lundi 9 juin 2025

« A Pentacosta, la guino gusta. »

« A Pentacosta, la guino gusta. », « À Pentecôte, goûte la guine », disait sa grand-mère Joséphine, comme aimait à le répéter mon père en première quinzaine de juin. 

Pas plus de descente de la côte que la route de Lauriole en Minervois qui fait semblant de monter alors qu'elle descend ou le contraire suivant le sens où on se met... Et quel pastis puisque la “ penta ”, c'est inventé, seuls « lo penjalut », « lo penjant » répondent à « la costa » ! Et puis, en grec, dans Pentacosta, Pentecôte (quelle idée aussi de nous embrouiller avec le chapeau sur le « ô », pas très orthodoxe tout ça) il y a l'idée de « cinquantième », on parle de jours... 

Guines

Autant parler des guines... Des « guignes » ? vous me reprenez ? c'est la poisse, encore une descente à monter... En Gascogne ils disent guindoul, guindoulh, guindoulot ; toujours d'après Mistral dans son Tresor dau Felibrige en Rouergue cela donne guindou, aguindou, guintou ; suit le proverbe « Rouge coumo un guindoul »... un effet bœuf chez les “ Ventres Jaunes ” du Ségala !    

« Per Pentacosta, lo guindol tasta »

Dans un certain Languedoc plutôt Haut que Bas à mon idée, pour cette cerisette aigre, on dit encore agrioto, guindoulo. Comme dans la chanson, elle pousse sur le guindoulié ou guindouliè (t'en souviens-tu), je préfère « guiniè » bien que « guinié » soit accepté aussi.   

 Un dernier truc et j'arrête avec les élucubrations :  Christian Horace Bénédict Alfred Moquin-Tandon (1804-1863), éminent scientifique connu aussi pour un canular littéraire sur un manuscrit de troubadour, titra « guindouleto, guindouletos » ses épigrammes et poésies, eu égard à sa naissance à Montpellier, à son travail à Toulouse (professeur d'histoire naturelle), à son rôle de rédacteur à l'Armana Provençau. 

Fini les confitures pour l'hiver !

Cette année encore, la pédale nostalgique, j'ai suivi les rives de l'Aude, plus de guines au bord de la rivière. À croire que comme le bocage de l'Ouest, ils s'en sont foutu le peilhot avec les haies débarrassées... Deux guines j'ai compté, et encore pas sur le même arbuste ! 

Aude
Exuvie
 
97

Mais j'y retournerai, quitte à pousser le vélo sur les chemins de terre, plus en amont, chez nos amis sallois. C'était mieux aujourd'hui : 97 guines au moins pour la photo et un signe de vie pas vu depuis 40 ans, une exuvie de couleuvre ! 

Pardon pour cet esprit taquin sinon malsain descendu sur moi pour Pentecôte... je n'en dirai rien à mamé Joséphine, mon arrière-grand-mère rappelant chaque année « A Pentacosta, la guino gusta » un dicton que suite à mon père, j'aime répéter à mes fils, en première quinzaine de juin. 

Joséphine Hortala née Palazy (19 mars 1874- 13 août 1958) 


dimanche 8 juin 2025

Le MOULIN, RENCONTRES et PASSAGES (6).

Tourne moulin ! À tout moment de la journée, de la saison, le moulin est un lieu de rencontre et de passage très fréquenté. 

En premier lieu, les clients, nombreux, venant souvent, toujours pour quelques petits kilos, qui restent discuter. Surtout que, sans radio, sans journal, sans téléphone, au moins au moulin savait-on ce qui se passe au village, le meunier en apprenait aussi dans ses tournées. Les cultures, le prix du blé, du maïs, la météo, le cochon, la chasse, la pêche, les champignons, le passé des vieux, des histoires coquines aussi, manière d’émoustiller les sèves descendantes… Sur la politique, on ne parlait que de loin, seulement en accord pour s’offusquer de la politique des copains, des coquins et profiteurs ; plutôt ménager l’autre, ne se lâcher qu'à l'occasion des municipales ! Et pour épicer le tout, des « à propos » hors l’ordinaire : un mort, un malade, une mauvaise fortune, une dispute de voisinage, un ménage qui flanche, un cocu, une femme légère, rien n’échappait aux langues bien pendues… Et, comme dans tous nos villages, les hommes, régulièrement plus commères que les femmes sauf que le masculin « compère » n’en dit rien. Les faibles affluences, la porte fermée du moulin, alimentaient des ragots à fantasmes autour de meuniers coquins et de « belles meunières ».

Moulin qu'est-ce qui t'arrive ? Visibles de loin, les ailes arrêtées stoppaient la belle mécanique, tant celle du grain que la meule des cancans et potins. Justement, hors les grandes réparations nécessitant une immobilisation certaine ainsi que la mobilisation d’un ou plusieurs charpentiers des moulins, une fois le mois, parfois deux, le professionnel devait redonner de la morsure aux meules, en rhabiller patiemment les aspérités indispensables à la mouture. Ce devait être fait dans la journée. 

Meules décoratives du square de la Batteuse toujours appelé « Jardin Public ».

Complexité dans la simplicité comme pour tout ce qui concerne la marche du moulin à vent ! On n’en finit pas d’être impressionné ! Du dur ! granit du Sidobre, silex blanc de Bordeaux1 pour les meules2 ! Huit-cents kilos, une tonne, la volante ! déjà faut la soulever, la lever qu’ils disent !

La maillette, ses pointes suivies par le forgeron y appliquant ses secrets de trempe, le dos des mains noir à force d’éclats de silex et de fer sous la peau… des meuniers aux mains noires ! étonnant non ? Plus triste cette silicose attaquant les poumons lorsque ce n’était pas une lie des farines respirées toute une vie.

Il faut en être, en gros, à la première centaine de pages pour se demander ce qu’il y a d’autre dans les trois-cents autres de l’ouvrage3. « Mais c’est bien sûr », comme disait Maigret des « Cinq dernières minutes », Raymond Souplex (1901-1972) de son nom de scène, satisfaire à la collection « Terre Humaine » implique un exposé ouvert sur la vie au temps des moulins à vent.

Déjà avec la diversité des gens extérieurs au village qui passaient, ce qui n’est pas sans écho encore auprès de ceux de mon âge issus d'un village. 

Eugène_Atget_(French_-_Chiffonier, Ragpicker, Lumpensammler, Domaine Public Source qgExu-hp1fHWjA at Google Cultural Institute maximum zoom level

Les auteurs ne manquent pas de citer le pelharoc… nous autres disons « pelharot », à une lettre près, en parlant du chiffonnier ; le marchand d’allumettes de contrebande puisque l’État exerçait un monopole rapportant une taxation. Suivent le vendeur d’almanachs, le lunetier, le raccomodeur, l’étameur, le montreur d’ours ! Et chez les éclopés de la vie, les vagabonds, chemineaux et mendiants, des pauvres gens, diseurs de psaumes ou non, qui chaque année, savaient où retrouver les bonnes adresses, le bon accueil.

Figurent des parties sur le pain, le millas, la tue-cochon, la fête locale, les bals, le carnaval, la noce, la famille, les malheurs… Encore des découvertes, de bons moments en perspective ! 

1 Le calcaire marin à alvéolines et inclusions de silex du gisement de Saint-Julien-des-Meulières, pour équiper les moulins plus vers chez nous, à l’Est, devait aussi convenir à l’activité.

2 Je m’égare au souvenir de mon copain de classe, Antoine (1950-2020) confirmant qu’une camarade de classe avait de belles meules. Nous ne parlions pas des moulins… Entre émotion et sourire, bien sûr que la coquinerie ne touche pas que les meuniers. Pardon pour cette digression…

3 Plus d’une centaine aussi, au bout, sur la fin des moulins ainsi qu’un dictionnaire sur la meunerie.

samedi 7 juin 2025

BLANCS ou VOLEURS, ces MEUNIERS ? (5)

Une mine ce livre à aligner tant de détails intéressants et singuliers sur une activité révolue, plus encore quand on manque de références personnelles... tout le monde n'a pas eu un meunier dans ses aïeux ! 

Le blanc est la couleur dominante, assortie à la farine ; la tenue du meunier, veste, pantalon, béret, en atteste de même que la blouse qui les faisait reconnaître au milieu des blouses bleues ou noires. 

Régulièrement, un “ qu'est-ce que c'est ? ”, un « qu'es aco, qu'es aco ? » vient illustrer de ses devinettes la richesse de la langue occitane : 

« Quatre domaiseletas vestidas de blanc que se siegon e se podon jamai trapar ? (Quatre petites demoiselles vêtues de blanc qui se suivent et ne peuvent jamais s'attraper ?) « Las alas del molin » (Les ailes du moulin). 
Sinon, deux autres « domaiselas » qui font du blanc ? Les deux meules (1). 

Et les chats, ils étaient blancs aussi ? Peu importe, l'essentiel est qu'il soient là contre les souris et les rats ; en nombre, à trois ou quatre, en plus des pièges, pour dire si les rongeurs étaient nombreux ! Et des rats parfois gros à faire peur aux chats ! Misère, des tripailles de souris dans la farine ! Alors on fait venir le magicien, il n'a pas la flûte du Rattenfänger, de l'attrapeur de rats de la légende à Hameln mais accompagne son bâton qui pointe tous les coins du moulin de ses formules marmonnées. Il ne reste plus, toujours en grommelant, qu'à jeter le bâton à un carrefour... Un bâton bien droit, à l'écorce pelée, travaillé, manière de tenter le passant ignorant que la gent trotte menu va derechef se retrouver chez lui ! 
Vous n'y croyez pas ? Moi je le laisse le bâton, je ne le regarde que de loin, je le contourne ! 

Du rat au voleur, il n'y a guère (2) et c'est vrai que cette réputation a toujours poursuivi le meunier, l'occitan raconte encore que le farinier troue le sac, vole la farine et dit que c'est le rat, sinon que si ce n'est pas le cas, il en a quand même la mine... pas de fumée sans feu en quelque sorte...  

Mesures_de_capacité_en_bois_après_1793_(décalitre,_litre,_demi-litre) 1793 under the Creative Commons Attribution 4.0 International license. Auteur Daieuxetdailleurs


Pour se payer, le meunier remplit une mesure, de ces mesures en bois qu'on voyait encore dans l'armoire de l'école, un dixième bien tassé et surmonté du “ pointu ”, un ponchut, une pyramide surmontant le tout. 
Pour payer le client, le meunier fait couler doucement la farine dans la mesure, ce qui aérait un volume moindre de farine. 
Cet aspect du commerce faisait partie du folklore, des plaisanteries réciproques, du genre 
« Tu m'as volé plus que les autres ! 
— Mais non, c'est pareil pour tout le monde ! », réponse du meunier. 
Jusque dans les proverbes : « Change de meunier, tu ne changeras pas de voleur ». 

Alors, les meuniers ? des riches ou des gagne-petit ?  

Meules décoratives du square de la Batteuse toujours appelé « Jardin Public ».

 
 
(1) La bonne vitesse des meules « se voyait à l'oreille ». L'écartement se réglait afin d'éviter plus que tout que la farine ne se “ rumât ”, qu'elle ne roussît point
(2) Un colis de mes parents m'étant parvenu troué, afin de se dédouaner, le préposé, peut-être de Mayotte ? avait fléché le trou et commenté « C'est le rat »... Pour sûr, un pli de saucisse sèche ne peut qu'attirer des convoitises ! 
 

INSTITUTEURS toujours... galerie d'images.

 




Message_de_sa_fiancée,_Alain_est_mort_depuis_10_jours under the Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International license. Author SD.Chatane 


L'école de Pergaud à Landresse.


Grézieu_(69) 2017 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International license. Auteur Aavitus

Fétichisme mémoriel. 








Ah Alain Mottet (1928-2017) dans Le Bossu ! 



MAÎTRESSES toujours...

 Maîtresses toujours, instituteurs toujours, cher compagnonnage de la communale, des coquelicots et marguerites pour avoir aussi contribué à faire fleurir le respect des enfants et de soi, malgré la timidité extrême de nos effusions, de belles rencontres me poussent à regratter la page, à moins m'en vouloir aussi d'une nonchalance coupable.

Logés à la même enseigne que tous, des instits femmes ou hommes partent sans que nous acceptions le vide laissé ; raison de plus, au contraire pour resserrer les rangs dans cette solidarité de corps qui nous a tant confortés.

Le souvenir “ tranquille ” d'Alain-Fournier (1886-1914), de Louis Pergaud (1882-1915), celui plus personnel de René Pesqui (1937-2017), dit « L'oncle », parce que du pays et pour le dernier stage CM2 à Grézieu-la-Varenne avec les tilleuls en fleur (juin 1972), celui, plus poignant de Jean-François Knecht (1957-2007), compagnon à Mayotte, forcent d'un coup mes défenses émotionnelles. En cause, un décès soudain, choquant (51 ans), et d'autres dont je n'avais pas idée, tant à la fois que j'en déborde. Pardon.

Le premier, dans les “ tranquilles ”, celui d'André David (1893-1915), certes de l'École Normale Supérieure, pour son travail aussi expéditif que remarquable sur la Montagne Noire. Bien des critères pour rester honoré...

Le second, hélas d'actualité, de Sébastien Saffon (1974-2025) qui après dix-sept ans dans le primaire, a passé une maîtrise d'Histoire. Riche de ce qu'il a transmis sur la vie agricole du Lauragais dont « Ceux de la Borde Perdue », sa trilogie « La Combe » ; il nous quitte du jour au lendemain, nuit du 17 au 18 mai 2025.

On cherche, on prolonge (c'est formidable l'Internet !) pour tomber sur « Les grandes heures des moulins occitans »,encore sur le Lauragais, d'Huguette et Jean Bézian (1935-2015), instituteurs tous deux d'origine.

Alors vagues sous un crâne, je pense à Roger Bels (1921?-2001?) qui nous a laissé un beau livret sur le département de l'Aude... et, tout à fait en accord avec le mot de Michelet

« Chaque homme est une humanité, une histoire universelle »

(petit dépit les majuscules manquantes à « Homme » et à « Histoire » [quel culot !]).

En remontant presque aux sources, je me dis qu'au titre de collègue j'aurais dû aller parler à Francis Patrac (1935-2018) : il a enseigné à Salles-d'Aude où peut-être des publications d'élèves Freinet dorment dans un placard ; il connaissait si bien la faune, la nature de notre garrigue...

Pour finir, en hommage au lien entre Albert Camus et son instituteur Louis Germain (1884-1966), je m'en voudrais de passer à côté des enseignants de notre école à Fleury, chronologiquement Louis Llobet (1935-2009) qui avec son épouse nous ont encadrés en tant qu'ados autour d'une activité Théâtre, et en classe, Louis Robert (1906-1993) malgré sa méthode à l'ancienne et, une fois retraité (lui) plus pour nos promenades complices... et Monsieur Rougé, au CE2, c'est mon Monsieur Germain à moi, de ceux, (il y eut des profs par la suite dont Marcel Sinsollier [1932-2024]) qui vous découvrent un coin de bleu quand votre ciel n'est pas beau...

Nul besoin de coterie entre nous, le lien nous dépasse, pour avoir toujours eu le souci de laisser fleurir nos enfants, restons solidaires aussi des vivants qui de près ou de loin, nous ont côtoyés, nous côtoient, nous ont apporté, nous apportent.

Chers collègues de la communale, des coquelicots et marguerites, institutrices toujours, maîtres toujours !

vendredi 6 juin 2025

ROUES de la VIE, ROUES de mon CŒUR (4)

Pour moudre, faut tourner les ailes au vent, donc tourner la capelada, le toit ; un sacré effort pour un meunier valide, alors pour une femme... Cocagne si un couple de bœufs amis passait fortuitement dire bonjour. Relatif au gros moulin, un treuil à cet effet, aux points d’ancrage bien disposés sur la butte, restait plus que nécessaire. 

Le_Bournat_-_Moulin_à_vent 2019 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International license. Auteur MOSSOT. Bien qu'en Dordogne, pour se rendre compte de l'envergure dangereuse des ailes. 

Ensuite faut habiller les ailes, entre deux et huit voiles, suivant le temps, lâcher le frein qui les bloque chacune son tour, droite, accessible, ne restait plus alors qu’à fixer les toiles… façon de parler, l’arrêt devant être assuré, bien assuré. Deux solides bâtons fourchus y suffisaient sinon une corde lestée d’une grosse pierre. Ne surtout pas s’aviser de se soustraire à cette sécurité, la manœuvre dût-elle se répéter dans la journée. Même léger, le vent peut se lever à chaque instant ; les imprudences se paient cash !

Deux toiles, huit kilos sur l’épaule et l’aile qui se met à tourner. Appels de détresse. La femme vient stopper le mouvement. C’est trop haut pour sauter, l’aile est aux ¾, Ce n’est qu’une fois à la verticale, au point zéro du tour, qu’il est facile de descendre, barreau par barreau.

Ne parlons pas de la fantaisie de celui qui, toute sa vie, n’a pas réalisé l’envie de s’attacher la tête en bas pour mieux voir le paysage une fois en haut. Et les gosses qu’il fallait avoir à l’œil, celui qui s’accroche pour sauter une fois à trois ou quatre mètres du sol ! Pire, le drollet de six ans, en fœtus autour d’un barreau ! Si sa mère n’était pas venue, l’aile entamait déjà un deuxième tour ! Et fier, qui plus est d’avoir vu de là-haut, Castelnaudary et la Montagne Noire. 

Moulin_à_vent_de_Vignasse 2012 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported license. Auteur Raphael Isla. L'inclinaison des barreaux démontre le vieux principe de l'hélice réceptrice.

Tout ne se terminait pas aussi bien, à commencer, banalement par les mains et les pieds gelés en hiver ; le moulin travaillait beaucoup, à la demande, par petites quantités, les gens qui mangeaient du millas pour tenir le coup faisaient moudre au fur et à mesure.
Un cran au-dessus, les accidents : tomber à cause de la glace sur un barreau… « Ferraille » on l’appelait comme ça depuis qu’il avait une plaque de fer dans la jambe. Pour un autre, la réaction du docteur a tout dit : « Vous m’apportez un paquet d’os en miettes. » : pour quelle suite ? Sinon, fin de l’histoire suite à une chute mortelle, les cas ne manquent pas. Les accidents collatéraux non plus ; cette aile de 500 kilos qui passe à portée, inarrêtable pour celui qui une fois en haut s’est lâché !

Est-ce que tout cela participe de la fascination ressentie pour les roues qui tournent à l’image de la roue des amours, des destinées, d’une petite vie si grande puisque unique dans les cent milliards d'existences humaines passées ?

« Comme une pierre que l’on jette dans l’eau vive d’un ruisseau… », cette belle et douce ambiance m’a longtemps laissé croire que Michel Legrand voyait tourner la roue d’un moulin à eau. Mais non, de même que la pierre ne peut pas laisser des ronds dans l’eau vive, par milliers qui plus est, la chute ne peut que confirmer que le moulin de toutes nos émotions tourne bien sur la colline, sans à-coups violents, pour Legrand « …Au vent des quatre saisons, tu fais tourner de ton nom tous les moulins de mon cœur. ». (paroles Eddy Marnay [1920-2003], musique Michel Legrand [1932-2019]).

Le moulin à eau, lui, tourne pour Marcel Pagnol, ce qui, de la part d’un auteur de Marseille, pourrait paraître paradoxal, à moins que, sous la furia du Mistral, au constat inéluctable qu'est la fin, la sérénité de la Durance éternelle n'apaise…

« Le temps passe et il fait tourner la roue de la vie comme l’eau celle des moulins… » Marcel Pagnol.


jeudi 5 juin 2025

QUEL BÂTI pour un MOULIN ? (3)

L’apéritif, la mise en bouche sont autant susceptibles de rassasier avant le repas que d’impatienter le moment de se mettre à table. À propos du livre des époux Bézian, on se languit d’un menu ne pouvant que réjouir.

Afin de consoler un enfant qui pleure, il est aisé de lui dire de regarder les ailes qui tournent, un rotatif qui hypnotise l’attention des petits… j’ai connu, avec mon dernier, il aurait passé des heures devant le tambour de la machine à laver… Et pour les gens, avec les cloches, cela participait de la paix intérieure. 

Paul_Sibra_Don_Quichotte_et_le_moulin,_1924 (moulin du Cugarel)

Un projet de moulin commence par la recherche d’un site favorable au vent, le plus souvent une hauteur, avec déjà la maison du meunier, en contrebas, basse, sans étage, ensuite, des alentours dégagés, sans arbres… ce qui a eu poussé, dans l’anticipation de leur croissance, à des actions délictueuses telle celle de ce grand-père qui la nuit était parti soulever les jeunes plants ; les arbres mouraient sans qu’on en connût la cause ; suite aux échecs répétés, le propriétaire n’avait plus insisté… En hauteur certes sauf que par vent fort, la solidité s’en trouvait sollicitée davantage. De cette exposition va dépendre l’ancrage plus ou moins profond des fondations affectant l’accessibilité de la cave. Les murs, de pierre à l’Est et de brique vers Toulouse, sont également plus lourds et épais à la base ; une butte va en entourer le soubassement, elle permettra l’orientation de la queue, facilitera la montée aux ailes et la charrette pourra y venir pour les grains ou la farine ; quant à la capelada, la toiture, elle se construit comme pour un clocher sauf que sa couverture n’est pas de tuiles mais de bardeaux, souvent de châtaignier. Le toit pointu tournant permet la manœuvre par rapport au vent. Un moulin hors d'usage n'en vaut plus la dépense, plus économique, une pente de toit en tuile suffit. 

Mireval_Lauragais_Moulin_de_St_Jean 2016 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International license. Author MIC 43

Le vent, toujours le vent, rien que le souci primordial du vent : la longue-vue reste à portée afin de voir ce que font les autres moulins, ce qui évite les mauvaises surprises. Le plus mauvais de tous est l’Autan aux rafales destructrices capables d’emporter les ailes, voire de décapiter le moulin ! Certaines périodes, au contraire, se signalaient par leur calme plat, autour de Noël par exemple, en été, en septembre, forçant alors, pour ne pas perdre le client, à passer du molin (à vent), à la molina (à eau), d’où des trajets, du temps et des sous perdus. De faire tourner un animal n’était pas durable. Un meunier sans plus de moulin a continué son activité avec un moteur diesel dans sa remise.

Le temps qu’il fait n’est pas que lié au vent, sa prévision découle de l’observation résumée dans les adages et dictons :

* les trois soleils au coucher ou s'il se couche sous son coussin, la pluie est annoncée, idem si l’Ouest est obscur ; le troupeau de nuages blancs fait prévoir un risque d’orage ; « l’arc-en-ciel du matin, fait tourner le moulin »…

* les animaux aussi renseignent, ceux de la ferme qui se dissipent, les pigeons qui se baignent avisent la rentrée prochaine du marin ; les pies qui nichent haut rassurent, dans le cas contraire, il faut se méfier du vent d’Autan « Grand vent ne te manquera pas, la pie a niché bas »; pour certains, les serpents qui traversent les chemins

* suivant les personnes, les interprétations de la lune peuvent se contredire.

Dans les dictons, il pleuvra pour les moissons s’il pleut le jour des Rameaux et s’il fait du vent, comme pour la Saint-Martin, il ventera toute l’année.

La situation perchée des moulins attirait la foudre, on veut s’en protéger grâce au buis bénit du dimanche des Rameaux et certains sont pour un gros bouquet plus efficace. Le son aigu de la petite cloche restait censé dissocier le nuage d’orage…

Vent, voiles, toiles, en plus des souffles qui par l’arbre moteur font trembler le bâti, à l’air et à la terre vient s’ajouter la mer… Impossible l’élément liquide ? Et pourtant, à l’égal d’un marin, le meunier doit prendre des quarts, veiller à l'aide de la longue-vue, monter sur les ailes pour hisser ou réduire les voiles, gouverner, gérer la marche de sa machine, la préserver en cas de tempête.  

mercredi 4 juin 2025

Sur la route des MOULINS du LAURAGAIS (2)

Et alors, dans le but de mieux cibler et comprendre les moulins du Lauragais, et parce que le moindre détail nous ramène à l'universalité, nous le regarderons comparativement et avec plus attention, notre moulin à Fleury. 

Le moulin de Fleury au printemps. 

Qu'il est petit à côté, c'est ce qui vient à l'esprit en premier. Était-ce une adaptation aux conditions de vent, au Cers qui depuis le Lauragais, se met à ronfler si fort le long du couloir de l'Aude ? une puissance historique puisque, plus proches de nous, les wagons du chemin de fer, les caravanes, ont été renversées. 

Nissan_lez_Ensérune Moulin wikimedia commons Author Toutaitanous. 

Ancien moulin de Céleyran (2025). 

Était-ce, pour compenser, que plus modestes, ils furent plus nombreux, du moins chez nos voisins directs, Salles-d'Aude, Armissan, Lespignan, Nissan-lez-Ensérune, Vendres (1) ? Qui sait ? Seul sur son pech au dessus du fleuve, regardant Coursan, l'ancien moulin de Céleyran (commune de Salles-d'Aude), par sa haute taille, fait exception. À Fleury, vu de l'autre versant, point de repère afin de s'orienter, depuis l'étang asséché de Fleury, une énigme pour Manu, petit garçon de la campagne (2) de Tarailhan, immigré depuis la Mancha, se demandant à quoi ressemblait le lieu que les grands nommaient « village » ou « Fleury », là où on devait aller pour les achats, la mairie, encore caché derrière le moulin sur sa colline... Manu, un peu Don Quichotte en soi... 

En 2015, la colline du moulin derrière papa qui regarde où en est l'incendie dans la Clape. 

Sinon, un regard plus local sur la tour étêtée qui reste, rappelle que le lieu fut le cadre d'un crime élucidé seulement suite à la confession d'un mourant (voir « Un garçon meunier », sa narration romancée en épisodes par François Dedieu). 

 
Moulin qui va trop vite, moulin qui ne va plus, qui pourrait taire combien celui d'Alphonse Daudet incarne une unité cependant paradoxale de lieu pour ses « Lettres de mon Moulin » (3), avec encore dans le monde de l'enfance, « Le secret de Maître Cornille » ? 

Moulins du Sud, de Provence, du Languedoc, de Daudet à Arène, d'Arène à Giono, de Giono à Pagnol, de Pagnol à Bosco, auxquels nous sommes plus sensibles qu'à ceux du Nord souvent évocateurs de batailles : Valmy, Jemapes peut-être, Cornet et « aux chèvres » de la terrible guerre de Vendée... 

L'équilibre est difficile depuis les apports jusqu'au pillage d'un livre. Pourtant ce n'est qu'en allant voir dans l'existant que nous pouvons exister, depuis l'ignorance béante, la vie n'y suffira pas, tant l'avancée ne se fait qu'à tous petits pas, qui plus est, vers la connaissance inatteignable. Dans « Les grandes heures des moulins occitans », notre intrusion se limitera à picorer, à mettre en appétit à fin de donner envie du livre, à donner envie d'en savoir plus sur Prosper Estieu, Auguste Fourès, Joseph Dupuy, l'abbé Joseph Salvat. Et puis, les moulins à vent ne sont-ils pas les réceptacles des forces du ciel, de la terre et des mers ? Un grand merci aux époux Bézian !     

(1) Malheureusement pas de photo à disposition pour le moulin (d'Olmès ?) à Lespignan, particulièrement bien restauré.

À Vendres, les moulins devaient redevance aux seigneurs de Pérignan puis Fleury... peut-être, avec la contestation du territoire défini par les divagations anciennes du fleuve, de quoi alimenter des rivalités villageoises historiques, « l'Aude, dans sa folie, ayant gagné des terres pour Fleury ». 
  
(2) on dit « campagne » à propos de la même chose aux deux bouts est-ouest du département, ici un domaine viticole, là-bas une ferme, une métairie.   

(3) un moulin qu'il n'aurait ni acheté ni habité. Des lettres dues à la participation presque certaine de Paul Arène, moins connu...  

 

mardi 3 juin 2025

Les MOULINS du LAURAGAIS.

Allo, allo ! comme disait l'appariteur sur fond des « Marchés de Provence », pour annoncer que Saborit était sur la place avec des maquereaux... Attention de ne pas riper du doigt et appuyer à la fois sur le « a » et à gauche, la touche « tab », les flèches à contre-sens. Surprise ! hier tout le texte s'est effacé sans le moindre moyen pour annuler la fausse manœuvre, au niveau a minima qui est le mien. Mésaventure, contrariété, désagrément une fois digérés, une fois de plus, sur le métier, remettons notre ouvrage !  

Le gros bout de la lorgnette étant braqué sur la Montagne Noire puis un Lauragais si vivant bien que s'étant coupé trop tôt de Sébastien, ce sont alors les moulins coiffant les hauteurs qui ont marqué le paysage. Leurs souvenirs plutôt parce qu'il ne reste guère de ces témoins d'un temps dépassé. Bref, c'est surtout dans ma tête que leurs vents ont tourné.  


    
Jean Malaurie (1922-2024), Jean Bézian (1935-2015), Huguette Bézian née Carrière (1934-?) auteure de la série jeunesse des années 70, « Tony ». 

Tourne, retourne, en quête d'une bibliographie ne figurant pas dans mes écrits, faute de rigueur, lorsque « Les grandes heures des moulins occitans » rejoignent mon jardin d'idées, cette bonne rencontre, d'autant plus belle qu'elle figure dans la collection « Terre Humaine » chez Plon, me sonde dès les premières pages pour avoir écrit un jour sans réserve que le vent d'Autan, le Marin de notre littoral, a eu fait tourner les moulins des terres à grains lauragaises. La Bise, le Cers sont en effet rapidement mentionnés dans l'ouvrage et bien que confortant mon obstination sur ce dernier vent déjà romain, au nom le plus ancien de France, petit cousin du Mistral rhodanien, frère du Cers catalan “ del vent de cers que buffa al delta de l'Ebre ”, pourtant si ignoré par nos présentateurs météo ad nauseam en faveur de l'hexasyllabisme « Mistral et Tramontan' », la précision ne pouvait que mettre en relief mon avis simpliste de la réalité. 

Meunier_tu_dors._Les_chansons_de_France_Esquisse_pour_le_préau_de_l'école_maternelle_de_la_rue_Romainville,_19ème_arro. 1933 under the Creative Commons CC0 1.0 Universal Public Domain Dedication. Chanson pour la musique de Léon Raiter (1893-1978), paroles, en 1928, de Fernand Pothier (?-?)

Description iconographique : Le Meunier endormi sous un arbre est interpellé par une fillette accompagnée d'un chien. A l'arrière plan deux moulins à vent. Au verso, présence de quatre colonnes de calculs posés. Commentaire historique:

Une cloche sonnant à chaque tour permettait au meunier d'évaluer la vitesse de son moulin. Lorsque le moulin tournait trop vite et trop fort sans être alimenté de céréales à moudre, les suspensions de particules de farines dans l'air pouvaient s'enflammer au contact des étincelles provoquées par le frottement du pilon contre la meule. Cette comptine illustre la nécéssité de ne pas s'endormir par temps de grand vent : "Meunier tu dors,/ ton moulin, ton moulin va trop vite/ Meunier tu dors, ton moulin, ton moulin va trop fort / Ton moulin, ton moulin va trop vite / Ton moulin, ton moulin va trop fort / Ton moulin, ton moulin va trop vite / Ton moulin, ton moulin va trop fort / Meunier tu dors, les nuages, les nuages viennent vite, / Meunier tu dors, et l'orage et l'orage gronde fort ! / Les nuages, les nuages viennent vite, / Et l'orage et l'orage gronde fort ! / Les nuages, les nuages viennent vite, / Et l'orage et l'orage gronde fort ! / Meunier tu dors / Ton moulin va trop vite / Meunier tu dors / Ton moulin va trop fort"

Au delà de la controverse, en raison de la triade « vent, moulin, nourriture » chère à l'enfance, nous avons trop vite limité la portée de la comptine « Meunier tu dors, ton moulin va trop vite... ». L'apprenait-on ? je ne pense pas ; elle était dans l'air avec seulement le premier couplet et le refrain. La comptine n'étant de prime abord destinée qu'au discernement limité des gamins, nous restions donc bêtement à côté de son sens profond, condamnés même à ne pas en prendre la mesure en tant qu'adultes. Il en faut plus que le sens du rythme et l'expression corporelles des petites mains qui tournent. Le moulin qui va trop vite, ce sont les étincelles dues au silex ou au granit de la meule tournante, d'où le risque d'explosion du nuage de farine. Le moulin qui va trop vite, ce sont les engrenages qui risquent de sauter, les toiles de se déchirer, les ailes de s'arracher ! Les couplets suivants de la comptine le disent bien du vent, de la pluie, de l'orage, de la tempête ! Ne valaient-ils pas une explication de texte ? 

Et après, dans le but de mieux cibler et comprendre les moulins du Lauragais, et parce que le moindre détail nous ramène à l'universalité, nous regarderons plus attentivement le nôtre de moulin à Fleury, puis les Lettres de mon Moulin nous renverront à Daudet, Arène, puis de Paul à Pagnol, ce qui n'empêchera en rien l'évocation de Don Quichotte... (à suivre) 


lundi 2 juin 2025

Les BŒUFS de TRAVAIL, lo BESTIAL de TIRA (3)

À la Saint-Roch, proprets, harnachés, avec des fleurs sur le joug et les moscalhs neufs (pare-mouches, émouchettes), non sans fierté, le métayer mène une paire de bœufs pour la bénédiction religieuse à l'église du village. 

Attelage_de_bœufs_de_trait 2020 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International license. Auteur Zewan
 

Il faut bien convenir que ce sentiment aimant reste confronté à la réalité économique de production. Ce qu'il faut fatalement considérer en tant que filière comprend les éleveurs ou fermiers puis les maquignons, l'agriculteur se trouvant donc être en tenant ou aboutissant de la chaîne. 
Quelques éléments au titre de cette prise en compte matérialiste froide, impitoyable même si des moments conviviaux (mais ce n'est qu'une vision humaine de la chose) restent liés aux transactions. Tous veulent des bœufs homogènes, dociles, calmes, beaux. Avant la possibilité des bétaillères (camions ou remorques) quand ce n'est pas chez un fermier vendeur, les maquignons partent en voiture à Salies du Salat, Mirepoix, sinon dans l'Aveyron pour accompagner à pied le retour des bêtes (4). 
On change régulièrement les bœufs par paires auprès des maquignons d'Avignonet sinon on essaie de les vendre (inquiétude sur leur santé ou souffrants). Alors que les bœufs sont capables de travailler entre leur cinquième et dixième année, parfois douze, par souci de productivité brute, ils peuvent être engraissés et vendus dès l'âge de six ans. L'abattage se fait de préférence avant l'hiver pour ne plus avoir à les nourrir au fourrage, et aussi à les panser, les faire boire, racler les salissures sur leur robe, évacuer les bouses à la brouette, et tout ce qui incombe à leur entretien... 

Chez Émile, métayer puis propriétaire à Airoux de 1953 à 1989 et grâce aux carnets régulièrement à jour sur la conduite de la borde, trame de fond des romans de Sébastien Saffon, nous apprenons l'achat en juin 1956, d'un « bestial de tira » de deux bœufs. Malheureusement, six jours après, il s'avère qu'ils sont tuberculeux : le maquignon les remplacera en juillet. 
Émile et son propriétaire hésiteront une paire d'années avant de se mettre au tracteur pour une vie moins dure, moins d'efforts, plus d'efficacité mais tant de regrets aussi devant une machine inerte, immobile et sans vie. Émile a gardé une paire sur les trois, pour les bords, les passages étroits, les penchants. Seule la vente des bêtes a permis l'achat du tracteur d'occasion. Ils ont été vendus le 10 janvier 1958 pour un montant de 550.000 francs, l'équivalent de 11.500 euros de 2024.  

« Je me souviens du jour où ils sont partis. Le camion était garé dans la cour, là, devant la maison, et ils sont montés lentement à l'intérieur... » Émile. 

Paul Sibra Attelage_de_bœufs. Détail. 

 
 
Paul Sibra, Attelage_de_bœufs. À propos de ce peintre, voir les articles dont il fait l'objet... Si sa notoriété lui a valu de devoir payer en tant que pétainiste, c'est loin de l'abjection émanant d'un Louis-Ferdinand Destouches... 


(4) le prix dépend de l'âge, des défauts éventuels tel le vessigon, tumeur synoviale causée principalement par des efforts prolongés et pouvant mener à l'incapacité. Ces indications figurent aussi dans l'inventaire des fermes.  

Avril 1968. Montagagne (Ariège).


Avril 1968. Devant l'école sans plus d'enfants de Montagagne (Ariège). 

Remerciements particuliers aux Carnets d'Émile de même qu'aux témoignages d'Aimé Boyer rapportés aussi par Sébastien Saffon). Remerciements à Nelly Abuzzo-Engi pour son blog « Couleur Lauragais ». 

Merci papa pour tes diapos de 1968 à Montagagne.  


dimanche 1 juin 2025

Les BŒUFS de TRAVAIL, lo BESTIAL de TIRA (2)

... un besoin commande de parler plus généralement et plus concrètement à cause de la proximité audoise du Lauragais, des bœufs de travail, donc avec la prise en compte d'une propension préalable à un sentiment à l'égard des bêtes, des bœufs de trait, puissants, dociles, possiblement issus des aurochs disparus voilà 400 ans à cause de qui vous savez. 

Les rois fainéants (670-752). Lithographie en couleurs par E. Crété d'après une illustration de H. Grobet, Histoire de France, Paris, Émile Guérin, 1902.

Autre antécédent, l'empereur des villae et missi dominici, Charlemagne, ne se déplaçait-il pas en chariot tiré par quatre bœufs, comme ces rois dits fainéants qu'en bon carolingien il dénigrait en toute chose  ? 

Pour revenir à un temps plus actuel bien que révolu, des sept décennies presque engagées sur la huitième (et si concordantes avec l'âge de mes artères...), réfléchissons à ce qui correspond, malgré l'affirmation toujours plus marquée de la mécanisation, à la mise en valeur des terres grâce à la participation indispensable des bêtes. 

Plus le nombre de paires d'animaux est important (une pour six hectares ?), plus la superficie à travailler est grande (2). Un coût d'entretien trois à quatre fois moins cher a fait préférer le bœuf au cheval. 
On dirait que, couplés à la croyance populaire, à un fond de superstition itou, des partis pris sur la robe des bêtes influent sur les choix des paysans : le poil blanc (3) désigne un spécimen à engraisser, plus gris ou brun, le pelage dénote du flegme, de la mélancolie ; il faudrait éviter le moucheté, signe de paresse. 
En vue de leur utilisation, les cornes doivent être formées par rapport à l'équipier et au joug. Il est profitable d'appairer le débutant avec un aîné déjà formé. 

joug2 1850-1925 Musées départementaux de la Haute-Saône under the Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported license. Photo Monnin Jacques

Le joug double, s'agissant d'un joug de tête (de poitrail pour le cheval) est dit « coiffant » en Lauragais ; sur mesure et à demeure c'est la mission du jougtier passant de ferme en ferme. Il prend les mesures des animaux, travaille à la hache et à l'herminette, en principe en un jour, le polissage devant être inclus ; la tâche est complétée avec la confection des « julhas », les longes de cuir à lier aux cornes et au front. 

Toulouse-Lautrec 1864-1901 LES BOEUFS SOUS LE JOUG (SOUVENIR DE MALROME) 1881 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International license.
 
Habitués et comme redevables à l'homme qui les nourrit, les abreuve, les panse et qui décrète qu'il n'y a pas plus heureux qu'un bœuf à la mangeoire (« Uros coma un buou a la grupia »), les animaux se mènent à la voix et au geste pour habituer les oreilles à la corde puis aux guides. L'apprentissage du joug se fait entre deux et trois ans. Lors du labour, l'animal de gauche apprend à suivre le sillon, pour l'utilisation de la faucheuse, c'est celui de droite qui conduit. Un résultat probant demande beaucoup de patience empreinte de douceur, de tendresse. Cette prévention apparaît même avec la façon de nommer l'aiguillon puisqu'on préfère le terme “ toucadou ” (phonétiquement) plutôt qu' “ agulhado ”, aiguillon. Et si génériquement, les intéressés parlent de Mule et Marelh suivant la position des bêtes, les bœufs, tout comme les vaches, répondent à leurs noms. Entre ces compagnons de travail, l'humain perçoit même une connivence sinon une amitié liée à l'habitude de tirer ensemble... 

(2) Moins puissantes mais plus rapides, les vaches suffisent à une propriété plus modeste. 
(3) la couleur blanche peut être considérée comme la teinte la plus claire du gris... Les deux de la chanson de Dupont sont blancs tachés de roux. En Lauragais, surtout de race gasconne, ils sont gris-blanc. 

PS : toute participation à bon escient ne peut être que bienvenue. 

Addendum : 
« L'HISTOIRE de la FRANCE racontée à tous les enfants », de très grand format, conçue par Jean-Jacques et Claude Nathan, illustrée par Henri Dimpre 1958 FERNAND NATHAN. Il en va ainsi des pays trop fiers qui magnifient leurs hommes dits providentiels, légalistes ou non, quitte à diffamer leurs prédécesseurs...