mercredi 23 mars 2022

Un "RUSSE" à Pérignan (3)

Le ? La ? Bic, wikimedia commons Unknown author
Petit affluent (débit comparable, dans l'Aude, à celui de la Berre à Villesèque-des-Corbières) de la rive droite du Dniestr, passe à Calarasi, rivière du pays de Porphyre. La photo date de 1889, époque de sa naissance. La maison ruinée peut nous laisser penser que celle de Porphyre était en torchis recouverte de chaume ou de roseaux... Comme dans le film pathétique de Verneuil, "La 25e heure" avec Anthony Quinn en paysan roumain du delta ou de Moldavie... 
 

".. Le jeune Porphyre est déjà à l’âge où il faut aller à l’école : école russe, langue russe, alors que chez soi il faut parler roumain. Qui dira jamais les avantages et les difficultés que connaissent ces petits élèves des terres frontalières, écartelés entre plusieurs langues et fascinés de bonne heure par les tentations du voyage, du grand large, du vaste monde à parcourir ? Le russe, ma foi, cela s’apprend, et même bien. L’alphabet cyrillique n’a bientôt plus de secrets pour l’élève, et le père tout fier reconnaît au passage, lui qui déchiffre avec peine un ou deux noms par-ci, par-là, un caractère grec. Ces Grecs, quand même ! Ils étaient partout. Et sa fierté de fils exilé de la vieille patrie de Socrate va s’en trouver consolidée. 

Moldavie_(1979) wikimedia commons Author Ion Chibzii

 Pourtant, les études ne sauraient remplacer la vie aux champs. A onze ans, Porphyre a maintes fois aidé aux travaux de la vigne ; souvent il est allé faire de l’herbe pour les lapins. Il a connu ces départs de grand matin où l’horizon, là-bas, vers la vallée du Dniester, s’habille de brume. Quel plaisir de respirer à pleins poumons l’air de la campagne !

Mais que de travail aussi : préparer le maïs et les pommes de terre pour la pâtée du cochon, « soigner les bêtes », comme on dit, tailler la vigne, travailler à la houe, sulfater et soufrer, vendanger, labourer – il va commencer sans doute à treize ans – on n’en finit plus ! Et quelle misère ! Le foyer s’est enrichi (comme ce verbe sonne…) de trois filles, et Porphyre partage à présent les plus durs travaux avec son père. Heureusement, le soir, et quelquefois à midi quand on ne prend pas le manger à la vigne, il y a maman. Elle, Roumaine dans l’âme, lui a inculqué l’amour de sa patrie perdue. Non, ils n’ont pas toujours été aussi nécessiteux. Certes, ils peuvent manger à leur faim ; mais le vin ne se vend pas, ou se vend mal. Ils sont vêtus comme des mendiants : pas moyen d’acheter le moindre costume à Kalarach. Et Kichinev, c’est comme le tsar du proverbe russe : que c’est loin…"

François Dedieu.

Prolongements : 

"petits élèves .../... écartelés entre plusieurs langues..." 
Aujourd'hui, le constat est net, le bilinguisme sinon le plurilinguisme apportent beaucoup  au développement intellectuel de l'enfant. 

 "... fascinés.../... par les tentations du voyage." 
Les bords de la Mer Noire, entre l'Est et l'Ouest, le Nord et le Sud, évoquent le carrefour commercial (Grecs, Perses, Romains, Varègues, Russes, Byzantins,Venise, Gênes...),la route de la soie, les invasions (Huns, Mongols, Tatars, Turcs...), la rivalité Russo-Turque... Mais aussi des populations restées sur place pour des conditions plutôt favorables à l'agriculture. 
Eternel dilemme dont les extrêmes se traduisent par "partir en emportant sa terre à la semelle de ses souliers" ou "rester à toujours fouler son coin de terre" et, entre les deux, "partir pour revenir un jour". 

Les noms de lieux : la tendance est à respecter la langue en vigueur. De même qu'on préfèrera "Beijing" à "Pékin" sinon, pour des raisons politiques, il vaut mieux dire "Kyiv" que "Kiev", idem pour "Kharkiv". Au pays de Porphyre Pantazi où le roumain s'oppose à la langue de l'occupant russe, on dira "Chisinau" pour Kichinev, "Călărași" pour Kalarach. Quant au village natal de Porphyre, ce doit être "Tuzara" comme indiqué sur la carte.

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