« La place Rouge était
vide
Devant moi marchait Nathalie
Il avait un joli nom, mon guide
Nathalie... »
Il avait un joli nom, mon guide
Nathalie... »
Je
vous entends fredonner ce succés de Bécaud. En 1964, son talent met en scène
une Natalya dont le charme fait oublier qu’elle est avant tout accréditée par
le régime soviétique. La veine inspirée de Bécaud répond parfaitement à cet
attrait anxieux des années 60 pour un pouvoir communiste aux organes
terrifiants sur fond de Russie éternelle avec, en France un PCF toujours
stalinien, balayant d’un revers de main les doutes, les craintes, au nom de la priorité de
la lutte contre les impérialismes.
Si
je n’étais pas alors en mesure de définir l’ambiance de l’époque et si jusqu’à
ce jour les circonstances ne m’ont pas poussé à y revenir, aujourd’hui mercredi
23 octobre, une nouvelle troublante me replonge dans cette atmosphère
particulière. Les sensations se cristallisent autour de ces années de
croissance radieuse qui nous ont peut-être gardé de basculer dans l’autre camp, en dépit d'un sentiment aussi respectueux que fraternel pour cette Armée Rouge qui
arrêta Hitler, pour ce peuple russe secoué par l’Histoire et pourtant si fécond.
Le sérieux du rejet politique est balancé par une sympathie qui trouve à
s’exprimer dans le domaine ô combien plus léger du divertissement.
Années 60. Après
le travail, chacun apprécie les deux chaînes d’État de l’ORTF. Le petit écran
s’impose dans les foyers et le cinéma a toujours autant de succès. A la télé,
est-ce Guy Lux ou toujours Jean Nohain qui présente Yvan Rebroff, à peine
descendu de sa troïka, encore sous la chapka et la pelisse d’ours ? Quelques
années plus tôt (1959), c’est Francis Lemarque qui a adapté les paroles du
« Temps du muguet » sur une célèbre chanson russe. Au cinéma, la
musique de Maurice Jarre contribue au succès international de « Docteur
Jivago » et tout le monde chante « ...ce dernier train partant pour
le chagrin... » de la
Chanson de Lara.
Mais
revenons à Gilbert Bécaud, complice de cette fascination entretenue pour la
lointaine Russie. Quand il a envie d’un chocolat au café Pouchkine, l’image
poétique est si belle qu’on est loin de se douter que ce café n’existait pas.
Et de là à penser que Nathalie, le guide aux cheveux blonds, a été inventée
aussi... Jusqu’à ce qu’une Natacha bien
réelle vienne nous rappeler la
Nathalie de Bécaud. Pour ceux qui restent attachés à l’histoire
de l’Europe, une publication de Radio-Prague en date du 22 octobre 2013 au
soir :
« Héroïne de la place Rouge en
1969, Natalya Gorbanevskaya est en République Tchèque.
Grande
figure de la dissidence en Union Soviétique sous le régime communiste, Natalya
Gorbanevskaya se trouve actuellement à Prague. Ce mardi, elle s’est ainsi vue
remettre une médaille à l’Université Charles. Poétesse et traductrice, Natalya
Gorbanevskaya a notamment manifesté, le 28 août 1968, avec sept autres
compatriotes, sur la Place Rouge,
afin de protester contre l’invasion de la Tchécoslovaquie
par les forces du Pacte de Varsovie. Immédiatement interpelée, relâchée, puis
arrêtée de nouveau en 1969 pour d’autres activités dissidentes, elle est restée
enfermée dans un hôpital psychiatrique spécial jusqu’en 1972, avant d’émigrer
en France en 1975. Elle vit depuis à Paris. Arrivée à Prague dimanche, Natalya,
aujourd’hui âgée de 77 ans, restera en république Tchèque jusqu’à mardi
prochain... »
Nathalie,
le guide aux cheveux blonds qui a emmené Gilbert sur le tombeau de Lénine et
parlé de la Révolution
d’Octobre, ce ne peut être qu’elle, non ? Ce ne pouvait être qu'elle... A peine un mois après cette révélation, une mauvaise nouvelle tombait, celle du décès, le 29 novembre 2013, d'une sentinelle pour la liberté (1).
(1) Pour informer des arrestations et condamnations des dissidents, elle avait créé la revue clandestine "Chronique des Événements en Cours".
(1) Pour informer des arrestations et condamnations des dissidents, elle avait créé la revue clandestine "Chronique des Événements en Cours".
photo autorisée commons wikipedia / prise le 12 septembre 2013.
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