coumpreni" (J'écris comme le peuple parle, c'est pour cela que je me comprends / 1935) "... Siai tornat al pais "natal"..." / Al pè dal foc de mon ostal / Cigala Narbonesa n° 201-202, nov-déc 1934. 
(3)  "Hâte-toi, hâte-toi de transmettre ta part de merveilleux, de rébellion, de bienfaisance." . - René Char (Commune présence).