lundi 8 août 2022

L'Ariège de mes aïeux (1)

Dans les années 2000, un étudiant "de la diversité républicaine", virulent de l'anticolonialisme de par une réflexion aussi orientée que partiale, m'envoya un message violent sur mon héritage peu reluisant de colon esclavagiste. Heureusement, je m'étais intéressé à mon ascendance ariégeoise pour comprendre les raisons qui les ont poussés à descendre dans le bas pays, dans l'Aude. Aussi n'ai-je pas fait dans la dentelle en guise de réponse : 

"Espèce de salopard, à cause de la maladie des pommes-de-terre, mes ancêtres crevaient de faim en Ariège et ont dû émigrer ! Va voir plutôt les façades immorales jusque dans leurs sculptures, des trafiquants de Bordeaux, Nantes ou Saint-Malo avant de baver ta haine !" 

Avril à Montagagne : on plante les pommes de terre... (1968)

C'est trop commode de pointer du doigt, d'accuser tout un peuple autochtone et historique pour sa couleur de peau, surtout venant de nos égaux de la France ultramarine. Depuis, grâce au portail Persée et à deux articles "Disette et vie chère en Ariège à la fin de la monarchie de Juillet 1845-1847" par Philippe Morère 1920 (1) et "Le mouvement de la population en Ariège de l'an IX à 1936" de François Gadrat 1938 (2), j'en sais un peu plus sur le cas particulier que représente l'Ariège avec, en corollaire, l'émigration définitive de ma branche paternelle, trois générations en amont, entre 1870 et la fin du XIXe siècle.  

En 1845, en Ariège, 25.000 personnes sont sur le point de n'avoir plus d'aliments. En 1847 avec l'augmentation des céréales, la hantise de la famine se fait plus d'autant oppressante que les disettes chroniques de 1817 à 1837 marquent les mémoires... Plutôt voler quelques pommes de terre pour se retrouver en prison mais nourri ! 

Pour ajouter à un tableau de l'Ariège encore à contre-courant, quelques  indications. 
En 1846, le département nourrissait 55 hab/km2, dans la moyenne nationale sauf que les montagnes, moins productives, difficiles à vivre auraient dû baisser ce chiffre. Or, en 1806 c'est avec les Pyrénées que l'Ariège augmente sa population ! L'administration pense s'être trompée et refais ses comptes mais rien n'est plus vrai : les arrondissements de montagne, Foix et Saint-Girons, sont plus peuplés que la plaine !  Le montagnard s'avère être plus cultivateur qu'éleveur. Est-ce une conséquence du code forestier de 1927 réservant la forêt au charbonnier payé par les riches (alimentation des forges que possèdent ces derniers), l'interdisant au paysan qui doit garder ses bêtes à l'étable, ce qui ne peut qu'animer un cercle vicieux de mauvais rendements par manque de fumier. Aux disettes chroniques, aux mauvaises récoltes qui se répètent, s'ajoutent de fortes augmentations d'impôts. Le code forestier causa une révolte importante au point de prendre le nom de guerre (des Demoiselles 1829-1830 ), s'ensuivirent des soubresauts (1834, 1836, 1842, 1848). 


Vue de Massat et des Pyrénées depuis le col de Péguère commons wikimedia Auteur Daieuxet d'ailleurs

Mais comment pouvaient-ils vivre si nombreux (3) seulement au fond de vallées encaissées ? Sur les soulanes (à l'opposé de l'ombrée) les restes des terrasses montées à main d'homme (4) sont-ils encore visibles ? Comme partout alors à la campagne, il fallait subvenir à son besoin essentiel, l'alimentation, du sarrasin pour le pain noir, des choux, des blèdes et surtout des pommes de terre avec de la graisse, du lard ou un morceau de cochon. (à suivre)

(1) 1870-1926 naissance et décès à Mercus-Garrabet (entre Tarascon et Foix). Historien, professeur à Foix (son village natal ne le mentionne pas dans les personnalités liées à la commune). 

(2) 1891-1971, né à Foix, agrégé d'histoire et de géographie, grand blessé de guerre, professeur à khâgne Toulouse puis Paris, inspecteur général en 1945, historien de grande culture (la ville de Foix ne le mentionne pas dans les personnalités liées à la commune).   

(3) en dessous de quatre enfants, les couples "peu productifs" étaient raillés. 

(4) "... Avec leurs mains dessus leurs têtes
Ils avaient monté des murettes 
Jusqu'au sommet de la colline..." Jean Ferrat "La Montagne" 
... et remonté la terre ravalée par les orages et intempéries.  






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