Affichage des articles dont le libellé est copains. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est copains. Afficher tous les articles

jeudi 23 février 2023

LE PEÏRAL DE JACQUES.

 Après s’être bouché le nez, pour passer les cabinets, à moins que ce soit pressant... Et puis les locaux préfèrent fumer naturellement les vignes... Passez donc le chemin des Cayrols, en principe, des « hauteurs rocheuses », mais je n’en connais qu’une dans ce coin, celle du peïral, de la carrière de Jacques... Alors, ce pluriel ? Avec le cabinet, à une certaine heure, c’est aussi la limite entre la zone éclairée et l’obscurité de la nuit.

 
Vue aérienne de ce coin de Fleury en1950. Merci Geoportail ! 

Cette fois, nous sommes cinq, Jo, José, Joseph dit « Mazo », Gérard et même moi, à traîner sous la dernière ampoule de l’éclairage public.

C’est un soir de janvier avec la nuit qui tombe tôt. Nous ne sommes plus des gosses mais il nous reste de l’enfance cette crédulité craintive sur le monde de la nuit. L’histoire de la bande qui a osé, dans le noir, entrer dans le cimetière nous impressionne et plus même, concernant celui dont la manche a été retenue et qui a crié à la mort entraînant dans la seconde la troupe des courageux dans une fuite éperdue. Ce n’est qu’une fois dehors, la panique passée, que l’un d’eux a dit avoir entendu un pot qui se cassait, et que ce ne pouvait être qu’à cause d’une tige sèche ou du bâton-tuteur... Les morts-vivants, les vampires, sans se l’avouer, il y a beaucoup en nous de cette pétoche et ceux qui ont lu, qui ont vu des films ou à qui on a dit, se font un plaisir de faire encore plus peur aux autres.     

Aussi, un soir d'hiver, parce que la nuit tombe tôt, nous sommes encore à traîner sous la dernière ampoule de l'éclairage public, aux marges d'un monde obscur et inquiétant, à la frontière des cabinets publics de la route de Baureno. Les cabinets ! dernier symbole humaniste, civilisationnel ! aux marges des mondes barbares ! 

En fin d'après-midi, l'un de nous a eu l'idée de faire laisser deux mouchoirs sous un pin, en bas du peïral de Jacques. Le défi consiste donc à partir dans le noir récupérer son bien. Bien entendu, le malin qui a eu l'idée a pris soin de ne pas laisser le sien de moucadou et comme par hasard, je me suis fait embobiner, étant le second compétiteur.

Le premier, Jo ou Mazo, je ne me souviens plus, le second plutôt, Jo, champion de course à pied s’en retrouve disqualifié, ainsi, une confrontation à force égale étant plus intéressante. C’est Mazo, Joseph, qui est parti quand les autres ont jugé qu'il faisait bien sombre. Longtemps nous l'avons entendu courir sur le chemin empierré. Ensuite le silence, l'attente, soucieuse, un peu lourde. Des hiboux se répondent au loin, ce qui n'est pas pour nous rassurer, surtout que je dois prendre le relais. S'il n'y avait mon mouchoir abandonné sous l'arbre… Le doigt en l'air, on tend l'oreille... Enfin le bruit des semelles tapant plus fort le sol lors des dernières foulées. Une forme sort de la nuit : c'est lui pour un sprint final laborieux. Mazo, premier messager, récupère, tête baissée, se soutenant des bras sur les genoux, hors d'haleine, comme pour annoncer, entre deux expirations, la victoire de Marathon !

Top chrono ! à moi de partir dans la nuit : d'abord le chemin de Bauréno, entre les vignes, loin mais pas tellement, du cimetière ; ensuite, à gauche, celui des Cayrols encaissé, bordé d’amandiers, d’azeroliers (un coin à asperges), qui tranche à présent le plateau de vignes ; on y voit moins clair ; enfin le sentier, creux, plus étroit, montant vers la carrière, frayant le passage dans les ronciers. Mon trois-quarts accroche, tant pis, je passe en force. 
Des étoiles mais la lune à peine, pas le noir complet mais presque. Heureusement, avant de déboucher, le chemin s'ouvre. Là seulement, en progressant pas à pas sur un secteur encombré de blocs, et pour récupérer, j'avoue que je me suis mis à parler fort puis à chanter. Surtout qu'en bas de la falaise sombre du peïral, la masse plus obscure de l'arbre aux mouchoirs, un pin pignon encore jeune, ramassé. L'endroit est plus dégagé alors le pin se transforme d'un coup en bison prêt à charger ! 
Du sabot, il va gratter le sol et foncer, naseau écumant. Vite, le mouchoir, clair dans l'ombre sur les aiguilles sombres. Une fauche peu digne de Kit Carson, le tueur de Navajos (qu’on prenait alors pour un héros) et je dévale déjà vers le village, volant par-dessus les pierres pour échapper au Minotaure qui me poursuit. L'écho du peïral, l'appel lointain et régulier des tchots, des petits-ducs en mal d'amour réconforte. La lune est toute fine ; les étoiles aident bien ; dans cette lueur incertaine, en descente, la foulée s'allonge, au petit bonheur la chance ! Pas de galop derrière ! La petite vigne au cabanon, de Marius je crois, est vite passée, plus claire que la garouille autour, si bienveillante avec ses lilas, ses petites roses blanches par centaines, sur le mur, en arceau au-dessus de la porte, mais en mai seulement. 

Au bout, la première ampoule du village, faiblarde mais si rassurante et qui vite devient le projecteur pour le vainqueur, les cabinets le podium pour la réception, la médaille, les fleurs. En bas, au premier rang de la foule enthousiaste, les copains. Tous vont réclamer, il faudra que je raconte, le cimetière, les ronces, le bison, l'écho du peïral, le Minotaure, les rapaces nocturnes, Kit Carson, le repaire de brigands...

Et c'est un sprint de dératé comme si après la frousse aux trousses, la gloire n’était que pour moi… Oh ! plus personne sous l'ampoule des cabinets. Pas de chronométreur... pas la peine de lever les bras, les copains m’ont laissé tomber... Ils ont tout combiné... Avec Mazo dans la combine ? Pas sûr, c'est toujours d'instinct qu'ils ne pensent pas à mal. Un bizutage toujours dans les mœurs comme quand la meute me poursuit. «  Acculez le singe ! » leur cri de guerre. Mais je fais toujours face, moulinant des bras, habitué à leurs bourrades de rustres, seulement inquiet de l'habit déchiré, des boutons qui vont sauter... je suis habitué à leurs farces de rustres. N’est-ce pas José qui m’a cassé une pointe de couteau dans l’antivol intégré du vélo ? Mais le beau porte-clé bleu, de résine transparente, d’une marque de frigo, c’était lui aussi... Alors les petites contrariétés, on en rit, j’en souris à présent, je n'ai pas retenu l'esprit malin qui a eu l'idée des mouchoirs, le même peut-être qui a dit « On fout le camp ! », il m'a fait un souvenir, secret, moins difficile à dire par écrit, formateur, assurément... Eux et tous les autres sont la vie et je tiens tant à eux... c'est qu’ils sont dans la mienne, de vie... Ils sont ma vie, ce n'est pas plus compliqué que ça... 

Diapositive François Dedieu septembre 1963. 


vendredi 28 janvier 2022

...ASPERGES VERTES, AMANDIERS BLANCS...

Non, il n'y a pas de comparaison possible entre la flopée d'amis entre guillemets des réseau sociaux et les copains de toujours du réseau du cœur, du quartier, du village. Bien sûr que la vie, en plus de ceux qui s'aiment, sépare ceux qui ont fait un bout de chemin d'enfance ensemble. Pourtant, parfois, l'informatique permet de renouer avec certains de ses camarades d'école, de ses copains du quartier. 

Nous avons joué aux billes, refait le monde à la nuit tombante, et parlé des filles, aux abords du parc de Gibert, même en hiver quand plusieurs couches d'habits arrivent mal à empêcher la froidure du Cers de pénétrer...

"... Les feuilles mortes se ramassent à la pelle,
Les souvenirs et les regrets aussi
Et le vent du nord les emporte
Dans la nuit froide de l'oubli..."
chantait Montand dès le début des années 50.  

On a couru ensemble le coteau de Fontlaurier sans la peur mais sans trop approcher non plus la masure et le feu des gitans, sur l'aire devant. 

"... Chante gitan,
Ton château en Espagne.
C'est le chant des errants qui n'ont pas de frontière,
C'est l'ardente prière
De la nuit des gitans."
chantaient les Compagnons de la Chanson, et Dalida aussi (vers 1958). Je ne préméditais pas de raconter ces souvenirs en chansons mais comme elles accompagnaient et encadraient bien nos premières impressions et sensations ! 

Quelle magie quand on est gosse ! quelle impression de pays béni ce coteau de Fonlaurier ! En vis à vis, la colline du moulin, en limite le tracé ondoyant allant vers les quatre chemins, bordé tout le long, d'amandiers, de bouteilhetiers (azeroliers), de touffes de genêts, de mattes d'asperges. En haut une garriguette parfumée de thym. Tout au bout encore des moulins et le phare dans le souvenir des avions de l'Aéropostale !

Oui, il est entré loin en nous, ce coin qui nous a vu grandir. Nous y avons déterré les poireaux sauvages dans des vignes en larges terrasses, cueilli les asperges sauvages de ses hauts talus, goûté la magie de la fleur d'amandier qui réveille les abeilles pionnières et nos premiers émois d'adolescents... 

"Quand nous jouions à la marelle
Cerisier rose et pommier blanc
J'ai cru mourir d'amour pour elle
En l'embrassant..."
chantait André Claveau, toujours dans ces années 50.

Alors quand un copain de toujours, après les soixante et quelques années qui nous voient survivre aux rouleaux et remous de leurs vagues, publie, du premier bouton au diadème entier de la ramure, son premier amandier fleuri de 2022, sa première botte d'asperges, tous ces souvenirs reviennent fort : ce paysage, ses couleurs, son relief particulier, ce ciel toujours aussi bleu, l'ambiance de la vie d'alors... 

Merci Loulou de mon quartier pour ton partage sur l'Internet... On boira un coup, lou cop qué vèn, la fois prochaine, on revivra Fontlaurier, les gitans, les filles qui nous faisaient jouer à la marelle, la fleur d'amandier messagère des jours meilleurs, tant qu'on peut encore faire la nique à "la nuit froide de l'oubli"...    


Photo Loulou Jourdain (12 janvier 2022) Merci Loulou.

Photo Loulou Jourdain (12 janvier 2022) Merci Loulou.

Asperges sauvages 24 janvier 2022. Photo Loulou Jourdain aimablement prêtée comme celles qui précèdent. 


vendredi 3 septembre 2021

Pour les copains d'abord... seconde mouture du précédent


L'Île Saint-Martin à vélo (1) / Virée en terre inconnue.
 
(1) Saint-Pierre-la-Mer et le port de Narbonne-Plage. 
 
Mince, plus de pile pour les photos. Il y en a à côté, au tabac, mais quand ça démange... quand cette pulsion de jeunesse rebondit dans un corps qui ne l'est plus. Et puis il faut tester la monture et l'écuyer et pas seulement pour cette partie du corps si sensible à la selle : il faudra bien la faire sans trop tarder, cette aventure vers le pays où j'arrive toujours, au-delà des forêts de Bavière et de Bohême... Cela vaut bien une autre mise en jambes, pour dépasser des illusions non encore perdues. Pourquoi pas l'île Saint-Martin où nous devions aller avec Florian, l'an passé et encore cette fois, pour anticiper Port-la-Nouvelle, mais quand ? Officiellement je prolonge jusqu'à Gruissan pour les piles et dérouiller les jambes. La roue arrière à gonfler. De toute façon je prends la pompe, une chambre neuve, quelques outils basiques, le bidon d'eau, rien pour tenir vu qu'on mange trop et que ce midi encore nous avions les restes des deux plaques de légumes farcis flambés lors du dimanche en famille... un reliquat de la vie d'avant... 
 

 
Les lunettes, le bob... ah ! l'appareil photo ! C'est parti ! 30 août. Ce lundi semble avoir écrémé la côte de l'afflux d'estivants. Le week-end a connu un chassé moins croisé. Le soleil est déjà celui de septembre, déjà d'arrière-saison, moins agressif. Pourtant c'est un temps idéal avec, le réchauffement global en serait-il la cause, un vent marin plus tiède et agréable qu'avant. Moins de volets ouverts, moins de voitures sur les parkings, plus personne dans les restos de la halle. Une famille pique-nique sur le parapet là où la fameuse "Bulle de Fleury" a éclaté suite à un enchaînement de scandales politico-financiers.

La piste cyclable coupe tant de rues à gauche que les chocs sur les bordures des trottoirs, bien que rattrapées, en deviennent désagréables. Joseph, le copain perdu qui aimait tant chasser les oiseaux en photos, habitait par là, je crois... Si Pissevaches m'était encore conté, nos sorties au petit matin pour les ibis falcinelles vaudraient bien un quatrième volet... Les bordures de trottoirs ne peuvent d'autant plus rien effacer qu'il y a quelques jours à peine Gérard, encore un complice de nos Trente Glorieuses, fêtait son anniversaire...
A droite les pétanqueurs comptent à peine deux triplettes... Il y a des lustres, j'ai cru voir Fafa y jouer aux boules, celui qui nous donnait les fous-rires les plus fous à la messe... L'an passé, des fois que ce serait lui, j'ai parlé à un monsieur de nos âges, les cheveux blancs... Me fiant à l'intuition j'ai osé un "tu n'es pas Fafa". Oh ! le bon moment ! Il me remet, le covid n'existe plus, on s'embrasse et je l'embrasse encore ! Soixante ans passés n'ont pas tout effacé ! 
 
Narbonne-Plage, Côte des Roses... des lauriers... roses, passe encore... mais l'appellation en est aussi jolie que fleurie. Le monument à Pierre Brossolette, le port que bien à leur aise les Narbonnais annexèrent en Narbonnaise... 
 
Allons, à trop parler amour, gourmandise, polémiques, amitié, plutôt l'exprimer en photos. Elles sont de 2015, n'en disons pas plus...

 

lundi 13 avril 2020

UNE SAINT-LOUP EN SLIP KANGOUROU / Fleury-d'Aude en Languedoc

(reprise d'un texte datant d'avril 2017).


Lundi de Pâques. Si à Coursan on fait « Pâquette(s) », à Fleury, comme dans bien d’autres localités de l’Aude, on fête Saint Loup. Nul besoin de couvrir ce saint que je ne saurais voir, les Loup canonisés ne manquent pas sauf que pas un seul ne marque le lundi de Pâques. Vous avez vu aujourd'hui, encore ce temps gris avec la fraîcheur du marinas ! Du marin, de l'humidité froide depuis un mois ! Au moins les confinés ne seront-ils pas tentés par un matin lumineux. 
Aux temps heureux et insouciants, la Saint-Loup était l’occasion de faire un grand pique-nique avec l’omelette ou les œufs de Pâques à l’honneur. Les familles, les groupes de jeunes s’égayaient dans la garrigue, les prés, la plage ou les pins au bout de la barre de Périmont. Du riz froid en salade composée pour la première fois de ma vie. Mais c'était en famille, au début des années 60. A la fin de cette même décennie, toujours à Saint-Pierre-la-Mer, ma Saint-Loup nous fit naviguer sur le radeau des copains d'abord mais pas en adolescents si peinards que cela.  

Georges de Narbonne, Antoine d’Ouveillan sont venus, à mobylette, se calant sur ma vitesse, à vélo. Au menu, aucun souvenir. Par contre, pour l'amitié, le plaisir de rire ensemble, la déconne d'ados retardés, une journée inoubliable ! Un ciel bleu, du soleil, un petit Cers un peu frais mais rien que de plus normal début avril. La plage est toute encombrée de ces bois flottés que l’Aude a charriés. D'où l'idée de génie du radeau ! 
Une corde, quelques mailles d’un filet déchiré, un bidon en fer à l’origine plein d’huile d’olive, un tonneau que les flots ont échoué, à fourrer sous une structure, providence de robinsons sur le sable
Mise à l'eau. C'est instable. Du mieux grâce à une branche en guise de partègue (perche, gaffe). Avec l'équilibre, Georges et Antoine lèvent l'ancre, lèvent les bras, s'agitent, rient de manquer tomber, se rattrapent. Moi au bord, je fais Tarzan, je les salue, les encourage. Une gaffe part à l'eau à force de faire les andouilles. On rit encore mais vite je crie qu'il faut revenir, que le nord pousse vers le large. Les zigomars qui rient toujours ricanent quand ils réalisent. Antoine se jette à l'eau. Georges craint et plus cabochard essaie de jouer de sa partègue. En vain et pas longtemps ! Ce serait fou de ne pas rejoindre le bord. Ils n'avaient plus pied déjà ! 
Naufragés, nos marins partis pour des courses lointaines. Rieurs pour rester dignes, rigolards même de devoir tenir d'une main le slip kangourou qui pendouille presque jusqu'au genou ! Le fou rire pousse les rescapés à se venger et je me retrouve à la baille ! De quoi s'en taper le ventre ! 
Retour au calme tels des cormorans séchant leurs plumes. Au loin le radeau joue à cache-cache avec l'onde marine avant de disparaître dans le bleu soutenu du Golfe du Lion. 

Merci Saint-Loup, patron des franches rigolades. Merci d'être bien solidaire et de nous donner la pluie en ce 13 avril 2020 !