En bas, dans la cuisinette, sur l’étagère qui prolonge la
tablette de la cheminée, un vieux réveil, une chope au verre terni, des boîtes
de fer blanc aux carreaux blancs et bleus pour le sucre, la farine et la
gamelle des vendanges. Le père a bricolé l’anse avec un bouchon pour garder
fermé l’étage hors-d’œuvre sur le repas au fond, que tout ne soit pas versé et
perdu pour manger à la vigne.
Tandis qu’on estanque (étancher en français) les comportes, la
fièvre des vendanges monte par degrés. Déjà, au 15 août, les familles ont mis
fin à la saison à la mer pour regagner le village et se préparer.
Avec les jours qui passent, aux
repas, on évalue ce qui se dit au village, on soupèse les infos, on balance
entre attendre et y aller. Attendre le degré supplémentaire qui rapportera
davantage ? Y aller au cas où le temps se gâterait ? Faire Perrette
ou un tiens plutôt que deux tu l’auras ?
Souche de carignan. 2006. Depuis la vigne a été arrachée... |
« Un tel est allé chercher les Espagnols à la gare. Ils
commencent lundi. »
Les plus hardis, moins influençables et moutonniers, toujours les mêmes, se
décident, bientôt suivis par le gros du groupe grégaire. Les retardataires
habituels, eux, s’affolent ou donnent le change en jouant les philosophes. Il faut
rentrer la récolte, question de vie ou de survie. Le chariot a été révisé. Les seaux sont comptés, les ressorts
des sécateurs graissés…
Qui a dit que je porte le béret pour faire du chiquet ? Photo François Dedieu |
Ah ce premier matin ! Quelle animation dans les
rues ! Les épiciers, les boulangers sont ouverts ; les clients
défilent ; une bonne odeur de pain chaud flotte dans l’air encore frais.
Le village résonne du sabot des chevaux, des moteurs des camionnettes et
camions emportant les colos[1]
à la vigne. Une fumée bleue poursuit une mobylette, un chien poursuit une
bicyclette. Un cortège de chariots et de tracteurs s’égrène vers les sorties du
village. Les chevaux de trait, rendus nerveux, sont menés par la bride, en
attendant que le patron puisse s’asseoir sur le côté, les rênes à la main,
devant la roue, au-dessus du marchepied, en position de croisière, une fois en
rase campagne. Les vendangeuses, assises sur une planche à même deux comportes
retournées, ou derrière, laissant balancer les jambes. On se salue, on
s’encourage, on plaisante. Le ton est vif, jovial et si derrière les rires,
avec l’énergie et la détermination qui transparaissent, pointe un peu le souci
de mener à bien la rentrée du produit de l’année.
[1] La colo est une
équipe de vendangeurs avec 1 charrieur (brouette), 1 videur de seaux quicheur pour 4 coupeuses. Les grandes coles sont formées de multiples
Colo, còla « troupe, compagnie de travailleurs ruraux; couple de chevaux ». A Manduel il y avait les colos de vendemiaires (l’associaton du patrimoine de Manduel possède des photos des colo) et en Rouergue les còlas de segaires (les moissonneurs). Dans sa grammaire Louis Piat donne comme exemple: uno colo de droulas « un groupe de bambins ». De personnes qui ne pouvaient pas travailler ensemble, on disait : "tiron pas de colo"
http://www.etymologie-occitane.fr/category/lexique-occitan/c/page/11/
PS : à Isa, ma cousine. Sois gentille si tu repiques une ou des photos,
de mentionner la source "François Dedieu". Tu peux aussi mettre « JFDedieu ».
Je compte sur toi.
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