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vendredi 24 août 2018

VOYAGE EN TCHÉCOSLOVAQUIE (6) / Halte ombragée à Dole.

 

Depuis cette esplanade magnifique où les camping-cars peuvent faire halte, dominant le canal et les robines des tanneurs de la Petite Venise, superbe, la Collégiale nous gratifie de son carillon dominical. 
Louis Pasteur par Nadar.
Dole, berceau de Pasteur, ville aussi d’un jeune apprenti pâtissier qui en laissera un témoignage poignant dans « La maison des Autres ». C’est bien de Bernard Clavel qu’il s’agit (1923-2010). Sa description de la salle à vivre parentale à Lons-le-Saunier, une pièce sans un livre, assaillie d’obscurité en dehors du cercle blafard et restreint autour de l’ampoule centrale me bouleverse toujours autant. Loin d’être d'une quelconque déloyauté de sa part à l’encontre d’un père et d’une mère certes pas démonstratifs comme aujourd'hui mais présents, cela peut-être perçu seulement comme un constat sur les temps difficiles qui l’ont vu grandir (il a 17 ans quand la Deuxième Guerre Mondiale éclate). 
Avec la parabole des coins noirs et vides d’écrits de la maison paternelle, Clavel, auteur de talent, autodidacte, a seulement conscience de la trajectoire qui fut la sienne.  Dans Les Fruits de l'Hiver (Goncourt 1968), il parle d'une mère aimante, exprimerait-il aussi un remord pour avoir longtemps laissés ses parents sans nouvelles. 
Il m’est arrivé de vadrouiller dans les vieilles rues de Dole et si j’en suis revenu avec un bout de ce fameux comté, c’est surtout une pâtisserie que je n’ai pas trouvé… Serait-ce dévalorisant, pour une municipalité portant aux nues Pasteur le savant, d’indiquer la pâtisserie de l’apprenti Clavel ? Lui en voudrait-on d’avoir dit que son patron dolois était « un vrai salaud » ?
Non loin de Dole, en aval, le Doubs reçoit la Loue de Tiennot cet autre personnage de l’auteur, vivant sur une île de la rivière. Et depuis cette Bresse Chalonnaise, cette montagne bleue dans le matin, cet éperon omniprésent à l’horizon, si marqué par rapport à la plaine, n’évoquait-il pas, tout au long de la route, le Revermont, les contreforts du Jura, les vignobles d’Arbois qui forment le cadre de L’Espagnol, ce roman superbe adapté à la télé en deux parties (1. L’étranger dans la vigne. 2. Les dernières vendanges.) ? Le DVD me suit, dans ma maison roulante. Il est là dans le casier des livres et des cartes. 


Retour sur la carte où la proximité du Doubs et de la Saône, délimitant un entre-deux-eaux marécageux pourrait expliquer le brouillard matinal. J’ouvre aussi le bouquin « Bourgogne » et à la fin, lors de cette halte paisible sur cette belle esplanade de Dole, face à la Collégiale (érigée en basilique mineure 1951), superbe, couvant les vieilles rues depuis Louis XII et même Philippe-le-Bel si on tient compte de la Collégiale d’origine, un article inattendu ici de Guy de Maupassant sur le Creusot.
                   
MAUPASSANT « Au Creusot.
Le ciel est bleu, tout bleu, plein de soleil. Le train vient de passer Montchanin. Là-bas, devant nous, un nuage s’élève, tout noir, opaque, qui semble monter de la terre, qui obscurcit l’azur clair du jour, un nuage lourd, immobile. C’est la fumée du Creusot. On approche, on distingue. Cent cheminées géantes vomissent dans l’air des serpents de fumée, d’autres moins hautes et haletantes crachent des haleines de vapeur ; tout cela se mêle, s’étend, plane, couvre la ville, emplit les rues, cache le ciel, éteint le soleil. Il fait presque sombre maintenant. Une poussière de charbon voltige, pique les yeux, tache la peau, macule le linge. Les maisons sont noires, comme frottées de suie, les pavés sont noirs, les vitres poudrées de charbon. Une odeur de cheminée, de goudron, de houille flotte, contracte la gorge,oppresse la poitrine, et parfois une âcre saveur de fer, de forge, de métal brûlant, d’enfer ardent coupe la respiration, vous fait lever les yeux pour chercher l’air pur, l’air libre, l’air sain du grand ciel ; mais on voit planer là-haut le nuage épais et sombre, et miroiter près de soi les facettes menues du charbon qui voltige. C’est le Creusot.
Un bruit sourd et continu fait trembler la terre, un bruit fait de mille bruits, que coupe d’instant en instant un coup formidable, un choc ébranlant la ville entière.
Entrons dans l’usine de MM Schneider… »

Les Gueules Noires, la Bande Noire, nous les avons déjà évoquées mais si la fabrication des locomotives me rappelle forcément Holoubkov, le village sur la ligne Praha-Plzeň, où se sont fixés mes grands-parents maternels,  je me dois de saluer mon oncle Stanislav, un tonton Staňa dont la présence et la personnalité ont tant compté pour moi et qui fut fondeur à l’aciérie de Hradek proche de Rokycany, en bas de la vaste forêt du Trhoň…  
Alors, quand, à mon grand étonnement se livre à moi cet article de cinq pages signé Guy de Maupassant, plutôt lié à une Normandie à la fois bourgeoise et bocagère, et que je vois moins impliqué socialement que Vallès ou Zola (même s’il a d’un côté été sensible aux destinées des filles modestes humiliées, même s’il a toujours voulu se démarquer du milieu snob et intello de la capitale), ce n’est pas sans une inclination aussi admirative qu’attendrie que je reçois ce don d’un auteur si réaliste jusque dans l’érotisme, émaillant des écrits si marquants et inoubliables depuis l’adolescence.  
Bien sûr que nous suivrons Maupassant dans l’usine Schneider, lorsque j’irai voir au moins le portail de celle de tonton, loin là-bas en pays slave, avec en tête la mélodie des « Mains d’Or » de Lavilliers.