".. Le jeune Porphyre est déjà à l’âge où il faut aller à l’école : école russe, langue russe, alors que chez soi il faut parler roumain. Qui dira jamais les avantages et les difficultés que connaissent ces petits élèves des terres frontalières, écartelés entre plusieurs langues et fascinés de bonne heure par les tentations du voyage, du grand large, du vaste monde à parcourir ? Le russe, ma foi, cela s’apprend, et même bien. L’alphabet cyrillique n’a bientôt plus de secrets pour l’élève, et le père tout fier reconnaît au passage, lui qui déchiffre avec peine un ou deux noms par-ci, par-là, un caractère grec. Ces Grecs, quand même ! Ils étaient partout. Et sa fierté de fils exilé de la vieille patrie de Socrate va s’en trouver consolidée.
Moldavie_(1979) wikimedia commons Author Ion Chibzii |
Pourtant, les études ne sauraient remplacer la vie aux champs. A onze ans, Porphyre a maintes fois aidé aux travaux de la vigne ; souvent il est allé faire de l’herbe pour les lapins. Il a connu ces départs de grand matin où l’horizon, là-bas, vers la vallée du Dniester, s’habille de brume. Quel plaisir de respirer à pleins poumons l’air de la campagne !
Mais que de travail aussi : préparer le maïs et les pommes de terre pour la pâtée du cochon, « soigner les bêtes », comme on dit, tailler la vigne, travailler à la houe, sulfater et soufrer, vendanger, labourer – il va commencer sans doute à treize ans – on n’en finit plus ! Et quelle misère ! Le foyer s’est enrichi (comme ce verbe sonne…) de trois filles, et Porphyre partage à présent les plus durs travaux avec son père. Heureusement, le soir, et quelquefois à midi quand on ne prend pas le manger à la vigne, il y a maman. Elle, Roumaine dans l’âme, lui a inculqué l’amour de sa patrie perdue. Non, ils n’ont pas toujours été aussi nécessiteux. Certes, ils peuvent manger à leur faim ; mais le vin ne se vend pas, ou se vend mal. Ils sont vêtus comme des mendiants : pas moyen d’acheter le moindre costume à Kalarach. Et Kichinev, c’est comme le tsar du proverbe russe : que c’est loin…"
François Dedieu.
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