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samedi 21 octobre 2017

“ J'AI PAS VOLÉ, PAS VOLÉ, PAS VOLÉ L’OR...” (fin) / Faites donc "Monsieur Hitler" !

  Le 18 juillet 1944, à Bretton Woods, Henri Morgenthau, ministre des finances de Roosevelt accuse la BRI (Banque pour les Règlements Internationaux) d’être instrumentalisée par les nazis... Il se garde bien de revenir sur la période antérieure à décembre 1941 qui a vu les États-Unis continuer à exporter vers l’Allemagne nazie, la BRI, en tant que prête-nom, se chargeant des transferts d’argent. 
 
    La BRI, intermédiaire entre les banques centrales européennes, a son siège à Bâle, en Suisse. En 1944, elle est contrôlée par la Reichbank qui possède plus de 70% des actions. En outre, ses actifs, à hauteur de 300 millions de francs suisses, sont aussi investis en Allemagne. Il serait anecdotique de souligner que le directeur général est français, un nommé Fournier, de la Banque de France mais aux ordres d’un commissaire allemand. Est-ce utile de préciser aussi que le directeur adjoint est allemand, ancien de la Reichbank, membre du parti nazi ? Serait-il accessoire encore de dire que le président de la banque, T.H. Mc Kittrick est américain ?
    
Dans cette logique, la BRI qui, malgré la guerre, touche, rubis sur l’ongle, les intérêts de ses investissements en Allemagne, se permet en retour, de bénéficier de devises fortes ; ainsi l’or pillé par les nazis s’en retrouve blanchi. La banque suisse qui a aussi transporté de l’or vers le Portugal pour le compte de l’Allemagne traitait qui plus est la vente du métal précieux au profit d'Hitler.
    
Avant la guerre, alors que tous les signes de son imminence sont tangibles, les gouvernements occidentaux (Angleterre, France, États-Unis) sont bien les seuls à toujours croire qu’elle est évitable (1). Dans ce but, le gouvernement anglais, ne voulant surtout pas déplaire à “Monsieur Hitler”, a favorisé le versement de la valeur de l’or tchèque vers l’Allemagne. Pauvre Tchécoslovaquie, lâchée par ses alliés, envahie et dépouillée d’avoirs censés être en sécurité en Grande-Bretagne ! C’est à mettre sur la liste des lâchetés anglaises et françaises (2) qui eurent un effet inverse à celui escompté. Triplement même puisque, Hitler encouragé dans sa politique d’agression qui augmenta d'un tiers ses capacités guerrières grâce à l'équipement et aux chars tchèques (usines Škoda principalement) bénéficia aussi des fonds nécessaires au développement de sa machine de guerre. Pis, cette politique d’apaisement se conjugua avec une impréparation certaine des alliés alors que la probabilité de la guerre se renforçait.
  
  
 La presse britannique, elle, témoigne néanmoins de cette indignité en dénigrant la BRI, une banque qui récompense avec 23 tonnes d’or (804,591 millions d’euros / cours du 18 oct 2017) l’occupation illégale d’un pays souverain. La question est posée à la Chambre des communes, le 15 mai 1938 et Chamberlain dit vrai mais ment à la fois en affirmant que l’or tchèque n’a pas été livré. Le 31 mai 1938, une dépêche de l’Associated Press en Suisse viendra confirmer la transaction.

Johan Willem Beyen (3), président de la BRI de 1937 à 1940, laisse aussi entendre qu'il s'agit d'un jeu d'écriture, "que c'est très technique", que l'or est toujours là.

Mc Kittrick, sur le point d’être nommé à la tête de la BRI, a préféré considérer que la situation était seulement comparable à ce qui s’était passé en Autriche (22 tonnes d’or transférées en Allemagne suite à l’Anschluss, l’annexion).           
Alors qu’elle ne l’a pas fait en faveur des Soviétiques pour l’or des pays baltes, La BRI a livré l’équivalent de l'or que la Banque Tchécoslovaque avait mis en sûreté à Londres. 

A la fin de la guerre T.H. Mc Kittrick fut reconduit dans ses fonctions et la BRI n’eut aucun compte à régler concernant la dénazification. 
Beyen, son président fut ministre des Affaires Étrangères des Pays-Bas jusqu'en 1956 et honoré lors du Traité de Rome (1957) pour "son rôle majeur dans la création du Marché Commun" (Wikipedia). 

Cher copain de taverne, toi qui a voulu mettre ce malaise entre nous, tu as une idée, à présent, pour ton or volatilisé... Je ne sais pas si tu es intéressé par mes déductions mais en cinquante ans, l'image de la France idiote utile se fait moins floue. Les alliés ont toujours joué de ses fiertés mal placées pour la faire suivre comme un âne qui trotte. Elle qui se voulait entre les deux blocs se retrouve engagée avec une Europe atlantiste en froid avec la Russie, complice obligée des dominateurs de Washington, représentants de commerce d'un monde pas aussi libre qu'il le prétend.    

(1) Le bellicisme allemand est analysé et annoncé bien avant 1930... Est-ce la hantise du bolchévisme, l'intégrisme capitalistique et le désir pour l'Occident de pousser Hitler contre Staline qui ont favorisé la montée en puissance du totalitarisme nazi ?.. La réponse n'est-elle pas dans la question ?  
(2) « Vous avez eu à choisir entre la guerre et le déshonneur ; vous avez choisi le déshonneur, vous aurez la guerre. » Winston Churchill à Neville Chamberlain, premier ministre, à propos des Accords de Munich (1938). Churchill a eu le mérite de dénoncer en temps utile les volontés hégémoniques de l’Allemagne. Pas écouté face à la politique d’apaisement de Baldwin puis de Chamberlain, il a même été hué pour son avis à propos des accords de Munich (sept. 1938) : « Nous avons subi une défaite totale et sans restriction » ! 
(3) considéré comme un des « Pères de l’Europe » ! Après Monnet et Schuman dont on sait qu’ils acceptèrent l’agent de la CIA, ne sautons pas comme des cabris pour une UE vraiment pas en odeur de sainteté...    

Source : Marc-André Charguéraud / Le Banquier américain de Hitler, Ed. Labor et Fides, 2004. 

photos autorisées : 
1. Holoubkov Panzer-35 Auteur  MoRsE assumed

vendredi 20 octobre 2017

“ TU AS VOLÉ, AS VOLÉ, AS VOLÉ L’OR...” / Un Monde "libre" de vous dépouiller !

Pardonnez ma pirouette avec "L'or...ange du marchand" de Gilbert Bécaud même si le hasard rapproche doublement le présent papier du premier article de ce blog en octobre 2013 : 

ČESKOSLOVENSKO / Nathalie de Bécaud ?


Des choses vous reviennent, comme ça, sans crier gare, prolongeraient-elles les récents articles
Un samedi soir à la bière, dans une auberge enfumée de Bohême. Nous sommes en 1969, peut-être 1970, chez la bleda lady de l'Hospoda U Šmucrů, la pâle tenancière  qui porte le gris du vieux crépi de la façade sur son visage fermé. Mais notre jeunesse fleurit, la blonde aidant, entre les chansons entonnées et les œillades aux jolies étudiantes, oubliant le printemps de Prague trop vite étouffé. Un samedi soir aussi rituel qu'agréable quand mon voisin jusque là inconnu de moi, me fait  :

« Et l’or des Tchèques que vous avez volé ? » 
 

Je tombe des nues, me demandant avec crainte si, déjà parjures et lâches d’avoir accepté Munich en 1938, puis l’appropriation illégale de la Bohême-Moravie par le Reich (mars 1939), nous, Français, serions aussi des voleurs. La France n’aurait-elle jamais rendu l’or confié par nos amis ? Faute d’éléments, ce soir-là, et de bouteille aussi, pas comme quand je dirai "conard" à un étudiant seulement pré-adulte osant m'écrire que l'esclavage est de mon fait parce que je suis blanc et que lui est noir (je regrette même d'avoir argumenté alors), la question se fige dans sa parenthèse : nous entonnâmes un autre air et trinquâmes à autre chose mais moins légers et chaleureux qu'à l'habitude ! 

Lui comme coincé, moi, blessé dans mon amour-propre. J'étais la France accusée de vol entre deux chansons, serait-ce par un copain de taverne accusant sans preuve. Nous sommes encore à l'âge où la réflexion, les réactions manquent de souplesse.  
 
Cette histoire ramène dans les soubresauts de la seconde guerre mondiale, au sens large, avec la “montée vers la guerre”, le chaos salement dit et les embrouilles qui suivent. Des documents, déclassifiés, remontent à la surface, tels ceux qui confirment que le capitalisme  a généré  sa créature : Hitler... Cela aurait-il changé de nos jours, avec le financement, d’abord des talibans puis des groupes terroristes ? Mais pour l’oligarchie de l’argent, (qu’ont-ils d’humain, en fait ?), spolier les nations, détrousser les peuples, escroquer les particuliers relève d’une même logique bancaire ! Notre époque en perdition à cause de la banque, bras armé tout puissant des milliardaires, ne déroge pas à la règle... Cette réalité crue devient de moins en moins contestable tout comme nous pouvons évaluer combien les principes démocratiques, de solidarité, de respect, ne sont que des mots destinés à endormir, à tromper les moins favorisés quand la petite minorité de puissants confisque toujours davantage à son profit. 

Que lui est-il passé par la tête ? L’invasion par les troupes du Pacte de Varsovie ne date que d’un an et cela peut rappeler la politique anglo-française délétère, l'hypocrisie des États-Uniens, l’assujettissement aux nazis, une trentaine d’années auparavant. 
    Près d’un demi-siècle est passé et si le temps et l’ordinateur permettent désormais de reprendre les sujets en suspens, il n’y a vraiment pas de quoi lever nos chopes, l'ennemi étant plus que jamais la finance ! 
    C’est donc une recherche sur le Net qui est à même de dire si j'ai volé. (à suivre)

carte autorisée : carte Tchécoslovaquie 1939 Auteur autorisation SVG Czechoslovakia 1939.SVG derivative work Themightyquill     
   

mercredi 18 octobre 2017

DIX-SEPT ANS, IL Y A DES LUNES (fin)... / Československo, Holoubkov


Devant nous, l’usine. Pour ne pas être en reste avec la forêt qui fume, sa respiration paisible (le rythme n’est plus celui, plus poussé, de la semaine) exhale des bouffées de vapeur diaphane qui se lovent puis déroulent au-dessus des ateliers. 
 

Une fois en bas, il faut prendre à gauche. Le vieux corps de logement ouvrier, aux allures de château, haut perché sur un soubassement de pierres de taille, nous domine. J’y connais des gens aimants qui en faisaient trop pour un petit Français resté si tchèque... La grand-mère de Tonda y habite. Sa cuisine reste imprégnée des senteurs d'épices, du cumin (khmin), de skořice, la cannelle de tous les strudel sortis du four ! Côté usine, c’est le réfectoire transformé parfois en cinéma, le samedi. J’y ai vu “Sur un arbre perché” ; Louis de Funès parlant tchèque, ça ne s’oublie pas ! 
  
Le raccourci débouche sur le barrage avec la route de Hůrky ou Medový Újezd suivant qu’on prend à droite ou à gauche après le pont du chemin de fer, là où le vallon se resserre. Elle a décrit une longue boucle descendant vers le lac. Sur l’eau, se mêlent aussi des écharpes de brume... Sûr qu’au-dessus du déversoir, le vodník, le génie des eaux, médite dans les ronds de fumée de sa pipe... 
Dans l’air frais qui les fait résonner, des halètements de locomotive se font entendre. A la faveur de la nuit passent souvent les lourds convois de l’armée. Enfant, je ne voulais que l’éruption d’escarbilles des machines à vapeur, aux grandes roues couplées patinant sur les rails, crachant leurs entrailles d’acier dans la rampe. Par la suite, malgré les bâches de camouflage, j’étais bien obligé de voir, souvent, braqués vers les étoiles, les canons des tanks d’une troisième guerre mondiale en suspens, des fûts autres que ceux, souples, oscillants, des épicéas abattus. 
Un sentier dévale vite le remblais à main droite. Strěda (tonton) s’arrête pour pisser et nous nous retrouvons à trois à arroser longuement (la bière) les pieds de bardane qui n’en demandaient pas tant. Silence. Le regard se perd au loin ou plus loin encore. Là-bas, montant du thalweg, les volutes de la loco de tête se détendent ; elles voilent quelque peu la lune. Plus bas, à l’arrière du convoi, la machine qui pousse crache, dans une quinte n’en finissant pas, un panache puissamment comprimé dont les boursouflures cachent un instant la forêt qui fume.

“ Dedo, grand-père, quand pourrons-nous aller aux champignons ? “

En descendant vers le fond glauque de la smrdlava ulička, la ruelle puante pas si désagréable pourtant (il faut que je la raconte un jour, promis), grand-père se lance dans une tirade improvisée, presque un exposé sur la pluie, les sorties, la pousse, la croissance, les lieux propices, ceux à explorer en début de cycle si les circonstances ne sont pas favorables, les conditions météo dans les mois sinon l’année qui précède. Il se laisse même aller à raconter le cèpe roi, les gros cachés sous la mousse, la rencontre avec le cerf, des histoires à repasser des dizaines de fois, dont on ne se lasse jamais, parce qu’elles sont ces pulsions de vie léguées en héritage, ces petites graines fragiles, semées à tous les vents et qui ne peuvent toutes s’éteindre.
La maison n’est pas loin et sous le pont j’aimerais plutôt prendre la route forestière de  Hůrky pour l’entendre encore des kilomètres durant, par cette nuit à la magie éternelle... Il marche, nous parle, parle aux grands arbres. Dans le fossé, les biches, les chevreuils, les lutins des sources, les gnomes des mines, les sorcières apaisées, le vodnik pensif, apprécient et se confortent de voir passer un émissaire des hommes auprès des sylves... 
  

Děda n’est plus, strejda non plus et papa qui a parfois été de la sortie vient de nous quitter. Pourtant, pas seulement l’envie, la nécessité aussi de les garder vivants, s’impose telle une évidence... L’oubli, la fuite en avant ne peuvent que précipiter la perte de la seule espèce prétentieuse de sa capacité à se pencher sur son passé.

Aujourd’hui comme quand j’avais dix-sept ans, la forêt continue de peser dans notre histoire au point de conditionner notre survie. Malheureusement, la toute puissance mortifère de l’argent sape et réduit dangereusement sa biodiversité : plus de la moitié des oiseaux a disparu depuis 1980... 

Doit-on, peut-on décemment accepter une mise à mort programmée des générations à venir parce que nous sommes coupables d’avoir tué la poule aux œufs d’or, lâches que nous sommes d’accepter des poisons chimiques dans un présent trop facilement lié à un progrès global ?   

“Rien n’est plus vivant qu’un souvenir.” a dit Federico Garcia Lorca... Que ce ne soit pas celui d’un monde mort et disparu à jamais... Quel malheur ! quelle honte pour notre génération de devoir raconter un jour à nos enfants un paradis qui leur serait interdit... 

J’avais dix-sept ans... il y a bien des lunes... 

photo autorisée : 2. l'usine derrière le barrage http://www.obecholoubkov.cz/cs/o-obci-holoubkov/

lundi 16 octobre 2017

DIX-SEPT ANS, IL Y A DES LUNES... (suite) / Československo, Holoubkov

“Rien n’est plus vivant qu’un souvenir.” Federico Garcia Lorca.

L’apparition d’un tableau, en effet, mêlant l’infini de l’univers avec, plus proche, la nature dans ce qu’elle peut créer de terrestre, de spirituel aussi, et plus à portée, en premier plan, un site industriel, ce qui ne saurait traduire seulement le matérialisme propre à notre espèce. 

Bien sûr, devant nous, en bas de “Na Pekarně” (1), la pente abrupte, le regard devrait aller spontanément à l’usine (2), la tovarna historique d’Holoubkov dont le cœur bat jour et nuit mais c’est la lune, encore oblique et juste derrière le mont Trhoň qui invite, par la vision magique qu’elle offre, à l’humilité, au respect qui élève et non à la soumission de celui qui se prosterne. Un vieux réflexe judéo-chrétien pourrait donner à voir le mont Tabor sous des rayons divins si une orthodoxie religieuse obligeait à interpréter ainsi cette luminosité aussi irréelle que renversante. L’irradiation est telle que si j’en oublie qu’elle n’est qu’un ricochet d’étoile, je me sens pénétré par une harmonie céleste. La lune, telle un vaisseau spatial qui éblouit de ses projecteurs, ouvre nos horizons, occulterait-elle, au dos de sa face sombre, l’espace infini vers les galaxies. Son éclat efface même les étoiles d’un ciel trop pur. Sur Terre, la fraîcheur vient à bout de l’impression de chaleur encore ressentie en sortant de l’hôtel... sûrement le coup de rhum pour la route, après la bière !
  

Děda (grand-père) tourne la tête vers le mont :
“ Regarde ! la forêt fume ! c’est bon pour les champignons !"
C’est vrai que sous le Trhoň, une vapeur déjà ouatée rampe autour des épicéas dont seules les pointes émergent. Sous le couvert des branches basses, sous le tapis d’aiguilles, l’humus est une matrice tiède que le mycélium investit de ses nébuleuses. Le rêve transporte facilement en enfance... Effacées les bières, les cigarettes ! Oublié ce souci d’apparence extérieure, ce désir d’exister dans les yeux des filles, choses que l’on prend trop au sérieux quand on a dix-sept ans ! 
 

Les images de Budulinek défilent comme elles défilaient grâce au petit cinéma, l'obscurité venue, par un même clair de nuit, en haut de ce même quartier “Na Rudě”. C'est un petit garçon qui habite avec ses grands-parents à l’orée de la forêt. A la belle saison, ils restent assis dehors, à voir monter la lune et le grand-père raconte des histoires d’enfants attirés puis perdus sous les sombres futaies. C’est le renard qui est venu tenter Budulinek en lui promettant un monde merveilleux, autre chose que la maisonnette et son petit jardin ! Et si l’histoire se termine bien, l’essentiel, que ce soit conscient ou non, sont ces graines semées chez l'enfant, des graines dont certaines germeront vite ou dans très longtemps ou jamais, qui sait ? A dix-sept ans peut-être.

(1) Une boulangerie a dû s'y trouver par le passé.
(2) mentionné vers 1379, le village est connu pour ses forges. La force hydraulique, la proximité de minerai de fer et les vastes forêts alentour permettent la production d’acier (un haut-fourneau a fonctionné au XVIIe siècle). Mise à part une période marquée par la production de cellulose et de pâte à papier, c’est la fabrication de machines-outils pour l’usinage des métaux (tours de mécanicien, de serrurier) qui prévaut encore aujourd'hui. En dehors de l’occupation nazie ( protectorat de Bohême-Moravie 1939-1945), notons les consonances germaniques des propriétaires successifs : Strousberg (wagons), Hopfengärtner et actuellement Weiler (KOVOSVIT pendant la période communiste ).
L’historique de la firme Weiler précise qu’Holoubkov a été un des plus anciens centres industriels de Tchéquie et peut-être d’Europe. http://www.weilercz.com/cz/ 
  

Photos autorisées : 
1. Holoubkov Trhoň Autor HudryHudry. 
2. O Budulinkovi Mandelince. Josef Lada, 1946, Nezbedne Pohadky.
3. Panorama Holoubkov HudryHudry.

samedi 14 octobre 2017

DIX-SEPT ANS, IL Y A DES LUNES... / Holoubkov, Československo


La pleine lune qui met en relief le cimier des arbres me transporte aussitôt vers une autre lune, une autre nuit, une forêt plus boréale, peut-être perdue dans un passé presque galactique.

La porte fait passer par le couloir d’entrée où donne le guichet à présent fermé de la vente à la pression (točene), au litre, au pichet, là où défilent, surtout en fin de semaine, les pichets blancs, bleus, bruns (le džbanek des grands-parents est bleu ciel, celui du grand-oncle, blanc). 
 

Dans ce hall, la senteur amère du houblon l’emporte sur le tabac froid filtrant de l’ambiance si enfumée de la grande salle encore bien remplie.  
 
 

Une fois sortis, si un roulement de voix mâles mêlées de rires gras, fait tourner la tête vers les lourds rideaux sombres de l’hôtel (réputation des buveurs oblige) tombés sur la concupiscence à la bière de ces hommes, par ailleurs si durs à la tâche, c’est la nuit qui investit nos sens. Nous traversons la nationale Praha-Plzeň qui passe devant l’établissement. A cette heure avancée, les véhicules sont rares. Au loin, seulement, un bruit de moteur crescendo, amplifié par la saignée de bitume, la montagne russe entre les épicéas. 
  

Ensuite le carrefour de la route de Hůrky (1) avec le kiosque presse-tabac, jaune et rouge pétard, pour offrir un soleil d’Espagne au ciel trop souvent couru par les nuées d’ouest. Si je n’y achetais pas les “kubánsky”, ces brunes cubaines si exotiques au pays des blondes (2), je penserais à un arrêt de bus sauf qu’un tube métallique porte l’enseigne de la ČSAD juste à côté... 

  

Logique, sur ce carrefour, cette patte d’oie qui fait graviter le village autour. D’ailleurs, à l’opposé, vers Těškov et au delà Lhota-pod-Radčem, proche du tilleul et contre le mur de la salle de bal de l’hôtel, stationne souvent la remorque-passagers des autobus Škoda (3).  
  
La nuit est trop douce, trop claire pour qu’il n’y faille rien voir et au seuil de “Na Pekarně”, la descente si raide, faite, on dirait, pour les seuls piétons, s’annonce la symbiose mystérieuse entre l’univers, la nature et l’homme cherchant à s’en émanciper... (à suivre)      

(1) elle limite le quartier “Na Rud
ě” regroupant surtout des logements ouvriers, une promiscuité en apparence sereine pour les deux bâtiments du bas tandis que les deux du haut, plus individualistes (quatre logements de plain-pied mitoyens chacun) expriment une conception du logement social méritant une mention au même titre que les villas célèbres d'Holoubkov (dont la Markova vila de 1908 / architecte Jan  Kotěra). Mes grands-parents y ont habité jusqu’au début des années 60 ; tonton et ma grande-tante y résident.  Ils aiment rester dans le jardinet, juste un lopin de terre mais, plein de fleurs ! (presque sous la route et le kiosque). Le quartier est d’autant plus aimable que la vue, au-delà du lac, en bas, de l’usine souriant peut-être de se trouver à la campagne, puis de la voie ferrée, la gare, se perd dans la forêt jusqu’en haut de croupes sombres  
(2) lieu d’achat aussi des cartes postales, des timbres pour la France et des kři
žovsky de papa (le nom m'échappe).
(3) prononcez “chkoda” et non comme dans la pub pour les bagnoles ! 


Photos autorisées : 
1. Pixabay creativ common. 
2. Svátečni hospoda. Josef Lada. 1932. Kolorovaná kresba.
3. Kiosque à Rokycany. 
4. ČSAD csUserŠJů.
5. Bus Beroun,_DOD_Probotrans, RTO městské s vlekem Author Aktron Wikimedia Commons

dimanche 16 juillet 2017

PETITE CHRONIQUE DE MA FORÊT PERDUE... / Tchécoslovaquie / Jiřina Burketova

C’est vrai que les gens du pays connaissent les coins. Certains venaient pourtant en voyage organisé : le bus se garait même en lisière de forêt mais quand ils en portaient un ou deux kilos, nous, nous en ramenions dix ! Maman me disait « j’ai besoin d’un ou deux cèpes pour la sauce » (" Potrebuju jednu nebo dvě hriby na omáčku" ? ) ... Elle les avait en temps voulu... 

Jiřina Burketova. 




mercredi 31 août 2016

NA HOUBY / Kronika / srpen 2016 / TCHÉCOSLOVAQUIE, Holoubkov ma forêt perdue.


10 / 08 / 2016 V. : « Chtěla bych se zeptat jak to vypadá z houbami na Volduchách předem děkuji. »
10 / 08 / 2016 A. : « proV.: Volduchy včera půl košiku hnědáků za 3 hodiny - více než polovina červivých. Jinak pár klouzků.»
17 : 08 / 2016 T. : « Zbirožsko a Holoubkov. Plné koše praváků - poměrně i málo červivé - jen někdy nohy. Ostatní vč. kovářů - červivé. Také jsme našli i pěkné křemenáče. Je to nádhera. Konečně jsme se dočkali. »
17 / 08 / 2016 J. : « včera Zbirožsko - malinké a zdravé hřiby hnědé, krásné malé babky. Nádherné mladé hřiby nachovýtrusé. Nebylo to v Mýtě ani v Holoubkově. V tomhle lese rostou houby "dýl", a proto teprve začínaí. Ale mělo by zapršet. »
19 / 08 / 2016 M. « Pěkný den všem - nepohybujete se někdo v okolí Zbiroha a nebo Radnic a nevíte náhodou jak je to tam s houbama? Děkuji ."»
19 / 08 / 2016 H. : « pro M. dnes ráno ve Skomelně,no ve dvou 2 košíky,ale už víme,že lepší je to ve Sklené Huti,oboje blízko Radnic. Praváky nádhera,klouzky,ale borováky-hnědé hříbky k pláči. Flíček 2x2 m. 7 hříbků a jen 2 nečervavé a tak se dá říct,že z 80 % všechny eé,u bílých 95% zdravé. Začíná být sucho,tak pospěšte! My tam byli dnes s mužem ,jeli jsme z Kladna! »
21 / 08 / 2016 M. : «Sobota neděle - okolí Strašic. Pohádka: křemenáče, praváci, kozáci, klouzci, kováři - mraky masáků a poddubáků, ty jsou ale většinou červavé. Proti loňsku nebe a dudy.»
21 / 08 / 2016 A. :    « Dnes Holoubkov a okoli překvapivě je dost, i hub hodné, ale hřibů hnědých dostatek (přebytek), dále 50-60 praváků, klouzci, jeden strakoš(a to jen za 3 hodiny tři plnych košika!!!). Z nehřibovitých masáci, holubinky a ryzce. »



23 / 08 / 2016 h. : « Dnes ve Strašicích nádhera, po deštíku roste všechno, i červivost je nižší »
25 / 08 / 2016 m. : « Lesu a houbám -zdrar,kde rostou teď na Rokycansku?díky za zprávu, »
29 / 08 / 2016  K. :    « Pro m. : Na Rokycansku už neporoste ani Prašivka o to se postarám,leda hovno najdeš. »
30 / 08 / 2016 p. : « Právě jsem se vrátil ze svých místeček a dva plné koše hřibů, převážně smrkové, část dobových a pár kovářů. Ale chtělo by to vodu, je dost sucho. Zdravím všechny houbaře. »
31 / 08 / 2016 S. « Pro m. : hodně jsme našli u Radnic, ale je to již týden... ».

počasí v srpnu 2016 :
le 8, grisaille et pluie
le 9, pluie baisse des températures de 28° à 17°
le 10, t° fraîches 18°
le 11, t° fraîches 18° pluie et grisaille
le 13, nuages présents et menaçants dans le sud averses voire orages 26°
le 14, orages en Šumava et Bohême Sud 28° 



LES CONDITIONS FAVORABLES AUX CHAMPIGNONS :
Pokud se chystáte na houby, jděte tam, kde poslední dva týdny opakovaně pršelo
Díky lepším podmínkám vláhy rostou houby více v podhorských lesích s výškou kolem 500 m a výše. Pak i tam, kde se opakovaně v posledních dvou týdnech přehnaly deště.

Source http://tn.nova.cz/clanek/houby-rostou-hlavne-hriby-tvrdi-mykolog-vime-kam-na-ne.html

Ivan K. a mis les photos 1, 2, 3, 4 les 16 et 22 août. 
François Dedieu a pris la photo 5 en 1964 et la 6 en 1970. 

lundi 1 août 2016

"ŠKODA LÁSKY...", une chanson de la Libération / Československo / Holoubkov, ma forêt perdue...

Ça commence avec une question pour ces champions d’un jeu télévisé où la réponse était « coda ». Papa rappelle aussitôt André Pesqui à la baguette décochant « coda, coda » pour le dernier morceau à jouer. Étonnant mais c’est la deuxième fois aujourd’hui que notre concitoyen pérignanais revient dans la conversation : ce matin, c’était pour dire combien le « directeur de la coopérative agricole » aimait, même adulte, monter des modèles du Meccano.
Comme souvent, avec les souvenirs, on passe facilement du coq à l’âne lorsque, se tournant vers maman, il fredonne « ta ta rara, tara tara tarara...(a) (1), tu te souviens, à Holoubkov, le Russe, dans les fourgons de l’armée soviétique, huit jours après les Américains, comme il n’arrêtait pas de nous la jouer à l’accordéon, on aurait pu lui seriner "coda, coda, coda" !..».

« Škoda lásky kterou jsem tobě dala,
škoda slzí které jsem vyplakala,
Moje mládí uprchlo tak jako sen
Ze všeho mi zbyla jenom v srdci mém vzpomínka jen. » 



Et moi, à l’ordinateur, cherchant à savoir si ce n’est pas une chanson américaine importée et traduite... Quelle idée même s’il y eut le swing, le jazz, « In the Mood » de Glenn Miller (b) ! Il était bien gentil le Russe de ne pas jouer que Katioucha (c), autre chant marquant la victoire !

"ŠKODA LÁSKY..." nous vient de l’Est, slave et mélancolique à souhait, une musique de 1929 de Jaromir Vejvoda, servie par des cuivres et qui à la Libération, déborda les frontières. Quelques paroles, quatre vers seulement dont les deux derniers repris à la fin :

« Dommage l’amour que je t’ai donné,
Dommage les larmes que j’ai versées
Ma jeunesse s’est évanouie comme un songe
D’elle, il ne me reste au coeur que mes souvenirs. »

Que cela ne fasse pas oublier, surtout, tous ces soldats venus de l’autre bord de l’Atlantique pas plus que ceux de la Volga et du Baïkal pour anéantir le nazisme (2)... En France, Le Temps des Cerises (d) et toute sa symbolique, plus que les airs légers, a marqué la Libération. Et j’allais oublier le destin de « Lili Marlene » (e), d’abord chant conquérant des Allemands puis retourné en quelque sorte lors de la reconquête des Alliés.  
Cette liesse collective, si on n’en retient pas seulement l’explosion de joie, exprimait sincèrement le soulagement et l’espoir projeté vers le futur tant le prix à payer fut lourd pour réduire les fascismes.

A écouter
(a) https://www.youtube.com/watch?v=jyI9Pj4CEdE
(b) https://www.youtube.com/watch?v=bR3K5uB-wMA
(c) https://www.youtube.com/watch?v=2SLvtP6KMUM
(d) http://www.dutempsdescerisesauxfeuillesmortes.net/50_chansons/01_temps_des_cerises_le.htm
(e) https://www.youtube.com/watch?v=Q56QzGcAKZc
Et pour la France, Fleur de Paris http://www.dutempsdescerisesauxfeuillesmortes.net/50_chansons/48_fleur_de_paris.htm

(1) pour vous donner une idée, et vraiment par charité, c’est la musique de «Frida oum papa» aux paroles si nulles, ridicules et si irrespectueuses (ce qui est parfois un mal français) de la chanson tchèque «Skoda lasky» de 1927. Le fait qu’une chanson mondialement connue ne soit reprise en France qu’au milieu des années 70 ne plaide pas pour nous non plus... Oubliez cet énième avatar de la bonne du curé et écoutez-la donc dans sa version authentique et tchèque.
Notons aussi, en flop, pour le non-respect mémoriel, «Katiusha» devenue le kazatchok par la prêtresse du bain de siège ! 
(2) ceux venus de si loin, aussi : du pays continent, de celui du long nuage blanc et ceux des colonies britanniques et françaises, et, plus proches, ces Républicains de « La Tricolor ».  

Photos : 1. carte postale. 
2 & 3 shutterstock autorisées. 
4. maman et ses deux frères.

mardi 6 octobre 2015

“ LA VIE EST A PEINE PLUS VIEILLE QUE LA MORT” / Československo / Holoubkov ma forêt perdue...

 “ LA VIE EST A PEINE PLUS VIEILLE QUE LA MORT.” Paul Valéry.    

Vendredi 2 octobre 2015. 13 heures à Mayotte, une de moins sur un chemin à l’orée d’une forêt tchèque, de celles qui annoncent déjà la taïga russe, le galop des Cosaques vers l’est lointain et, dans l’autre sens, la chevauchée des hordes aux yeux bridés. Aujourd’hui, pourtant, ce n’est pas l’enfant qui se laisse aller à sonder ses mystères profonds et magiques, c’est l’adulte qui, par la pensée, passe et repasse sur ce chemin familier où certains se retrouvent écrasés par la force du destin, parce qu’on n’en revient pas quand sonne l’heure. Vendredi à midi, tonton a pris ce chemin sans retour ; il a rejoint les nôtres, ceux qui reposent dans la clairière et vivent dans nos souvenirs. 

                                                                                     Tonton Stáňa (août 1965).

    Est-ce que je peux être là-bas malgré les kilomètres par milliers qui nous séparent ? Comment est-ce possible alors que l’installation d’une guirlande et des lampions est prévue, qui plus est, parce que ce 2 octobre marque aussi les neuf ans de mon dernier ? Qui se permettrait de gâcher la fête, d’entamer chez les enfants un pécule d’optimisme si précieux pour la suite ? Pas moi en tout cas ! Va aussi pour la musique malgache : quel que soit le ferment, tout vient, tout irradie de l’intérieur... comme quand tu t’exclamais, tonton, avec gourmandise, à propos du métissage de mon fils « Takovej pěknej čokoládovej ! » (un si joli "chocolaté") ! 

                                                      Florian vers ses 3 ans (juillet 2009)

                                                                                          Tonton Stáňa (juillet 1969)

Sa mère a fait des gâteaux au chocolat, justement ! La Vzpominka na Zbiroh de Vačkař, ce sera pour un autre moment, au calme. “To chce klid”... On le dit ainsi, non, au pays des sombres forêts ? J’ai posté des photos pour les miens, sur facebook en me demandant s’il était convenable de s’afficher ainsi ? Mais puisque ça vient de l’intérieur... Et puis nous savons tous que tout et son contraire trouvent à se justifier urbi et orbi ! Il y a des pays où les gens banquettent et trinquent sec pour un enterrement !
    Chacun garde les portraits, les scènes et les décors qu’il peut, distillés, passés par le filtre des ans, contrairement au film accéléré qui défile pour ceux sur le point de franchir le pas, s’il faut en croire ce qui en est dit. Mes images convergent, lumineuses, dans le clair-obscur du chemin où l’armée des sapins tolère une délicate bordure de noisetiers. Dessous, des framboisiers dont la tendre verdure avait attiré une biche, une fois. Instantané fugace et fragile d’un regard partagé, exaltation même de la vie avant qu’elle ne se fonde dans la coulisse ! Sûr que pour l‘avoir précédée, elle est plus forte que la mort ! Sa sérénité rassure, grandissante, palpable quand le chemin donne dans la lumière foisonnante, au grand soleil du matin.
    Dormez tranquilles, cœurs aimants... Une première ligne d’arbres garde et protège la clairière. Derrière, en renfort, la forêt veille sur l’empreinte d’un passé qui seul peut répondre de  nos traces. La famille, les amis s’en retournent et moi je reste là, les yeux baissés, la semelle roulant mes pensées avec le gravier léger, du laitier peut-être, là où la biche s’est enfuie.
    Oui, tonton, chacun partagera ses images, ses sensations, en prenant soin d’éviter les sujets qui fâchent. Nos tableaux familiers s’animeront, dans la cuisine, au jardin, près du clapier, sous les pommiers, autour du taborak, le feu de camp, dans la forêt pour les myrtilles, les champignons, pour la bière du samedi dans la fumée de l’auberge, au lac... Dis, tu te souviens du brochet qui voulait se réfugier dans les roseaux ?
    Par-dessus les pointes des sapins, une locomotive poussive halète son effort dans la côte et si l’herbe est désormais lavée du poussier des escarbilles, l’écho des bouffées se répète comme ces voix qui se sont tues mais continuent à porter...
    Excuse-moi tonton, je pars chercher tante Joséphine : j’allais l’oublier, avec ses fleurs, sur la photo de famille... 

                                                                    Tante Joséphine, assise, avec des lunettes (1985).

lundi 23 février 2015

SRNCÍ SVÍCKOVÁ mais qui a tourné / Československo / Holoubkov,ma forêt perdue

Srnčí svíčková s knedlíky a rybizovy kompot / Svíčková de chevreuil avec knedliky et sa compote de groseilles.   
 



A présent la version dure, carrément noire, sang caillé, qui ne fait pas mystère de la terrible étreinte sur l’individu de ce qui fut un totalitarisme rouge. Ces rajouts sont précisés en rouge (à lire directement pour ceux qui connaissent bien l'histoire).

Un village en Bohême. C’est l’hiver. De toute façon quelle que soit la saison, il faut avoir l’esprit débrouillard, échanger avec ses connaissances, s’entraider entre gens de confiance, garder l’esprit de troc pour s’en sortir. Le régime assure l’emploi, les soins sont en théorie gratuits mais avec un sentiment d’impatience, d’insatisfaction sinon de déception qu’il vaut mieux cacher. La république socialiste, si elle assure le  travail, si les soins en théorie gratuits sont garantis, bride et pèse sur la vie des gens. Seuls les apparatchiks, entre deux purges, profitent du système et sans la carte du parti, rien n’est facile. L’homme reste un loup pour l’homme : les tenants des lendemains qui chantent peuvent toujours chanter, les idéaux de fraternité ont été trahis et dévoyés dès le début de l’entreprise communiste. 

Grand-mère, puisque c’est d’elle qu’il s’agit, a entre 60 et 65 ans, peut-être 63. Est-ce la période où elle travaille  encore à la cementarna, la cimenterie qu’elle a réintégrée, bien qu’officiellement à la retraite ? A la maison, il faut aussi s’occuper des poules, des lapins, parfois du cochon à engraisser. Les oies, c’était à l’époque du Protectorat et après la guerre. Il y eut même Lisa, vers 1945, une chèvre, une vraie, gourmande, prompte à s’échapper de sa soupente pour arracher les fleurs, casser le pot et se moquer, telle la koza que Josef Lada sut si bien croquer ! Là, ce sont les moutons. Autrement, comment s’en sortir alors que les pénuries restent chroniques, que les files d’attente s’allongent pour la viande : « fronta na maso » et même pour les légumes quand, à Rakovnik, le tableau sur le devant de porte des « zelenyni », littéralement les "verdures", annonce pour le lendemain une hypothétique livraison de chou-fleur (karfiol) ! Lorsque dans un pays la nourriture tient lieu d’unique consolation, que la population s’y adonne même avec excès au point d’ y consacre l’essentiel des revenus,  on a tout dit... Une des principales tâches du membre disponible d’une famille consiste, en effet, à faire la queue pour la nourriture ; suivant la rumeur et le bouche à oreille, il doit aussi anticiper un arrivage improbable... Un demi-siècle a passé et pourtant nous rions encore de l’oncle Jan, content que ce soit son tour et aussitôt dépité, confus de s’entendre dire « Il n’y en a plus ! », pour du chou-fleur, justement. Si sa déconfiture prête à rire, avec le temps, sûr que sur le moment, suite à des quarts d’heure de patienc, la déception, le frustration prévalurent... J’imagine l’accueil de tante lorsqu’il est rentré les mains vides !

Mamé est disponible ce matin là puisqu’elle se charge d’emmener paître les brebis. Ou alors elle s’est dévouée avant le boulot, tôt le matin. Petit matin gris, au ciel chargé. Aujourd’hui le soleil ne pointera pas sa pâle consolation. Alors, autant avoir l’esprit au travail, une manière d’aller de l’avant, d’entretenir la vie, l’espoir, sans se laisser abattre, une manière de plier aussi, de ne pas se résigner, en attendant mieux. « Prace vola » disent les Tchèques, deux mots sous lesquels on pourrait mettre bien des choses. Babi¹ka, telle que je l’ai connue, a seulement en tête de mener sa tâche à bien, sans ménager sa peine, sans demi-mesure, comme elle l’a toujours fait. Du lever au coucher, sa journée, à la maison ou dehors, se déroule suivant la besogne programmée, l’énergie qu’il faut y consacrer. Le seul moment de détente est peut-être la partie de cartes avec la radio qui ronronne, en fin de semaine, sous la lampe, quand elle lance des piques et fait tant rire grand-père, son « dĕdka misernej » (dois-je traduire ?), quand il gagne !  

Sous son bonnet de laine, engoncée dans sa veste molletonnée et en bottes, elle a dû sortir, mamé, par l’ouverture discrète, secrète presque, donnant sur la forêt, ménagée dans la haute palissade de pieux dédoublés. Il faut passer inaperçu, ne jamais agir à la légère, toujours anticiper les mauvaises réactions, Une prudence élémentaire s’impose... mieux vaut paraître aussi insignifiant qu’hypocrite. La délation est chose courante : quelques moutons peuvent rendre jaloux et la forêt, si elle est à tous, semble plus protégée qu’elle ne l’était au temps des nobles, quand le petit peuple, complice, solidaire, se tenait les coudes pour soustraire quelques petits profits au seigneur. Sous la « Československá Socialistická Republika » (il y aurait tant à dire pour cette dénomination in extenso...), au contraire, tandis que ceux qui se croient plus égaux, comme saura le dire Coluche chez nous, dominent, les petits s’épient, se dénoncent.  Parmi eux, des zélateurs sans nuance du régime, admirateurs des procureurs intraitables contre des ennemis du peuple inventés, virulents, enragés, fanatiques, aveuglés d’idéologie, outranciers dans leur vision communautaire. Cela nous entraînerait trop loin d’embrayer sur le côté castrateur entretenu par un régime policier à l’encontre de l’individu qui doit se retenir, à moins de le payer au prix fort, de dire ce qu’il pense vu que sa liberté lui a été confisquée. Je ne pouvais néanmoins taire l’atmosphère de ces années là, parce qu’elle s’apparente à une chape de plomb qui pèse sur les relations au sein de la société. La famille même n’est pas à l’abri et l’affaire Morozov, pourtant montée en épingle par la propagande soviétique dans les années 30, si elle gonfle encore d’orgueil les mystiques des mirages prolétariens, représente une menace réelle pour une majorité obligée de suivre, de faire semblant. 



 Revenons à nos moutons qui, avec les chèvres, sont d’autant plus interdits de pacage dans la forêt qu’elle est récente, formée de jeunes plants, tels ceux peut-être qui ont servi pour la palissade. Mamé avance sans bruit. Il fait sombre entre les épicéas (smrki / sapin = jedle) mais elle connait par cœur le trajet vers ce chemin qui donne sur la route de Kralovice. La partie épaisse où il faut se garder des branches basses qui cinglent le visage s’éclaircit au niveau des dômes des fourmis rousses (mravenci, les fourmis). Un peu plus loin, en limite d’une pessière plus âgée, c’est une zone spongieuse, de mousses traîtres, peu engageante même l’été : on craint de noyer ses chaussures pour clapoter ensuite dans les chaussettes trempées alors que la sortie aux champignons commence à peine. Je pourrais en parler autrement, en évoquant le petit ruisseau qui en aval borde le jardin, retenu qu’il est par un joli barrage de terre glaise, tels ceux que construisent les enfants, toujours dans les dessins de Lada. Mais laissons-là le miracle des sources puisqu’il importe de rassasier les moutons pour épargner la réserve de foin. Le voici,  le chemin, à dix minutes seulement de la maison. Il délimite une trouée plus intime que la saignée de la ligne à haute tension (drat-a... mais peut-être disions nous "linka") où il n’est pas interdit non plus, de mener les moutons. A l’opposé du tapis d’aiguilles sous les arbres, ici l’herbe pousse haut : la ressource ne doit pas être négligée avant la première neige. « Stara », la vieille brebis broute devant, suivie de « Mala », la menue, et du petit troupeau. Attention cependant au « beran », le jeune bélier, prompt à vous encorner le postérieur, dès qu’il vous voit distrait... Encore un jaloux !



A quoi peut bien penser babi¹ka, dans la quiétude du pâtre quand les bêtes paissent en paix ? Elle pense à son aîné qui vient rarement maintenant qu’il a déménagé à Litomĕřice. Elle pense à sa fille, si loin sur les rives de la Méditerranée, en France, qui tarde à répondre à sa lettre. Si encore elle était à Strasbourg... Plus terre à terre, elle suppose que la journée de dĕda, grand-père, se passera sans anicroche : il y a tant à faire, même sans le jardin et le verger, avec tous ces animaux à soigner, à nettoyer, les corvées de bois, de charbon, un bricolage qui ne saurait attendre, le vuzej¹ek des courses qu’il faut tirer jusqu’en haut du village. Mamé fait toujours passer les siens avant. Si elle a du caractère, ce n’est pas plus pour se mettre en évidence que pour se faire plaindre.

Une voiture passe non loin et la ramène sur terre. La forêt en étouffe le bruit pour le détendre ensuite, longuement entre ses hauts fûts, jusqu’à ce qu’il n’en reste qu’un murmure qui monte, distant. Comme elle s’est tournée spontanément, un détail étrange éveille alors ses sens. Cette masse sombre contre le grillage censé protéger la faune sauvage d’une circulation même rare ? Qu’est-ce que ça peut être ?    
Laissant ses bêtes, elle s’approche. Oh ! c’est une chevrette prise dans le fil de fer, étranglée, encore tiède ! Mamé en perd sa sérénité. Nous parlions des droits historiques des serfs et vilains dans la forêt. Et bien, cela reste toujours un crime de s’emparer du gibier. Il faut, sous peine de lourdes sanctions, ne parlons pas du braconnage, le porter sans délai au siège de la « Komunisticka strana » ou d’une « vlada », une instance locale (quitte à me tromper, je cite ces mots qui ont marqué mes vacances là-bas). En France, on vous ferait croire que cette viande recherchée serait susceptible d’améliorer les menus des vieux à l’hospice ? Sauf que... charité bien ordonnée dit-on... Et puis, cet instinct qui pousse l’homme à prélever ce que la nature veut bien lui céder avant qu’un semblable ne s’en saisisse... Grand-mère n’hésite pas longtemps. Sondant le silence, elle s’assure qu’aucun témoin n’est présent, qu’elle est bien seule, avant de décrocher le chevreuil. Tremblante à l’idée de ce qui pourrait arriver, elle le traîne sous le couvert protecteur, décrit une boucle malgré les rameaux qui griffent, avant de revenir vers le fossé bordant le chemin pour cacher le butin sous des branches, contre un taillis de saules. 

« Stara, Mala tak pojte ! » Les brebis ne se font pas trop prier et grand-mère se retrouve vite devant la palissade, passe derrière ses bêtes, referme l’accès à guillotine et rentre les brebis avant de monter chez elle.

Dĕda prend son déjeuner à la cuisine. La radio débite ses litanies monocordes de propagande (1). Elle lui pose la main sur le bras, se garde des murs qui auraient des oreilles et raconte sa rencontre, tout bas, tant la crainte justifiée d’une mésaventure tragique reste présente. Le souvenir des procès de Prague plane, avec ses ramifications de haine entretenue jusque dans les écoles des villages les plus reculés. Alors, quand les puissants sont pendus au nœud coulant où eux mêmes ont passé tant de têtes, on sait que les petits peuvent disparaître du jour au lendemain, sans laisser de trace, sans qu’il n’en reste un remous... 

Tonton est arrivé de l’usine sur sa Jawa rouge, par cette même route dans la forêt, peut-être après avoir aligné deux journées en une seule (Stakhanov aussi reste emblématique du totalitarisme stalinien). Tonton, donc, est aussitôt mis au courant et renseigné sur la position exacte du taillis de saule. Un plan simple est arrêté. A la faveur de l’obscurité, la nuit tombe tôt en cette saison, il irait chercher le chevreuil par le même chemin, en prenant garde de ne pas être attendu.
Ce qui fut dit fut fait sans que la fatigue liée aux coulées d’acier et à la bière même légère (2) censée réhydrater le corps du fondeur, ne fasse, dans la nuit, trembler le couteau affûté du dépeceur (3). Si, dans le village, la famille, les alliés en ont profité, chacun sut heureusement tenir sa langue sur la provenance du gibier et la mémoire n’a gardé que le souvenir attendri et goûteux de cette chair apprêtée en svíčková, comme le filet ou l’aloyau de bœuf, accompagnée, il va sans dire, de knedlíky, avec deux cuillerées de groseille sur le côté, du sucré-salé, de l’aigre-doux, du parfum et du goût comme l’a la vie pour chacun de nous.

(1) Avant, au village, le dimanche nous avions droit à cette propagande de slogans à rallonge, déversée par les hauts-parleurs, sur un ton grave à en devenir lugubre, pour vous donner une idée, à l’opposé de la rengaine aiguë et dansante accompagnant le fourmillement incessant du peuple frère vietnamien.
(2) « lehké » en tchèque ?
(3) sa maîtrise pour le travail de la viande fait qu’on se dit toujours qu’il était plus fait pour la boucherie que pour les métiers du bâtiment ou de l’industrie lourde. 

dimanche 22 février 2015

SRNCÍ SVÍCKOVÁ S KNEDLÍKY A RYBIZOVY KOMPOT / Československo / Holoubkov, ma forêt perdue...

Srnčí svíčková s knedlíky a rybizovy kompot / Svíčková de chevreuil avec knedliky et sa compote de groseilles.  
                                  commons wikimedia.org
Je vous avais promis une version gentille, en surface, légère, gris-rose, qui finit bien, qui ne fait pas omission du contexte politique mais effleure seulement, en sous-entendus sinon en non-dits. Les lignes qui s'y réfèrent apparaissent écrites en rose.

Un village en Bohême. C’est l’hiver. De toute façon quelle que soit la saison, il faut avoir l’esprit débrouillard, échanger avec ses connaissances, s’entraider entre gens de confiance, garder l’esprit de troc pour s’en sortir. Le régime assure l’emploi, les soins sont en théorie gratuits mais avec un sentiment d’impatience, d’insatisfaction sinon de déception qu’il vaut mieux cacher.

Grand-mère, puisque c’est d’elle qu’il s’agit, a entre 60 et 65 ans, peut-être 63. Est-ce la période où elle travaille  encore à la cementarna, la cimenterie qu’elle a réintégrée, bien qu’officiellement à la retraite ? A la maison, il faut aussi s’occuper des poules, des lapins, parfois du cochon à engraisser. Les oies, c’était à l’époque du Protectorat et après la guerre. Il y eut même Lisa, vers 1945, une chèvre, une vraie, gourmande, prompte à s’échapper de sa soupente pour arracher les fleurs, casser le pot et se moquer, telle la koza que Josef Lada sut si bien croquer ! Là, ce sont les moutons. Autrement, comment s’en sortir alors que les pénuries restent chroniques, que les files d’attente s’allongent pour la viande : « fronta na maso » et même pour les légumes quand, à Rakovnik, le tableau sur le devant de porte des « zelenyni », littéralement les "verdures", annonce pour le lendemain une hypothétique livraison de chou-fleur (karfiol) ! Lorsque dans un pays la nourriture tient lieu d’unique consolation, que la population s’y adonne même avec excès au point d’ y consacre l’essentiel des revenus,  on a tout dit... 

Mamé est disponible ce matin là puisqu’elle se charge d’emmener paître les brebis. Ou alors elle s’est dévouée avant le boulot, tôt le matin. Petit matin gris, au ciel chargé. Aujourd’hui le soleil ne pointera pas sa pâle consolation. Alors, autant avoir l’esprit au travail, une manière d’aller de l’avant, d’entretenir la vie, l’espoir, sans se laisser abattre, une manière de plier aussi, de ne pas se résigner, en attendant mieux. « Prace vola » disent les Tchèques, deux mots sous lesquels on pourrait mettre bien des choses. Babi¹ka, telle que je l’ai connue, a seulement en tête de mener sa tâche à bien, sans ménager sa peine, sans demi-mesure, comme elle l’a toujours fait. Du lever au coucher, sa journée, à la maison ou dehors, se déroule suivant la besogne programmée, l’énergie qu’il faut y consacrer. Le seul moment de détente est peut-être la partie de cartes avec la radio qui ronronne, en fin de semaine, sous la lampe, quand elle lance des piques et fait tant rire grand-père, son « dĕdka misernej » (dois-je traduire ?), quand il gagne !  

Sous son bonnet de laine, engoncée dans sa veste molletonnée et en bottes, elle a dû sortir, mamé, par l’ouverture discrète, secrète presque, donnant sur la forêt, ménagée dans la haute palissade de pieux dédoublés. Il faut passer inaperçu, ne jamais agir à la légère, toujours anticiper les mauvaises réactions, Une prudence élémentaire s’impose... mieux vaut paraître aussi insignifiant qu’hypocrite. La délation est chose courante : quelques moutons peuvent rendre jaloux et la forêt, si elle est à tous, semble plus protégée qu’elle ne l’était au temps des nobles, quand le petit peuple, complice, solidaire, se tenait les coudes pour soustraire quelques petits profits au seigneur. Sous la « Československá Socialistická Republika » (il y aurait tant à dire pour cette dénomination in extenso...), au contraire, tandis que ceux qui se croient plus égaux, comme saura le dire Coluche chez nous, dominent, les petits s’épient, se dénoncent. 

           Les moutons et la palissade / diapo Franta Dedieu 1964

Revenons à nos moutons qui, avec les chèvres, sont d’autant plus interdits de pacage dans la forêt qu’elle est récente, formée de jeunes plants, tels ceux peut-être qui ont servi pour la palissade. Mamé avance sans bruit. Il fait sombre entre les épicéas (smrki / sapin = jedle) mais elle connait par cœur le trajet vers ce chemin qui donne sur la route de Kralovice. La partie épaisse où il faut se garder des branches basses qui cinglent le visage s’éclaircit au niveau des dômes des fourmis rousses (mravenci, les fourmis). Un peu plus loin, en limite d’une pessière plus âgée, c’est une zone spongieuse, de mousses traîtres, peu engageante même l’été : on craint de noyer ses chaussures pour clapoter ensuite dans les chaussettes trempées alors que la sortie aux champignons commence à peine. Je pourrais en parler autrement, en évoquant le petit ruisseau qui en aval borde le jardin, retenu qu’il est par un joli barrage de terre glaise, tels ceux que construisent les enfants, toujours dans les dessins de Lada. Mais laissons-là le miracle des sources puisqu’il importe de rassasier les moutons pour épargner la réserve de foin. Le voici,  le chemin, à dix minutes seulement de la maison. Il délimite une trouée plus intime que la saignée de la ligne à haute tension (drat-a... mais peut-être disions nous "linka") où il n’est pas interdit non plus, de mener les moutons. A l’opposé du tapis d’aiguilles sous les arbres, ici l’herbe pousse haut : la ressource ne doit pas être négligée avant la première neige. « Stara », la vieille brebis broute devant, suivie de « Mala », la menue, et du petit troupeau. Attention cependant au « beran », le jeune bélier, prompt à vous encorner le postérieur, dès qu’il vous voit distrait... Encore un jaloux !


             Pessière (forêt d'épicéas) / diapo Franta Dedieu 1964

A quoi peut bien penser babi¹ka, dans la quiétude du pâtre quand les bêtes paissent en paix ? Elle pense à son aîné qui vient rarement maintenant qu’il a déménagé à Litomĕřice. Elle pense à sa fille, si loin sur les rives de la Méditerranée, en France, qui tarde à répondre à sa lettre. Si encore elle était à Strasbourg... Plus terre à terre, elle suppose que la journée de dĕda, grand-père, se passera sans anicroche : il y a tant à faire, même sans le jardin et le verger, avec tous ces animaux à soigner, à nettoyer, les corvées de bois, de charbon, un bricolage qui ne saurait attendre, le vuzej¹ek des courses qu’il faut tirer jusqu’en haut du village. Mamé fait toujours passer les siens avant. Si elle a du caractère, ce n’est pas plus pour se mettre en évidence que pour se faire plaindre.

Une voiture passe non loin et la ramène sur terre. La forêt en étouffe le bruit pour le détendre ensuite, longuement entre ses hauts fûts, jusqu’à ce qu’il n’en reste qu’un murmure qui monte, distant. Comme elle s’est tournée spontanément, un détail étrange éveille alors ses sens. Cette masse sombre contre le grillage censé protéger la faune sauvage d’une circulation même rare ? Qu’est-ce que ça peut être ?    
Laissant ses bêtes, elle s’approche. Oh ! c’est une chevrette prise dans le fil de fer, étranglée, encore tiède ! Mamé en perd sa sérénité. Nous parlions des droits historiques des serfs et vilains dans la forêt. Et bien, cela reste toujours un crime de s’emparer du gibier. Il faut, sous peine de lourdes sanctions, ne parlons pas du braconnage, le porter sans délai au siège de la « Komunisticka strana » ou d’une « vlada », une instance locale (quitte à me tromper, je cite ces mots qui ont marqué mes vacances là-bas). En France, on vous ferait croire que cette viande recherchée serait susceptible d’améliorer les menus des vieux à l’hospice ? Sauf que... charité bien ordonnée dit-on... Et puis, cet instinct qui pousse l’homme à prélever ce que la nature veut bien lui céder avant qu’un semblable ne s’en saisisse... Grand-mère n’hésite pas longtemps. Sondant le silence, elle s’assure qu’aucun témoin n’est présent, qu’elle est bien seule, avant de décrocher le chevreuil. Tremblante à l’idée de ce qui pourrait arriver, elle le traîne sous le couvert protecteur, décrit une boucle malgré les rameaux qui griffent, avant de revenir vers le fossé bordant le chemin pour cacher le butin sous des branches, contre un taillis de saules.


                                   commons wikimedia;org

« Stara, Mala tak pojte ! » Les brebis ne se font pas trop prier et grand-mère se retrouve vite devant la palissade, passe derrière ses bêtes, referme l’accès à guillotine et rentre les brebis avant de monter chez elle.

Dĕda prend son déjeuner à la cuisine. La radio débite ses litanies monocordes de propagande (1). Elle lui pose la main sur le bras, se garde des murs qui auraient des oreilles et raconte sa rencontre, tout bas, tant la crainte justifiée d’une mésaventure tragique reste présente.


Tonton est arrivé de l’usine sur sa Jawa rouge, par cette même route dans la forêt, peut-être après avoir aligné deux journées en une seule. Tonton, donc, est aussitôt mis au courant et renseigné sur la position exacte du taillis de saule. Un plan simple est arrêté. A la faveur de l’obscurité, la nuit tombe tôt en cette saison, il irait chercher le chevreuil par le même chemin, en prenant garde de ne pas être attendu.
Ce qui fut dit fut fait sans que la fatigue liée aux coulées d’acier et à la bière même légère (2) censée réhydrater le corps du fondeur, ne fasse, dans la nuit, trembler le couteau affûté du dépeceur (3). Si, dans le village, la famille, les alliés en ont profité, chacun sut heureusement tenir sa langue sur la provenance du gibier et la mémoire n’a gardé que le souvenir attendri et goûteux de cette chair apprêtée en svíčková, comme le filet ou l’aloyau de bœuf, accompagnée, il va sans dire, de knedlíky, avec deux cuillerées de groseille sur le côté, du sucré-salé, de l’aigre-doux, du parfum et du goût comme l’a la vie pour chacun de nous.


                                    Jawa 250 pl.wikipedia;org


(1) Avant, au village, le dimanche nous avions droit à cette propagande de slogans à rallonge, déversée par les hauts-parleurs, sur un ton grave à en devenir lugubre, pour vous donner une idée, à l’opposé de la rengaine aiguë et dansante accompagnant le fourmillement incessant du peuple frère vietnamien.
(2) « lehké » en tchèque ?
(3) sa maîtrise pour le travail de la viande fait qu’on se dit toujours qu’il était plus fait pour la boucherie que pour les métiers du bâtiment ou de l’industrie lourde.