C’est vrai qu’il y a les guines que nous chantons avec le Temps des Cerises et les beaux jours revenus, les bords de la rivière qui invitent à la pêche, les potagers qui étalent leurs offrandes (oignons, pommes de terre nouvelles, artichauts...), la vigne en fleur qui promet ses présents. Les frênes foisonnent dans les friches, formant un taillis serré où des passereaux cachés répondent aux trilles des chardonnerets, aux verdets et aux romances des rossignols gardiens de nids. Juin ! bouquet final du renouveau avant qu’un été torride ne l’accable. Le grand air oxyde les pétales pâlots des derniers coquelicots, on dirait avril : le printemps reste frais et s’attarde. Des amateurs de ce même grand air ont peint des coccinelles sur le goudron, la température est idéale pour la marche et les jeux de pistes.
Un pont à voie unique, pavée de galets, passe l’Aude. Une petite plaque précise « Syndicat du Pont de la Gare Basse. 1928. Passage privé ». Un flot rapide fait onduler une chevelure d’algues, sur un haut-fond, peut-être un gué ancien. Malgré les orages d‘hier, l’eau reste verte, d’un vert précipité : on dirait le pernod des extraits de jadis, interdits et pourtant présents dans tous les placards des cuisines.
De l’autre côté, la maison du pontonnier : son délabrement, suite à son énucléation, les poubelles déversées font l’effet d’un outrage ultime. Le contraste est total avec la grande vanne fonctionnelle, fraîchement repeinte, qui, juste derrière, sur deux paires de mètres, ferme le Canal des Anglais, un des épanchoirs drainant le lointain étang de Capestang (1). Le gardien du pont en était-il aussi chargé ?
Le chemin vicinal longe l’Aude : dans l’autre sens, en venant de Lespignan, il permet de ne pas faire demi-tour quand la chaussée sous l’autoroute s’inonde.. Que les ploucs du coin s’en accommodent, eux qui ne pèsent rien contre le business vers Toulouse ou l’Espagne !
Un aigle ou une buse patrouille en se jouant d’un Cers qui fait pourtant défiler un chapelet de nuages. Entre les guigniers, les martelièiros (2), les vannes des fossés de la plaine rappellent le temps des immersions contre le terrible phylloxera... Plus bas, à La Pointe, papé Jean pompait aussi, à l’aide d’un moteur Bernard.
De ci, de là, une grange, offrant l’abri aux vignerons et aux montures, parce que le village se trouve à une heure et plus de route, avec sa réserve de bois pour la flambée, son gril, ses rats et tant d’anecdotes liées à la saqueto (3), la musette, la besace qui contenait le déjeuner.
Au bord du chemin, un cabanon à étage... pour le foin ou pour habiter ? Il en émane une beauté épurée, ruinée mais empreinte de dignité ; tout a été dépouillé, même le râtelier des chevaux, il ne reste que la mangeoire. Pourtant, vu de loin, le muret descendant vers le chemin apporte à l’esthétique et les tons crème de la chaux se marient bien à l’ombre tendre de deux platanes vénérables, ceux-là mêmes qui encadrent les pierres du portail et qui m’ont fait revenir pour la photo.
(1) l’Aude, fleuve côtier, appelé familièrement «rivière», est, comme nombre de cours d’eau méditerranéens, sujet à de brusques inondations, les Audencos. Ces crues sont causées par des aigats, plus communément nommés « épisodes cévenols ». Dans la Basse-Plaine, des étangs permettent d’écrêter ces excès (étang de Capestang, La Matte à Lespignan, étang de Vendres). Le lit du fleuve est artificiel ; le tracé de l’ancien lit subsiste, ses sinuosités qui marquent des limites plus nord avec le département voisin de l’Hérault attestent d’un apport important d’alluvions. (v. IGN géoportail).
Un deuxième drain, le Canal de France, débouche un peu en amont, à quelques dizaines de mètres à peine. Les noms sont-ils liés à une page d’Histoire ?
(2) l’eau indissociable de la forge : une plaque indique le constructeur de la vanne, de son mécanisme : « Guiraud Jeune à Carcassonne », « Verlinde à Lille » et la troisième que je vous laisse déchiffrer.
(3) « Porter la saqueto » signifie « apporter son manger »
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