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samedi 23 décembre 2023

MARSEILLE, « tu me fends le cœur ! » (7)

 Sept, neuf centimètres, soit la taille des santons afin que les détails du visage, des habits, soient appréciables, arrêtent l'attention ; la confection du moule s’apparente, en petit et léger, à un travail de sculpture, d’ailleurs nous devons cette invention peut-être inspirée par les personnages en bois sculpté des Tyroliens ou par les santibelli de plâtre vendus par les Italiens autour du Vieux-Port, à Jean-Louis Lagnel (1764-1822) ; ainsi le village provençal avec ses métiers s’est retrouvé lié à la crèche de Noël. Contrairement à une modernité, qui, au nom des affaires, cultive l'insatisfaction permanente, le désir du toujours plus, causant un gaspillage, un gâchis aussi malsains que nocifs, un passé pas encore matérialiste du “ chaque chose en son temps ” nous faisait apprécier, guidés par un élan alors général, à la radio, seulement dans la semaine avant Noël :   

Santons_provençaux 2021 Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International Author Thomon

« Dans une boîte en carton, sommeillent les petits santons... » (1935, chanson d’Alibert, paroles René Sarvil, musique Hippolyte Ackermans). 

Dans une boîte en carton, «...le berger, le rémouleur, le Ravi, les moutons en coton... » Dans une boîte en carton, sommeille tout ce qui est caché au plus profond de nos âmes, tout ce que nous croyons perdu, à tort... tout ce que notre fort intérieur, un peu “ Cité de Carcassonne ” renferme de rétentions parfois stupéfiantes, apparemment hors de portée... il faut aiguillonner, afin qu’à l'instant “ T ”, serait-il rare, à force de surexcitation, la herse ne libérât un fond enfoui nous faisant l’effet d’une révélation plus facile à ressentir qu'à écrire... quant à le dire, n'en parlons pas... Tisonner la cendre pour en ressusciter la braise alors que le Nadalet du clocher descend à nous par la cheminée... Fada mais juste ce qu’il faut seulement pour ne pas oublier ce qui fut... Dans ce qui fut et qui reste, bien qu'énigmatiques, quelques vers dans l'ambiance me reviennent ; nous les devons à Jean Camp (bien des références sur ce blog) : 

« Bèl Nadal, me fas rebastraire
Se lo Bon Dieu m'avia causit
Auriai volgut faire, pecaire,
Davant lo monde estabosit,
De nostre Sénher, un vendemiaire
Se lo Bon Dieu m'avia causit.(1) »
Jean Camp. 

Dans les années 50-60, la crèche se nichait à l'intérieur de cette chapelle de notre église... Y est-elle toujours ? 

Jésus bébé déjà vendangeur ? sûr que les mots de Camp interpellent. Mais ils ont de bon que les santons semblent évoqués au sein de la crèche... Et les santons représentent la vie au village, sa communauté dans ces années qui voient l'enfant que j'étais apprécier l'atmosphère magique de Noël... Plutôt que le vendangeur, je verrais plutôt la vendangeuse ; encore liés au monde de la vigne si prédominant alors, le poudaire coupé en deux à tailler les sarments, la femme qui forme les boufanelles, les fagots, le cheval et sa charrette, le vigneron devant un foudre, le tonnelier, le charron, le bourrelier... j'oubliais le berger, bien sûr, du temps où en marge de La Clape, du côteau de Caboujolette, avec celle de Maurice déjà dans la garrigue, trois autres bergeries se comptaient dans ce faubourg du village. Pour la vie de tous les jours, la lavandière, la femme aux commissions, à la corvée du pissadou, les hommes acagnardés au soleil... le garde municipal... Je vous laisse prolonger. 

Marseille... Marseille, excentrée par rapport à l'Aude bien qu'étroitement liée, représentative... Que ne pourrait-on aimer, encore, de toi, en prime de la place de choix que tu laisses à Pagnol ?  la croix bleu-azur de ton drapeau, le bleu de l’OM, la classe de Robert Guediguian pourtant si populo, les camions-pizzas dès 1900, les chichis fregis de l’Estaque... Dernière carte postale avant de reposer le couvercle sur la bouillabaisse (quand ça bout, baissez le feu), celle du Palais-Longchamp à la gloire de l’eau suite au creusement par 5000 ouvriers du Canal de Marseille amenant l’eau de la Durance en 1847 après onze ans de travaux... et l'épidémie de choléra de 1835. 

Un château d'eau habillé en palais, aboutissement, au bout de 85 kilomètres (jusqu'à 93 selon certaines sources), du canal amenant l'eau de la Durance à Marseille en manque. Entre les hésitations, le coût lié au projet, trente années furent nécessaires avant la première pierre. Après les propositions des architectes Coste puis Danjoy, c'est celle d'Henri-Jacques Espérandieu (1829-1874), le protestant à qui nous devons Notre-Dame-de-La-Garde, qui est retenue malgré les attaques répétées au tribunal d'Auguste Bartholdi (sculpteur en 1886 de la statue de la Liberté) trouvant que le projet retenu ressemblait trop à ses plans. (Même Rodin, vers 1865, fut congédié pour manque de productivité [source : Eaux de Marseille]). 

Palais_Longchamp_(Marseille) 2019 Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International Auteur Arnaud 25

Palais_Longchamp 2016 Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International Author Vlad Mandyev
  

1869. Inauguration du Palais-Longchamp, son arc de triomphe château d'eau, les allégories de la Vigne et du Blé rendant hommage à la Durance au centre les ailes courbes qui l'encadrent, les cascades et bassins du jardin devant. Sinon, il est raisonnable de penser que les musées des Beaux-Arts à gauche (1873), le parc derrière, s'y sont adjoints par la suite (le musée d'Histoire Naturelle à droite est en place depuis1869 / avec le parc, le jardin zoologique de 1856 a fermé en 1987). Et il faut bien se dire que l'essentiel est caché, s'agissant de la citerne de 30.000 m3 sur un hectare, son dispositif de filtrage, une cathédrale souterraine inutilisée depuis 1969 et dont on ne fait rien, à force de mauvaise volonté, découragement et fatalisme. 

« Évidemment, c’est un pays où il n’y a pas d’eau, et surtout à cette époque, il n’y avait qu’une seule fontaine sur la place du village, qui nourrissait tout le village... » Marcel Pagnol, Pathé Journal 1971.

Marseille, crie qui tu es ! continue de crier que tu es là ! Marseille, tu me fends le cœur ! 

(1) essai de traduction : Beau Noël tu me fais imaginer (tu m'obliges à reconstituer ?) si le Bon Dieu m'avait choisi j'aurais voulu faire, peuchère, devant le monde éberlué, de notre Seigneur, un vendangeur si le Bon Dieu m'avait choisi. 

Sources Wikipédia, la page facebook “ Il était une fois Marseille ”, Marseilletourisme, Marie Pestel. 

[Retour aux sources] Sous le Palais Longchamp, les citernes "cathédrales" oubliées - Marsactu  

dimanche 21 août 2022

La GEOGRAPHIE modèle les HOMMES.

Juste une poignée (18 août 2022)

Vision depuis l'embouchure de l'Aude ; fin de ce panorama en partant des Pyrénées plongeant dans la mer, avec le Lauragais et le Tarn, avant le demi-tour vers le sud pour cette pêche aux tenilles... alors les pensées et l'imaginaire se tournent vers le nord du Golfe, la Provence, son haut-pays et au-delà...  

Saint-Felix-Lauragais wikimedia commons Auteur Asabengurtza

Le Lauragais de la polyculture, des volailles de grain, d’une humanité paysanne des années (50-60) si bien retracée par Sébastien Saffon (roman " Ceux de la borde perdue "). Loraguès aussi d’un cassoulet historique à Castelnaudary. Seuil de Naurouze, pays de cocagne pour le pastel où les moulins tournaient au vent marin devenu d’autan à l’intérieur des terres... Les rigoles de la Montagne Noire qui alimentent le Canal du Midi.

Ce tour d’horizon se termine avec le Tarn « en haut », la vallée du Thoré pour ses laines et le cuir, Mazamet connue internationalement pour sa renommée industrielle et Laurent Jalabert, champion cycliste... Castres pour son rugby et Jaurès, Lautrec, un patronyme que nous retrouverons, plus proche de notre village alors que là-bas, c'est pour un ail rose si doux en bouche.

Libre de plonger dans un panorama sans fond, dans de l’eau pourtant peu profonde, c’est inouï d’être ainsi emporté dans une exploration à côté, plus pittoresque et enrichissante qu’une vacuité de plage à cocotiers... non, je suis partial : à Mayotte aussi une culture ancienne est plus que respectable... " Chaque homme est une histoire universelle " disait Jules Michelet !

Comme le cheval dans la vigne, à un moment donné, au bout de la rangée, il faut tourner dans l’autre sens, surtout si l’instinct dit de revenir sur un possible banc de coquilles, reprendre le piétinement, s’aider de lents zigs et zags pour soulager les reins attelés à la lame qui fait geindre le sable. Tourner le dos aux Pyrénées bleues, au voyage en Espagne. 

Vers un nord toujours du Midi, quelque part à tribord, ce sont les collines de Pagnol, si cousines, par la géologie, par nature, de notre Clape. Avec la Provence, l’occitan vient, de son accent, de ses consonances, confluer avec la langue française même si le mariage entre la Durance et le Rhône n’a pas tenu, à cause des humains, pour l’économie mettant à mal la géographie (détournement des eaux), pour l’ethnocentrisme du français, langue du Jacobin dominant (qu’en est-il, chez nous encore, du romand dit francoprovençal ?). Et pourtant, ce n’est pas une ligne de crête des Alpes, montagne si présente pour l’Europe jusqu’aux Carpates de même nature, qui couperait l’entité occitane puisque la langue est officielle sur l'autre versant, dans les vallées italiennes !

Comme en pendant à l’Espagne, le cousinage avec l’Italie, le brassage avec l’immigration aussi, jusque chez nous bien que plus marqué de l’autre côté du Rhône, au point de figurer dans la littérature, la filmographie, je pense à Manon et aux charbonniers de Jean de Florette ; à Nice, les réseaux sociaux n’ayant pas que du mauvais, Bébert de Garibaldi, par ses dialogues avec sa mémé toujours en lui, fait beaucoup pour garder un parler niçard qui nous reste familier !

Et ce cinéma italien, aussi proche des méridionaux qu’il est distant avec l’Europe nordiste ! « Le Voleur de bicyclette » ou « La Strada », d’un néoréalisme touché par la vie difficile des pauvres, à la télé, parce qu’au cinéma la programmation préférait  divertir avec les péplums puis les westerns-spaghettis. 

La Durance vers Oraison wikimedia commons Auteur Wikicecilia

Pour passer en Italie, sur la route, Manosque de Jean Giono, Sisteron de Paul Arène... Le barrage de Serre-Ponçon (1), Briançon... Il est intéressant de constater que le Sud qui nous anime ne se limite pas à la façade méditerranéenne, Après les Pyrénées, les Alpes, pour Emilie Carles, Marcel Scipion et toujours la Durance descendant de là-haut.  05 Hautes-Alpes, 04, Alpes-de-Haute-Provence, oh la jolie appellation qu’on dit devoir à Jean Giono de Manosque. « L’eau vive », le film, on lui doit aussi. Comment ne pas se surprendre à fredonner « Ma petite est comme l’eau... » mise en musique et en chanson par Guy Béart. Comme la Durance « domptée » est emblématique des hommes triturant la nature à leur profit. En rejoignant Nyons par l’ancienne nationale venant de Gap, serait-ce en passant par la Drôme provençale, l’eau vive de l’Eygues fredonne de même en moi... 

(1) après une longue sécheresse, le lac a enfin vu son niveau au plus bas remonter de 20 centimètres (août 2022).