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lundi 12 juin 2023

SÈTE 2. Bateau & rose bleue

MS_Emsstein_cargo_ship_of_the_north_german_lloyd Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported Author Buenosera

« Quand je vois passer un bateau, j’ai envie de me foutre à l’eau.../
...  et rire comme un étranger
D’un rire qui fait éclater la rose bleue d’un tatouage.../
... Changer le coton en tabac et le tabac en coc... / 
... enlacer ces filles malhonnêtes.../
Au fonds des clandés de Papeete... /
... les champs de pavots.../
... filles à la démarche étrange
Le pan de la jupe fendue
Bat l'amble sur des jambes nues.../
Quand je vois passer un bateau, je rêve de me foutre à l’eau »

Crédit Guy Bontempelli (1940-2014), chanson coécrite avec Gérard Bourgeois (1966) (dommage de saucissonner par rapport aux lois sur le plagiat).

Préférant pécher par anachronisme puisque à l’époque, le mot « cocaïne » n’avait pas le poids qu’il vient de prendre lors d’un fait divers aussi malheureux que lamentable (affaire Palmade), je relève par contre les champs de pavots suite à l'image de la " rose bleue "... C’est vrai que le Triangle d’Or Birmanie-Laos-Thaïlande, interdit aux importuns, focalisait plus encore le problème de la drogue que la zone Iran-Afghanistan-Pakistan (le Croissant d'Or). Rien n’était dit alors sur la coca d’Amérique du Sud. Aujourd’hui, on sait officiellement qu’avant les indépendances, la France encourageait la culture, avec une Régie de l’Opium (en Indochine), un service des douanes chargé de tenir les comptes... Aujourd’hui on ne le cache plus : les States ont trempé dans ce trafic, la Chine aussi (internationalement plus victime que coupable) , et les petits peuples qui cultivent sont si pauvres que l’addiction aux opiacées des pays riches n’est pas leur problème... De la même famille des papavéracées que le coquelicot, parme, rose, grège, la fleur est d’une beauté fascinante : ses pouvoirs entretiennent le trouble ; des plus utiles pour soigner (morphine, codéine, thébaïne, papavérine, narcotine, etc., parmi la vingtaine d’alcaloïdes qu’elle contient) elle recèle aussi l’innocence gourmande de ses petites graines noires sur les gâteaux au mák si communs en Europe Centrale... Malheureusement, la dernière fois, en Tchéquie, pas moyen de m’arrêter pour une photo (cette année 2023, Vaclav, ami fb de Tchéquie, a incidemment posté des photos d’un champ de pavots de Bohême. Comment m’empêcher d’une réaction pavlovienne avec  un article sur « papaver somniferum » ? d’’une réflexion aussi sur la relative de l’emprise du temps puisque chacun emporte ses sensations les plus marquées jusqu’au bout du chemin ? Mais restons-en à cette chanson qui balance et emporte, ça n’a l’air de rien comme ça mais loin de sa plage (plus précisément de celle des Cabanes où il a campé sauvage les deux dernières années possibles), depuis son HLM à Givors, à l’âge de vingt-cinq ans, ça tangue et ça roule au lit, vous pouvez croire, entre les lectures sur le Triangle d’Or, les aventures risquées des circumnavigateurs, les risques par procuration sauf, à être couché, pour le plaisir de l’amour... Ah la jeunesse... on n’en réalise le privilège que lorsqu’il a fini de nous filer entre les doigts...  

Fregate-Antoine_Roux (1765-1835)source Jean Meissonnier Voiliers de l'époque romantique p65 Wikimedia Commons Domaine Public

Le lendemain, à l’école, en partage, du temps où la récitation menait à la poésie, manière de couper court à une réalité affligeante que l'instit se gardait pour lui, « La Sérieuse » d’Alfred de Vigny (1797-1863) nous sortait du port :

« Qu’elle était belle ma frégate
Lorsqu’elle voguait dans le vent !... » 

samedi 21 décembre 2019

LES LOUPS ET LE VIOLONEUX / Qu'il est doux d'écouter des histoires...

" Qu'il est doux, qu'il est doux d'écouter des histoires,
Des histoires du temps passé,
Quand les branches d'arbres sont noires,
Quand la neige est épaisse et charge un sol glacé !
Quand seul dans un ciel pâle un peuplier s'élance,
Quand sous le manteau blanc qui vient de le cacher
L'immobile corbeau sur l'arbre se balance,
Comme la girouette au bout du long clocher !.. "
La neige. Alfred de Vigny.

C'est vrai que la neige chez nous, ce n'est pas souvent et puis pour les grandes personnes, il vaut mieux. Mais rien ni personne n'empêchent l'enfant de rêver, d'imaginer, déjà en se frottant les mains pour conjurer le froid.
Cette histoire se passe dans les Corbières à une époque où le climat était moins chaud. Je vous la raconte comme elle m'a été contée du moins de la manière dont je l'ai perçue. C'est celle des loups et du violoneux.

Il était une fois un pauvre brassier qui, à la mauvaise saison avait bien du mal à nourrir ses neuf enfants. Ils habitaient dans les Basses-Corbières et dans ce temps là, dans les campagnes à blés, les vignes étaient si petites, juste pour le vin du propriétaire que nul ne pouvait s'embaucher pour la taille des sarments et la confection des bouffanelos, des fagots.
Mais, comme par son père il avait hérité du violon du grand-père, le samedi, après une vaine quête de petits profits, poireaux ou salades sauvages, sinon des herbes pour la soupe, il partait faire danser la jeunesse dans les villages plus à l'écart. On ne le payait pas toujours en monnaie sonnante et trébuchante, et cette fois, après une dernière polka, son havresac était rempli de pain, de fougaces et d'oreillettes. 


Oreillettes_du_Languedoc JPS68 commons wikimedia

Ne voulant pas passer une nuit de plus hors de chez lui, à minuit passé, il s'était mis en chemin, malgré un ciel sans lune, pensant déjà à la joie des enfants quand il viderait son sac sur la table !
Passé Coustouge où son passage dans les rues désertes avait encore causé un concert d'aboiements, au tiers du parcours, pour gagner une heure par rapport à la route, il avait l'habitude de couper à travers les garrigues. Content de sa prestation, ne sentant pas encore le froid, il marchait d'un bon pas quand parvenu sur le plateau, croyant entendre un bruit derrière, il se retourna. Plus rien, sûrement la fatigue.
A peine avait-il avancé d'une centaine de mètres que cette fois, un "houuu" prolongé confirma ses craintes : un loup le suivait. Oh un loup, ce n'était pas la première fois et puis avec son bâton ferré il saurait bien lui montrer avec qui il a affaire ! Le fait de passer le col et de savoir qu'il redescendait désormais vers sa chaumière ne le rassura pourtant pas : derrière dans le noir, des encouragements avaient répondu au premier "hou". Près d'en avoir la chair de poule, il se dit même qu'avec le Cers dans le nez, les fauves étaient à le talonner, prêts à lui mordre le jarret et à lui sauter sur le râble. 


Le_dernier_loup_-_Les_coulisses_-_l'entraînement_des_loups Sabi Mars Films

Que faire ? pas de bergerie dans ces lieux désolés et le premier endroit habité, le moulin se trouvait à presque une lieue encore ! Inquiet mais déterminé il passa son havresac sur sa poitrine, piocha dedans et lança un pain sur ses traces, espérant que les loups se le disputeraient. Nàni, il les sentait tout proches. Pourtant il prit le temps de partager le second pain mais le sursis n'en fut pas plus assuré : c'est sa viande que ces sales bêtes convoitaient ! Deux autres pains y passèrent et puis les fougaces et puis les oreillettes qu'il brisait en morceaux toujours plus petits. Las, le sac s'en trouva vidé et il restait bien deux-cent-cinquante toises (env. 500 m.) avant le moulin. Alors, en désespoir de cause, en appelant à ses père et grand-père, surmontant la frayeur que lui causaient les grognements toujours plus furieux, oubliant ses doigts gourds, bravement il empoigna son violon pour en sortir un brame à la mort tremblotant, lamentable sauf  qu'à son grand étonnement, la meute affolée se débanda en braillant comme une bande de chiots affolés ! 
Sans demander son reste, presque à s'en briser le cou, le pauvre violoneux dévala d'une traite le ravin entre deux crêtes plus marquées. Inutile de réveiller le meunier, les loups ne descendent jusque dans les villages qu'avec le grand froid et la neige. Inutile aussi de réveiller les petits pour rien. Des pains, des fougasses et des oreillettes plein la table ! On aurait même ranimé le feu ! On aurait fait reganhou, réveillon à quatre heures du matin... 
Ah si de suite il avait sorti son violon !    

Violoneux_mendiant_1843, wikimedia commons, auteur inconnu, domaine public