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jeudi 4 novembre 2021

Gruissan, ses pêcheurs et l'étang de l'Ayrolle (fin).

La longue piste sur la laisse d'hiver rendue à la plage d'été, avec ses passages de sable sec à bien négocier ; la mer, toujours belle, tôt le matin, sous un soleil montant de début juillet, nue sous les écailles miroitantes d'eau soumises au faisceau encore limité de l'astre, vierge de voiles et bateaux avant que le Golfe ne les éparpille ; la plage vide quoique ensuite si peu occupée par de rares parasols. (1)

Quatre kilomètres plus loin, le grau de la Vieille Nouvelle, qui joint l'étang à la mer, au tracé et au flux  changeants. Pour bien s'en rendre compte, le site ami mais remarquable :
      

L'étang ! Perle précieuse dans les bleus ou les verts, suivant l'atmosphère, dans un écrin de sable doré ou, plus à l'intérieur, la verdure mordorée de la végétation des dunes. Puis, à droite de la vieille redoute, la réfraction de l'air réchauffé brouille la forme des pêcheurs de palourdes en un mirage digne d'un tableau de maître, imprimant à jamais la mémoire d'une émotion toujours à vif. Au fond, les pins de l'Île Sainte-Lucie et les caténaires de la voie ferrée qui loin de gâcher le panorama, amènent à se questionner sur les agissements de notre espèce. Sinon, seulement des senteurs de sel et d'iode, loin des pestilences qu'on associe trop mécaniquement aux lagunes surchauffées par les températures excessives. L'eau reste fraîche malgré une faible profondeur relative (0,75 m. en moyenne, 1,5 m au maximum). D'ailleurs,  tout à l'observation des faux cils des siphons d'un couteau, on peut se retrouver carrément au bain dans le courant d'un fossé immergé, artère qui fait respirer et nourrit, fragile garantie pour la vie de  l'étang, appelé ""cannelisse", ce dont je ne suis pas certain du tout...  
 
Photo aérienne. Source Geoportail.  
 
L'Ayrolle, j'en ai eu un aperçu l'hiver, quand le Cers donne libre cours à sa hargne et lève déjà des vagues sur l'étang. Il y avait un pêcheur à Fleury, ouvert, aimant et aimé. Nous le connaissions pour la pêche au globe, à Aude, celle, à la traîne entre Saint-Pierre et Les Cabanes. Je veux parler de Robert Vié. Il m'avait invité à le suivre sur l'étang. Un jour je retrouverai bien quelques diapos sur cette sortie : elles existent. Je n'en ai pas rêvé, lui, sur son betou, dans son ciré jaune, les pommettes rougies par le froid, les doigts gercés. Avions-nous pris des anguilles ? je ne saurais dire. Dans ces années 70, comme aujourd'hui, un camion-vivier faisait régulièrement la tournée. A l'époque Robert me disait que c'était surtout pour l'Italie où l'anguille, fumée ou non, est un poisson de luxe. 


Robert Vié

C'est sûr, j'ai beaucoup à demander aux pêcheurs de l'Ayrolle. Après l'émission, j'oserai, mieux que la dernière fois pour l'escapade à vélo sur l'Île Saint-Martin :    

"... Photos de l'Ayrolle sans la bonne odeur iodée des posidonies que les locaux appréciaient jusque pour les matelas des petits... L'étang est-il, après les calanques de Marseille notamment, envahi par ces autres algues brunes, trop vivantes elles, arrivées du Japon avec les naissains d'huîtres du bassin de Thau ?

Photos des cabanes de pêcheurs et de la cale avec les barques, les pieux et partègues ; les ganguis, trabacous et autres filets des petits métiers de l'étang. Justement un pêcheur, son placide korthal aux basques (il doit se faire vieux le pauvre), charge sa barque . 

"Pardon monsieur, est-ce que, par derrière, on peut rejoindre la route de l'Evêque ? 
- Et non il vous faut revenir jusqu'à l'embranchement... Oh ! mais vous êtes à vélo, alors suivez le canal, la route est au bout !" 
Oh qu'elles ont du chien, ces vieilles baraques, plus ou moins délabrées et pétassées ! Photos !..." 
 
https://dedieujeanfrancois.blogspot.com/2021/09/lile-saint-martin-velo-3-viree-en-terre.html

Il faudrait vous raconter aussi comme la prud'homie les unit et comment les pêcheurs fêtent Saint-Pierre. Cette cérémonie garde un lien certain avec le cimetière marin des Auzils, il faudrait l'évoquer aussi... Quant aux photos, sûr que d'y revenir sera une des priorités : les pêcheurs, heureusement, sont toujours là mais quelques "maisons rouillées", comme le chantait Trénet, menacent ruine. Elles comptent pourtant, elles aussi, pour la mémoire. 

(1) est-ce que les voitures sont autorisées sur ces presque 5 kilomètres de sable ? On comprendrait que la réponse soit NON ! La beauté, la nature se méritent... sous peine d'être vite dénaturées...



Gruissan, ses pêcheurs et l'étang de l'Ayrolle (première partie).

Thalassa, l'émission mythique, avec, pour sujet, la mer de la région Occitanie. On passe des beautés sous-marines de la Côte Vermeille à la pêche à Gruissan, plus particulièrement la pêche à l'étang de l'Ayrolle, pour finir avec la Prud'homie et la fête de Saint-Pierre. 

Bateau Thalassa à Paris wikimedia commons Author Peter Potrowl
 

C'est de vagabonder sur la cinquantaine de chaînes du "bouquet" qui m'a arrêté sur les images, si heureux de voir que les pêcheurs de l'Ayrolle restent. Et dynamiques, solidaires, sérieux quant à la ressource, respectueux des traditions, de la fête dédiée à Saint-Pierre, notamment. Au point que l'étang le leur rend bien on dirait. Allez voir plutôt ! 

 https://www.france.tv/france-3/thalassa/1274539-de-banyuls-sur-mer-a-gruissan.html?fbclid=IwAR2-HRj7k7Bzo5X5mjnWetDl8GGZ4CKoJfmI5iXijkUD7QwePy6wOnlLpVY

Et moi qui les croyais sur le déclin ! Et moi qui pensais l'étang moribond sinon mort ! Il faut dire qu'à une époque des nouvelles affligeantes nous sont arrivées, sur des maux mettant à mal la fragilité de ce milieu à part... Des ravageurs, des pillards, toute une escouade de mercenaires, venus, paraît-il, en minibus, dans la logique exacerbée de l'offre, de la demande, de l'exploitation de main-d’œuvre, auraient déversé du poison pour faire remonter les palourdes d'un commerce lucratif au profit de gens à hauts revenus, en deçà et au-delà des Pyrénées, vu le prix au bout de la chaîne. Ma consternation fut telle que j'en restai paralysé, incapable d'aller au bout de l'info. Qu'y avait-il de vrai dans la rumeur ? Représentait-elle un désastre irrécupérable ? Je le pensais.

En regardant Thalassa, touché par la lumière à part de notre Méditerranée, reprenant d'un coup les couleurs d'un monde que je croyais à jamais perdu, vibrant encore de l'avoir parcouru il y a peu parce qu'à vélo (ou à pied) le pays qu'on aborde pénètre à cœur, frémissant de la foi en héritage de ces pêcheurs si forts pour se projeter dans l'avenir, pour la première fois depuis mon incapacité au moins trentenaire à faire le deuil de cet étang aimé, c'est à eux, désormais, que je devrai demander. 

Loin des jérémiades, les causes en seraient-elles fondées, dans une dignité remarquable où domine l'attache indéfectible à leur pays de ciel et d'eau, l'attitude toute pétrie de fraternité, de communion aussi avec un milieu qu'ils veulent préserver, ils ne minimisent pas les bienfaits que l'étang offre. Au fil des images, on peut voir des loups énormes, des dorades bien royales, ainsi qu'une "perruque" géante d'anguilles s'entremêlant en vain, accumulée dans les pièges terminaux du filet qui fait barrage et les oriente. Ils ne cachent pas, ils n'exagèrent pas, ils ne sont pas dans l'exubérance dois-je ajouter à l'intention des demeurés qui, avec Renan, Méry, et même Michelet ou Hugo bien qu'en marge, sans parler du traître Maurras ou de ce salop intégral de Destouches qui aurait dû finir son voyage dans un fourgon de la gestapo fuyant dans la nuit... Pardon pour cette parenthèse digressive mais qui n'entame en rien ma sérénité... L'âme légère, je crois entendre gangui ou pantane pour désigner ces filets sauf que, plus proche de la lévitation (tous des Tartarins vantards ces Méridionaux !), loin d'une objectivité minimale, je m'en remets plutôt à Gilbert Larguier : 

Pêche, environnement et société littorale autour du golfe du Lion au XVIIIe siècle.

 https://books.openedition.org/pupvd/5358?lang=fr 

Comment rester objectif lorsqu'on l'a aimé de près, cet étang ? Pourtant, dans les années 70, la beauté du site, son cadre, l'horizon des Corbières et des Pyrénées, s'appréciait, mais de façon ordinaire, sans évaluer le caractère exceptionnel de cette nature préservée... c'est comme trouver belle la femme de qui on se sépare, comme ne voir le bonheur que lorsqu'il s'échappe... C'était un temps où tonton Vincent partait de Narbonne à mobylette pour se casser le dos sur des palourdes. Nous mêmes avons dû y aller, une ou deux fois, en début de saison. Et si, dans la baignoire du petit faisant office de "boîte à pêche", pour régaler la famille, nous rapportions, sur un lit de laitues de mer pour la fraîcheur, des moules, des huîtres plates de la race perdue, des couteaux remontés au gros sel, quelques palourdes aussi malgré la technicité de cette pêche, c'est toute une ambiance qui imprégnait tous nos sens. (à suivre)

Carte des abords au sud de Gruissan. Source et remerciements à Geoportail.