Ici, tournées au soleil, des
laisses étroites sur une pente raide. En bas, sur la plus belle pièce, celle du
cerisier voisin d’un abricotier aussi peu vigoureux, 3000 m2 environ, et en
face, sur des terrasses plus larges, des vignes. Plusieurs familles ont cultivé
ici, l’émiettement cadastral actuel en atteste toujours. Que faisaient-ils
venir avant le boum de la vigne qui finalement n’est vieux que de
cent-cinquante ans ? Des céréales, du blé certainement, les moulins des
collines, ruinés ou réhabilités, en témoignent. Disposaient-ils de
citernes pour entretenir un potager ?
A l'avant d'une figuière, la citerne et le bassin pour préparer le sulfate de cuivre. |
Garoulho, chêne-kermès. |
Après les années 70, les vignes
du bas dont celle du cerisier, trop petites, peu productives, difficilement
accessibles, n’ont été gardées que pour équilibrer un rendement moyen à
l’hectare. Sur les laisses en hauteur, la garrigue a vite repris ses droits. La
garoulho buissonnante de kermès[1],
les cistes, parsemés de ci de là d’un pied de romarin, d’un genévrier cade ou
d’un arjalat, un genêt scorpion intouchable, se sont réinstallés. Sur la
première parcelle à gauche en débouchant dans la combe, un bataillon de pins
serrés avait remplacé les cultures et le long du mur qui semble les contenir,
au pied de l’appareil de pierres sèches, restait un alignement d’iris rappelant,
plus vivant que les friches alentour, l’occupation millénaire des hommes…
Iris Van Gogh Wikimedia Commons source Web Museum. |
Si Jean Ferrat nous a laissé une
des plus belles chansons françaises avec « La Montagne », en 1964, cinquante
années plus tard, nous assistons à un reflux, à une
« reruralisation » pour ne pas répéter bêtement
« rurbanisation », le mot-valise des "socio-géographes". Les citadins
reviennent à la campagne parce qu’en ville, se loger est toujours plus cher,
parce qu’en banlieue les communautarismes se sont imposés, parce qu’on aspire à
un repos plus calme et réparateur, à un air à priori moins pollué, à une
cohabitation moins stressante, à une école plus sereine. Les nouveaux venus
vont-ils se fondre dans ce qui reste de l’histoire, de la culture villageoises ?
Ce passé, cet enracinement représentent-ils encore quelque chose à l’heure où ils
ne sont plus portés que par un quart (800) de la population permanente de la
commune[2] ?
Est-ce que dans l’antagonisme ville-campagne voyant cette dernière moins dotée,
abandonnée par le commerce de proximité et les services publics, la première va
exporter les dérives qui l'insupportent, l’écart toujours plus marqué entre un
centre favorisé (économie, dotations, culture) et une ceinture laissée pour compte ?
La ville ne va-t-elle pas se soulager de ses problèmes en refilant une part de
son malaise sociétal grâce à l’obligation de construction de logements sociaux,
par exemple ?
Plutôt que de répondre que rien
ne s’arrange avec des cataplasmes sur des jambes de bois, autant se ressourcer
en parcourant la combe de Caussé. Les iris y fleurissent-ils encore ? S’ils
n’y sont plus, pour nous consoler, pour aller au-delà de ce décrochage des
hommes dans le vallon, montons même au-delà, là où, sur quelques millions
d’années, l’eau quelquefois en colère fait inlassablement reculer la falaise,
dans un ressaut où elle doit gronder avant de finir, deux ou trois jours après
le pic, en cascatelles claires. Revoir en haut ces oulos dau diablé[3],
ces marmites de géant avec, à l’intérieur, bien rondes, les pierres qui
fourbissent et érodent sans témoins… Sans trop penser aux truffes que les
aigats déterrent, le regard perdu dans le bleu d’un ciel où ne déroge que le
vol planant d’un grand rapace, avec, sous nos pieds, les mystères d’un monde
souterrain encore inexploré de grottes fraîches et de sources[4]
qui partent jusque sous la mer, gardons cette liberté de rêver qui seule peut
entrouvrir de l’amour infini l’évanescente sensation.
[1]
Lou garric en occitan qui a donné la garrigue. Exploité pour ses fagots vendus
au boulanger, son écorce et ses racines riches en tanin pour le travail des
peaux, sa cochenille en mai qui lui a
donné son nom latin « quercus coccifera », faisant l’objet d’un droit
de récolte laissé aux pauvres et pour
lequel on se laissait pousser les ongles (cette cochenille donnant une couleur
rouge vermillon très prisée serait devenue rare). Page 21106 Tresor dau
Felibrige, F. Mistral cite « vermeiado cochenille du chêne nain,
kermès.
[2] Un
rapport consécutif surtout à la condition de commune touristique avec les
stations balnéaires de Saint-Pierre-la-Mer et des Cabanes-de-Fleury sur 7
kilomètres de plage.
[3]
Prononcez « diaplé ». Le terme « oulo », adopté en français
sous la forme « oule » indique la présence de cette forme
d’érosion : le Clot de l’Oule (Niort-de-Sault, Pouzols-Minervois), le
gourg de l’oule à Villelongue-d’Aude et Villanière, toujours dans l’Aude.
[4]
Exsurgences puisque pour une rivière qui réapparait on parle de
« résurgence ».