Affichage des articles dont le libellé est chariot. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est chariot. Afficher tous les articles

samedi 2 octobre 2021

LES VENDANGES EN FAMILLE / Fleury-d'Aude en Languedoc

"... Quand le raisin est mûr, par un ciel clair et doux,
Dès l'aube, à mi-coteau, rit une foule étrange..." 
Les Vendanges - Aloysius Bertrand. 
 
Bien sûr les chansons à boire aidant à cueillir, parfois grivoises, paillardes, dans l'excès pour masquer le naturel amoureux et charnel, l'attirance... En famille, c'est un autre registre, tout en retenue, d'autant plus que le jeudi ou en fin de semaine, les enfants mènent aussi la rangée. Et puis l'oncle Noé savait aussi jouer de charme et de tendresse...  
 
Chanson : 
"... « Michaëla la brune, Ce soir au clair de lune, Comme par le passé, Nous irons nous griser / De baisers » ? C’est « pâle de fureur : (qu’) Antonio le pécheur / luTT (à prononcer comme "luth", l'instrument NDM) ce mot qui lui brisa le cœur » après lui avoir impérieusement demandé : 
« Quel est donc ce billet / Entre tes seins cachés, / Michaëla ? » C’était aussi une chanson qui revenait régulièrement aux vendanges..." (1) 
 
A onze heures, le repas à la vigne : 
"... Nous avions sans doute au menu, mamé Ernestine et moi, une omelette avec des tomates en sauce, ou bien des pâtes – nouilles ou coquillettes – avec de petits morceaux de viande, je ne sais plus quel était le « plat de résistance ». Etienne, lui, avait surtout un long morceau de saucisse qui faisait envie. Mais ni gril, ni poêle. Pendant que le feu crépitait au-delà du chemin poudreux, dans le minuscule champ de luzerne qui séparait nos deux vignes, à quelques pas de là il s’était mis en quête, le long de la rivière voisine, d’une branche fourchue qu’il finit par trouver, une espèce d’Y énorme auquel il eut tôt fait d’appointer les deux branches à l’aide de son couteau de poche. La saucisse une fois piquée dessus, il tint quelques instants ce gril rustique au-dessus des braises, retourna le tout. Une bonne odeur vint nous caresser les narines tandis que les gouttes de graisse tombaient dans le brasier en grésillant, et il eut lui aussi un repas de roi..." (1)
 
"... 1939. 
En arrivant à « Joie », nous mangeons. Plat du jour : macaronis et confit de canard et de poule. Nous reprenons le travail à midi moins le quart. Le soir, nous remplissons 33 comportes..." (1) 
 
Des "voyages" de comportes : 
 "... Un chariot de comportes. Pour charger les comportes pleines sur le deuxième rang, on balançait aussi la comporte en comptant « un, deux, et trois). Et le 3 coïncidait avec l’arrivée de la charge sur le plateau. Un jour, Fernand Monbiéla (de Poitiers, mari de l’institutrice de l’école maternelle, par ailleurs comique troupier déjà apprécié dans ses chansons par papé Jean à une gare de triage durant la guerre 14-18), sans doute peu partisan de cette méthode, remarqua ironiquement : « Et si nous comptions jusqu’à mille ? » Cela aurait été beaucoup plus fastidieux que la situation enviable de ce jeune médecin qui conseillait à sa jolie patiente, en l’auscultant : « Respirez bien, mon enfant, et comptez jusqu’à mille ! »..."(1)
Coquet, le brave Mérens : "Nous l'avons sur des photos de vendanges..."

"Coquet. Le petit et vaillant cheval noir répondait au nom de « Coquet ». C'était un Mérens, petit cheval d'Ariège (le GDEL écrit même « race fçse de poneys (!) ») vaillant comme pas un. Un jour, racontait mon père, il avait fait quatre gros voyages de comportes (sans doute seize ou dix-huit chaque fois) de la Pointe de Vignard (notre vigne la plus éloignée, à quatre kilomètres du village), ce qui lui totalisait 32 kilomètres dont seize à pleine charge (3), avec les côtes de Liesse et de Fleury. Il a tenu le coup, mais en arrivant le soir, trop fatigué, il s'est couché au lieu de manger. Papé Jean racontait cela avec une admiration non dissimulée. J'ai connu ce cheval à l'écurie jusqu'en 1935 à peu près.(1)

(1) Extraits du livre "Caboujolette" François Dedieu 2008 autoédition. 
(2) traduction : "Ils traitent le monde comme des bêtes. Nous n'avons jamais agi ainsi. les vendangeurs couchaient à la maison et mangeaient avec nous."
Fermée généralement par deux volets, la pourtalièiro est la grande ouverture au-dessus du portail, souvent servie par uno carello (une poulie de fer aux montants scellés dans le mur) et permettant de monter la vendange, le foin, la paille. 
(3) 38 kilomètres, mesure prise sur Géoportail IGN. Donc 19 à pleine charge !

Dans le bleu du ciel, uno carrelo...

 
 
 

 

dimanche 23 septembre 2018

UNE JOURNÉE DE VENDANGES vers 1960 / Fleury d'Aude en Languedoc.

A mon père, resté fils de la vigne, qui chaque année ne manquait pas d'exprimer sa nostalgie des vendanges passées.   

Papa, 2004.

Un fidèle lecteur demande où en sont les vendanges 2018 à Fleury. 
Mais c’est qu’on n’en sait rien ! Et s’il n’y avait l’Internet, ce serait moins que rien.



"... l'ensemble du vignoble audois..." touché "… par le mildiou, mais aussi la grêle, une pluviométrie historique et une canicule qui dure. La récolte audoise devrait s'élever à 3,5 millions d'hectolitres..." (12 millions d’hectos pour le Languedoc soit 20 % de plus que l’année dernière mais en dessous des années 2013-2016).



Rien en liant les noms des villages (Fleury, Salles, Coursan, Cuxac…) à l’entrée « vendanges » ! Ah si ! A Armissan, le dimanche 7 octobre, une foire aux vendanges avec vide-grenier et marché aux puces, que ça ! 
Au détour d’un site une offre d’emploi apparait, pour trois semaines de vendanges dans le Narbonnais, datant de 10 jours. 
A Embres-et-Castemaure, un monsieur de 56 ans, vendangeur de toujours, qui a commencé début août à Fitou, précise qu’il aura trois mois de travail et qu’à présent, même les jeunes n’en veulent pas. 
 

Emblématiques de la vie sinon de la survie, le pain et le vin ont perdu valeur de symbole. Les moissons et les vendanges qui valaient bien une fête une fois à l'abri, ne relèvent plus désormais que des chiffres de l’agro-alimentaire ! Et il faut un natif d’un pays de vignes, déjà d’un âge certain, pour évoquer des vendanges si essentielles dans une ronde des saisons elle-même occultée, presque et passée au second plan sinon niée par un libéralisme au comble de sa logique, mortifère !



Le matin à la vigne. Début des années 60. Le chariot prend place, toujours au même endroit, là où il sera plus pratique de charger les coustals, les comportes pleines (80 kilos en moyenne dites aussi portoires) :



« Le coustal dous cops se balanço al pougnet de l’ome que lanço » 
(La comporte pleine se balance deux fois au poignet de l’homme qui lance[1]) Achille Mir. 

 
Même les amis participent "Petito ajeudo fa gran be" (une petite aide fait grand bien). A gauche le plateau permettant de monter les comportes sur le chariot... fallait pas se manquer ! Photo François Dedieu

Pas si vite ! Avant de commencer, tonton qui a déjà placé le plateau de maçon en plan incliné montant sur le chariot, dispose les semals (comportes vides) dans le passage aménagé tous les quatre rangs. Mamé protège et couvre bien son grand panier à l’ombre d’une grosse souche... les chiens auraient tôt fait de nous flamber le dîner. Peut-être pose-t-elle dessus la bonbonne pour l’eau. Sous une branche, une bouteille emmaillotée, tenue humide se balance au vent pour garder le vin frais. Papé fait le tour du propriétaire, perdu dans des pensées qu'il ne partage guère. 


La journée commence. Le tablier n’est pas de trop pour les coupeuses avec le mouillé. Je ne me souviens plus si au bout de la rangée on s’arrête pour déjeuner ou si c’est sur le pouce… La cole sort au moins un voyage de 16 ou 17 comportes (1280 – 1360 kilos environ), parfois 24. 
 
Mamé a fait griller l'entrecôte. Sur le côté, dans l'herbe, la fameuse brouette ne nécessitant plus qu'un seul charrieur au lieu de deux. Photo François Dedieu

A 11 heures vieilles (le temps au soleil avec deux heures de retard sur notre heure d’été actuelle donc une sur l’heure dite d’hiver qui, avant 1976, avait cours toute l’année), le dîner à la vigne. Papé cherche quelques escargots à griller juste un peu de sel et de poivre sur les bulles de bave verte. Justement si on fait la braise c’est qu’il y a de la viande, ce qui, vu les prix, n’arrive pas souvent... l'omelette, les macaronis sont des plats communs pour manger dehors. 
 
Mamé Ernestine, coiffée de sa caline, papé Jean presque attablé... On se partage l'ombre du tamaris avec une famille de Fleury aussi...  Photo François Dedieu
Ensuite, les adultes piquent un roupillon et les enfants sont priés d’aller jouer plus loin. 


A 13 h solaires le travail reprend. Mamé a porté une bouteille de café sucré coupé d'eau, et une autre d’antésite. Aïe, une guêpe a piqué, cachée sous les feuilles ! Vite le remède miracle de l’oncle Noé : frotter le point venimeux avec trois feuilles différentes. Personne n’a marqué la journée, personne ne s’est taillé avec les sécateurs. Pas besoin d’un papier à cigarette de tonton pour arrêter le sang !  
 Pour l’enfant, même en duo (attention aux doigts), moins docile et convaincu que l’adulte, chaque cep qui courbe la tête rapproche néanmoins du bout tant espéré de la rangée. Là les grands vont aider, soulager des dernières souches. Se relever. Revenir à pas mesurés, s'essayer à la régalade avec la boisson à la réglisse, et puis, la barre de chocolat ou la vache qui rit du goûter coupent bien l’entrain perdu du matin. Traîner un peu avant que les coupeuses ne poussent à la reprise, ne houspillent le manque de détermination. Voir la mer de vignes à peine coupée par la ligne des arbres au bord de la rivière sans pressentir que cette houle de pampres viendra, bien des années plus tard, souvent et à jamais s’accorder avec le flux et le ressac d’un cœur qui bat.

 
Les pneus ont légalement remplacé les grandes roues cerclées de fer. Lami, le cheval va ramener 20 comportes pour le dernier voyage de la journée. Photo François Dedieu

Délivrance. Fin de journée. On rassemble les affaires, le panier, les bouteilles, le grill, le pull laissé ce matin sur un pied. Dernier voyage de comportes vers la cave de papé.

« C’est le moment crépusculaire… »… Avec quelle émotion, Hugo, le grand homme, a su admirablement saisir ce moment ! Le semeur est seulement devenu vigneron et, élargi jusqu’aux étoiles, le retour du chariot va bien vers « … L’ombre, où se mêle une rumeur… », vers le village qui découpe sa tour et son clocher au-dessus des toits rassemblés, la chaleur des siens et de ses semblables qui appelle, avant la nuit...

Les fers du cheval marquent la mesure sur la route « cloc cloc, cloc cloc » comme pour appeler les cloches à répondre. Un clair-obscur déjà mauve commence à monter et le rattrape depuis la plaine.

Oui, Hugo, Millet aussi avec ses tableaux de paysans collés à leur glèbe, « Retour des champs », par exemple, qui nous rapproche du chariot qui rentre, me restent plus proches et poignants que ce productivisme effréné complètement déshumanisé, potentiellement capable de programmer à terme l’extinction de notre espèce... 
 
Jean-François_Millet Le hameau Cousin Musée des Beaux-Arts Reims
Des salops me pourriraient presque le bonheur de ces sensations qui restent... Mais nos racines naturellement paysannes ne vont pas tarder à faire lever un vent de révolte qui les emportera avant l'irrattrapable ! Plus proche, c'est certain, de Hugo et Millet que d'une mondialisation imposée, amorale et aliénante !




[1] Travail à deux pour celles devant rejoindre le deuxième rang et les dernières au bord du plateau du chariot. 

Jean_François_Millet La_Récolte_des_Pommes_de_Terre) Source photographer mAEXeyHzt6O2Gg at Google Cultural Institute, zoom level maximum

PS : à Isa, ma cousine. Sois gentille si tu repiques une ou des photos, de mentionner la source "François Dedieu". Sinon mets "JF Dedieu". Je compte sur toi.