A mon père, resté fils de la vigne, qui chaque année ne manquait pas d'exprimer sa nostalgie des vendanges passées.
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Papa, 2004. |
Un fidèle lecteur demande où en sont les vendanges 2018 à
Fleury.
Mais c’est qu’on n’en sait rien ! Et s’il n’y avait l’Internet, ce
serait moins que rien.
"... l'ensemble du vignoble audois..." touché "…
par le mildiou, mais aussi la grêle, une pluviométrie historique et une
canicule qui dure. La récolte audoise devrait s'élever à 3,5 millions
d'hectolitres..." (12 millions d’hectos pour le Languedoc soit 20 % de
plus que l’année dernière mais en dessous des années 2013-2016).
Rien en liant les noms des villages (Fleury, Salles, Coursan,
Cuxac…) à l’entrée « vendanges » ! Ah si ! A Armissan, le
dimanche 7 octobre, une foire aux vendanges avec vide-grenier et marché aux
puces, que ça !
Au détour d’un site une offre d’emploi apparait, pour
trois semaines de vendanges dans le Narbonnais, datant de 10 jours.
A
Embres-et-Castemaure, un monsieur de 56 ans, vendangeur de toujours, qui a commencé début août à Fitou,
précise qu’il aura trois mois de travail et qu’à présent, même les jeunes n’en
veulent pas.
Emblématiques de la vie sinon de la survie, le pain et le vin
ont perdu valeur de symbole. Les moissons et les vendanges qui valaient bien une fête une fois à l'abri, ne relèvent plus
désormais que des chiffres de l’agro-alimentaire ! Et il faut un natif
d’un pays de vignes, déjà d’un âge certain, pour évoquer des vendanges si essentielles
dans une ronde des saisons elle-même occultée, presque et passée au second plan sinon niée par un libéralisme au comble de sa logique, mortifère !
Le matin à la vigne. Début des années 60. Le chariot prend
place, toujours au même endroit, là où il sera plus pratique de charger les
coustals, les comportes pleines (80 kilos en moyenne dites aussi portoires) :
« Le coustal dous cops se balanço al pougnet de l’ome que
lanço »
(La comporte pleine se balance deux fois au poignet de l’homme qui
lance) Achille Mir.
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Même les amis participent "Petito ajeudo fa gran be" (une petite aide fait grand bien). A gauche le plateau permettant de monter les comportes sur le chariot... fallait pas se manquer ! Photo François Dedieu |
Pas si vite ! Avant de commencer, tonton qui a déjà placé
le plateau de maçon en plan incliné montant sur le chariot, dispose les semals
(comportes vides) dans le passage aménagé tous les quatre rangs. Mamé protège et couvre
bien son grand panier à l’ombre d’une grosse souche... les
chiens auraient tôt fait de nous flamber le dîner. Peut-être pose-t-elle dessus
la bonbonne pour l’eau. Sous une branche, une bouteille emmaillotée, tenue
humide se balance au vent pour garder le vin frais. Papé fait le tour du
propriétaire, perdu dans des pensées qu'il ne partage guère.
La journée commence. Le tablier n’est pas de trop pour les
coupeuses avec le mouillé. Je ne me souviens plus si au bout de la rangée on
s’arrête pour déjeuner ou si c’est sur le pouce… La cole sort au moins un
voyage de 16 ou 17 comportes (1280 – 1360 kilos environ), parfois 24.
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Mamé a fait griller l'entrecôte. Sur le côté, dans l'herbe, la fameuse brouette ne nécessitant plus qu'un seul charrieur au lieu de deux. Photo François Dedieu |
A 11 heures vieilles (le temps au soleil avec deux heures de
retard sur notre heure d’été actuelle donc une sur l’heure dite d’hiver qui, avant 1976,
avait cours toute l’année), le dîner à la vigne. Papé cherche quelques
escargots à griller juste un peu de sel et de poivre sur les bulles de bave verte. Justement si on fait
la braise c’est qu’il y a de la viande, ce qui, vu les prix, n’arrive pas
souvent... l'omelette, les macaronis sont des plats communs pour manger dehors.
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Mamé Ernestine, coiffée de sa caline, papé Jean presque attablé... On se partage l'ombre du tamaris avec une famille de Fleury aussi... Photo François Dedieu |
Ensuite, les adultes piquent un roupillon et les enfants sont priés
d’aller jouer plus loin.
A 13 h solaires le travail reprend. Mamé a porté une bouteille
de café sucré coupé d'eau, et une autre d’antésite. Aïe, une guêpe a piqué, cachée sous les
feuilles ! Vite le remède miracle de l’oncle Noé : frotter le point venimeux
avec trois feuilles différentes. Personne n’a marqué la journée, personne ne s’est
taillé avec les sécateurs. Pas besoin d’un papier à cigarette de tonton pour
arrêter le sang !
Pour l’enfant,
même en duo (attention aux doigts), moins docile et convaincu que l’adulte, chaque
cep qui courbe la tête rapproche néanmoins du bout tant espéré de la rangée. Là
les grands vont aider, soulager des dernières souches. Se relever. Revenir à
pas mesurés, s'essayer à la régalade avec la boisson à la réglisse, et puis, la barre de chocolat ou la vache qui
rit du goûter coupent bien l’entrain perdu du matin. Traîner un peu avant que
les coupeuses ne poussent à la reprise, ne houspillent le manque de détermination.
Voir la mer de vignes à peine coupée par la ligne des arbres au bord de la
rivière sans pressentir que cette houle de pampres viendra, bien des années plus tard, souvent et à jamais
s’accorder avec le flux et le ressac d’un cœur qui bat.
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Les pneus ont légalement remplacé les grandes roues cerclées de fer. Lami, le cheval va ramener 20 comportes pour le dernier voyage de la journée. Photo François Dedieu |
Délivrance. Fin de journée. On rassemble les affaires, le
panier, les bouteilles, le grill, le pull laissé ce matin sur un pied. Dernier
voyage de comportes vers la cave de papé.
« C’est le moment crépusculaire… »… Avec quelle
émotion, Hugo, le grand homme, a su admirablement saisir ce moment ! Le
semeur est seulement devenu vigneron et, élargi jusqu’aux étoiles, le retour du
chariot va bien vers « … L’ombre, où se mêle une rumeur… », vers le
village qui découpe sa tour et son clocher au-dessus des toits rassemblés, la
chaleur des siens et de ses semblables qui appelle, avant la nuit...
Les fers du cheval marquent la mesure sur la route « cloc
cloc, cloc cloc » comme pour appeler les cloches à répondre. Un
clair-obscur déjà mauve commence à monter et le rattrape depuis la plaine.
Oui, Hugo, Millet aussi avec ses tableaux de paysans collés à
leur glèbe, « Retour des champs », par exemple, qui nous rapproche du
chariot qui rentre, me restent plus proches et poignants que ce productivisme
effréné complètement déshumanisé, potentiellement capable de programmer à terme
l’extinction de notre espèce...
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Jean-François_Millet Le hameau Cousin Musée des Beaux-Arts Reims |
Des salops me pourriraient presque le bonheur de ces sensations qui restent... Mais nos racines naturellement paysannes ne vont pas tarder à faire lever un vent de révolte qui les emportera avant l'irrattrapable ! Plus proche, c'est certain, de Hugo et Millet que d'une mondialisation imposée, amorale et aliénante !
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Jean_François_Millet La_Récolte_des_Pommes_de_Terre) Source photographer mAEXeyHzt6O2Gg at Google Cultural Institute, zoom level maximum |