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samedi 4 novembre 2023

MARTIGUES ENFIN (2)

 — ...Le jour dit, 29 octobre, de la part d’une Nathalie qui, sur fb, se souvient, Brassens aurait dit « Qu’importe ma vie ! Je veux seulement qu’elle reste jusqu’au bout fidèle à l’enfant que j’étais ». Nathalie illustre sa réaction avec un Titi parisien de 7-8 ans, un poulbot, un Gavroche presque, en culotte courte, au sourire gouailleur, chaque bras soutenant du majeur le cul d'une bouteille de pinard calée contre l’aisselle, pour papa, pas Gervaise j'espère, une photo n. et b. signée Henri Cartier-Bresson (1)     

C'est pas le tout... Et alors ? Martigues ?  

— ...Bien sûr que l’inspiration est un mix particulier entre la personnalité éponge de ce qu’elle ressent d’un présent submergé de passé, l’état d’esprit du moment, sa perception et conscience des générations antérieures, des plus modestes personnages familiaux, locaux, jusqu’aux signatures qui insufflent ou font autorité ; dans cet ensemble, la base bibliographique à portée importe, de même que la ressource actuelle, magique, offerte par l’Internet. Cet assemblage qu’on voudrait mosaïque, marqueterie, réagit, résonne lorsqu’on lui présente un matériau, une idée, un mot... et là, faut vraiment rester vigilant, disponible : ne pas rater le chaînon, enchaîner les jalons sans lesquels la veine se perdrait...

— Et Martigues dans tout ça ?  

Martigues Miroir_aux_Oiseaux 2023 Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International, 3.0 Unported, 2.5 Generic, 2.0 Generic and 1.0 Generic Author Benjamin Smith

— Alors, Martigues, Martigues... « Les Martégaux oh oh, de la Martiale... ». Pardon de mémoriser de travers, après vérification, ce sont bien les “ pescadous ouh ouh, de la Martiale ” chantés par Alibert en 1936 ! Formidable Wikipédia ! Pour présenter Martégaux et Martégales, ils invoquent l’inévitable “ Venise Provençale ” ; bof, on banaliserait presque suite à la surprise que nous fit Brassens... Par contre, à côté, la photo des barques “ aux douces couleurs ”, ces tartanes sœurs de nos catalanes (des chances pour que les plans de ces bateaux soient venus de Catalogne), finalement, rappellent qu’à Martigues, plus que des pescadous du dimanche, les marins-pêcheurs du lieu damaient le pion à Marseille (343 tonnes en 1842 !)... À quai, amarrées telles des juments patientes, Camargues cela va sans dire, chamarrées, les héritières des tartanes offrent au touriste plus qu’une carte postale : avec elles, ce sont les anchois, les sardines, les maquereaux, les thons d’une mer jadis riche... le parler sans fard des poissonnières. Qu’on doive associer à cette conque d’abondance, le prédateur insatiable en bout de chaîne, qui lui s’est cru malin d’avoir tout raclé, est vraiment regrettable. Derrière les barques, roses, ocres, pastel, les couleurs aussi douces des façades, rehaussées par deux extérieurs lie-de-vin. Quitte à passer pour un allumé du parler familier, la légende de la photo “ Le Miroir aux Oiseaux de Martigues ” a encore de quoi m’exalter, comme si le tableau n’y suffisait.  
Émile Beaussier Martigues musée_Ziem 1930 Domaine Public

Ziem_Félix Les Martigues Rentrée_des_tartanes Domaine Public Passeur Rvalette

Le “ Miroir aux Oiseaux ”, un des nombreux petits ports de Martigues, avec ses deux îles restantes, ses canaux, ses ponts qui lui ont valu, depuis Alexandre Dumas, le titre de “ Venise Provençale ” : le site comptait alors de nombreuses îles que le creusement du canal de Caronte supprima à partir de 1863. « Aux oiseaux oh oh... »... une légende raconte que des vignes poussaient devant les maisons et que, perchés sur ces treilles, les oiseaux se miraient dans l’eau. Légende, poésie, beauté ne pouvaient qu’attirer les artistes peintres : Eugène Delacroix (1798-1863), Camille Corot (1796-1875), Émile Loubon (1809-1863), Félix Ziem (1821-1911), Paul Guigou (1834-1871), Henri Aurrens (1873-1934), Émile Beaussier (1874-1943), Raoul Dufy (1877-1953), Vincent Manago (1878-1936).

(1) Mon commentaire : « je me reste fidèle... quand je ne serai plus là, le sale gosse que j'étais pourra le prouver... »... Libre vous êtes d'aller chercher la photo que je ne peux rendre publique. 

Martigues 2018 Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 Georges Seguin (Okki)


samedi 26 septembre 2020

Derrière l'Horte / Fleury-d'Aude en Languedoc

 

Au sud, au sud-ouest, deux collines dominent le village ; par dessus les tuiles, elles regardent la Clape, la montagne qui nous cache la mer. 

 


Tout un monde de coteaux, de chemins creux, de marges raides (1), de laisses plantées de vignes, qui irrésistiblement nous appelle pour l'amandier fleuri puis les parfums du chèvrefeuille ou du genêt. A la rentrée la rouge azerole à mordiller et qui vite se retrouve par terre, comme escampée par l'esquirol sadoul des jours avec, le grain de raisin pruiné à picorer, qui vous colle aux doigts à force de sucre. C'est vrai que si, gamins, on y court pour se poursuivre, on y va aussi seul pour une botte de poireaux, d'asperges, les closcos durs après la pluie, une poignée d'amandes, les grappillons. Entre petits profits et maraude (cerises, raisins bons), c'est vrai que le jeu est minime mais chiper, chaparder se pardonne venant d'un chenapan... Le même qui pille les œufs de pie, démolit les cabanes des autres, remarque les crottes de lapin avec une convoitise de braconnier mais se détourne finalement du nid d'apuput dans les pierres sèches : ça sent trop mauvais ! 


 

C'est là que d'instinct j'emmène mes invités, ces copains du Lot, d'un jour, je me souviens, qui vous laissent à jamais leurs bouilles complices, pour dire "vous avez mangé chez mes parents mais ici c'est chez moi", comme si la coquinerie de l'âge se fondait dans un paysage à la fois sauvage et domestiqué. J'ai employé l'imparfait : c'est que cette idée de partage s'est pour le moins estompée, les hommes sont devenus plus possessifs et même sur un chemin de terre, alors qu'on ne se posait pas la question, on se demande désormais si nos pas ne foulent pas la propriété d'autrui (2). Laissons. Replongeons-nous dans un temps que les moins de quarante ans ne peuvent pas connaître. 

 (1) pour ne pas rester hermétique : marge = talus, laisse = terrasse, escamper c'est jeter dédaigneusement, l'esquirol c'est l'écureuil, sadoul = repu, gavé, closco dur = escargot ourlé, adulte, apuput = huppe d'après son chant. 

(2) Je demanderai à la mairie quels sont les chemins autorisés ou interdits. 


mardi 2 août 2016

"PAS BESOIN DE LONGS VOYAGES..." / Maurice Genevoix.

«... il n’y a pas besoin de longs voyages à travers le monde pour se convaincre que ce monde est riche, plein de beautés et de secrets. Tout ce que l’on croit découvrir en voyageant d’un continent à l’autre, comme je l’ai fait, rejoint des souvenirs et des impressions d’enfant. Je m’en doutais depuis longtemps. Mais à présent que je suis vieux, j’en suis sûr... /... J’ai parlé d’enfance, tout à l’heure. je crois que j’y reviendrai souvent. Que notre enfance, pour l'essentiel, détermine l'homme que nous serons, je pense profondément que c'est vrai. Il est seulement dommage.../...que le jeune homme.../... à tout le moins l’oublie trop et trop vite. je crois pourtant que cela lui passera, que la mémoire lui reviendra de la fraîcheur première de ses impressions d’enfant, de leur intensité vivante... » 

Maurice Genevoix, Tendre Bestiaire, 1969. 

 
Maurice Genevoix (1890-1980). 
 « Il suffit que j'y songe encore pour retrouver une très lointaine ivresse : de joie de vivre, d'augmentation de l'être, de capiteux et éternel printemps. Et comment me tromper à ce délicieux vertige ? C'est l'enfance ! » Jeux de Glace, 1961 (source Wikipedia).

A l’âge de 89 ans, il nourrit encore un projet de roman, traitant du passage de l'enfance à l'adolescence, avec l'intention de mettre en épigraphe une citation de Victor Hugo : « l'un des privilèges de la vieillesse, c'est d'avoir, outre son âge, tous les âges. » (source Wikipedia). 
Photos autorisées : 1. Maurice Genevoix auteur Jacques Tassin (dessin d'Anne Tassin qui a donné son autorisation). 
2. Maurice Genevoix lamontagne.fr

mardi 19 juillet 2016

SI TU REVIENS JAMAIS À SAINT-PIERRE, UN DIMANCHE.../ Fleury d'Aude en Languedoc




« Quand on allait à Farinette, le dimanche... » (Maurice Puel). Ça sonne comme un prélude, quelques mesures, une ouverture. De Ravel ? Qui sait ? Ou alors une opérette ? Sinon une chansonnette à fredonner ?

« Si tu reviens jamais danser chez Temporel, un jour ou l’autre... »
                   Paroles André Hardellet, chanté par Guy Béart (1957 ?)

Si tu reviens jamais à Saint-Pierre, un dimanche...
«... Tu sais qu’on (sans doute Georges Laffon) avait pastiché la chanson de Georges Milton « C’est pour mon papa » au café des Pins qui appartenait alors au Cuxanais Maurice Fabre dit Moriss... / ... A Saint-Pierre, il avait cette année-là l’orchestre George Laffon (George était censé faire plus chic) et un garçon d’une grande dextérité, très élégant dans sa tenue et qui imprimait à son plateau chargé de verres et de boissons des arabesques remarquables. Un passage de la chanson disait :

« Tous les bons pastis ça c’est pour Moriss
Servir vite et fort ça c’est pour Victor
... Filets de bœuf, langouste et bouillabaisse
On en a tellement qu’on en laisse !
... Les jolis bostons, ça c’est pour Laffon...
La gaieté et l’entrain
Sont au Café des Pins
Et les bons pastis ça c’est pour Moriss !! »
                                              François Dedieu / Caboujolette / 2008.

Ce matin, le grec pousse ses nuées humides. Les estivants roupillent encore mais des fourgons foncent vers le marché, vrai ventre du secteur et de plus loin encore. Quelques "villas" (des cabanons plutôt, ce qui ajoute encore, à leur charme), se souviennent, comme celle de la petite tour, telle un castellet. En face, une plaque, énigmatique, indique la rue « du tunnel ». Qui peut bien se douter des défenses creusées pour les Allemands et de ce tunnel justement, utilisé par la suite comme champignonnière par Daudel, l’épicier de mes jeunes années ? 


Ce matin, sous la grisaille, Saint-Pierre vieillit mal et cette pinède dont elle ne se souvient pas veut rappeler que là où les maisons, les résidences et immeubles s’agglutinent, la garrigue de Périmont embaumait. Un vieux pêcheur désabusé me dit que c’est Alzheimer. Pour quelqu’un qu’on connaît, ça fout un coup !

Et le Saint-Pierre de l’oncle Maurice à la mine rougeaude dont le souvenir ne peut associer qu’un bon repas mêle aux cadavres de bouteilles en tas dans un coin ? 

Avant hier, depuis le front de mer, les Albères, l’échancrure du Perthus, la majesté du Canigou inscrivaient comme une signature sur la courbe du Golfe vers le sud.

«... et les Pyrénées chantent au vent d’Espagne
Chantent la mélodie qui berça mon cœur...»
                                      « Mes jeunes années » Charles Trénet 1949.

Était-ce l’annonce d’un temps marin et humide à venir ? Ce n’est pas le frais vent d’Espagne ni le gentil marin, plutôt le grec, lourd et amenant le mouillé (les viticulteurs seront contents). Entre le changement climatique et cette fraîcheur qui vient tout contredire, on ne sait plus sur quel pied danser... 

«... En passant avec les enfants, on dansait un air ou deux... Qu’est-ce que j’aimais ça ! Depuis la baraque ou même la caravane, on entendait les flonflons, c’était agréable » (maman).
Et papa de préciser ce que je ne savais pas :  « C’était la guinguette de "Binsou" : « Mets un disque Marie-Louise, on ne sait jamais...». Il n'a pas tenu longtemps, elle n’avait pas beaucoup de succès... »

Il se montrera le soleil, aujourd’hui ? Mon fils se lève. Le voici mon soleil et sa bonne petite bouille. Je ne lui dirai rien, pour l’alzheimer, ni pour cette nostalgie qui ronge telle la rouille en bord de mer. Il rit, il vit et Saint-Pierre toujours aussi accueillante, rend si heureux, même quand le drapeau rouge interdit le bain. 

« Une chanson, c’est peu de chose,
Mais quand ça se pose,
Au creux d’une oreille, ça reste là, 
Allez savoir pourquoi... »
                                                Les Compagnons de la Chanson.

jeudi 7 juillet 2016

OC, OC, NougarOC ! / Fleury d'Aude en Languedoc


La vie, par instants, s’éclaire d’une vive flambée mais c’est sous la cendre qu’elle couve longtemps son lot d’amour, quelques flammèches en témoignent, des fois. Sauf que ça ne se fait pas de se consumer en public, si, chez ces gens-là, « J’aime » c’est épancher son flot ! Et affirmer ses sentiments, en assumer la vigueur serait une preuve de faiblesse.

"Notre cœur est un trésor, videz-le d'un coup, vous êtes ruinés. Nous ne pardonnons pas plus à un sentiment de s'être montré tout entier qu'à un homme de ne pas avoir un sou à lui."
Honoré de Balzac --Le Père Goriot (1835)

Grillé, carbonisé ! Plutôt s’accepter dans le paradoxe, pleinement frêle et fort, yin et yang, braise qui s’éteindrait de ne pas déclarer ses flammes, de ne plus partager un feu avec d’autres entretenu.

Parmi les tisons qui sommeillent, entre âme et contre-cœur, il y a Nougaro. Nous parlions d’Occitanie à cause des turpitudes politiques, du jacobinisme exacerbé, macro sinon hydrocéphale... je ne sais plus et puis on boit du vin, dans le Sud, macarèl ! Avec Nougaro, l’accent, « il est loin mon pays, Toulouse », chantent l’Occitanie et si personne n’a oublié Nougayork, Nougaroc aussi nous prend aux tripes. 



Claude, c’est l’écho de la voix de papa, l’écho d’un pays qui aimerait vivre et respirer sans que tout ne soit dicté et imposé d’en haut. Claude, jongleur de mots dans la langue de tous, raison de plus pour ne plus tolérer la ségrégation visible d’un iceberg de racisme lampant contre le parler des ancêtres, dont ceux de 14, contre notre langue d’Oc (1). 



Claude est venu à moi, j’avais onze sinon douze ans, un jour que je me sentais libéré, passé le porche au classicisme imposant du collège municipal mixte de Pézenas, de l’emprise d’Henri IV, Vidal de la Blache et surtout des professeurs plus pressants et austères. Comme délivré de l’ascendance du Commandeur, m’adonnant aux rêveries aussi futiles qu’oisives de mon âge, je rentrais à la Buvette des Rosiers par le square du Poilu. Entre la mairie et le Cours Jean Jaurès, un quartier populaire de petites rues, d’habitations modestes et collées, à l’opposé des hôtels particuliers si prisés mais plus loin. Une mémoire facétieuse m’a longtemps fait fredonner « ...sous ton balcon, comme Roméo, ô ô, Marie-Christine...», alors que Nougaro était juste papa de Cécile, sa fille...
Monté à Paris, sésame incontournable puisque la province ne reste ouverte qu’à pas grand chose, Claude Nougaro, reste enraciné dans le Sud, « solide comme un roc ». Occi... occitan, son cœur reste entre Toulouse et les Hautes Corbières, en l’occurrence... 

(1) mise à l’honneur notamment par un autre Claudi, Marti de son nom occitan.    


    

vendredi 23 mai 2014

CORBIÈRES MYSTÈRES (VI) / "Monsieur, c'est quoi les Corbières ?"


     La classe a à peine eu le temps de sortir les affaires, quand, entre cartables et pupitres, les blouses grises se posent,bon gré, mal gré, pour une nouvelle semaine. Néanmoins, un doigt se lève. Il cherche à provoquer ce petit rien, ce grain de sable qui viendra perturber la monotonie d’un jour ordinaire, plus pesante encore, un lundi. C’est le moment propice, entre le bruissement de l’installation, le retour au calme et, ensuite, cet instant suspendu au maestro sur le point de lancer l’ouverture. L’index vers le plafond le sait : seule la question qui s’envole loin des contretemps domestiques peut perturber l’ordonnancement bien réglé. Parce que le maître a les yeux qui pétillent derrière ses verres, qu’il est capable, en une seconde, de sortir du carcan pour partager sa curiosité du monde. Et le quémandeur qui n’en demandait pas tant va se laisser prendre à son propre piège. Il n’empêche, la géographie, de bon matin, plutôt que la leçon de morale, c’est chouette !
      Une calvitie hâtive lui a dégarni le crâne mais sur les côtés, le cheveu reste dru et noir. Et puis, il a l’accent rocailleux, monsieur Roger, comme les Corbières.
    « Les Corbières, un nid de corbeaux, d’après certains, traversé en diagonale, si l'on ne tient pas compte des nombreux itinéraires possibles, par une départementale unique, pratiquement 80 kilomètres sans un poste d’essence ! Les Corbières valent mieux que cela ! Tu me prends à l’improviste mais je veux bien essayer de tracer quelques pistes si vous me promettez un travail de recherche derrière... 
     Un « oui » trop franc pour être honnête en dit long sur le fond ambiant : « Tu peux chanter... ». Le bon maître n’en a cure, il a ses raisons et, inébranlable, poursuit :
    Les Corbières doivent aux Alpes et aux Pyrénées d’exister. Imaginez des sédiments, comme des assiettes gigantesques, en carton, déposées au fond de la mer. La formation des montagnes (1) est venue soulever cette pile d’assiettes qui s’est déformée vers le haut, formant des anticlinaux, ou vers le bas, formant les synclinaux (il en fait le schéma au tableau).
    La pile d’assiettes s’est parfois cassée laissant alors un débris suspendu entre deux vallées (il complète le schéma). Ces plis, vous pouvez les voir ici, chez nous, dans la Clape que la géologie a poussée depuis le sud-ouest sur des kilomètres, ce qui semble incroyable !.. Je veux parler de la Barre des Karantes, de la garrigue de Vires, du Plan de Roques, entre autres. 
Ces plis, ils sont aussi dans toute la partie nord de ce qu’on appelle, en restant vague, à partir de Narbonne et vers le sud-ouest, les Corbières (il trace un rectangle presque aussi grand que le tableau puis une médiane entre les deux largeurs).
    Concomitamment (2) à la mer, qui, au cours des âges, a vu plusieurs fois son niveau monter ou descendre... pensez qu’on trouve des fossiles marins en altitude... une partie de ces plis s’est aussi effondrée : elle se trouve sous l’eau du Golfe du Lion et de l’autre côté, à Marseille, les chaînes de l’Estaque et de l’Étoile par exemple, font partie de la même famille de montagnes que les Corbières.
    Si on parle de massif, c’est sans aucun doute par facilité alors que le pluriel "Corbières" sous-entend qu’elles sont diverses : d’abord les calcaires parfois quillés sur des terrains plus récents, sont plus ou moins vieux... (il hachure la moitié supérieure du rectangle)Tout près, avant Coursan, à Céleyran, ce n’est déjà pas le même qu’ici ! A Névian c’est encore autre chose et ne parlons pas de Saint-Laurent-de-la-Cabrerisse ! Et en plein milieu des Corbières, on se demande ce que viennent faire les schistes du massif de Mouthoumet (il pointe de la craie la partie inférieure)... L’affirmation a même couru qu’il s’agissait « d’un lambeau de Massif-Central » ! Le fait est que les paysages changent du tout au tout. De la garrigue méditerranéenne et des pins... du moins ceux qui ont repoussé, naturellement ou non (3), après le déboisement dû aux humains... citons les cueilleurs devenus agriculteurs, les bergers, les moines défricheurs, l’installation de forges et peut-être aussi Colbert pour le bois de marine... on passe au maquis avec des chênes, des châtaigniers, des pâturages... même les races de moutons changent !
    Les Corbières, les enfants, sans encore parler d’une Histoire longue et chargée... les fils de Carcassonne, ces châteaux médiévaux ou forteresses royales qui gardaient la frontière d’Aragon (cinq croix rouges dont une en dehors du rectangle (4), apportent un peu de couleur au tableau) et devinrent pour certains, les ultimes lieux de résistance contre les croisés du nord venus voler les terres au prétexte qu’il fallait éradiquer l’hérésie cathare...
 Les Corbières, sans oublier, quelques siècles auparavant, l’avancée arabe marquée par une Dame Carcas, dont on ne dit guère qu’elle résistait aux Francs, et par des batailles bien oubliées liées à l’Orbieu et à la Berre... Les Corbières, tenons nous en à la géographie, forment un château d’eau dans les quatre directions. (D’un tracé aussi franc que net, il figure l’Aude qui suit la largeur gauche et le haut du rectangle tandis que des hachures, toujours en bleu, schématisent, à droite, les étangs et la mer). Vers le Nord, principalement l’Orbieu et son réseau de ruisseaux, qui rejoint l’Aude à Raissac ; vers l’Ouest, toujours des affluents de l’Aude avec la Sals, le Lauquet (il prononce bien le « T » final, en bon méridional), pour ne citer qu’eux ; vers l’Est et la mer ou plutôt l’Étang de Bages, la Berre, et au Sud, le Verdouble affluent du fleuve côtier qu’est l’Agly (tout en parlant, il a fait courir et aboutir des serpentins bleus sur tout le rectangle). Tous ces cours d’eau doivent nous donner une idée des reliefs, fermés au sud, plus ouverts au nord. 

    D’où la distinction entre Hautes et Basses Corbières. Les Hautes Corbières (des hachures marron viennent remplir le quart sud-ouest du rectangle) arrivent jusqu’à la hauteur de Limoux. Ces sommets remarquables (quatre petits triangles, également marron, s’ajoutent) sont le Pech de Bugarach, à 1200 mètres passés, plus haut que le Pic de Nore dans la Montagne Noire, le Pech de Frayssé sur le Mont Tauch, et entre les deux, dominant le Fenouillèdes, une ligne de crête avec des sommets à plus de 900 mètres, et puis le Milobre de Bouisse, presque aussi haut, aux hivers froids et enneigés et pourtant à la même latitude qu'Alet-les-Bains...
    - Monsieur, c’est un "milord" comme dans la chanson ?
    - Non, pas un "milord", un "Milobre" ! (le nom est écrit au tableau). De toute façon, je n'en sais pas plus que toi... Vous et moi, et tous les humains, nous nous devons de combler, jour après jour, ne serait-ce qu’une petite parcelle de la grande ignorance qui nous accable... vaste chantier... A présent, ouvrez les cahiers, écrivez la date, « Géographie » pour la matière, « Les Corbières » pour le titre et relevez ce schéma au tableau, sur la largeur de la page et à main levée s’il vous plaît (il rajoute un tracé jaune qui divague, en gros, en diagonale vers les Pyrénées) : nous le reprendrons cet après-midi, pour compléter la légende et mettre les noms... Un début, des pistes à réfléchir, je vous le disais en commençant, pour organiser une étude plus poussée qui permettrait peut-être de chercher pourquoi, par exemple, entre 400 et 600 mètres d’altitude, les pays du LauqueT et de la Lauquette ont été désertés alors que la vie s’est maintenue dans d’autres zones pourtant plus rudes, Bouisse par exemple dont nous parlions tout à l’heure... »
   
    Les quatre rangées bruissent à nouveau. Les rêveurs, les casaniers endurcis se réveillent, eux qui n’en veulent rien savoir parce que leur monde s’arrête à la mer, à l’Aude et au chef lieu de canton, et parce qu’à la maison, les rares évocations de destinations lointaines sinon exotiques sont les anecdotes du père et de l’oncle qui aiment rappeler leur service militaire (5). 

    Et moi, même si plus d’un demi-siècle me sépare de cette classe de CE2 (6), même si je ne sais toujours pas ce qu’est un «Milobre», qu’il soit de Bouisse ou de Massac, ou pourquoi le village de Molières-sur-l’Alberte fut jadis abandonné, même si j’attribue à monsieur Roger une leçon plutôt de CM1 et surtout une manière d’être qui ont été avant tout les miennes, à force de triturer mes méninges, je suis soulagé de savoir qu’un instituteur au moins m’a donné l’envie parce qu’il se donnait, lui, avant de livrer un programme, parce que son respect de la personne faisait passer l’enfant en premier par le biais d'une pédagogie réfléchie et concrète plutôt qu'une programmation aussi théorique que bornée...un peu la différence entre faire boire et inonder...

(1) la thèse d’Alfred Wegener sur la tectonique des plaques n’avait, dans les années 50, qu’un impact encore confidentiel.  
(2) il n’a rien contre les mots savants qui, à petite dose mais régulièrement, apportent d’autant plus à la connaissance et entretiennent la curiosité qu’un seul doigt levé lui permet d’en défricher les sens.
(3) au pin d’Alep, beau, tordu mais inexploitable, s’est substitué par endroits le pin des Landes qui pousse bien droit.
(4) correspondant au château de Puilaurens.
(5) on parle moins des deux périodes de guerres du siècle, autrement traumatisantes.
(6) à l’étage, qui donnait à la fois sur le boulevard et le parvis, les escaliers de la mairie. 

photos autorisées images google / wikipedia /  1 Plan de Roques (Clape) 2 Château de Peyrepertuse 3 Gorges de Galamus.