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vendredi 20 octobre 2017

“ TU AS VOLÉ, AS VOLÉ, AS VOLÉ L’OR...” / Un Monde "libre" de vous dépouiller !

Pardonnez ma pirouette avec "L'or...ange du marchand" de Gilbert Bécaud même si le hasard rapproche doublement le présent papier du premier article de ce blog en octobre 2013 : 

ČESKOSLOVENSKO / Nathalie de Bécaud ?


Des choses vous reviennent, comme ça, sans crier gare, prolongeraient-elles les récents articles
Un samedi soir à la bière, dans une auberge enfumée de Bohême. Nous sommes en 1969, peut-être 1970, chez la bleda lady de l'Hospoda U Šmucrů, la pâle tenancière  qui porte le gris du vieux crépi de la façade sur son visage fermé. Mais notre jeunesse fleurit, la blonde aidant, entre les chansons entonnées et les œillades aux jolies étudiantes, oubliant le printemps de Prague trop vite étouffé. Un samedi soir aussi rituel qu'agréable quand mon voisin jusque là inconnu de moi, me fait  :

« Et l’or des Tchèques que vous avez volé ? » 
 

Je tombe des nues, me demandant avec crainte si, déjà parjures et lâches d’avoir accepté Munich en 1938, puis l’appropriation illégale de la Bohême-Moravie par le Reich (mars 1939), nous, Français, serions aussi des voleurs. La France n’aurait-elle jamais rendu l’or confié par nos amis ? Faute d’éléments, ce soir-là, et de bouteille aussi, pas comme quand je dirai "conard" à un étudiant seulement pré-adulte osant m'écrire que l'esclavage est de mon fait parce que je suis blanc et que lui est noir (je regrette même d'avoir argumenté alors), la question se fige dans sa parenthèse : nous entonnâmes un autre air et trinquâmes à autre chose mais moins légers et chaleureux qu'à l'habitude ! 

Lui comme coincé, moi, blessé dans mon amour-propre. J'étais la France accusée de vol entre deux chansons, serait-ce par un copain de taverne accusant sans preuve. Nous sommes encore à l'âge où la réflexion, les réactions manquent de souplesse.  
 
Cette histoire ramène dans les soubresauts de la seconde guerre mondiale, au sens large, avec la “montée vers la guerre”, le chaos salement dit et les embrouilles qui suivent. Des documents, déclassifiés, remontent à la surface, tels ceux qui confirment que le capitalisme  a généré  sa créature : Hitler... Cela aurait-il changé de nos jours, avec le financement, d’abord des talibans puis des groupes terroristes ? Mais pour l’oligarchie de l’argent, (qu’ont-ils d’humain, en fait ?), spolier les nations, détrousser les peuples, escroquer les particuliers relève d’une même logique bancaire ! Notre époque en perdition à cause de la banque, bras armé tout puissant des milliardaires, ne déroge pas à la règle... Cette réalité crue devient de moins en moins contestable tout comme nous pouvons évaluer combien les principes démocratiques, de solidarité, de respect, ne sont que des mots destinés à endormir, à tromper les moins favorisés quand la petite minorité de puissants confisque toujours davantage à son profit. 

Que lui est-il passé par la tête ? L’invasion par les troupes du Pacte de Varsovie ne date que d’un an et cela peut rappeler la politique anglo-française délétère, l'hypocrisie des États-Uniens, l’assujettissement aux nazis, une trentaine d’années auparavant. 
    Près d’un demi-siècle est passé et si le temps et l’ordinateur permettent désormais de reprendre les sujets en suspens, il n’y a vraiment pas de quoi lever nos chopes, l'ennemi étant plus que jamais la finance ! 
    C’est donc une recherche sur le Net qui est à même de dire si j'ai volé. (à suivre)

carte autorisée : carte Tchécoslovaquie 1939 Auteur autorisation SVG Czechoslovakia 1939.SVG derivative work Themightyquill     
   

mercredi 18 octobre 2017

DIX-SEPT ANS, IL Y A DES LUNES (fin)... / Československo, Holoubkov


Devant nous, l’usine. Pour ne pas être en reste avec la forêt qui fume, sa respiration paisible (le rythme n’est plus celui, plus poussé, de la semaine) exhale des bouffées de vapeur diaphane qui se lovent puis déroulent au-dessus des ateliers. 
 

Une fois en bas, il faut prendre à gauche. Le vieux corps de logement ouvrier, aux allures de château, haut perché sur un soubassement de pierres de taille, nous domine. J’y connais des gens aimants qui en faisaient trop pour un petit Français resté si tchèque... La grand-mère de Tonda y habite. Sa cuisine reste imprégnée des senteurs d'épices, du cumin (khmin), de skořice, la cannelle de tous les strudel sortis du four ! Côté usine, c’est le réfectoire transformé parfois en cinéma, le samedi. J’y ai vu “Sur un arbre perché” ; Louis de Funès parlant tchèque, ça ne s’oublie pas ! 
  
Le raccourci débouche sur le barrage avec la route de Hůrky ou Medový Újezd suivant qu’on prend à droite ou à gauche après le pont du chemin de fer, là où le vallon se resserre. Elle a décrit une longue boucle descendant vers le lac. Sur l’eau, se mêlent aussi des écharpes de brume... Sûr qu’au-dessus du déversoir, le vodník, le génie des eaux, médite dans les ronds de fumée de sa pipe... 
Dans l’air frais qui les fait résonner, des halètements de locomotive se font entendre. A la faveur de la nuit passent souvent les lourds convois de l’armée. Enfant, je ne voulais que l’éruption d’escarbilles des machines à vapeur, aux grandes roues couplées patinant sur les rails, crachant leurs entrailles d’acier dans la rampe. Par la suite, malgré les bâches de camouflage, j’étais bien obligé de voir, souvent, braqués vers les étoiles, les canons des tanks d’une troisième guerre mondiale en suspens, des fûts autres que ceux, souples, oscillants, des épicéas abattus. 
Un sentier dévale vite le remblais à main droite. Strěda (tonton) s’arrête pour pisser et nous nous retrouvons à trois à arroser longuement (la bière) les pieds de bardane qui n’en demandaient pas tant. Silence. Le regard se perd au loin ou plus loin encore. Là-bas, montant du thalweg, les volutes de la loco de tête se détendent ; elles voilent quelque peu la lune. Plus bas, à l’arrière du convoi, la machine qui pousse crache, dans une quinte n’en finissant pas, un panache puissamment comprimé dont les boursouflures cachent un instant la forêt qui fume.

“ Dedo, grand-père, quand pourrons-nous aller aux champignons ? “

En descendant vers le fond glauque de la smrdlava ulička, la ruelle puante pas si désagréable pourtant (il faut que je la raconte un jour, promis), grand-père se lance dans une tirade improvisée, presque un exposé sur la pluie, les sorties, la pousse, la croissance, les lieux propices, ceux à explorer en début de cycle si les circonstances ne sont pas favorables, les conditions météo dans les mois sinon l’année qui précède. Il se laisse même aller à raconter le cèpe roi, les gros cachés sous la mousse, la rencontre avec le cerf, des histoires à repasser des dizaines de fois, dont on ne se lasse jamais, parce qu’elles sont ces pulsions de vie léguées en héritage, ces petites graines fragiles, semées à tous les vents et qui ne peuvent toutes s’éteindre.
La maison n’est pas loin et sous le pont j’aimerais plutôt prendre la route forestière de  Hůrky pour l’entendre encore des kilomètres durant, par cette nuit à la magie éternelle... Il marche, nous parle, parle aux grands arbres. Dans le fossé, les biches, les chevreuils, les lutins des sources, les gnomes des mines, les sorcières apaisées, le vodnik pensif, apprécient et se confortent de voir passer un émissaire des hommes auprès des sylves... 
  

Děda n’est plus, strejda non plus et papa qui a parfois été de la sortie vient de nous quitter. Pourtant, pas seulement l’envie, la nécessité aussi de les garder vivants, s’impose telle une évidence... L’oubli, la fuite en avant ne peuvent que précipiter la perte de la seule espèce prétentieuse de sa capacité à se pencher sur son passé.

Aujourd’hui comme quand j’avais dix-sept ans, la forêt continue de peser dans notre histoire au point de conditionner notre survie. Malheureusement, la toute puissance mortifère de l’argent sape et réduit dangereusement sa biodiversité : plus de la moitié des oiseaux a disparu depuis 1980... 

Doit-on, peut-on décemment accepter une mise à mort programmée des générations à venir parce que nous sommes coupables d’avoir tué la poule aux œufs d’or, lâches que nous sommes d’accepter des poisons chimiques dans un présent trop facilement lié à un progrès global ?   

“Rien n’est plus vivant qu’un souvenir.” a dit Federico Garcia Lorca... Que ce ne soit pas celui d’un monde mort et disparu à jamais... Quel malheur ! quelle honte pour notre génération de devoir raconter un jour à nos enfants un paradis qui leur serait interdit... 

J’avais dix-sept ans... il y a bien des lunes... 

photo autorisée : 2. l'usine derrière le barrage http://www.obecholoubkov.cz/cs/o-obci-holoubkov/

lundi 16 octobre 2017

DIX-SEPT ANS, IL Y A DES LUNES... (suite) / Československo, Holoubkov

“Rien n’est plus vivant qu’un souvenir.” Federico Garcia Lorca.

L’apparition d’un tableau, en effet, mêlant l’infini de l’univers avec, plus proche, la nature dans ce qu’elle peut créer de terrestre, de spirituel aussi, et plus à portée, en premier plan, un site industriel, ce qui ne saurait traduire seulement le matérialisme propre à notre espèce. 

Bien sûr, devant nous, en bas de “Na Pekarně” (1), la pente abrupte, le regard devrait aller spontanément à l’usine (2), la tovarna historique d’Holoubkov dont le cœur bat jour et nuit mais c’est la lune, encore oblique et juste derrière le mont Trhoň qui invite, par la vision magique qu’elle offre, à l’humilité, au respect qui élève et non à la soumission de celui qui se prosterne. Un vieux réflexe judéo-chrétien pourrait donner à voir le mont Tabor sous des rayons divins si une orthodoxie religieuse obligeait à interpréter ainsi cette luminosité aussi irréelle que renversante. L’irradiation est telle que si j’en oublie qu’elle n’est qu’un ricochet d’étoile, je me sens pénétré par une harmonie céleste. La lune, telle un vaisseau spatial qui éblouit de ses projecteurs, ouvre nos horizons, occulterait-elle, au dos de sa face sombre, l’espace infini vers les galaxies. Son éclat efface même les étoiles d’un ciel trop pur. Sur Terre, la fraîcheur vient à bout de l’impression de chaleur encore ressentie en sortant de l’hôtel... sûrement le coup de rhum pour la route, après la bière !
  

Děda (grand-père) tourne la tête vers le mont :
“ Regarde ! la forêt fume ! c’est bon pour les champignons !"
C’est vrai que sous le Trhoň, une vapeur déjà ouatée rampe autour des épicéas dont seules les pointes émergent. Sous le couvert des branches basses, sous le tapis d’aiguilles, l’humus est une matrice tiède que le mycélium investit de ses nébuleuses. Le rêve transporte facilement en enfance... Effacées les bières, les cigarettes ! Oublié ce souci d’apparence extérieure, ce désir d’exister dans les yeux des filles, choses que l’on prend trop au sérieux quand on a dix-sept ans ! 
 

Les images de Budulinek défilent comme elles défilaient grâce au petit cinéma, l'obscurité venue, par un même clair de nuit, en haut de ce même quartier “Na Rudě”. C'est un petit garçon qui habite avec ses grands-parents à l’orée de la forêt. A la belle saison, ils restent assis dehors, à voir monter la lune et le grand-père raconte des histoires d’enfants attirés puis perdus sous les sombres futaies. C’est le renard qui est venu tenter Budulinek en lui promettant un monde merveilleux, autre chose que la maisonnette et son petit jardin ! Et si l’histoire se termine bien, l’essentiel, que ce soit conscient ou non, sont ces graines semées chez l'enfant, des graines dont certaines germeront vite ou dans très longtemps ou jamais, qui sait ? A dix-sept ans peut-être.

(1) Une boulangerie a dû s'y trouver par le passé.
(2) mentionné vers 1379, le village est connu pour ses forges. La force hydraulique, la proximité de minerai de fer et les vastes forêts alentour permettent la production d’acier (un haut-fourneau a fonctionné au XVIIe siècle). Mise à part une période marquée par la production de cellulose et de pâte à papier, c’est la fabrication de machines-outils pour l’usinage des métaux (tours de mécanicien, de serrurier) qui prévaut encore aujourd'hui. En dehors de l’occupation nazie ( protectorat de Bohême-Moravie 1939-1945), notons les consonances germaniques des propriétaires successifs : Strousberg (wagons), Hopfengärtner et actuellement Weiler (KOVOSVIT pendant la période communiste ).
L’historique de la firme Weiler précise qu’Holoubkov a été un des plus anciens centres industriels de Tchéquie et peut-être d’Europe. http://www.weilercz.com/cz/ 
  

Photos autorisées : 
1. Holoubkov Trhoň Autor HudryHudry. 
2. O Budulinkovi Mandelince. Josef Lada, 1946, Nezbedne Pohadky.
3. Panorama Holoubkov HudryHudry.

samedi 14 octobre 2017

DIX-SEPT ANS, IL Y A DES LUNES... / Holoubkov, Československo


La pleine lune qui met en relief le cimier des arbres me transporte aussitôt vers une autre lune, une autre nuit, une forêt plus boréale, peut-être perdue dans un passé presque galactique.

La porte fait passer par le couloir d’entrée où donne le guichet à présent fermé de la vente à la pression (točene), au litre, au pichet, là où défilent, surtout en fin de semaine, les pichets blancs, bleus, bruns (le džbanek des grands-parents est bleu ciel, celui du grand-oncle, blanc). 
 

Dans ce hall, la senteur amère du houblon l’emporte sur le tabac froid filtrant de l’ambiance si enfumée de la grande salle encore bien remplie.  
 
 

Une fois sortis, si un roulement de voix mâles mêlées de rires gras, fait tourner la tête vers les lourds rideaux sombres de l’hôtel (réputation des buveurs oblige) tombés sur la concupiscence à la bière de ces hommes, par ailleurs si durs à la tâche, c’est la nuit qui investit nos sens. Nous traversons la nationale Praha-Plzeň qui passe devant l’établissement. A cette heure avancée, les véhicules sont rares. Au loin, seulement, un bruit de moteur crescendo, amplifié par la saignée de bitume, la montagne russe entre les épicéas. 
  

Ensuite le carrefour de la route de Hůrky (1) avec le kiosque presse-tabac, jaune et rouge pétard, pour offrir un soleil d’Espagne au ciel trop souvent couru par les nuées d’ouest. Si je n’y achetais pas les “kubánsky”, ces brunes cubaines si exotiques au pays des blondes (2), je penserais à un arrêt de bus sauf qu’un tube métallique porte l’enseigne de la ČSAD juste à côté... 

  

Logique, sur ce carrefour, cette patte d’oie qui fait graviter le village autour. D’ailleurs, à l’opposé, vers Těškov et au delà Lhota-pod-Radčem, proche du tilleul et contre le mur de la salle de bal de l’hôtel, stationne souvent la remorque-passagers des autobus Škoda (3).  
  
La nuit est trop douce, trop claire pour qu’il n’y faille rien voir et au seuil de “Na Pekarně”, la descente si raide, faite, on dirait, pour les seuls piétons, s’annonce la symbiose mystérieuse entre l’univers, la nature et l’homme cherchant à s’en émanciper... (à suivre)      

(1) elle limite le quartier “Na Rud
ě” regroupant surtout des logements ouvriers, une promiscuité en apparence sereine pour les deux bâtiments du bas tandis que les deux du haut, plus individualistes (quatre logements de plain-pied mitoyens chacun) expriment une conception du logement social méritant une mention au même titre que les villas célèbres d'Holoubkov (dont la Markova vila de 1908 / architecte Jan  Kotěra). Mes grands-parents y ont habité jusqu’au début des années 60 ; tonton et ma grande-tante y résident.  Ils aiment rester dans le jardinet, juste un lopin de terre mais, plein de fleurs ! (presque sous la route et le kiosque). Le quartier est d’autant plus aimable que la vue, au-delà du lac, en bas, de l’usine souriant peut-être de se trouver à la campagne, puis de la voie ferrée, la gare, se perd dans la forêt jusqu’en haut de croupes sombres  
(2) lieu d’achat aussi des cartes postales, des timbres pour la France et des kři
žovsky de papa (le nom m'échappe).
(3) prononcez “chkoda” et non comme dans la pub pour les bagnoles ! 


Photos autorisées : 
1. Pixabay creativ common. 
2. Svátečni hospoda. Josef Lada. 1932. Kolorovaná kresba.
3. Kiosque à Rokycany. 
4. ČSAD csUserŠJů.
5. Bus Beroun,_DOD_Probotrans, RTO městské s vlekem Author Aktron Wikimedia Commons

dimanche 17 septembre 2017

« PENDANT QUE J.F. COMPOSE... » / Lyon, la Croix-Rousse, l'École Normale

Dans l’été finissant, des vélos remontent la rive droite de la Saône, une étape qui devrait les mener vers Mâcon ou Pont-de-Vaux, moins loin sûrement s’ils font un crochet par la Croix-Rousse. Or l’un d’eux, le plus âgé, y tient particulièrement à cet itinéraire. 





Il le vit comme un retour aux sources et s’il n’a pas grandi avec les gones, les canuts, les traboules, il reste attaché à cette ville. Ils ont marqué une pause en bas du quartier Saint-Jean, manière d’évoquer les montées, les petites rues tortueuses du quartier où Bernard gardait la porte ouverte pour les copains de promo. Jovial, notre homme, costumé de velours, avait aux pommettes des reflets de Côte-rôtie et ses rires apportaient du soleil même sous la grisaille. C’est vrai qu’on était en janvier, « Avec le temps » passait à longueur de journée mais à vingt ans, l’on ne se sent pas plus "blanchi comme un cheval fourbu" que "floué par les années perdues" ! Ferré me fourrait le cafard... 

La passerelle les fera passer rive gauche. Ensuite, depuis la Montée de la Butte, la vue devrait donner de l’autre côté, sur la colline de Fourvière d’où ils descendaient à ski, sur la piste synthétique de la Sarra ! toute une histoire cette piste en pleine ville et cinquante ans en arrière ! Faudra la raconter un jour...  

La montée rejoint un boulevard... c’est par là qu’ils descendaient, les samedis et dimanches en tant que commensaux d’un lycée technique historique, dans la continuité de l’école de tissage liée directement à la soie. 


Saint-Jean, la passerelle, la Sarra, les métiers des canuts, sont pour lui une approche aussi sentimentale qu’agréable avant de déboucher sur le plateau. Le quatrième arrondissement, la Croix-Rousse et à gauche, à un moment, un vaste espace aéré, le fameux clos Jouve des origines de la boule lyonnaise ! Derrière, autre symbole de l’école de la République pour tous, la grande et belle maison des apprentis instituteurs ! Ah l'EN ! l’École normale, rue Anselme ! Elle paraît guindée, classique avec ses angles droits, ses grilles, sa cour d’honneur, à la française sinon grand-siècle puisque le XIXème vaut bien celui du grand roi ! 




Mais ce n’est qu’une apparence, elle n’est que sourire et demeure à jamais sous le ciel pur et bleu des souvenirs avec ses tuiles qui annoncent déjà le sud. Il aimerait retrouver les noms des professeurs, des copains mais ils sont trop nombreux à lui échapper. Le philosophe qui dit, concernant les êtres, que tout ce qui appartient au passé appartient à la mort aurait raison sauf qu’on a envie d’objecter qu'en s'aidant d' un journal avec le détail de nos jours, le passé resterait bien vivant. Mais il ne va pas embêter les jeunes avec ses pensées loufoques. Plutôt continuer à remonter avec eux le boulevard pour sentir l’atmosphère de la Croix-Rousse, l’esprit de révolte contre l’injustice qui vit tous ces soulèvements de canuts. Oui, l’esprit de la Commune, cette détermination à mourir pour vivre dignement ne sont pas l’exclusivité de Paris. L'expression de Jules Michelet : « L’opposition des deux montagnes, de la montagne mystique et de celle du travail...» dit bien l’antagonisme qui perdure entre les quelques trop riches et les autres. 


Remontée vers la place centrale. Il craint de ne plus percevoir cet air de village, cet accent, le charmant tableau de la place à l’ombre des platanes, les bistrots, le marché, autant de senteurs, d’effluves s’ouvrant au voyageur, autant d’impressions qui s’offrirent, en 1971, l’année du concours à l’École normale... 



Au bout du boulevard de la Croix-Rousse, le Gros Caillou apporté par un glacier et finalement déplacé, à trente mètres près, dans le Ier arrondissement, au grand dam des Croix-Roussiens. De là-haut, la vue domine le Rhône et l’écrin vert du Parc de la Tête d’Or au nord tandis qu’au loin, par temps clair, se dessinent l’arête du Bugey et la ligne brisée des Alpes enneigées ! 


Allons, revenons sur nos coups de pédales. Un dernier regard sur ce qui reste à jamais la maison des instituteurs, s’appellerait-elle IUFM ou ESPE (1). La Montée des Esses dans le sens où ça va tout seul. La Saône à nouveau, le pont Masaryk du nom du président d’un pays alors nouveau la Tchécoslovaquie... C’est là-bas que nous allons, 1200 kilomètres environ, encore dix jours de balade...

Lyon-Mâcon, la cinquième étape d’un voyage à vélo à faire avec mes fils. Deux sont partants... reste à en parler au troisième. N’allez pas penser que j’invente, que je mens. Et si je rêve de nous voir pédaler en file indienne, je suis sûr que le jour «J» nous monterons à la Croix-Rousse. Même que nous y retrouverons leur papi aussi, mon père qui a tant contribué pour que la Croix-Rousse me prenne dans ses bras. Il m’y a amené avec la 504, il a trouvé l’hôtel. Je dois à mon supporter numéro un d'avoir été là, bien qu’en retrait, pour une sérénité, une confiance si nécessaires à l’instant de faire ses preuves. Le plateau, la Saône, Fourvière : il a marché et visité. Il en reste ses diapos intitulées « Pendant que JF compose », un énoncé forçant ma réserve et qui a déclenché mon papier d’aujourd’hui, serait-il encore virtuel. 
Rêver c’est vivre plus intensément... Tâchons de garder nos rêves, beaucoup beaucoup de rêves, en réserve, à condition d’avoir toujours à en réveiller un au moment «T» ! Ils portent trop bien la vie pour rester en sommeil !   

(1) Institut Universitaire de Formation des Maîtres (IUFM), Ecole Supérieure du Professorat et de l’Education (ESPE).   

Crédit photos : 1, 2, la Saône François Dedieu 1971. 6 & 7 Ecole normale françois Dedieu 1971. 
3. Lyon Croix-Rousse Rhône Author Xavier Caré Wikimedia Commons CC-BY-SA. 
4. Lyon vue depuis Fourvière1917 Source BnF Gallica 
5. École de Tissage, Lyon, 43 Cours du Général-Giraud 69001-0707 Author Dashiell 
8. Lyon Place Croix Rousse Author Olivier Aumage permission CC-BY-SA-2.0-fr
9. Lyon Gros Caillou entre 1901 et 1902 Author E. de Rolland & D. Clouzet BnF domaine Public
10. Lyon Gros Caillou Author Frachet
11. Lyon Pont Masaryk avant qu'il ne devienne passerelle pour transit doux (piétons, vélos) Author Maarten Sepp

vendredi 1 septembre 2017

AUTOMNE / un tableau de Lada

Méthodologiquement, météorologiquement parlant, c'est l'automne en Europe... et dans ce qui restera à jamais pour moi la Tchécoslovaquie... 


Autre reproduction, moins dans les tons verts, plus automnale... 


Josef Lada (1887 - 1957) peintre de l'âme tchèque. 
Dëtské hry na podzim, 1937, kolorovaná kresba, 57 x 86 cm (Jeux d’enfants en automne, dessin colorié).  

Les nouvelles générations restent-elles proches des sensations liées à un monde qui n'est plus ? 

Et pour ceux de mon âge, cette nostalgie projette-t-elle dans le futur avec ce qu'elle porte de positif ? 

Loin d'exprimer un univers achevé appelé à se rétracter, me concernant, elle matérialise une part irréductible de ma ligne de vie encore en expansion...  

dimanche 16 juillet 2017

PETITE CHRONIQUE DE MA FORÊT PERDUE... / Tchécoslovaquie / Jiřina Burketova

C’est vrai que les gens du pays connaissent les coins. Certains venaient pourtant en voyage organisé : le bus se garait même en lisière de forêt mais quand ils en portaient un ou deux kilos, nous, nous en ramenions dix ! Maman me disait « j’ai besoin d’un ou deux cèpes pour la sauce » (" Potrebuju jednu nebo dvě hriby na omáčku" ? ) ... Elle les avait en temps voulu... 

Jiřina Burketova. 




mercredi 31 août 2016

NA HOUBY / Kronika / srpen 2016 / TCHÉCOSLOVAQUIE, Holoubkov ma forêt perdue.


10 / 08 / 2016 V. : « Chtěla bych se zeptat jak to vypadá z houbami na Volduchách předem děkuji. »
10 / 08 / 2016 A. : « proV.: Volduchy včera půl košiku hnědáků za 3 hodiny - více než polovina červivých. Jinak pár klouzků.»
17 : 08 / 2016 T. : « Zbirožsko a Holoubkov. Plné koše praváků - poměrně i málo červivé - jen někdy nohy. Ostatní vč. kovářů - červivé. Také jsme našli i pěkné křemenáče. Je to nádhera. Konečně jsme se dočkali. »
17 / 08 / 2016 J. : « včera Zbirožsko - malinké a zdravé hřiby hnědé, krásné malé babky. Nádherné mladé hřiby nachovýtrusé. Nebylo to v Mýtě ani v Holoubkově. V tomhle lese rostou houby "dýl", a proto teprve začínaí. Ale mělo by zapršet. »
19 / 08 / 2016 M. « Pěkný den všem - nepohybujete se někdo v okolí Zbiroha a nebo Radnic a nevíte náhodou jak je to tam s houbama? Děkuji ."»
19 / 08 / 2016 H. : « pro M. dnes ráno ve Skomelně,no ve dvou 2 košíky,ale už víme,že lepší je to ve Sklené Huti,oboje blízko Radnic. Praváky nádhera,klouzky,ale borováky-hnědé hříbky k pláči. Flíček 2x2 m. 7 hříbků a jen 2 nečervavé a tak se dá říct,že z 80 % všechny eé,u bílých 95% zdravé. Začíná být sucho,tak pospěšte! My tam byli dnes s mužem ,jeli jsme z Kladna! »
21 / 08 / 2016 M. : «Sobota neděle - okolí Strašic. Pohádka: křemenáče, praváci, kozáci, klouzci, kováři - mraky masáků a poddubáků, ty jsou ale většinou červavé. Proti loňsku nebe a dudy.»
21 / 08 / 2016 A. :    « Dnes Holoubkov a okoli překvapivě je dost, i hub hodné, ale hřibů hnědých dostatek (přebytek), dále 50-60 praváků, klouzci, jeden strakoš(a to jen za 3 hodiny tři plnych košika!!!). Z nehřibovitých masáci, holubinky a ryzce. »



23 / 08 / 2016 h. : « Dnes ve Strašicích nádhera, po deštíku roste všechno, i červivost je nižší »
25 / 08 / 2016 m. : « Lesu a houbám -zdrar,kde rostou teď na Rokycansku?díky za zprávu, »
29 / 08 / 2016  K. :    « Pro m. : Na Rokycansku už neporoste ani Prašivka o to se postarám,leda hovno najdeš. »
30 / 08 / 2016 p. : « Právě jsem se vrátil ze svých místeček a dva plné koše hřibů, převážně smrkové, část dobových a pár kovářů. Ale chtělo by to vodu, je dost sucho. Zdravím všechny houbaře. »
31 / 08 / 2016 S. « Pro m. : hodně jsme našli u Radnic, ale je to již týden... ».

počasí v srpnu 2016 :
le 8, grisaille et pluie
le 9, pluie baisse des températures de 28° à 17°
le 10, t° fraîches 18°
le 11, t° fraîches 18° pluie et grisaille
le 13, nuages présents et menaçants dans le sud averses voire orages 26°
le 14, orages en Šumava et Bohême Sud 28° 



LES CONDITIONS FAVORABLES AUX CHAMPIGNONS :
Pokud se chystáte na houby, jděte tam, kde poslední dva týdny opakovaně pršelo
Díky lepším podmínkám vláhy rostou houby více v podhorských lesích s výškou kolem 500 m a výše. Pak i tam, kde se opakovaně v posledních dvou týdnech přehnaly deště.

Source http://tn.nova.cz/clanek/houby-rostou-hlavne-hriby-tvrdi-mykolog-vime-kam-na-ne.html

Ivan K. a mis les photos 1, 2, 3, 4 les 16 et 22 août. 
François Dedieu a pris la photo 5 en 1964 et la 6 en 1970. 

lundi 29 août 2016

ITINÉRAIRE D’UN ENFANT GÂTÉ / le collier de jasmin

Déchirement. À nouveau reprendre la route, partir. Partir... c’est mourir un peu ou réaliser qu’on est vivant ? Cette fois, plus que d’habitude peut-être, pour apprivoiser la tristesse, mieux vaut se projeter en avant, vers la gare, au devant du nez profilé du TGV, jusqu’au bon terminal et le seuil de la porte d’embarquement. Une fois parti, il faut bien aboutir quelque part, arriver si possible puis reposer, laisser retomber sa soupe originelle pour que son consommé redevienne clair, que l’impression de shaker cesse. Alors je me dis que plutôt que de me laisser aller aux états d‘âme, j’aurais dû faire plus attention au gamin qui a voyagé en savates et oublié sa veste. Puis le compte à rebours retrouve ses jours, le jour ses heures, son soleil et sa nuit. La vie continue. Le présent se remet en place et tâche de cautionner son devenir. Mais tout reste fragile : il vaut mieux pour l’instant laisser en sommeil les mots départ, séparation, absence... Et voilà qu’il arrive lui, migrant dans l’autre sens, pour que l’arrachement, le déracinement remontent à fleur de peau pour la terre et les cœurs laissés derrière. Tôt ce matin, il a chargé les valises puis la femme et les gosses. Il n’a pas vu mes au-revoir. Peu importe, il sait. Nous sommes frères. 


Pourquoi le bleu de la baie est-il troublé par ce ton terreux, comme en saison des pluies ? Est-ce déjà la forte houle du Grand Sud annoncée ? Est-ce l’alizé qui pousse ses bataillons de nuages ? Est-ce moi qui m’éteins sans les reflets dansants de ma Méditerranée ? Le soleil joue à cache-cache, aimable de ne pas imposer sa lumière crue : il me ménage en attendant que j’aille mieux, que j’encaisse, que j’accepte, entre autres, qu’il est aussi celui qui fait chanter mon Golfe clair, unique, du Lion, exclusif comme lui. 



Et elle, qui, après le collier de jasmin (1), a privilégié l'ail rose de Lautrec, les salades de tomates, et les a même préparées farcies ? Mon Languedoc, mon village, ma plage de Saint-Pierre sont-ils loin ou à fleur ? 



C’est à peine si j’ose avouer, écrivant cela, que j’écoute "Až Budeš Mojí", un tango... tchèque, murmurant amoureusement et en duo "Quand tu seras mienne...". Sans approfondir ces sentiments à vif, quel pastis entre le Midi, la France d’Europe, celle de Mayotte et maintenant la Tchécoslovaquie d’avant la partition et même de la République (« za Rakouska », de l’époque de l’Autriche, je crois, qu’ils disaient), qui vient me tirer la manche !  
Mon frère de misère, sa femme et ses gosses doivent être à l’aéroport, troisième ou quatrième « ouf » après le réveil, la circulation forcément chargée, la barge surchargée, le trajet jusqu’à l’aéroport... si semblables aux nôtres, à Fleury, à Béziers, à Montpellier, à Roissy enfin.
Une misère toute relative néanmoins même si je me demande si c’est préférable d’être de quelque part ou de porter plus d’un terroir à sa semelle. Nous ne sommes que des migrants, un havre nous attend, dans un sens ou dans l'autre, contrairement aux errants et aux émigrés qui ne reviendront plus (3).
En le voyant lever le camp, et parce que les chansons arrivent à dire si bien les choses que la pudeur nous tend à taire, je cherchais celle de « Partir Revenir » avant de me souvenir que c’est « Itinéraire d’un Enfant Gâté », toujours de Lelouch avec Belmondo. « Qui me dira...», l’air principal. Sublime même si l’amour y est plus décliné comme à recevoir qu’à donner :

«... Qui me dira, les mots d'amour qui font si bien, du mal ?
Qui me tiendra, quand tu iras décrocher toutes les étoiles ?
Qui me voudra, avec le nez rouge et le cœur, en larmes?
Qui m'aimera, quand je n'serai plus que la moitié d'un. ..... ?
La, la, la la... »

https://www.youtube.com/watch?v=mlMAnQn4uHM

Il y en a un, aussi, qui a toujours su rester modeste quant au pouvoir de ses chansons. Il l’a si bien chanté, l’exil, dans son itinéraire d’enfant gâté même s’il n’a pas eu la chance, son chemin s’arrêtant à 42 ans, d’enrichir ce thème des variations que peuvent apporter les années. Derrière le Portugais émigré ou le pauvre que la terre natale n’a pas voulu nourrir, il y a aussi Joe Dassin et son « Village du bout du Monde » est celui de tous les déracinés.

« Le vent s’engouffre dans ma valise et sur ma route il y a des trous.
J’ai vu tant de rues, j’ai vu tant d’églises mais les plus belles étaient chez nous.
Mon village est loin, à l’autre bout du monde et ma maison n’est plus qu’une chanson... /...
... Des Caraïbes aux Philippines, j’ai traîné ma carcasse un peu partout
Mais les chemins qui mènent à nos collines avaient des pierres douces à mes pieds nus... /...
... Pas de discours et plus de larmes, venez mes frères, me dire adieu. »

(1969)
https://www.youtube.com/watch?v=_JYhq_wMkOg  

(1) les colliers de fleurs en bienvenue se font rares à Mayotte. C’est beaucoup de travail... Nous concernant, cela relève exclusivement de l’amour... Et la Pénélope d’Ulysse ?
(2) de Václav Vačkář (1881-1954), compositeur et chef d’orchestre dont mon grand-père Jan aimait tant la musique... 
(3) une scène me revient souvent, me laissant foudroyé à jamais. Dans un Liban dévasté, le petit va partir, le grand-père reste. Ils ne se reverront plus. Ils le savent : 
" ... Je te quitte, dit l'enfant retenant ses larmes. 
- Tu m'emportes, dit le vieux... "  
L'enfant multiple, Andrée Chedid, Flammarion, 1989.

lundi 1 août 2016

"ŠKODA LÁSKY...", une chanson de la Libération / Československo / Holoubkov, ma forêt perdue...

Ça commence avec une question pour ces champions d’un jeu télévisé où la réponse était « coda ». Papa rappelle aussitôt André Pesqui à la baguette décochant « coda, coda » pour le dernier morceau à jouer. Étonnant mais c’est la deuxième fois aujourd’hui que notre concitoyen pérignanais revient dans la conversation : ce matin, c’était pour dire combien le « directeur de la coopérative agricole » aimait, même adulte, monter des modèles du Meccano.
Comme souvent, avec les souvenirs, on passe facilement du coq à l’âne lorsque, se tournant vers maman, il fredonne « ta ta rara, tara tara tarara...(a) (1), tu te souviens, à Holoubkov, le Russe, dans les fourgons de l’armée soviétique, huit jours après les Américains, comme il n’arrêtait pas de nous la jouer à l’accordéon, on aurait pu lui seriner "coda, coda, coda" !..».

« Škoda lásky kterou jsem tobě dala,
škoda slzí které jsem vyplakala,
Moje mládí uprchlo tak jako sen
Ze všeho mi zbyla jenom v srdci mém vzpomínka jen. » 



Et moi, à l’ordinateur, cherchant à savoir si ce n’est pas une chanson américaine importée et traduite... Quelle idée même s’il y eut le swing, le jazz, « In the Mood » de Glenn Miller (b) ! Il était bien gentil le Russe de ne pas jouer que Katioucha (c), autre chant marquant la victoire !

"ŠKODA LÁSKY..." nous vient de l’Est, slave et mélancolique à souhait, une musique de 1929 de Jaromir Vejvoda, servie par des cuivres et qui à la Libération, déborda les frontières. Quelques paroles, quatre vers seulement dont les deux derniers repris à la fin :

« Dommage l’amour que je t’ai donné,
Dommage les larmes que j’ai versées
Ma jeunesse s’est évanouie comme un songe
D’elle, il ne me reste au coeur que mes souvenirs. »

Que cela ne fasse pas oublier, surtout, tous ces soldats venus de l’autre bord de l’Atlantique pas plus que ceux de la Volga et du Baïkal pour anéantir le nazisme (2)... En France, Le Temps des Cerises (d) et toute sa symbolique, plus que les airs légers, a marqué la Libération. Et j’allais oublier le destin de « Lili Marlene » (e), d’abord chant conquérant des Allemands puis retourné en quelque sorte lors de la reconquête des Alliés.  
Cette liesse collective, si on n’en retient pas seulement l’explosion de joie, exprimait sincèrement le soulagement et l’espoir projeté vers le futur tant le prix à payer fut lourd pour réduire les fascismes.

A écouter
(a) https://www.youtube.com/watch?v=jyI9Pj4CEdE
(b) https://www.youtube.com/watch?v=bR3K5uB-wMA
(c) https://www.youtube.com/watch?v=2SLvtP6KMUM
(d) http://www.dutempsdescerisesauxfeuillesmortes.net/50_chansons/01_temps_des_cerises_le.htm
(e) https://www.youtube.com/watch?v=Q56QzGcAKZc
Et pour la France, Fleur de Paris http://www.dutempsdescerisesauxfeuillesmortes.net/50_chansons/48_fleur_de_paris.htm

(1) pour vous donner une idée, et vraiment par charité, c’est la musique de «Frida oum papa» aux paroles si nulles, ridicules et si irrespectueuses (ce qui est parfois un mal français) de la chanson tchèque «Skoda lasky» de 1927. Le fait qu’une chanson mondialement connue ne soit reprise en France qu’au milieu des années 70 ne plaide pas pour nous non plus... Oubliez cet énième avatar de la bonne du curé et écoutez-la donc dans sa version authentique et tchèque.
Notons aussi, en flop, pour le non-respect mémoriel, «Katiusha» devenue le kazatchok par la prêtresse du bain de siège ! 
(2) ceux venus de si loin, aussi : du pays continent, de celui du long nuage blanc et ceux des colonies britanniques et françaises, et, plus proches, ces Républicains de « La Tricolor ».  

Photos : 1. carte postale. 
2 & 3 shutterstock autorisées. 
4. maman et ses deux frères.

vendredi 15 avril 2016

CAVANNA ET LES PEUPLES / mémoire de l'Europe


Le nom de François Cavanna (1923 - 2014) reste lié à Charlie Hebdo et aussi à Hara-Kiri, le journal « bête et méchant » des années 60 - 70. L’auteur gagne néanmoins à être connu pour le témoignage, à travers sa vie, sur le siècle passé.
Ainsi, ce qui pourrait n’être, de sa part, qu’une posture politique contestataire, prend une tournure autrement humaniste et philosophique. Ses écrits autobiographiques, en effet, apportent un éclairage instructif sur un sens commun, une intelligence humaine idéalisés et pourtant loin de transcender les instincts d’êtres régis surtout par l’extraction animale qui est la leur.
C’est pour le moins ce qui marque, lorsque, à l’occasion du grand brassage causé par la Seconde Guerre Mondiale, Cavanna, alors déporté du travail en Allemagne, nous livre, dans les RUSSKOFFS (Belfond 1979), sur fond de jeunesse, d’amour et de soif de vie, un instantané des visions et constats primaires de nationaux vis à vis d’autres peuples.
Verra-t-on, avec le temps, l’acquis influer toujours plus sur l’inné ? Doit-on en rester à un réalisme essentiellement pessimiste exprimant que la nature de l’homme ne peut être que ce qu’elle est ? Peut-on estimer raisonnablement que les mentalités peuvent évoluer du tout au tout ?
En plus de l’intérêt personnel que je porte à cette période particulièrement destructrice mais qui fit que mes parents se rencontrèrent à Dresde et que la suite fut plus heureuse pour eux que pour Cavanna et Maria, comme tous ceux qui veulent y croire, ces questions de fond, bien sûr, je me les pose...

pages 120 à 123 édition Livre de Poche 1981, extraits :
« Pour la plupart des Français, ici (à Berlin dans l’Allemagne de Hitler note JFD), les Russes, c’est de la merde. En toute innocence. Ça va de soi, quoi. Comme un colon considérant un bougnoule. Même pas par anticommunisme. Au contraire, cet aspect de la chose les leur rendrait plutôt sympathiques.../... Alors que les Belges, leur défiance du Russe tient essentiellement au diable bolchévique qu’il cache sous la peau.
Les Français on ne peut pas dire qu’ils n’aiment pas les Russes, ils ne les aiment ni ne les désaiment, ils n’aiment personne. Quel peuple économe de ses emballements ! .../... Au premier contact, traitent les Russes de haut, condescendants, amusés-méprisants, comme ils traitent le Sidi qui vend des tapis à la terrasse des cafés. Ces yeux braqués d’enfants curieux de tout, ces sourires grand offerts qui quêtent ton sourire et volent au devant de lui, cette amitié toujours prête à croire à l’amitié, cette terrible misère qui cherche quelle babiole t’offrir pour matérialiser l’amitié, cette violence dans le rire et les larmes, cette gentillesse, cette patience, cette ferveur, tout ça, les Français passent à côté... ».
D’après Cavanna, les Français feraient un peu comme les Allemands « ... sauf que les Allemands, eux, ils le font exprès, ils savent pourquoi. » Ils dénigrent les traits physiques, la façon de s’habiller, les traitent de « race à la traîne, pas des gens comme nous, quoi ! », les pensent encore au Moyen-Âge. S’ils en veulent aux Allemands « Les Boches, bon, c’est des sales cons...» ce n’est pas sans accointances « entre gens civilisés ».
«... Vis à vis des Russkoffs, les Français se voient dans le même camp que les Chleuhs : le camp des seigneurs.
J’ai l’habitude. Le Français méprise d’un bloc tout ce qui est rital. Le Rital du nord méprise le Rital du Sud et se sent, du coup, quelqu’un d’un peu, si j’ose dire, français...
Le Polonais aussi est méprisé mais déjà nettement moins que le Russe. Le Polonais hait le Russe d’une haine dévorante. Il en est, en retour haï d’une haine condescendante. Il hait aussi l’Allemand, le Polonais, d’une haine ardente mais pleine de déférence. L’Allemand hait le Polonais d’une haine somptueusement teutonique. Eux.../... détestent tout le monde et par-dessus tout les juifs... /... Ah si tiens, ils aiment la France... Les malheureux ! Dis "Napoléon" à un Polonais, il se met au garde-à-vous... /...
Les Tchèques aussi aiment la France. Mais d’une façon plus distinguée, plus culturelle. Nous on a mauvaise conscience. Munich, n’est-ce pas... On finit toujours par évoquer Munich. Alors le Tchèque te regarde et ses yeux te disent : « Tu m’as fait ça, ami. Tu m’as trahi. Mais ça ne fait rien, ami, je t’aime ». La France quoi qu’elle fasse, elle reste la France. C’est ça l’avantage d’être la France...  »

C’est direct, brut de décoffrage. C’est du Cavanna. Faut lui passer les gros mots. Sous des dehors excessifs, lui et ceux de son genre cachent une grande sensibilité. Dans « LES RUSSKOFFS », en dépit de la guerre, il y a aussi, sur ses « calepins crasseux », un amour indéfectible pour les langues avec une faveur pour le russe que parle la femme qu’il aime.
Bien plus tard, celui qui n’aura de cesse de fustiger les réformateurs de l’orthographe s’arrogeant le droit de saper une langue millénaire pour «... des gens qui ne lisent pas, qui liront de moins en moins, qui n’écriront pas davantage. On la fait pour ceux qui ne s’en serviront pas...», écrira «MIGNONNE, ALLONS VOIR SI LA ROSE », un éloge de notre langue sur plus de deux-cents pages... 


Je relis LES RUSSKOFFS, tous les soirs à 17h 30, au téléphone, pour mes vieux parents aux yeux fatigués, à 9000 kilomètres de moi et ils prolongent souvent avec ces souvenirs qui les ont secoués et une émotion qui nous remue toujours.
Merci Cavanna ! Merci François !   

Photos autorisées 1. commons wikimedia auteur supposé Virginiev. 
2. google images / youtube. 

mardi 6 octobre 2015

“ LA VIE EST A PEINE PLUS VIEILLE QUE LA MORT” / Československo / Holoubkov ma forêt perdue...

 “ LA VIE EST A PEINE PLUS VIEILLE QUE LA MORT.” Paul Valéry.    

Vendredi 2 octobre 2015. 13 heures à Mayotte, une de moins sur un chemin à l’orée d’une forêt tchèque, de celles qui annoncent déjà la taïga russe, le galop des Cosaques vers l’est lointain et, dans l’autre sens, la chevauchée des hordes aux yeux bridés. Aujourd’hui, pourtant, ce n’est pas l’enfant qui se laisse aller à sonder ses mystères profonds et magiques, c’est l’adulte qui, par la pensée, passe et repasse sur ce chemin familier où certains se retrouvent écrasés par la force du destin, parce qu’on n’en revient pas quand sonne l’heure. Vendredi à midi, tonton a pris ce chemin sans retour ; il a rejoint les nôtres, ceux qui reposent dans la clairière et vivent dans nos souvenirs. 

                                                                                     Tonton Stáňa (août 1965).

    Est-ce que je peux être là-bas malgré les kilomètres par milliers qui nous séparent ? Comment est-ce possible alors que l’installation d’une guirlande et des lampions est prévue, qui plus est, parce que ce 2 octobre marque aussi les neuf ans de mon dernier ? Qui se permettrait de gâcher la fête, d’entamer chez les enfants un pécule d’optimisme si précieux pour la suite ? Pas moi en tout cas ! Va aussi pour la musique malgache : quel que soit le ferment, tout vient, tout irradie de l’intérieur... comme quand tu t’exclamais, tonton, avec gourmandise, à propos du métissage de mon fils « Takovej pěknej čokoládovej ! » (un si joli "chocolaté") ! 

                                                      Florian vers ses 3 ans (juillet 2009)

                                                                                          Tonton Stáňa (juillet 1969)

Sa mère a fait des gâteaux au chocolat, justement ! La Vzpominka na Zbiroh de Vačkař, ce sera pour un autre moment, au calme. “To chce klid”... On le dit ainsi, non, au pays des sombres forêts ? J’ai posté des photos pour les miens, sur facebook en me demandant s’il était convenable de s’afficher ainsi ? Mais puisque ça vient de l’intérieur... Et puis nous savons tous que tout et son contraire trouvent à se justifier urbi et orbi ! Il y a des pays où les gens banquettent et trinquent sec pour un enterrement !
    Chacun garde les portraits, les scènes et les décors qu’il peut, distillés, passés par le filtre des ans, contrairement au film accéléré qui défile pour ceux sur le point de franchir le pas, s’il faut en croire ce qui en est dit. Mes images convergent, lumineuses, dans le clair-obscur du chemin où l’armée des sapins tolère une délicate bordure de noisetiers. Dessous, des framboisiers dont la tendre verdure avait attiré une biche, une fois. Instantané fugace et fragile d’un regard partagé, exaltation même de la vie avant qu’elle ne se fonde dans la coulisse ! Sûr que pour l‘avoir précédée, elle est plus forte que la mort ! Sa sérénité rassure, grandissante, palpable quand le chemin donne dans la lumière foisonnante, au grand soleil du matin.
    Dormez tranquilles, cœurs aimants... Une première ligne d’arbres garde et protège la clairière. Derrière, en renfort, la forêt veille sur l’empreinte d’un passé qui seul peut répondre de  nos traces. La famille, les amis s’en retournent et moi je reste là, les yeux baissés, la semelle roulant mes pensées avec le gravier léger, du laitier peut-être, là où la biche s’est enfuie.
    Oui, tonton, chacun partagera ses images, ses sensations, en prenant soin d’éviter les sujets qui fâchent. Nos tableaux familiers s’animeront, dans la cuisine, au jardin, près du clapier, sous les pommiers, autour du taborak, le feu de camp, dans la forêt pour les myrtilles, les champignons, pour la bière du samedi dans la fumée de l’auberge, au lac... Dis, tu te souviens du brochet qui voulait se réfugier dans les roseaux ?
    Par-dessus les pointes des sapins, une locomotive poussive halète son effort dans la côte et si l’herbe est désormais lavée du poussier des escarbilles, l’écho des bouffées se répète comme ces voix qui se sont tues mais continuent à porter...
    Excuse-moi tonton, je pars chercher tante Joséphine : j’allais l’oublier, avec ses fleurs, sur la photo de famille... 

                                                                    Tante Joséphine, assise, avec des lunettes (1985).

lundi 23 février 2015

SRNCÍ SVÍCKOVÁ mais qui a tourné / Československo / Holoubkov,ma forêt perdue

Srnčí svíčková s knedlíky a rybizovy kompot / Svíčková de chevreuil avec knedliky et sa compote de groseilles.   
 



A présent la version dure, carrément noire, sang caillé, qui ne fait pas mystère de la terrible étreinte sur l’individu de ce qui fut un totalitarisme rouge. Ces rajouts sont précisés en rouge (à lire directement pour ceux qui connaissent bien l'histoire).

Un village en Bohême. C’est l’hiver. De toute façon quelle que soit la saison, il faut avoir l’esprit débrouillard, échanger avec ses connaissances, s’entraider entre gens de confiance, garder l’esprit de troc pour s’en sortir. Le régime assure l’emploi, les soins sont en théorie gratuits mais avec un sentiment d’impatience, d’insatisfaction sinon de déception qu’il vaut mieux cacher. La république socialiste, si elle assure le  travail, si les soins en théorie gratuits sont garantis, bride et pèse sur la vie des gens. Seuls les apparatchiks, entre deux purges, profitent du système et sans la carte du parti, rien n’est facile. L’homme reste un loup pour l’homme : les tenants des lendemains qui chantent peuvent toujours chanter, les idéaux de fraternité ont été trahis et dévoyés dès le début de l’entreprise communiste. 

Grand-mère, puisque c’est d’elle qu’il s’agit, a entre 60 et 65 ans, peut-être 63. Est-ce la période où elle travaille  encore à la cementarna, la cimenterie qu’elle a réintégrée, bien qu’officiellement à la retraite ? A la maison, il faut aussi s’occuper des poules, des lapins, parfois du cochon à engraisser. Les oies, c’était à l’époque du Protectorat et après la guerre. Il y eut même Lisa, vers 1945, une chèvre, une vraie, gourmande, prompte à s’échapper de sa soupente pour arracher les fleurs, casser le pot et se moquer, telle la koza que Josef Lada sut si bien croquer ! Là, ce sont les moutons. Autrement, comment s’en sortir alors que les pénuries restent chroniques, que les files d’attente s’allongent pour la viande : « fronta na maso » et même pour les légumes quand, à Rakovnik, le tableau sur le devant de porte des « zelenyni », littéralement les "verdures", annonce pour le lendemain une hypothétique livraison de chou-fleur (karfiol) ! Lorsque dans un pays la nourriture tient lieu d’unique consolation, que la population s’y adonne même avec excès au point d’ y consacre l’essentiel des revenus,  on a tout dit... Une des principales tâches du membre disponible d’une famille consiste, en effet, à faire la queue pour la nourriture ; suivant la rumeur et le bouche à oreille, il doit aussi anticiper un arrivage improbable... Un demi-siècle a passé et pourtant nous rions encore de l’oncle Jan, content que ce soit son tour et aussitôt dépité, confus de s’entendre dire « Il n’y en a plus ! », pour du chou-fleur, justement. Si sa déconfiture prête à rire, avec le temps, sûr que sur le moment, suite à des quarts d’heure de patienc, la déception, le frustration prévalurent... J’imagine l’accueil de tante lorsqu’il est rentré les mains vides !

Mamé est disponible ce matin là puisqu’elle se charge d’emmener paître les brebis. Ou alors elle s’est dévouée avant le boulot, tôt le matin. Petit matin gris, au ciel chargé. Aujourd’hui le soleil ne pointera pas sa pâle consolation. Alors, autant avoir l’esprit au travail, une manière d’aller de l’avant, d’entretenir la vie, l’espoir, sans se laisser abattre, une manière de plier aussi, de ne pas se résigner, en attendant mieux. « Prace vola » disent les Tchèques, deux mots sous lesquels on pourrait mettre bien des choses. Babi¹ka, telle que je l’ai connue, a seulement en tête de mener sa tâche à bien, sans ménager sa peine, sans demi-mesure, comme elle l’a toujours fait. Du lever au coucher, sa journée, à la maison ou dehors, se déroule suivant la besogne programmée, l’énergie qu’il faut y consacrer. Le seul moment de détente est peut-être la partie de cartes avec la radio qui ronronne, en fin de semaine, sous la lampe, quand elle lance des piques et fait tant rire grand-père, son « dĕdka misernej » (dois-je traduire ?), quand il gagne !  

Sous son bonnet de laine, engoncée dans sa veste molletonnée et en bottes, elle a dû sortir, mamé, par l’ouverture discrète, secrète presque, donnant sur la forêt, ménagée dans la haute palissade de pieux dédoublés. Il faut passer inaperçu, ne jamais agir à la légère, toujours anticiper les mauvaises réactions, Une prudence élémentaire s’impose... mieux vaut paraître aussi insignifiant qu’hypocrite. La délation est chose courante : quelques moutons peuvent rendre jaloux et la forêt, si elle est à tous, semble plus protégée qu’elle ne l’était au temps des nobles, quand le petit peuple, complice, solidaire, se tenait les coudes pour soustraire quelques petits profits au seigneur. Sous la « Československá Socialistická Republika » (il y aurait tant à dire pour cette dénomination in extenso...), au contraire, tandis que ceux qui se croient plus égaux, comme saura le dire Coluche chez nous, dominent, les petits s’épient, se dénoncent.  Parmi eux, des zélateurs sans nuance du régime, admirateurs des procureurs intraitables contre des ennemis du peuple inventés, virulents, enragés, fanatiques, aveuglés d’idéologie, outranciers dans leur vision communautaire. Cela nous entraînerait trop loin d’embrayer sur le côté castrateur entretenu par un régime policier à l’encontre de l’individu qui doit se retenir, à moins de le payer au prix fort, de dire ce qu’il pense vu que sa liberté lui a été confisquée. Je ne pouvais néanmoins taire l’atmosphère de ces années là, parce qu’elle s’apparente à une chape de plomb qui pèse sur les relations au sein de la société. La famille même n’est pas à l’abri et l’affaire Morozov, pourtant montée en épingle par la propagande soviétique dans les années 30, si elle gonfle encore d’orgueil les mystiques des mirages prolétariens, représente une menace réelle pour une majorité obligée de suivre, de faire semblant. 



 Revenons à nos moutons qui, avec les chèvres, sont d’autant plus interdits de pacage dans la forêt qu’elle est récente, formée de jeunes plants, tels ceux peut-être qui ont servi pour la palissade. Mamé avance sans bruit. Il fait sombre entre les épicéas (smrki / sapin = jedle) mais elle connait par cœur le trajet vers ce chemin qui donne sur la route de Kralovice. La partie épaisse où il faut se garder des branches basses qui cinglent le visage s’éclaircit au niveau des dômes des fourmis rousses (mravenci, les fourmis). Un peu plus loin, en limite d’une pessière plus âgée, c’est une zone spongieuse, de mousses traîtres, peu engageante même l’été : on craint de noyer ses chaussures pour clapoter ensuite dans les chaussettes trempées alors que la sortie aux champignons commence à peine. Je pourrais en parler autrement, en évoquant le petit ruisseau qui en aval borde le jardin, retenu qu’il est par un joli barrage de terre glaise, tels ceux que construisent les enfants, toujours dans les dessins de Lada. Mais laissons-là le miracle des sources puisqu’il importe de rassasier les moutons pour épargner la réserve de foin. Le voici,  le chemin, à dix minutes seulement de la maison. Il délimite une trouée plus intime que la saignée de la ligne à haute tension (drat-a... mais peut-être disions nous "linka") où il n’est pas interdit non plus, de mener les moutons. A l’opposé du tapis d’aiguilles sous les arbres, ici l’herbe pousse haut : la ressource ne doit pas être négligée avant la première neige. « Stara », la vieille brebis broute devant, suivie de « Mala », la menue, et du petit troupeau. Attention cependant au « beran », le jeune bélier, prompt à vous encorner le postérieur, dès qu’il vous voit distrait... Encore un jaloux !



A quoi peut bien penser babi¹ka, dans la quiétude du pâtre quand les bêtes paissent en paix ? Elle pense à son aîné qui vient rarement maintenant qu’il a déménagé à Litomĕřice. Elle pense à sa fille, si loin sur les rives de la Méditerranée, en France, qui tarde à répondre à sa lettre. Si encore elle était à Strasbourg... Plus terre à terre, elle suppose que la journée de dĕda, grand-père, se passera sans anicroche : il y a tant à faire, même sans le jardin et le verger, avec tous ces animaux à soigner, à nettoyer, les corvées de bois, de charbon, un bricolage qui ne saurait attendre, le vuzej¹ek des courses qu’il faut tirer jusqu’en haut du village. Mamé fait toujours passer les siens avant. Si elle a du caractère, ce n’est pas plus pour se mettre en évidence que pour se faire plaindre.

Une voiture passe non loin et la ramène sur terre. La forêt en étouffe le bruit pour le détendre ensuite, longuement entre ses hauts fûts, jusqu’à ce qu’il n’en reste qu’un murmure qui monte, distant. Comme elle s’est tournée spontanément, un détail étrange éveille alors ses sens. Cette masse sombre contre le grillage censé protéger la faune sauvage d’une circulation même rare ? Qu’est-ce que ça peut être ?    
Laissant ses bêtes, elle s’approche. Oh ! c’est une chevrette prise dans le fil de fer, étranglée, encore tiède ! Mamé en perd sa sérénité. Nous parlions des droits historiques des serfs et vilains dans la forêt. Et bien, cela reste toujours un crime de s’emparer du gibier. Il faut, sous peine de lourdes sanctions, ne parlons pas du braconnage, le porter sans délai au siège de la « Komunisticka strana » ou d’une « vlada », une instance locale (quitte à me tromper, je cite ces mots qui ont marqué mes vacances là-bas). En France, on vous ferait croire que cette viande recherchée serait susceptible d’améliorer les menus des vieux à l’hospice ? Sauf que... charité bien ordonnée dit-on... Et puis, cet instinct qui pousse l’homme à prélever ce que la nature veut bien lui céder avant qu’un semblable ne s’en saisisse... Grand-mère n’hésite pas longtemps. Sondant le silence, elle s’assure qu’aucun témoin n’est présent, qu’elle est bien seule, avant de décrocher le chevreuil. Tremblante à l’idée de ce qui pourrait arriver, elle le traîne sous le couvert protecteur, décrit une boucle malgré les rameaux qui griffent, avant de revenir vers le fossé bordant le chemin pour cacher le butin sous des branches, contre un taillis de saules. 

« Stara, Mala tak pojte ! » Les brebis ne se font pas trop prier et grand-mère se retrouve vite devant la palissade, passe derrière ses bêtes, referme l’accès à guillotine et rentre les brebis avant de monter chez elle.

Dĕda prend son déjeuner à la cuisine. La radio débite ses litanies monocordes de propagande (1). Elle lui pose la main sur le bras, se garde des murs qui auraient des oreilles et raconte sa rencontre, tout bas, tant la crainte justifiée d’une mésaventure tragique reste présente. Le souvenir des procès de Prague plane, avec ses ramifications de haine entretenue jusque dans les écoles des villages les plus reculés. Alors, quand les puissants sont pendus au nœud coulant où eux mêmes ont passé tant de têtes, on sait que les petits peuvent disparaître du jour au lendemain, sans laisser de trace, sans qu’il n’en reste un remous... 

Tonton est arrivé de l’usine sur sa Jawa rouge, par cette même route dans la forêt, peut-être après avoir aligné deux journées en une seule (Stakhanov aussi reste emblématique du totalitarisme stalinien). Tonton, donc, est aussitôt mis au courant et renseigné sur la position exacte du taillis de saule. Un plan simple est arrêté. A la faveur de l’obscurité, la nuit tombe tôt en cette saison, il irait chercher le chevreuil par le même chemin, en prenant garde de ne pas être attendu.
Ce qui fut dit fut fait sans que la fatigue liée aux coulées d’acier et à la bière même légère (2) censée réhydrater le corps du fondeur, ne fasse, dans la nuit, trembler le couteau affûté du dépeceur (3). Si, dans le village, la famille, les alliés en ont profité, chacun sut heureusement tenir sa langue sur la provenance du gibier et la mémoire n’a gardé que le souvenir attendri et goûteux de cette chair apprêtée en svíčková, comme le filet ou l’aloyau de bœuf, accompagnée, il va sans dire, de knedlíky, avec deux cuillerées de groseille sur le côté, du sucré-salé, de l’aigre-doux, du parfum et du goût comme l’a la vie pour chacun de nous.

(1) Avant, au village, le dimanche nous avions droit à cette propagande de slogans à rallonge, déversée par les hauts-parleurs, sur un ton grave à en devenir lugubre, pour vous donner une idée, à l’opposé de la rengaine aiguë et dansante accompagnant le fourmillement incessant du peuple frère vietnamien.
(2) « lehké » en tchèque ?
(3) sa maîtrise pour le travail de la viande fait qu’on se dit toujours qu’il était plus fait pour la boucherie que pour les métiers du bâtiment ou de l’industrie lourde.