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mardi 29 août 2023

LE-GRAU-DU-ROI.

Bien que le Rhône forme la limite administrative, le repère géographique par excellence, avec Nîmes à l’intérieur des terres, Le-Grau-du-Roi, Aigues-Mortes sont déjà dans l’aire provençale.

Avec la station balnéaire du Grau-du-Roi, nous passons de l’Hérault au Gard.

En gros, là où, à la latitude de Montpellier, la géographie vient plaider pour Charles Trénet qui aurait pu honorer en particulier « son » Golfe du Lion plutôt que de diluer son sentiment pour « ...les golfes clairs... », sous l’appellation de mon point de vue impropre de « golfe », sont-ce des baies ? des anses ? des culs-de sac marins ? Le fait est que bien que ne pouvant se comparer en aucune façon au Golfe ouvert du Lion, les cartes témoignent du ridicule induit par les appellations « Golfe d’Aigues-Mortes », « Golfe des Saintes-Maries ou de Beauduc », qui plus est sur une côte dépendant entièrement du pouvoir des eaux, tant celles du delta du Rhône, à l'ouest, gagnant sur la mer que celles des courants marins à l’effet contraire. Pour celui d’Aigues-Mortes, la raison historique prévaudrait puisque c’est de cet unique port royal (théorique car déjà dans les terres) que Louis IX embarqua lors des Croisades et que Le-Grau-du-Roi, bien que lié à Henri IV, n’existe en tant que commune que depuis 1879. Concernant Beauduc, demeure le mystère... Anonymes presque, ces golfes ne pouvant répondre aux critères qui font la renommée de baies incomparables... Guanabara, Along, Diego... trop ouverts, golfes sans la célébrité liée à ceux de Napoli ou de Salerno... mais non sans charme... au moins reconnaissons leur ce mérite. Il est vrai que certaines bizarreries plus marquantes jalonnent la géographie, dont le nom des cours d’eau « usurpés » malgré la longueur ou le débit, c'est le cas notamment de la Seine, de la Saône, pour rester dans l'hexagone.    

Le Grau : au début étaient des cabanes de pêcheurs aiguemortains avant qu’un grau naturel ne vienne crever le cordon de sable plus à l’ouest du débouché initial d’Aigues-Mortes. Malgré les aménagements touristiques suite au plan Racine, la localité a su garder son cachet camarguais. 

photo autorisée Auteur Hyppolyte de saint-Rambert


Les images cartes postales du Grau-du-Roi sont celles du chenal maritime du Vidourle avec un bateau de pêche, chalutier ou thonier, sinon une passe de jouteurs. Au second plan, le quai, puis, derrière, le phare qui, faute d’avoir gardé la haute main sur les bateaux au large, chaperonne toujours ses abords. (à suivre)

samedi 26 décembre 2020

BIZE-MINERVOIS, un site, une Histoire...


Pont sur la Cesse Bize-Minervois wikimedia commons Auteur Hoff1980

Un village, jalon dans l'étagement en amphithéâtre entre la plaine languedocienne et les causses du Minervois, première marche vers le palier de l'Espinouse suite à la faille du Jaur, les Avants-Monts en étant la seconde. 

Bize-Minervois, entre la grasse plaine de Narbonne et les plateaux cagneux, échines de calcaires blanchis, retournés, charriés par la géologie, seulement piqués de garrigues sauvages, passementées à peine, de-ci de-là, de vignes à muscat.  Des canyons, effets du travail inlassable de rivières sans juste milieu, tumultueuses, agressives haut sur les rives, ou mystérieusement évanouies dans des abîmes karstiques. 

La Cesse à Bize-Minervois (11) wikimedia commons Auteur Patrub01

La Cesse, ultime affluent notable du fleuve Aude sur sa rive gauche, sort justement de cet envers du monde. L'eau, l'eau qui, dans ses excès ou sa rareté, nous préoccupe depuis toujours et plus encore aujourd'hui, anticipe l'Histoire. Arrivée à Bize : image idyllique l'été d'une retenue d'eau claire invitant à la baignade alors que l'arrière-pays n'a pas droit à la relative fraîcheur du bord de mer. L'eau... 

Vue intérieure de la grotte du Moulin wikimedia commons Auteur Enrevseluj

La carte avec la mention des puits, des sources, des citernes, d'une station de pompage, de fontaines multiples à l'origine de ruisseaux, revient toujours sur la présence vitale de l'eau pour les humains depuis la préhistoire (grottes de las Fonts dite aussi "du Moulin") jusqu'à l'installation permanente du village, plus bas, entre plaine et garrigue. 

Par rapport aux thèmes abordés, le choix d'un article sur Bize-Minervois peut paraître hors sujet. Mais nous avons en train (non, pas l'autorail touristique du Minervois, malheureusement fermé en 2004, en tant que dernier témoin de la ligne Narbonne-Bize si vivante pour ses passagers et ses 25.000 tonnes annuelles surtout de vin mais aussi de farine... et dont la gare terminus se situe à Bize)... Encore sous le coude, donc, une escapade au plateau du Poumaïrol dans la Montagne-Noire  en passant par Minerve et en suivant le cours de la Cesse et aussi ces volets sur les moutons, la transhumance inversée et de fil en aiguille (Giono je crois parle du passage des moutons dans une aiguillée, j'irai fouiller...), puisque c'est le temps de Noël ou du solstice pour ceux qu'un passé chrétien froisserait (je vous fais aimablement remarquer que je n'ai pas employé le terme "racines" qui, pour les moutons [VIIè millénaire av. JC] comme pour "l'antéhistorique" des hominidés dans leurs potentielles conceptions nébuleuses du monde, distancent [et comment !] toute cristallisation religieuse) l'évocation de la fête de Noël. Une religion, qu'elle soit consentie, imposée ou entre les deux, ne peut être sociologiquement ignorée. Pour cette raison, la scène si symbolique d'une naissance extraordinaire entourée de bergers et d'agneaux, une pastorale, fera l'objet de notre prochain échange.      

Mâchoire de renne Paul Tournal. wikimedia commons interdite sur facebook Auteur Didier Descouens

Concernant l'Histoire, notons, liée au boum de la vigne puis aux crises qui s'ensuivirent, la proximité d'Argeliers, le village de Marcellin Albert "lou cigal" qui sut mobiliser tout notre Midi contre le commerce des vins frelatés et artificiels...  



mardi 10 juillet 2018

1918 – 2018. VOUS AVEZ DIT « RACISTE » ?



Ils osent, en 1918, parler d’une France « ethnographique » !

« … Il est peu d’États au monde dont l’unité nationale soit aussi solide que celle de la France ni qui se rattache par ses ancêtres à des races plus nombreuses et plus variées… ».

Pour un début, c’est fort ! Plus c’est gros mieux ça passe, plus c’est vrai plus c’est faux. Et si cette façon de pratiquer reste un principe premier de la politique, le moins que l’on puisse dire est que le nationalisme ne faisait pas alors dans la nuance…  

La mauvaise conscience semble flagrante, il s’agit, en effet, dans ce manuel de géographie par P. Foncin / librairie Armand Colin / 1918, du dernier volet d’une révision de la France (Relief du sol, Écoulement des eaux, Mers et côtes, Voies de communication, Agriculture, Industrie, Commerce, Défense terrestre, Défense maritime, Alsace-Lorraine, L’Algérie, Tunisie-Maroc, Colonies, Formation historique, et enfin Ethnographie !).

« … la France était habitée par une race de chasseurs sauvages au crâne allongé et étroit…/… puis vint une autre race analogue, mais plus intelligente, habitant des grottes…/… Plus tard parurent des envahisseurs à tête plus courte et plus large… »

Le fond insiste trop sur la forme des crânes pour ne pas annoncer les barbaries racistes à venir, la fureur raciale du Führer et, moins visibles alors pour cette unique raison, les pulsions malsaines toujours entretenues par des puissances se targuant par ailleurs de porter la civilisation aux peuples de la planète !

C’est un ton en dessous ensuite, pour les Ibères et les Ligures,

« … de taille médiocre, avaient les yeux et les cheveux noirs et la peau brune. Ils furent probablement refoulés par les Celtes… »

N’est-ce pas encore conforter la supériorité des Nordistes ou, pour se répéter, l’infériorité des Sudistes :

« … Les Provençaux, descendants des Ligures et les gascons (Vascons), descendants des Ibères, sont encore aujourd’hui, par leur tempérament et leur caractère, assez éloigné du type général celte… »

Après le bon Gaulois moustachu au cornes de vache sur le casque, et surtout parce qu’aujourd’hui, les Belges sont dans la mire des Bleus, concluons ce propos avec le petit florilège qui suit :

« … Les Celtes d’abord puis les Gallo-Kimris, enfin les Kimris-Belges, succédèrent aux ibères et aux Ligures dans tous les pays qui sont au nord de la Garonne. C’est surtout le type des Belges et des Kimris-Belges, aux cheveux rouges, à la taille énorme, au teint blanc et à la voix éclatante, qu’a dépeint l’antiquité classique… »



Pour les Bretons, c’est plus gentil. Demandez toujours ou plutôt zoomez la photo de la page pour savoir mais nous en resterons là avant d’aller chercher quelque chose sur le pédigrée de l’éminent auteur de ce traité de géographie, P. Foncin…

Le monde a-t-il changé ? Faut le dire vite… ces vieux démons pourraient encore ressurgir…    

PS : en rouge sur la carte : « limite approximative des grandes tailles et des tailles moyennes ». Seule note d’impartialité, les limites des parlers d’Oc.

Illustrations tirées du livre.


dimanche 24 juillet 2016

LES CORBIÈRES IX / Les mondes doubles du Verdouble.


Préalable : cet article ne présentant qu’une vision extérieure non étayée sur place, les avis et corrections éventuels de participants autorisés seraient bien accueillis. 

De gorges en bassins, en surface ou sous terre, le Verdouble (1), 46.8 km, se fraie un passage vers l’est et le sud sur la fin, à travers les Corbières plissées, avant de rejoindre l’Agly, non loin d’Estagel dans les PO.
Sa discrétion sinon son mystère commencent avec sa source, quelque part sur la commune de Fourtou pour certains, pour d’autres, sur celle de Soulatgé, vers 800 mètres d’altitude, au pied de l’Aibre Naut, 836 mètres, dans le prolongement de la Serre de Bouchard (931 m.).
 
Le doute se confirme avec, dessous, la réalité d’un monde de cavités et siphons  remuant des quantités astronomiques d’eau. Un vieux proverbe l’affirme :
« Quand lou gourg de Bouchard asoundara, Camps e Cubiero empourtara (2). » F. Mistral / Trésor dau Félibrige. 
Entre les localités de Cubières-sur-Cinoble et Soulatgé, non loin du Verdouble en surface, un autre abîme d’eau est mentionné sur les cartes : le gourg de l’Antre... Ne manque que le monstre allant avec, sinon, on comprend, à voir les remous, que c’est bien une rivière souterraine dévoilée par l’effondrement de la partie supérieure d’un siphon. Ce double du Verdouble, apparemment plus puissant, ressort, un kilomètre en aval, avec l’eau tiède de la source de las Doux (considérée comme la source). 

L’eau, comme souvent, et plus encore dans le Sud, a été l’objet de tiraillements séculaires entre communautés. Elle ne fait pas de la figuration dans les œuvres de Pagnol. De même dans nos parages. Il faut tordre le cou aux idées bisounours de gentille solidarité qui vont avec un "c’était mieux avant" trop lapidaire et très discutable : quand la vie est rude, les gens aussi, et prêts à défendre âprement le peu dont ils disposent. Au pied de cette montagne de chênes verts avec des hêtres, des pins sinon des landes et des bruyères où quelques châtaigniers étaient plus qu’appréciés, Soulatgé s’est disputé à l’ouest avec Cubières pour n'en plus finir avec les chamailleries, à l'est, contre Rouffiac (3).  
Avec Cubières, on s’est mis d’accord pour que le Gourg de l’Antre marque la frontière.
Avec les gens de Rouffiac qui se sentaient lésés suite au creusement d’un canal d’irrigation depuis le Verdouble, un jugement donna lieu à un dédommagement mais sans commune mesure avec les bienfaits apportés par le canal.
Il faut savoir que vers 1900, les villages les plus reculés du vallon ont vu fondre leur population en moins de cinquante ans : Camps sur-l’Agly a perdu la moitié des habitants et Cubières-sur-Cinoble à peine moins. Si l’exode rural est moins marqué en descendant le Verdouble, l’agriculture permet seulement de survivre. En amont, si l’élevage, les prairies, le maïs dominent, à Soulatgé (4) c’est aussi le blé, les pommes de terre, les betteraves, les haricots et un peu de vin clairet, sûrement pour la buvette vu les conditions défavorables et les ravages récents du phylloxéra. Sauf qu’on devrait dire un peu de ci, un peu de ça, tant la terre est peu nourricière : « à peine pouvait-on nourrir une bête de labour par maison et dix brebis » précise l’instituteur d'alors.
Grâce à l’arrosage, les Soulatgeois passent de la survie à l’aisance surtout qu’avec le canal de la Doux et malgré les contestations de Rouffiac, la quantité d’eau apportée à la plaine de Paza est pratiquement quadruplée. Non seulement les récoltes permettent désormais de tenir un an mais les haricots et le surplus de pommes de terre sont vendus aux villages vignobles de Saint-Paul, Duilhac, Cucugnan, Tuchan et Paziols. Les betteraves, plus grosses, le maïs blanc, plus fourni, facilitent le nourrissage des bestiaux et l’engraissement des cochons. Dans sa chronique, l’instituteur ajoute «... aussi on nourrit, en moyenne, deux bêtes de labour et vingt brebis par maison... / ... Les brebis et moutons y sont de belle qualité; aussi, il n’est pas rare de voir les principaux propriétaires renouveler dans l’année deux ou trois fois leur troupeaux que les habitants des pays vignobles viennent leur acheter sur place. » 

Ah qu’on aimerait continuer avec les riches heures de Rouffiac-des-Corbières mais les Rouffiacais préfèrent visiblement vivre cachés et heureux. N’auraient-ils pas, dans ce vallon où les places fortes se succèdent, deux ou trois Cathares à promouvoir sinon un dolmen ? 
Le village se trouve au pied du château de Peyrepertuse, un des cinq fils de Carcassonne. A mi-hauteur, sur le sentier qui y mène, la Font de la Jacquette où Blanche de Castille, à en croire la légende, aurait perdu un gobelet en argent.
Le Verdouble qui depuis les bas du col d’En Guilhem, accompagne la vie des hommes, n’en est pas à une blague près. Mais où donc veut-il partir frayer alors qu’au nord-est, le Roc de Tirtacou barre l’horizon de ses 666 mètres ? Est-ce pour cela qu’une certaine source émet très sérieusement l’idée qu’il coupait jadis plus au sud ? Et ce, malgré le col de Grès, cinquante mètres plus haut ! Ou parce que les Pyrénées n’avaient pas encore soulevé le Sigle de la Rabazole (487 m.) ? 
Sur neuf kilomètres, ce premier pays de la rivière se termine deux-cents mètres plus bas (314 m.) lorsque, après deux ondulations elle s’engage plein sud au prix de belles gorges. 



(1) le nom viendrait du gaulois vernos (aulnes) et dubron (ruisseau), le «ruisseau des aulnes ».
(2) Quand le Gourg (gouffre rempli d’eau) de Bouchard débordera, Camps et Cubières seront emportés.
(3) Cubières-sur-Cinoble, Rouffiac-des-Corbières (à ne pas confondre avec Rouffiac d’Aude). Au creux du même synclinal, Camps-sur-l’Agly sort de notre propos et entre Rouffiac et Duilhac-sous-Peytepertuse, les précisions historiques, seraient-elles médisantes, seront les bienvenues. 
(4) Sources F.V. Alard instituteur public (1900). http://quaspier.unblog.fr/2010/07/11/canaux-de-paza-et-de-la-doux/ 

photos autorisées : 1. Verdouble plana de l'Aglin auteur Jolle.
2. Verdouble Col de Redoulade auteur Tybo2 
3. Verdouble -Rouffiac-des-corbieres / iha.ma

vendredi 23 mai 2014

CORBIÈRES MYSTÈRES (VI) / "Monsieur, c'est quoi les Corbières ?"


     La classe a à peine eu le temps de sortir les affaires, quand, entre cartables et pupitres, les blouses grises se posent,bon gré, mal gré, pour une nouvelle semaine. Néanmoins, un doigt se lève. Il cherche à provoquer ce petit rien, ce grain de sable qui viendra perturber la monotonie d’un jour ordinaire, plus pesante encore, un lundi. C’est le moment propice, entre le bruissement de l’installation, le retour au calme et, ensuite, cet instant suspendu au maestro sur le point de lancer l’ouverture. L’index vers le plafond le sait : seule la question qui s’envole loin des contretemps domestiques peut perturber l’ordonnancement bien réglé. Parce que le maître a les yeux qui pétillent derrière ses verres, qu’il est capable, en une seconde, de sortir du carcan pour partager sa curiosité du monde. Et le quémandeur qui n’en demandait pas tant va se laisser prendre à son propre piège. Il n’empêche, la géographie, de bon matin, plutôt que la leçon de morale, c’est chouette !
      Une calvitie hâtive lui a dégarni le crâne mais sur les côtés, le cheveu reste dru et noir. Et puis, il a l’accent rocailleux, monsieur Roger, comme les Corbières.
    « Les Corbières, un nid de corbeaux, d’après certains, traversé en diagonale, si l'on ne tient pas compte des nombreux itinéraires possibles, par une départementale unique, pratiquement 80 kilomètres sans un poste d’essence ! Les Corbières valent mieux que cela ! Tu me prends à l’improviste mais je veux bien essayer de tracer quelques pistes si vous me promettez un travail de recherche derrière... 
     Un « oui » trop franc pour être honnête en dit long sur le fond ambiant : « Tu peux chanter... ». Le bon maître n’en a cure, il a ses raisons et, inébranlable, poursuit :
    Les Corbières doivent aux Alpes et aux Pyrénées d’exister. Imaginez des sédiments, comme des assiettes gigantesques, en carton, déposées au fond de la mer. La formation des montagnes (1) est venue soulever cette pile d’assiettes qui s’est déformée vers le haut, formant des anticlinaux, ou vers le bas, formant les synclinaux (il en fait le schéma au tableau).
    La pile d’assiettes s’est parfois cassée laissant alors un débris suspendu entre deux vallées (il complète le schéma). Ces plis, vous pouvez les voir ici, chez nous, dans la Clape que la géologie a poussée depuis le sud-ouest sur des kilomètres, ce qui semble incroyable !.. Je veux parler de la Barre des Karantes, de la garrigue de Vires, du Plan de Roques, entre autres. 
Ces plis, ils sont aussi dans toute la partie nord de ce qu’on appelle, en restant vague, à partir de Narbonne et vers le sud-ouest, les Corbières (il trace un rectangle presque aussi grand que le tableau puis une médiane entre les deux largeurs).
    Concomitamment (2) à la mer, qui, au cours des âges, a vu plusieurs fois son niveau monter ou descendre... pensez qu’on trouve des fossiles marins en altitude... une partie de ces plis s’est aussi effondrée : elle se trouve sous l’eau du Golfe du Lion et de l’autre côté, à Marseille, les chaînes de l’Estaque et de l’Étoile par exemple, font partie de la même famille de montagnes que les Corbières.
    Si on parle de massif, c’est sans aucun doute par facilité alors que le pluriel "Corbières" sous-entend qu’elles sont diverses : d’abord les calcaires parfois quillés sur des terrains plus récents, sont plus ou moins vieux... (il hachure la moitié supérieure du rectangle)Tout près, avant Coursan, à Céleyran, ce n’est déjà pas le même qu’ici ! A Névian c’est encore autre chose et ne parlons pas de Saint-Laurent-de-la-Cabrerisse ! Et en plein milieu des Corbières, on se demande ce que viennent faire les schistes du massif de Mouthoumet (il pointe de la craie la partie inférieure)... L’affirmation a même couru qu’il s’agissait « d’un lambeau de Massif-Central » ! Le fait est que les paysages changent du tout au tout. De la garrigue méditerranéenne et des pins... du moins ceux qui ont repoussé, naturellement ou non (3), après le déboisement dû aux humains... citons les cueilleurs devenus agriculteurs, les bergers, les moines défricheurs, l’installation de forges et peut-être aussi Colbert pour le bois de marine... on passe au maquis avec des chênes, des châtaigniers, des pâturages... même les races de moutons changent !
    Les Corbières, les enfants, sans encore parler d’une Histoire longue et chargée... les fils de Carcassonne, ces châteaux médiévaux ou forteresses royales qui gardaient la frontière d’Aragon (cinq croix rouges dont une en dehors du rectangle (4), apportent un peu de couleur au tableau) et devinrent pour certains, les ultimes lieux de résistance contre les croisés du nord venus voler les terres au prétexte qu’il fallait éradiquer l’hérésie cathare...
 Les Corbières, sans oublier, quelques siècles auparavant, l’avancée arabe marquée par une Dame Carcas, dont on ne dit guère qu’elle résistait aux Francs, et par des batailles bien oubliées liées à l’Orbieu et à la Berre... Les Corbières, tenons nous en à la géographie, forment un château d’eau dans les quatre directions. (D’un tracé aussi franc que net, il figure l’Aude qui suit la largeur gauche et le haut du rectangle tandis que des hachures, toujours en bleu, schématisent, à droite, les étangs et la mer). Vers le Nord, principalement l’Orbieu et son réseau de ruisseaux, qui rejoint l’Aude à Raissac ; vers l’Ouest, toujours des affluents de l’Aude avec la Sals, le Lauquet (il prononce bien le « T » final, en bon méridional), pour ne citer qu’eux ; vers l’Est et la mer ou plutôt l’Étang de Bages, la Berre, et au Sud, le Verdouble affluent du fleuve côtier qu’est l’Agly (tout en parlant, il a fait courir et aboutir des serpentins bleus sur tout le rectangle). Tous ces cours d’eau doivent nous donner une idée des reliefs, fermés au sud, plus ouverts au nord. 

    D’où la distinction entre Hautes et Basses Corbières. Les Hautes Corbières (des hachures marron viennent remplir le quart sud-ouest du rectangle) arrivent jusqu’à la hauteur de Limoux. Ces sommets remarquables (quatre petits triangles, également marron, s’ajoutent) sont le Pech de Bugarach, à 1200 mètres passés, plus haut que le Pic de Nore dans la Montagne Noire, le Pech de Frayssé sur le Mont Tauch, et entre les deux, dominant le Fenouillèdes, une ligne de crête avec des sommets à plus de 900 mètres, et puis le Milobre de Bouisse, presque aussi haut, aux hivers froids et enneigés et pourtant à la même latitude qu'Alet-les-Bains...
    - Monsieur, c’est un "milord" comme dans la chanson ?
    - Non, pas un "milord", un "Milobre" ! (le nom est écrit au tableau). De toute façon, je n'en sais pas plus que toi... Vous et moi, et tous les humains, nous nous devons de combler, jour après jour, ne serait-ce qu’une petite parcelle de la grande ignorance qui nous accable... vaste chantier... A présent, ouvrez les cahiers, écrivez la date, « Géographie » pour la matière, « Les Corbières » pour le titre et relevez ce schéma au tableau, sur la largeur de la page et à main levée s’il vous plaît (il rajoute un tracé jaune qui divague, en gros, en diagonale vers les Pyrénées) : nous le reprendrons cet après-midi, pour compléter la légende et mettre les noms... Un début, des pistes à réfléchir, je vous le disais en commençant, pour organiser une étude plus poussée qui permettrait peut-être de chercher pourquoi, par exemple, entre 400 et 600 mètres d’altitude, les pays du LauqueT et de la Lauquette ont été désertés alors que la vie s’est maintenue dans d’autres zones pourtant plus rudes, Bouisse par exemple dont nous parlions tout à l’heure... »
   
    Les quatre rangées bruissent à nouveau. Les rêveurs, les casaniers endurcis se réveillent, eux qui n’en veulent rien savoir parce que leur monde s’arrête à la mer, à l’Aude et au chef lieu de canton, et parce qu’à la maison, les rares évocations de destinations lointaines sinon exotiques sont les anecdotes du père et de l’oncle qui aiment rappeler leur service militaire (5). 

    Et moi, même si plus d’un demi-siècle me sépare de cette classe de CE2 (6), même si je ne sais toujours pas ce qu’est un «Milobre», qu’il soit de Bouisse ou de Massac, ou pourquoi le village de Molières-sur-l’Alberte fut jadis abandonné, même si j’attribue à monsieur Roger une leçon plutôt de CM1 et surtout une manière d’être qui ont été avant tout les miennes, à force de triturer mes méninges, je suis soulagé de savoir qu’un instituteur au moins m’a donné l’envie parce qu’il se donnait, lui, avant de livrer un programme, parce que son respect de la personne faisait passer l’enfant en premier par le biais d'une pédagogie réfléchie et concrète plutôt qu'une programmation aussi théorique que bornée...un peu la différence entre faire boire et inonder...

(1) la thèse d’Alfred Wegener sur la tectonique des plaques n’avait, dans les années 50, qu’un impact encore confidentiel.  
(2) il n’a rien contre les mots savants qui, à petite dose mais régulièrement, apportent d’autant plus à la connaissance et entretiennent la curiosité qu’un seul doigt levé lui permet d’en défricher les sens.
(3) au pin d’Alep, beau, tordu mais inexploitable, s’est substitué par endroits le pin des Landes qui pousse bien droit.
(4) correspondant au château de Puilaurens.
(5) on parle moins des deux périodes de guerres du siècle, autrement traumatisantes.
(6) à l’étage, qui donnait à la fois sur le boulevard et le parvis, les escaliers de la mairie. 

photos autorisées images google / wikipedia /  1 Plan de Roques (Clape) 2 Château de Peyrepertuse 3 Gorges de Galamus.