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dimanche 8 juin 2025

Le MOULIN, RENCONTRES et PASSAGES (6).

Tourne moulin ! À tout moment de la journée, de la saison, le moulin est un lieu de rencontre et de passage très fréquenté. 

En premier lieu, les clients, nombreux, venant souvent, toujours pour quelques petits kilos, qui restent discuter. Surtout que, sans radio, sans journal, sans téléphone, au moins au moulin savait-on ce qui se passe au village, le meunier en apprenait aussi dans ses tournées. Les cultures, le prix du blé, du maïs, la météo, le cochon, la chasse, la pêche, les champignons, le passé des vieux, des histoires coquines aussi, manière d’émoustiller les sèves descendantes… Sur la politique, on ne parlait que de loin, seulement en accord pour s’offusquer de la politique des copains, des coquins et profiteurs ; plutôt ménager l’autre, ne se lâcher qu'à l'occasion des municipales ! Et pour épicer le tout, des « à propos » hors l’ordinaire : un mort, un malade, une mauvaise fortune, une dispute de voisinage, un ménage qui flanche, un cocu, une femme légère, rien n’échappait aux langues bien pendues… Et, comme dans tous nos villages, les hommes, régulièrement plus commères que les femmes sauf que le masculin « compère » n’en dit rien. Les faibles affluences, la porte fermée du moulin, alimentaient des ragots à fantasmes autour de meuniers coquins et de « belles meunières ».

Moulin qu'est-ce qui t'arrive ? Visibles de loin, les ailes arrêtées stoppaient la belle mécanique, tant celle du grain que la meule des cancans et potins. Justement, hors les grandes réparations nécessitant une immobilisation certaine ainsi que la mobilisation d’un ou plusieurs charpentiers des moulins, une fois le mois, parfois deux, le professionnel devait redonner de la morsure aux meules, en rhabiller patiemment les aspérités indispensables à la mouture. Ce devait être fait dans la journée. 

Meules décoratives du square de la Batteuse toujours appelé « Jardin Public ».

Complexité dans la simplicité comme pour tout ce qui concerne la marche du moulin à vent ! On n’en finit pas d’être impressionné ! Du dur ! granit du Sidobre, silex blanc de Bordeaux1 pour les meules2 ! Huit-cents kilos, une tonne, la volante ! déjà faut la soulever, la lever qu’ils disent !

La maillette, ses pointes suivies par le forgeron y appliquant ses secrets de trempe, le dos des mains noir à force d’éclats de silex et de fer sous la peau… des meuniers aux mains noires ! étonnant non ? Plus triste cette silicose attaquant les poumons lorsque ce n’était pas une lie des farines respirées toute une vie.

Il faut en être, en gros, à la première centaine de pages pour se demander ce qu’il y a d’autre dans les trois-cents autres de l’ouvrage3. « Mais c’est bien sûr », comme disait Maigret des « Cinq dernières minutes », Raymond Souplex (1901-1972) de son nom de scène, satisfaire à la collection « Terre Humaine » implique un exposé ouvert sur la vie au temps des moulins à vent.

Déjà avec la diversité des gens extérieurs au village qui passaient, ce qui n’est pas sans écho encore auprès de ceux de mon âge issus d'un village. 

Eugène_Atget_(French_-_Chiffonier, Ragpicker, Lumpensammler, Domaine Public Source qgExu-hp1fHWjA at Google Cultural Institute maximum zoom level

Les auteurs ne manquent pas de citer le pelharoc… nous autres disons « pelharot », à une lettre près, en parlant du chiffonnier ; le marchand d’allumettes de contrebande puisque l’État exerçait un monopole rapportant une taxation. Suivent le vendeur d’almanachs, le lunetier, le raccomodeur, l’étameur, le montreur d’ours ! Et chez les éclopés de la vie, les vagabonds, chemineaux et mendiants, des pauvres gens, diseurs de psaumes ou non, qui chaque année, savaient où retrouver les bonnes adresses, le bon accueil.

Figurent des parties sur le pain, le millas, la tue-cochon, la fête locale, les bals, le carnaval, la noce, la famille, les malheurs… Encore des découvertes, de bons moments en perspective ! 

1 Le calcaire marin à alvéolines et inclusions de silex du gisement de Saint-Julien-des-Meulières, pour équiper les moulins plus vers chez nous, à l’Est, devait aussi convenir à l’activité.

2 Je m’égare au souvenir de mon copain de classe, Antoine (1950-2020) confirmant qu’une camarade de classe avait de belles meules. Nous ne parlions pas des moulins… Entre émotion et sourire, bien sûr que la coquinerie ne touche pas que les meuniers. Pardon pour cette digression…

3 Plus d’une centaine aussi, au bout, sur la fin des moulins ainsi qu’un dictionnaire sur la meunerie.

mardi 4 janvier 2022

LE POUMAÏROL (10) Écho de la France profonde face à la morgue d'en haut...

 Roger et Serge, complices depuis des lustres, se jouent (légalement) des limites imposées par l'épidémie de covid. En décembre 2020 ils ont entrepris de monter voir un pays aussi montagneux que mystérieux, pour les filles de là-bas qui ont de toujours laissé un souvenir si pimpant aux hommes émoustillés de la plaine. Mais qui a bien pu entendre parler du Poumaïrol ? Sans l'existence et la disponibilité sur le Net de la revue FOLKLORE, même eux qui filaient d'habitude dans les Pyrénées ou vers la Catalogne, n'auraient jamais rien su de ce pays plus haut que les sources de la Cesse. Dans l'épisode précédent, ils étaient à Minerve, la cité cathare, avant d'évoquer la présence préhistorique des Hommes, avec les grottes et les dolmens. 

voir  https://dedieujeanfrancois.blogspot.com/2021/12/grottes-et-dolmens-avant-les-filles-du.html

Après les causses et les cañons datant du Jurassique et suite à un virage radical à 90 degrés vers la Montagne Noire, les compères montent droit vers le Poumaïrol. 

Roger : regarde de ton côté si tu ne vois pas comme des carrières de pierres... 

Serge : quel genre ? 

Fleury 1972. Diapositive François Dedieu.
 

Roger : très spéciales, ils en tiraient des meules pour le blé... la localité, plus loin, s'appelle Saint-Julien-des-Meulières. 

Serge : attends, je regarde sur le Net... Oh ! ils disent qu'ils en sortaient déjà vers 1100 : "du calcaire gréseux hérissé de petits grains de quartz" afin de ne pas écraser la farine... 

Roger : surtout que les fines particules de farine peuvent faire exploser le moulin : il suffit d'une étincelle et en frottant les pierres en font...

Serge : ... les meules sont difficiles à transporter : elles se cassent... L'activité a duré jusqu'au chemin de fer, quand, depuis La-Ferté-sous-Jouarre de bonnes meules de silex s'exportèrent dans le monde entier... 750 ans d'activité ici quand même avant qu'ils ne produisent plus que de la roche concassée pour les remblais des routes ou du rail. 

Roger : tu es sûr ? c'est loin la Ferté non ? chez les nordistes, surtout que plus près il y a le granit du Sidobre et peut-être un silex blanc ou jaune de Bordeaux aujourd'hui pour le vin pardi ! En attendant je les regarderai d'un autre œil, les meules du jardin public, à Fleury !  Elles viennent sûrement d'ici...

Une rue de Cassagnoles, pour le charme de nos villages que nous nous devons de toujours apprécier, en se défendant de se lasser... wikimedia commons, Author Tybo2


Et oui, le paysage a changé, nous sommes passés de la vigne et garrigues aux prairies et forêts. Cassagnoles église et cimetière wikimedia commons Author Tybo2
 

Serge : à droite, quelque part, la Cesse de nouveau et la petite route à gauche, tu as vu ? Quel joli nom ! Cassagnoles ! 

Roger : et oui, ça fait cassole et cassoulet... comme celui qu'on mange ce soir... j'ai l'estomac dans les talons ! 

Serge : hop hop ! Et la tête, tu l'as pas dans tes chaussettes ? Tu n'avais rien trouvé, tu dis, sur le Poumaïrol ? Et bé, je te signale qu'à propos de cette route, on parle déjà d'eux et du plateau... 

Roger : d'elles ? des filles ? 

Avaient-ils des vignes sur Félines-Minervois ? Quel joli nom encore, entre nous ! Cette vue témoigne du passage net de la plaine à la montagne. Wikimedia commons Author Didierjeanbernardfourcade
 

Serge : comme tu y vas, ce qu'il y a de vrai, c'est que la vallée de la Cesse fait communiquer le Minervois et la Montagne Noire, qu'il n'y avait pas que les filles qui descendaient proposer leur force de travail... je lis qu'ils avaient des vignes dans le Haut-Minervois... ils remontaient la vendange, de nuit, avec les vaches, jusque dans leur montagne... ils ont mis la photo d'un pressoir et une autre d'un foudre... 

Roger : c'est sûr qu'en plein jour, avec la chaleur, au bout d'une vingtaine de kilomètres sinon plus, le moût fermenté bouillonne comme la marmite d'Astérix... 

Serge : je ne sais pas s'ils avaient des comportes mais ils ne devaient pas presser le raisin... 

Roger : tu me fais penser à Marcel Scipion, tu sais, celui qui a écrit "Le Clos du Roi"... 

Serge : Ah oui... pour les parigots, encore un pauvre auteur de terroir, régionaliste, comme ils disent de ceux qui ne sont pas montés à Paris se rabaisser à faire valoir puis se faire voler leur talent ! 

Roger : et passe encore, pour ceux qui, même sans le dire, gardent le Sud, le pays natal au cœur, parfois avec la demande d'y être enterré... 

Serge : les traîtres sont rares mais, comment il s'appelait (1) celui de Corrèze, monté à Paris, qui crachait sur sa campagne et sur le parler abâtardi des gens ? 

Roger : oui, je vois qui tu veux dire. Son nom ne me revient pas... et tant mieux finalement... tu te rends compte qu'il se vantait d'avoir publié les milliers de pages de son journal intime ! de son pipi caca quotidien ! 

Serge : encore un qui se prenait pour Proust ! Et dire qu'il a été invité aux journées de Lagrasse... 

Roger : Oh ! là aussi on a affaire à ces fanfarons puants boboïsés... ils sont à la culture ce que les sectes congrégationalistes sont à la religion... d'ailleurs je crois, à Lagrasse aussi... Et pour monsieur pipi caca, n'en parle pas au passé, je n'ai pas envie de vérifier mais je ne crois pas qu'il soit mort... Et puis, après m'être bouché le nez et retenu la respiration, laisse moi prendre du Marcel Scipion à plein poumon ! 

Serge : dis-moi, oui, pour Scipion... 

Roger : de mémoire alors. Un point commun déjà, il habite un hameau en Haute Provence, à une altitude comparable à celle du Poumaïrol. Un peu de vin pour la force ! même aux pays des sources pures ! C'était un elixir, surtout concernant les longs jours d'été où il faut rentrer les réserves pour l'hiver ! Une force cosmique il disait, le magnétisme des profondeurs de la Terre lié à celui du soleil... Avec un peu d'eau ajoutée, pas l'inverse, je me souviens de ce détail, c'est important... Une vingtaine de kilomètres à faire jusqu'aux vignes de la plaine, là où il y a le lac maintenant... 

Serge : Serre-Ponçon ? 

Roger : non bien plus bas, sur le Verdon, non loin de Moustiers, regarde sur la carte... 

Serge : oui je vois, le lac de Sainte-Croix... 

Roger : si tu le dis... Marcel achetait le raisin à un copain marié là-bas, un berger de chez lui devenu vigneron. Il devait y en avoir pas mal ; ils descendaient avec deux mulets ; c'est vaillant le mulet ; les chemins étaient si cabossés que les grains s'écrasaient et pissaient le jus ; ils devaient presser de suite ; il donne même la recette de la piquette, pardon d'une piquette, rosée, pétillante, je l'ai encore en tête parce qu'ils mettaient dix kilos de bon miel et qu'aujourd'hui... au prix où est le miel, le bon je veux dire, d'une bonne provenance parce qu'avec toutes les arnaques, le sirop de sucre qui n'est pas du miel... 

(1) un nom que je ne dirai pas maintenant qu'il m'est revenu. Indice, il y a le mot "vergogne" dedans, je n'invente rien, avec le "v" se prononçant "b" comme dit en occitan, la langue que le personnage en question abhorre...