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mardi 26 avril 2022

Un "RUSSE" à Pérignan (10) / Ukraine et Algérie

Comment une chronique sur un légionnaire vers 1920 peut rappeler des réalités intemporelles, ici à propos des guerres qui ne voulaient pas et ne veulent pas dire leur nom, celle d'Ukraine, trop actuelle et celle d'Algérie, cessée en 1962 mais sans paix encore possible.  

Que devient le légionnaire Porfiri Pantazi, parti d'Oran... ou du port au nom devenu pathétique et emblématique d'atermoiements  menant au désastre de Mers-el-Kébir, un de plus dans l'Histoire faisant que, à commencer par les pays qui se disent amis et alliés, quand une prétendue arrogance française est évoquée, ce ne peut être que sarcasme de leur part... Et en retour, s'il existe "la perfide Albion" en tant qu'expression datée et élitiste, nous n'avons pas la moindre saillie pour fustiger nos amis germains ou yankees... Jouant au fier-à bras grande gueule, notre pays se complait à la jouer petit-bras envers les pays du Sud et latins de sa parentèle... l'hôpital se moquant de la charité, c'est plus facile de moquer un Italien ou un Espagnol, c'est un occitan sous le joug jacobin qui vous le dit... 
Entre corrélations et prolongements par rapport à la trajectoire d'un Russe de Moldavie qui a finalement atterri dans notre village de Fleury, je m'égare d'autant plus qu'à l'idée de son paquebot laissant la baie d'Oran dans son sillage, je voulais seulement en rajouter dans le malaise particulier qui perdure entre l'Algérie et la France. 

Le légionnaire Pantazi part d'Oran pour l'Extrême-Orient. 

Oran c'est l'Algérie impactée à l'époque par les "évènements d'Algérie", une guerre pourtant, que le gouvernement ne veut pas nommer. Nous en connaissons un autre, qui, lui, interdit le mot "guerre" pour "l'opération militaire spéciale" qu'il mène contre l'Ukraine. 

Stèle_Fin_Guerre_Algérie_Baneins_2 wikimedia commons Auteur Chabe01


Oran ce sont les attentats du FLN, de l'OAS, des atrocités, des morts même après la signature des Accords d'Evian. A graver dans le marbre des grandeurs de la France... A mettre en perspective avec des rapports toujours difficiles mais de promiscuité... Rancœurs, défiance entre des divorcés loin d'avoir soldé les comptes...  

Oran néanmoins surnommée "la Radieuse", "la Joyeuse" même, comme pour marquer d'un sceau de normalité l'horreur ordinaire : c'est ainsi que les hommes vivent. 

Oran, c'est presque Mostaganem où, en 1974, inconscient, complètement ignorant des séquelles et du contentieux (tous les Français étaient dans cette situation), un jeune instituteur que je connais trop bien, voulait entraîner dans l' aventure de la coopération, la femme et les deux gosses, pour échapper aux brumes du Lyonnais et aux fins de mois difficiles dans son HLM... 

Oran, c'est presque Alger, veille de l'indépendante (1962), dans la chanson de Serge Lama 
"... L'Algérie
Écrasée par l'azur
C'était une aventure
Dont je ne voulais pas..." 

Oran et l'Algérie, ce sont deux millions de soldats français appelés (on dit aussi que Poutine est obligé d'envoyer des conscrits en Ukraine). A Fleury, malgré le cessez-le-feu des Accords d'Evian, (le cessez-le feu, pas la paix... un état qui semble perdurer depuis on dirait) dans la chaleur et un ciel d'airain de juillet 1962, on enterrait le pauvre Francis Andrieu, mort pour la France, tandis que, pour un destin plus souriant, dont un mariage avec sa sœur, Vilmain nous ramenait Maurice... 

Oran, c'est l'Algérie, et, de 1954 à 1962, la torture, les disparitions avec comme suite la traite des prisonniers dans des bagnes, des mines, des bordels, 300 000 morts, 8000 villages brûlés, plus de 2 millions de musulmans déportés... finalement Poutine est dans une continuité, une norme et le langage diplomatique, même si Biden s'en exempte, même s'il permet d'e ne pas bloquer les situations, arrange bien pour dulcifier l'inqualifiable. 

D'Oran, d'Algérie, ce sont les Harkis livrés par la France à leurs bourreaux, ce sont les Pieds-Noirs, aussi mal perçus et accueillis que le furent les Républicains espagnols... cela doit faire partie des "grandeurs" de la patrie des Droits de l'Homme... 

Alors, pour équilibrer ce triste constat, presque un réquisitoire, revenons au parcours de notre "Russe", accompagné par les penchants de mon père, rédacteur de cette chronique, pour les langues (ici le roumain, le russe et le français) qui font les différences, peuvent s'affronter, séparer mais rapprocher aussi. 

Un "Russe" à Pérignan, épisode 10. Le Canal de Suez.  

"... Et puis, le roumain, c’est la langue qu’ils parlaient à la maison. Il avait remarqué quelques ressemblances avec le français. C’est curieux, les langues, tout de même : la France est si loin de la Bessarabie, et pourtant « homme » se dit « om », comme en français, mais plus facile encore. Le Russe dit « tchelavièk » : rien de commun. Paquebot, tiens : pacbot ou vapor, comme en français. En russe, tu as parokhod ou teplokhod. Pourquoi ne pas tous parler la même langue ? ça ne fait rien, il aurait bien voulu être là, au fond de la classe, comme dans le conte d’Alphonse Daudet, à écouter ce dernier cours de russe.

C’est une jolie langue, quand même. Oui, vraiment, il était partagé : le langage de sa jeunesse scolaire, celui qui en avait fait un petit homme sachant lire et écrire ; et celui de la maison, du travail, de la vigne, la langue des pauvres. Bah ! il en avait connu, des pauvres, parmi les autres Russes. Tiens, la famille d’Anton Tchékhov, à Taganrog, sur la mer Noire. Ils étaient épiciers, et commerçants, bien sûr, comme le vieil Aaron de Kalarach, chez qui il allait deux fois par semaine acheter le pétrole, le savon, les bougies et quelques épices. Mais Aaron, lui, s’en sortait bien, il avait même refait sa devanture et repeint toute sa boutique. Il en fallait des sous pour ça. Le père de Tchékhov n’avait pas eu cette chance. Il avait fait faillite et était parti pour Moscou afin d’échapper à la prison pour dettes. Et toute la famille vivait dans une misère… Tellement que c’était pour faire vivre les siens qu’il avait fait rire ses premiers lecteurs, en écrivant dans des revues humoristiques. Porphyre avait lu la vie de Tchékhov quelque part : en français, en russe ? Il ne savait plus. Mais cela, il l’avait retenu. Il n’y avait pas que des comtes Tolstoï dans la littérature russe. Et même Tolstoï, hein, il avait bien écrit pour les enfants et pour les pauvres… 

A_Ship_in_the_Suez_Canal.tif wikimedia commons Author Zdravko Pečar

Nous voici dans le canal de Suez. On distingue bien les deux rives, ce n’est pas tellement large. Suez, c’est donc cette ville ? – Mais non, voyons, c’est Port-Saïd. Elle a l’air d’une grande ville, quand même, aussi grande que Kichinev peut-être. Le bateau s’est arrêté. Les soldats peuvent monter aujourd’hui sur les ponts du « Pasteur », tandis que le ravitaillement en charbon se poursuit. On doit aussi remplir les chambres à vivres. Il en faut, pour une armée.

Tiens, des Egyptiens avec des bourricots, tout comme les Arabes à Sidi-Bel-Abbès. Des « tânes », comme il disait au début. Et les copains qui lui répétaient : « Le français, tu l’écris comme ça se prononce. » Non, mais… ils ne se rendaient pas compte : un petit « tâne », mais un « nâne », des « zânes ». Tu étais un gros « nâne », Porphyre, de ne pas savoir tout cela. Maintenant, ça y est : il sait à peu près dominer le mystère des liaisons. Quand il apprenait à compter en français, il avait déjà remarqué quelque chose que les livres ne t’expliquent pas : « un » devenait « une », bon, comme dans toutes les langues. Pour « deux », c’était plus simple, pas de féminin spécial, mais il fallait penser au « Z » devant certains mots : deux-Z-élèves. Pour « trois », même chose. Mais s’il le mettait après « quatre », on le reprenait. Et « six », et « dix » qui se prononcent /sis/, /dis/ quand ils sont seuls, /si/, /di/ devant consonne, /siz/, /diz/ devant voyelle. C’était du sport de compter en français !.." 

François Dedieu, Un "Russe" à Pérignan / Caboujolette, Pages de vie à Fleury II, 2008.

mercredi 23 mars 2022

Un "RUSSE" à Pérignan (3)

Le ? La ? Bic, wikimedia commons Unknown author
Petit affluent (débit comparable, dans l'Aude, à celui de la Berre à Villesèque-des-Corbières) de la rive droite du Dniestr, passe à Calarasi, rivière du pays de Porphyre. La photo date de 1889, époque de sa naissance. La maison ruinée peut nous laisser penser que celle de Porphyre était en torchis recouverte de chaume ou de roseaux... Comme dans le film pathétique de Verneuil, "La 25e heure" avec Anthony Quinn en paysan roumain du delta ou de Moldavie... 
 

".. Le jeune Porphyre est déjà à l’âge où il faut aller à l’école : école russe, langue russe, alors que chez soi il faut parler roumain. Qui dira jamais les avantages et les difficultés que connaissent ces petits élèves des terres frontalières, écartelés entre plusieurs langues et fascinés de bonne heure par les tentations du voyage, du grand large, du vaste monde à parcourir ? Le russe, ma foi, cela s’apprend, et même bien. L’alphabet cyrillique n’a bientôt plus de secrets pour l’élève, et le père tout fier reconnaît au passage, lui qui déchiffre avec peine un ou deux noms par-ci, par-là, un caractère grec. Ces Grecs, quand même ! Ils étaient partout. Et sa fierté de fils exilé de la vieille patrie de Socrate va s’en trouver consolidée. 

Moldavie_(1979) wikimedia commons Author Ion Chibzii

 Pourtant, les études ne sauraient remplacer la vie aux champs. A onze ans, Porphyre a maintes fois aidé aux travaux de la vigne ; souvent il est allé faire de l’herbe pour les lapins. Il a connu ces départs de grand matin où l’horizon, là-bas, vers la vallée du Dniester, s’habille de brume. Quel plaisir de respirer à pleins poumons l’air de la campagne !

Mais que de travail aussi : préparer le maïs et les pommes de terre pour la pâtée du cochon, « soigner les bêtes », comme on dit, tailler la vigne, travailler à la houe, sulfater et soufrer, vendanger, labourer – il va commencer sans doute à treize ans – on n’en finit plus ! Et quelle misère ! Le foyer s’est enrichi (comme ce verbe sonne…) de trois filles, et Porphyre partage à présent les plus durs travaux avec son père. Heureusement, le soir, et quelquefois à midi quand on ne prend pas le manger à la vigne, il y a maman. Elle, Roumaine dans l’âme, lui a inculqué l’amour de sa patrie perdue. Non, ils n’ont pas toujours été aussi nécessiteux. Certes, ils peuvent manger à leur faim ; mais le vin ne se vend pas, ou se vend mal. Ils sont vêtus comme des mendiants : pas moyen d’acheter le moindre costume à Kalarach. Et Kichinev, c’est comme le tsar du proverbe russe : que c’est loin…"

François Dedieu.

Prolongements : 

"petits élèves .../... écartelés entre plusieurs langues..." 
Aujourd'hui, le constat est net, le bilinguisme sinon le plurilinguisme apportent beaucoup  au développement intellectuel de l'enfant. 

 "... fascinés.../... par les tentations du voyage." 
Les bords de la Mer Noire, entre l'Est et l'Ouest, le Nord et le Sud, évoquent le carrefour commercial (Grecs, Perses, Romains, Varègues, Russes, Byzantins,Venise, Gênes...),la route de la soie, les invasions (Huns, Mongols, Tatars, Turcs...), la rivalité Russo-Turque... Mais aussi des populations restées sur place pour des conditions plutôt favorables à l'agriculture. 
Eternel dilemme dont les extrêmes se traduisent par "partir en emportant sa terre à la semelle de ses souliers" ou "rester à toujours fouler son coin de terre" et, entre les deux, "partir pour revenir un jour". 

Les noms de lieux : la tendance est à respecter la langue en vigueur. De même qu'on préfèrera "Beijing" à "Pékin" sinon, pour des raisons politiques, il vaut mieux dire "Kyiv" que "Kiev", idem pour "Kharkiv". Au pays de Porphyre Pantazi où le roumain s'oppose à la langue de l'occupant russe, on dira "Chisinau" pour Kichinev, "Călărași" pour Kalarach. Quant au village natal de Porphyre, ce doit être "Tuzara" comme indiqué sur la carte.

dimanche 20 mars 2022

ESPAGNOLS, ITALIENS, GITANS, migrants divers au village pour parler du GREC plutôt "RUSSE"...

La guerre entre frères, la mort en Europe... On en reste muets de consternation et pourtant il y a tant à dire sur le crime de Poutine, tant de fils historiques à remonter... Pas question ici, de refaire l'Histoire face à l'autodestruction, sous notre même toit, de deux membres, quand toute la famille pourrait y passer, qu'elle s'en mêle ou non... Quand j'étais gamin, au cinéma du village, le père Barthe nous avait commenté son film sur les Papous : ils chassaient les têtes puis se mangeaient entre eux, de village à village, de vengeance en vengeance... Qui serait évolué ? Qui est arriéré si la quête de lumière aboutit à l'aveuglement atomique ? L'Humanité reste aussi fascinée qu'éblouie par un feu d'artifice, sauf que le bouquet final sera le dernier... 


Je préfère ces étincelles que dans nos yeux allument ces différences entre semblables. Qu'est-ce que j'ai pu voyager dans ma tête grâce aux vendangeurs espagnols, porteurs d'un souffle plus fort que celui d'un écrivain, d'un cinéaste plus lointain, moins accessible à l'enfant, à l'adolescent. Au village, il y avait aussi les Italiens (le 21 mars, à 20h 55, Arte programme La Strada... je réserve ma soirée), les Gitans qu'on appelait "Caraques". Pour cause de mariage, dans la rue de mes grands-parents, la Polonaise, pas loin une Algérienne, je crois, dans la dernière maison avant les vignes du coteau, les Allemands aussi, restés après la guerre... et je ne sais pas s'ils n'ont pas dit de ma mère, "la Tchèque" ou "l'étrangère"... 

Si les lectures apportent encore à cette polychromie enrichissante, il en est une, singulière, qui me ramène non loin de la maison paternelle. D'ailleurs je la dois à mon père dans une monographie en deux volumes pour laquelle, concernant sa partie, je lui ai forcé la main. A propos de Fleury-d'Aude, notre village natal, entre les chapitres "L'hiver" et "Premiers sourires du printemps", n'y cherchons pas une quelconque logique, se trouvent insérées une quinzaine de pages bien tassées (c'est une autoédition). Le titre : "Un Russe à Pérignan" (1). Parlons-en justement de ce Russe à Pérignan.  



Papa n'avait pas pour habitude de se mettre en avant. Si je me doute que c'est par amour des langues, pour le plaisir d'échanger, de faire vivre l'humanisme qui rapproche les grandes familles de langues en Europe , ce qui lui importait beaucoup (il en parlait sept) , rien n'a percé des visites qu'il a dû rendre auprès de ce Russe au village, des notes, du récit qu'il en fit. Laissons-lui la parole.   

" Un "Russe" à Pérignan. 

19 juin 1974 : 

Une soirée qui annonce l’été tout proche. Dans la rue baptisée « Rampe de la Terrasse », les gens prennent le frais, assis au dehors. Les uns ont sorti leur chaise, qu’ils enfourchent souvent à califourchon pour mieux reposer sur le dossier leurs bras fatigués d’une journée de labeur. D’autres se sont mis sur les bancs de ciment prévus à cet effet.

Monsieur Pantazi est là aussi ce soir. Sans s’en douter, il vit les dernières heures d’une vie bien remplie. A minuit, la crise cardiaque va le réveiller, puis le terrasser. Il aura le temps d’aller à la cuisine, de frapper en passant à la porte de la femme dont il partage la maison depuis tant d’années, et, tandis que la vieille dame lui fait une tisane qu’il ne boira jamais, que la bave de l’agonie lui monte déjà aux lèvres, qu’il montre du doigt, sur une demande, la place du cœur, il revoit dans un vertige les vignes de sa Bessarabie natale, les visages aimés et depuis si longtemps disparus ; un nom chante à ses oreilles : Touzora. Et tout est fini… " François Dedieu. 

(1) le nom d'origine du village, historiquement repris et supprimé, au moins à deux reprises. 

Fleury-d'Aude. Rampe de la Terrasse.