Affichage des articles dont le libellé est Lacarrière. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Lacarrière. Afficher tous les articles

mercredi 31 août 2022

Du ROUSSILLON catalan au FENOUILLEDES occitan...

 Demi-tour. Avant, un filet faisait suite à la poche grillagée du large tenillier. A présent le pêcheur amateur doit relever son petit appareil bien plus souvent, trier les prises et garder celles qui font la maille, avec une marge, l’équivalent de la dernière phalange de l’index, soit plus de deux centimètres. Où les mettre ? Le short de bain a des poches plus que suffisantes pour une assiette de tenilles.  

En piétinant, courbé sur le manche, je plains le vieux paysan de Millet sur la glèbe, dans la survie, lui. Ma position est incommode mais ce n'est qu’un loisir sauf qu'il s'agrémente d'un point de vue, pourtant au ras de l'eau, de part et d’autre : la courbe du Golfe du Lion rendue splendide parce que la Terre est ronde, une sensualité d’autant plus émouvante qu’une carte de qualité n’arrivera jamais à rendre, avec une prédisposition impérieuse à se faire la belle dans tous les sens de l’expression... Pardon mais quand on se grise de sensations... « heureux comme avec une femme » disait Rimbaud (Sensation) il n'y a aucun hasard dans la beauté des rondeurs... Y est-on déjà sensible, à quinze ans passés seulement, sans expérience ? Il n'y a pas d'âge pour une volupté de gourmet ? 
En partant des Pyrénées, les montagnes bleues descendent embrasser la mer et mettent sur un cou de déesse, un collier de plages d’or jusqu’au pêcheur-penseur hédoniste. L’esprit revient mais sur un orbe moins lointain, un deuxième cercle.

Perpignan, le dépaysement des palmiers, la gare stimulant «l’éjaculation mentale» «l’extase cosmogonique» de Salvador Dali, plus que des mots puisque l’huile sur toile mesure trois mètres par quatre ! La gare aussi des femmes assassinées si un fait divers doit venir délaver, ternir et choquer quelque peu le fantasmagorique du propos. 

Camp_of_Rivesaltes_5_October_1942 départ du 8e des 9 convois de déportés juifs. wikimedia commons Auteur tracy Strong

Rivesaltes, les fèves de février, les cinq variétés de figues du marché de septembre sur la promenade... Mais sont-ils encore là les platanes malmenés lorsque la modernité, le changement à tout prix vient balayer le respect du passé ? Avec ce coup au moral, le camp Joffre aussi, de rétention, d'internement sinon de concentration, un camp aujourd'hui militaire, de triste mémoire, pour les Républicains espagnols, les Juifs, les Tziganes, les prisonniers de guerre, les indépendantistes algériens, les Harkis ainsi que pour "l'accueil" des supplétifs de l’armée française des colonies en Afrique, en Indochine.   

Estany_de_Salses_(agost_2013) wikimedia commons Auteur Elizir

  
La morne platitude de la Salanque, les vendanges dans le Roussillon, dans un petit roman : «Adoracion», une perle écrite depuis Le Caire vers 1945, par François Tolza, un auteur dont la trace semble perdue : je ne connais de lui que le nom, rien sur le réseau. Salses, sa forteresse de ville frontière. L’Etang de même nom sans les hydravions testés pour la ligne de l’Aéropostale jusqu’au Brésil, mais avec les maisons de roseaux, les élevages de truites dans l’eau de résurgences généreuses, les huîtres dans cet Etang dit aussi « de Leucate », au pied de ces Corbières Maritimes qui pointent à 700 mètres d’altitude à seize kilomètres à peine des falaises de  Leucate-La Franqui.

Invitations aux voyages avec Henri de Monfreid loin vers Bab-el-Mandeb, Jacques Lacarrière qui ne pouvait mieux terminer sa marche à travers la France que face à cette mer, au-dessus des flots d’un bleu unique, sous une lumière aussi éclatante qu’en Grèce, le pays qui le fascina, interdit, à l’époque de sa marche, par la dictature des colonels.

Sur les hauteurs pelées qui malheureusement viennent d’être parcourues par un énième incendie d’été, la tour de guet en bas de laquelle se niche, invisible, le village d’un des plus vieux humains d’Europe, celui de Tautavel. Plus haut, peut-être emmêlées avec celles du château d’Opoul, une masse ruiniforme impressionnante évoquant d’inévitables conflits sanglants. 

Caudiès-de-Fenouillèdes_Notre-Dame-de-Laval wikimedia commons Auteur ArnoLagrange

Au couchant, les pensées, rêveries et l’imagination se libèrent à nouveau vers la boutonnière du Fenouillèdes, en bas des Corbières, ce quadrilatère peu accessible et si prenant à explorer. La barre rocheuse continue, à peine entrouverte par les gorges de Galamus formait frontière avec l’Espagne ; tel un dé sur son doigt, le château de Quéribus confirme. A l’autre bout, plus convivial, le col de St-Louis où, avec les marchandises, s’échangeait aussi, paraît-il, le dialogue devenu dicton : « Catala bourrou, gavach porc ! » (Catalan âne, occitan porc... pas simple de définir le «gavach»... on est souvent le gavach de quelqu’un dans notre Sud ; traduit par « étrangers », « montagnards »... aussi rustres et mal dégrossis les uns que les autres, le sens ne se limite pourtant pas à cette nuance péjorative). 

jeudi 4 juin 2020

UN LIVRE, UN JOUR / Alexis Zorba, Nikos Kazantsakis

La falaise de Leucate. wikimedia commons. Author Gerbil.
Hier nous étions à Leucate avec Jacques Lacarrière. Les cheveux défaits par le Cers, le regard fixe vers l'horizon, depuis la falaise blanche, plongé dans les bleus du ciel et de la Méditerranée, la mer mettant un terme à sa marche, il ne pouvait que songer à la Grèce de ses passions, suite à ses nombreux séjours entre 1950 et le coup d'état des colonels. D'ailleurs François qui nous fait la sympathie de suivre ce défi des dix couvertures de livres, nous a dit avoir adoré de lui "L'Eté Grec"... 

Lacarrière a séjourné en Crète or l'île a eu droit aux soleils de la saison 1965 avec le tube de l'été "Sirtaki". Attention ! rien qu'en musique... désolé pour Dalida si attachante par ailleurs avec par exemple les Enfants du Pirée, en 1960 mais qui s'est fourvoyée à chanter des paroles françaises complètement coupées de la Grèce des vacances... Enfin ma critique ne vaut peut-être que pour moi... Cet été là, les nuits de Saint-Pierre-la-Mer c'était quelque chose ! Aline bien sûr, Capri c'est fini, N'avoue Jamais, le Ciel, le Soleil et la Mer et ce sirtaki qui a fait planer mes quatorze ans vers le Levant ! 

Avec la musique de Mikis Theodorakis, il y a la Crète qui sert de cadre au film ZORBA. Un film tiré du livre de Nikos Kazantsakis, Alexis Zorba (1946). Anthony Quinn et son fameux sirtaki si grec, si historique et pourtant créé pour le cinéma, même s'il reprenait des thèmes musicaux authentiques, l'acteur s'étant foulé la cheville la veille du tournage. 

Et après si la jeunesse fait tourner trop vite les pages de la vie, à essayer de savoir qui je suis et pour continuer à être qui je suis, je tombe sur le livre  et rien de mieux pour bien fixer les sensations, ce qui reste vrai même à l'ère de l'Internet, même si ses lignes de force se contredisent parfois avec celles du film. 



Zorba représente le dragueur, le buveur, l'extravagant jusqu'au-boutiste fou de tout dilapider et de toujours repartir à zéro après une nouvelle phase : mille métiers, une mobilité permanente, une femme et souvent un mariage à chaque étape... Pourtant le mythe de l'homme libre qui danse pour exorciser ses doutes et extérioriser son défi lancé à l'existence compense presque. 


Sinon j'ai beaucoup apprécié l'approche sociétale d'une population méditerranéenne vers 1920. Comme en Italie, en Espagne, en Afrique du Nord, en Turquie, en France aussi, la femme assujettie par l'homme, le machisme, le poids de la religion avec ces moines grands propriétaires terriens, ce clergé pour l'ordre établi. Une constante historique aussi, l'incompatibilité viscérale entre christianisme et islam. Lépante et la Reconquista restent ancrées. Zorba s'est battu pour l'indépendance contre les Turcs (serait-ce symboliquement !) ; les Turcs commettent le génocide arménien avant de chasser les chrétiens grecs d'Anatolie... 

1965 : il y a le ciel, le soleil et la mer et le sirtaki qui fait planer mes quatorze ans vers le Levant.    

Pour un sirtaki non frelaté :    
https://www.youtube.com/watch?v=QskFT7AaKH0 

Quelques captures d'écran... merci dailymotion. 
https://www.dailymotion.com/video/xhtkw1

 

samedi 19 mai 2018

LES CORBIÈRES (bis) / Fleury d'Aude en Languedoc.

Non, ce n'est ni une erreur ni une redite mais je me devais de revoir l'article sur les Corbières.  Bien sûr cela va plus loin que la méditation d'un pêcheur de tenilles solitaire, un matin d'été, au bord du Golfe clair... 
Les Corbières ? A petits pas, tirant son engin vers Les Cabanes, sur fond de Canigou resplendissant au soleil de juillet et annonçant un temps de mer, il voit, marraines de la falaise de Leucate[1], les croupes pelées de ces Corbières maritimes, trop blanches et déjà brouillées par ces mirages fantomatiques dus aux rayons implacables.

« …Cette région des Corbières rappelle étrangement la Grèce, ne fût-ce aussi que par ce soleil printanier en cette fin de novembre, et ces vents, tour à tour montagnards et marins, fous et forts, doux ou ambrés et qui affolent partout les sommets… »
Jacques Lacarrière (1925-2005) Chemin Faisant.

Elles affirment ainsi leur présence, éclaireuses des Pyrénées, sentinelles se gardant du littoral et de la menace des voiles à l’horizon, les Corbières. 
Pour l’amateur de géographie, un quadrilatère délimité à l'Ouest et au Nord par le cours de l'Aude descendant vers la mer. A l'Est, les lagunes bordant le Golfe. Au Sud, une formidable barrière rocheuse mise en relief par le synclinal du Fenouillèdes.
Les Corbières pour lui, une contrée qui se dérobe, qui se refuse au premier venu, lourde de secrets tant telluriques que temporels, embrouillée, enchevêtrée, apparemment inextricable. Pour les approcher la méditation ne suffit pas, il doit laisser sa pêche, ouvrir les cartes. Défilent des représentations d’ensemble, de l’Aude, du relief, de géologie, à différentes échelles… Mais c’est à peine s’il arrive à en démêler un fil, à entrevoir une piste. Comment déborder ce rempart de frustration ? Il y faut un secours occulte, une apparition remontée des tréfonds de sa mémoire. 

Un port de tête un peu raide, militaire, le cheveu noir, court mais dru, le nez droit, un peu aquilin peut-être. Sous des lunettes cerclées, un œil vif, incisif. Une voix chaude propre à élever. L'expertise valorisante d'un meneur d'hommes. Il est assis au bureau, penché sur la carte, détaillant le devoir qui a triomphé de l'ennui et de la procrastination ! Il siège en commandeur mais détaille avec appétit, avec l'humanité d'un qui a su donner envie.

Sa présence demeure, montrant le chemin, en complément des contours de la France, toujours sur un mur depuis la communale, 
grâce à Vidal-Lablache[2] ! 

France frontière Nord-Est et Alsace-Lorraine Vidal-Lablache Source gallica Bnf.

Une carte pour s’approprier un tant soit peu un espace ! Un dessin plutôt qu’un discours, une description avant l’analyse et ses prolongements. 
Ce magicien ? Monsieur Sinsollier, professeur de géographie à Narbonne, années 60, collège Victor Hugo... 

Fonds de cartes utilisés pour le dessin des Corbières : 
Le département de l'Aude, Roger Bells, instituteur, éditions MDI 1970. 
Geoportail, carte Michelin 1/200.000, carte IGN 1/100.000.

[1] Le nom de Leucate vient du grec ancien λευκός (leukós) qui signifie « blancheur », « blanc ». (Wikipedia). 


[2] Paul Marie Joseph Vidal de la Blache (Pézenas 1845- Tamaris-s-Mer 1918), promoteur de la géographie balbutiante à la fin du XIXème siècle. La particule lui venant d’ancêtres laboureurs au hameau de La Blache (non loin du Puy-en-Velay), on comprend mieux qu’il ait préféré signer « Vidal-Lablache ».

Son fils, Henri Joseph Casimir (Castres 1872- Vienne-le-Château 1915), également géographe, sera tué à l’ennemi en Argonne, le 29 janvier 1915.


samedi 1 octobre 2016

ITINÉRAIRE D’UN ENFANT GÅTÉ (V) Vers les trépidations d’un monde moderne

Quelque part à gauche, Sacy, le village de cet écrivain qui se crut longtemps sans racines, sentiment révélateur du manque d’humilité des hommes avant qu’un ferment de sagesse ne vienne, avec les ans, les faire douter. Avec lui et sans évoquer pour autant et pour changer, des souvenirs de géographie avec la Champagne Pouilleuse, nous ressentons la réputation inhospitalière, marneuse, insalubre du bourg, en bas, comparée à la saine atmosphère du plateau que les voisins d’en haut se plaisent à exagérer. Ce que je garde, néanmoins, de cet homme de lettres savoureux et chaleureux, est le lien qu’il a su rétablir avec sa terre, ses racines «... je sens que ce village et ce terroir, ce minuscule finage entre quatre vallées, entre la Cure et le Serein, instillent peu à peu en moi leurs vignes, leurs forêts, leurs pierres jaunes et tendres, comme un sang séculaire revenant dans des membres longtemps ankylosés...» Jacques Lacarrière, Chemin faisant, 1977. (1) 


Des éoliennes ; on croirait les toucher tant elles sont proches. Est-ce leur stature ou la solennité des grandes pales tournant lentement qui me font songer à une croix de Lorraine monumentale, plus vers l’est, celle de De Gaulle, LE grand homme politique des soixante-seize dernières années...
Le paysage a changé, ce sont désormais de grands champs. La moisson est derrière nous ; un gros tracteur passe dans les chaumes peut-être pour casser la croûte qui étouffe la terre ; un nuage de poussière l’escorte ; ce mois d’août est très chaud, marqué par le manque d’eau et à présent la canicule. Dans l’air conditionné d’un train à 300 à l’heure, on l’oublierait presque. Plus que dans cette Bourgogne de pays enclavés, couverts de forêts, seulement traversée par les autoroutes et le rail à grande vitesse, ici les hommes sont plus à leur affaire : la rivière se double d’un canal, les voies ferrées deviennent multiples, au loin des nuées de condensation couronnent les tours d’une centrale (2). La voie longe l’autoroute (A5 après vérification) où même les voitures semblent faire du sur-place.  

     
Voici un autre village, original avec son petit clocher noir, grillon des foyers ! Comment se nomme-t-il ? Il y a bien une église marie-Madeleine dont le clocher vrille paraît-il mais ce n’est pas celui de Fouju. Rien à Crisenoy non plus pas plus que pour la collégiale Saint-Martin de Champeaux. C’est foutu ! Pour Yèbles, un site parle d’une maire noire et musulmane. Chou blanc encore ! A moins que ce ne soit celui de Courquetaine, sombre sur ses murs de pierre blanche.
L’arrêt à Marne-la-Vallée-Chessy est annoncé ainsi que la correspondance surréaliste pour Quimper ! « Disneyland station » est devenue une destination y compris pour ceux qui viennent de sortir de l’avion à Roissy. 


Roissy Charles-de-Gaulle. J’aurais voulu saluer Thomas, l’aîné si dévoué et si gentil pour ses petits frères mais n’était-ce pas aussi mettre l’accent sur le handicap de son cadet ? Nous sommes partis comme des voleurs... Les premiers en bas attendent de voir le quai se présenter à droite ou à gauche. Une jeune femme appuie à plusieurs reprises pour l’ouverture de la porte. Une autre a du mal, avec les marches, à engager les roues de la poussette. Sinon, pas d’énervement entre les sortants et ceux qui ne seront tranquilles qu’une fois à l’intérieur. 
La gare est fonctionnelle, l’ascenseur pas trop surchargé. Le temps de se retourner, si le point info est fermé, un panneau géant indique bien "Terminal C".
Flo remarque un A380... d’Emirates. File d’attente pour le vol vers La Réunion. Dommage d’avoir raté l’enregistrement en ligne. Dans la salle d’embarquement deux ou trois enfants impossibles braillent et courent partout. Quoi de plus normal pour des parents impassibles.
L’avion est plein de gosses d’ailleurs... mais ceux de ma génération qui en ont fait trois doivent aussi se poser les questions. En 1950 nous étions 2,5 milliards, multipliez par trois pour chiffrer, en gros, la population mondiale actuelle. Le vin commandé pour la dînette vient stopper net mes projections sur la planète : c’est un Côtes de Bourg 2012, un Château Lorette... buvable coupé d’eau... Ne valant pas tripette, quoi ! Mais que vaut le palais d’un languedocien culotté, à en croire les indécrottables, par les piquettes ?               

(1) Sa terre, celle des aïeux, entre Auxerrois et Terreplaine, le pénètre le jour même où il revient voir la maison léguée par la grand-tante à ses parents. Un vieux assis au soleil le regarde avancer, et à son grand étonnement :
« "C’est bien toi, Jacques ?... /... Tu ne te rappelles pas. Tu étais trop jeune. je suis le père Delphin. Tu venais en vacances ici, tout petit et je t’ai souvent pris sur les genoux. Je t’ai reconnu depuis l’église. Celui-là, c’est Jacques je me suis dit. Tu marches exactement comme ton père et ton grand-père." De ce jour, j’ai aimé Sacy pour l’accueil et le sourire de cet homme. »  
(2) L’Armançon et le Canal de Bourgogne, ensuite la centrale de Nogent s/Seine visible depuis Montereau-fault-Yonne Ladite ville tient son nom de sa position géographique au confluent de l'Yonne et de la Seine "à la fourche de l’Yonne". Mais « fault »  a été surtout compris par "faillir", "se perdre"... est-ce vraiment l’Yonne qui se perd dans la Seine ou l’inverse ? 

Photos autorisées commons wikimedia : 
1. village de Sacy chez Lacarrière auteur Roland Godefroy 
2. Nogent sur Seine La centrale vue de la D951 author AntonyB
3. MLV–Chessy auteur Clem from Paris, France