vendredi 6 juin 2025

ROUES de la VIE, ROUES de mon CŒUR (4)

Pour moudre, faut tourner les ailes au vent, donc tourner la capelada, le toit ; un sacré effort pour un meunier valide, alors pour une femme... Cocagne si un couple de bœufs amis passait fortuitement dire bonjour. Relatif au gros moulin, un treuil à cet effet, aux points d’ancrage bien disposés sur la butte, restait plus que nécessaire. 

Le_Bournat_-_Moulin_à_vent 2019 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International license. Auteur MOSSOT. Bien qu'en Dordogne, pour se rendre compte de l'envergure dangereuse des ailes. 

Ensuite faut habiller les ailes, entre deux et huit voiles, suivant le temps, lâcher le frein qui les bloque chacune son tour, droite, accessible, ne restait plus alors qu’à fixer les toiles… façon de parler, l’arrêt devant être assuré, bien assuré. Deux solides bâtons fourchus y suffisaient sinon une corde lestée d’une grosse pierre. Ne surtout pas s’aviser de se soustraire à cette sécurité, la manœuvre dût-elle se répéter dans la journée. Même léger, le vent peut se lever à chaque instant ; les imprudences se paient cash !

Deux toiles, huit kilos sur l’épaule et l’aile qui se met à tourner. Appels de détresse. La femme vient stopper le mouvement. C’est trop haut pour sauter, l’aile est aux ¾, Ce n’est qu’une fois à la verticale, au point zéro du tour, qu’il est facile de descendre, barreau par barreau.

Ne parlons pas de la fantaisie de celui qui, toute sa vie, n’a pas réalisé l’envie de s’attacher la tête en bas pour mieux voir le paysage une fois en haut. Et les gosses qu’il fallait avoir à l’œil, celui qui s’accroche pour sauter une fois à trois ou quatre mètres du sol ! Pire, le drollet de six ans, en fœtus autour d’un barreau ! Si sa mère n’était pas venue, l’aile entamait déjà un deuxième tour ! Et fier, qui plus est d’avoir vu de là-haut, Castelnaudary et la Montagne Noire. 

Moulin_à_vent_de_Vignasse 2012 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported license. Auteur Raphael Isla. L'inclinaison des barreaux démontre le vieux principe de l'hélice réceptrice.

Tout ne se terminait pas aussi bien, à commencer, banalement par les mains et les pieds gelés en hiver ; le moulin travaillait beaucoup, à la demande, par petites quantités, les gens qui mangeaient du millas pour tenir le coup faisaient moudre au fur et à mesure.
Un cran au-dessus, les accidents : tomber à cause de la glace sur un barreau… « Ferraille » on l’appelait comme ça depuis qu’il avait une plaque de fer dans la jambe. Pour un autre, la réaction du docteur a tout dit : « Vous m’apportez un paquet d’os en miettes. » : pour quelle suite ? Sinon, fin de l’histoire suite à une chute mortelle, les cas ne manquent pas. Les accidents collatéraux non plus ; cette aile de 500 kilos qui passe à portée, inarrêtable pour celui qui une fois en haut s’est lâché !

Est-ce que tout cela participe de la fascination ressentie pour les roues qui tournent à l’image de la roue des amours, des destinées, d’une petite vie si grande puisque unique dans les cent milliards d'existences humaines passées ?

« Comme une pierre que l’on jette dans l’eau vive d’un ruisseau… », cette belle et douce ambiance m’a longtemps laissé croire que Michel Legrand voyait tourner la roue d’un moulin à eau. Mais non, de même que la pierre ne peut pas laisser des ronds dans l’eau vive, par milliers qui plus est, la chute ne peut que confirmer que le moulin de toutes nos émotions tourne bien sur la colline, sans à-coups violents, pour Legrand « …Au vent des quatre saisons, tu fais tourner de ton nom tous les moulins de mon cœur. ». (paroles Eddy Marnay [1920-2003], musique Michel Legrand [1932-2019]).

Le moulin à eau, lui, tourne pour Marcel Pagnol, ce qui, de la part d’un auteur de Marseille, pourrait paraître paradoxal, à moins que, sous la furia du Mistral, au constat inéluctable qu'est la fin, la sérénité de la Durance éternelle n'apaise…

« Le temps passe et il fait tourner la roue de la vie comme l’eau celle des moulins… » Marcel Pagnol.


jeudi 5 juin 2025

QUEL BÂTI pour un MOULIN ? (3)

L’apéritif, la mise en bouche sont autant susceptibles de rassasier avant le repas que d’impatienter le moment de se mettre à table. À propos du livre des époux Bézian, on se languit d’un menu ne pouvant que réjouir.

Afin de consoler un enfant qui pleure, il est aisé de lui dire de regarder les ailes qui tournent, un rotatif qui hypnotise l’attention des petits… j’ai connu, avec mon dernier, il aurait passé des heures devant le tambour de la machine à laver… Et pour les gens, avec les cloches, cela participait de la paix intérieure. 

Paul_Sibra_Don_Quichotte_et_le_moulin,_1924 (moulin du Cugarel)

Un projet de moulin commence par la recherche d’un site favorable au vent, le plus souvent une hauteur, avec déjà la maison du meunier, en contrebas, basse, sans étage, ensuite, des alentours dégagés, sans arbres… ce qui a eu poussé, dans l’anticipation de leur croissance, à des actions délictueuses telle celle de ce grand-père qui la nuit était parti soulever les jeunes plants ; les arbres mouraient sans qu’on en connût la cause ; suite aux échecs répétés, le propriétaire n’avait plus insisté… En hauteur certes sauf que par vent fort, la solidité s’en trouvait sollicitée davantage. De cette exposition va dépendre l’ancrage plus ou moins profond des fondations affectant l’accessibilité de la cave. Les murs, de pierre à l’Est et de brique vers Toulouse, sont également plus lourds et épais à la base ; une butte va en entourer le soubassement, elle permettra l’orientation de la queue, facilitera la montée aux ailes et la charrette pourra y venir pour les grains ou la farine ; quant à la capelada, la toiture, elle se construit comme pour un clocher sauf que sa couverture n’est pas de tuiles mais de bardeaux, souvent de châtaignier. Le toit pointu tournant permet la manœuvre par rapport au vent. Un moulin hors d'usage n'en vaut plus la dépense, plus économique, une pente de toit en tuile suffit. 

Mireval_Lauragais_Moulin_de_St_Jean 2016 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International license. Author MIC 43

Le vent, toujours le vent, rien que le souci primordial du vent : la longue-vue reste à portée afin de voir ce que font les autres moulins, ce qui évite les mauvaises surprises. Le plus mauvais de tous est l’Autan aux rafales destructrices capables d’emporter les ailes, voire de décapiter le moulin ! Certaines périodes, au contraire, se signalaient par leur calme plat, autour de Noël par exemple, en été, en septembre, forçant alors, pour ne pas perdre le client, à passer du molin (à vent), à la molina (à eau), d’où des trajets, du temps et des sous perdus. De faire tourner un animal n’était pas durable. Un meunier sans plus de moulin a continué son activité avec un moteur diesel dans sa remise.

Le temps qu’il fait n’est pas que lié au vent, sa prévision découle de l’observation résumée dans les adages et dictons :

* les trois soleils au coucher ou s'il se couche sous son coussin, la pluie est annoncée, idem si l’Ouest est obscur ; le troupeau de nuages blancs fait prévoir un risque d’orage ; « l’arc-en-ciel du matin, fait tourner le moulin »…

* les animaux aussi renseignent, ceux de la ferme qui se dissipent, les pigeons qui se baignent avisent la rentrée prochaine du marin ; les pies qui nichent haut rassurent, dans le cas contraire, il faut se méfier du vent d’Autan « Grand vent ne te manquera pas, la pie a niché bas »; pour certains, les serpents qui traversent les chemins

* suivant les personnes, les interprétations de la lune peuvent se contredire.

Dans les dictons, il pleuvra pour les moissons s’il pleut le jour des Rameaux et s’il fait du vent, comme pour la Saint-Martin, il ventera toute l’année.

La situation perchée des moulins attirait la foudre, on veut s’en protéger grâce au buis bénit du dimanche des Rameaux et certains sont pour un gros bouquet plus efficace. Le son aigu de la petite cloche restait censé dissocier le nuage d’orage…

Vent, voiles, toiles, en plus des souffles qui par l’arbre moteur font trembler le bâti, à l’air et à la terre vient s’ajouter la mer… Impossible l’élément liquide ? Et pourtant, à l’égal d’un marin, le meunier doit prendre des quarts, veiller à l'aide de la longue-vue, monter sur les ailes pour hisser ou réduire les voiles, gouverner, gérer la marche de sa machine, la préserver en cas de tempête.  

mercredi 4 juin 2025

Sur la route des MOULINS du LAURAGAIS (2)

Et alors, dans le but de mieux cibler et comprendre les moulins du Lauragais, et parce que le moindre détail nous ramène à l'universalité, nous le regarderons comparativement et avec plus attention, notre moulin à Fleury. 

Le moulin de Fleury au printemps. 

Qu'il est petit à côté, c'est ce qui vient à l'esprit en premier. Était-ce une adaptation aux conditions de vent, au Cers qui depuis le Lauragais, se met à ronfler si fort le long du couloir de l'Aude ? une puissance historique puisque, plus proches de nous, les wagons du chemin de fer, les caravanes, ont été renversées. 

Nissan_lez_Ensérune Moulin wikimedia commons Author Toutaitanous. 

Ancien moulin de Céleyran (2025). 

Était-ce, pour compenser, que plus modestes, ils furent plus nombreux, du moins chez nos voisins directs, Salles-d'Aude, Armissan, Lespignan, Nissan-lez-Ensérune, Vendres (1) ? Qui sait ? Seul sur son pech au dessus du fleuve, regardant Coursan, l'ancien moulin de Céleyran (commune de Salles-d'Aude), par sa haute taille, fait exception. À Fleury, vu de l'autre versant, point de repère afin de s'orienter, depuis l'étang asséché de Fleury, une énigme pour Manu, petit garçon de la campagne (2) de Tarailhan, immigré depuis la Mancha, se demandant à quoi ressemblait le lieu que les grands nommaient « village » ou « Fleury », là où on devait aller pour les achats, la mairie, encore caché derrière le moulin sur sa colline... Manu, un peu Don Quichotte en soi... 

En 2015, la colline du moulin derrière papa qui regarde où en est l'incendie dans la Clape. 

Sinon, un regard plus local sur la tour étêtée qui reste, rappelle que le lieu fut le cadre d'un crime élucidé seulement suite à la confession d'un mourant (voir « Un garçon meunier », sa narration romancée en épisodes par François Dedieu). 

 
Moulin qui va trop vite, moulin qui ne va plus, qui pourrait taire combien celui d'Alphonse Daudet incarne une unité cependant paradoxale de lieu pour ses « Lettres de mon Moulin » (3), avec encore dans le monde de l'enfance, « Le secret de Maître Cornille » ? 

Moulins du Sud, de Provence, du Languedoc, de Daudet à Arène, d'Arène à Giono, de Giono à Pagnol, de Pagnol à Bosco, auxquels nous sommes plus sensibles qu'à ceux du Nord souvent évocateurs de batailles : Valmy, Jemapes peut-être, Cornet et « aux chèvres » de la terrible guerre de Vendée... 

L'équilibre est difficile depuis les apports jusqu'au pillage d'un livre. Pourtant ce n'est qu'en allant voir dans l'existant que nous pouvons exister, depuis l'ignorance béante, la vie n'y suffira pas, tant l'avancée ne se fait qu'à tous petits pas, qui plus est, vers la connaissance inatteignable. Dans « Les grandes heures des moulins occitans », notre intrusion se limitera à picorer, à mettre en appétit à fin de donner envie du livre, à donner envie d'en savoir plus sur Prosper Estieu, Auguste Fourès, Joseph Dupuy, l'abbé Joseph Salvat. Et puis, les moulins à vent ne sont-ils pas les réceptacles des forces du ciel, de la terre et des mers ? Un grand merci aux époux Bézian !     

(1) Malheureusement pas de photo à disposition pour le moulin (d'Olmès ?) à Lespignan, particulièrement bien restauré.

À Vendres, les moulins devaient redevance aux seigneurs de Pérignan puis Fleury... peut-être, avec la contestation du territoire défini par les divagations anciennes du fleuve, de quoi alimenter des rivalités villageoises historiques, « l'Aude, dans sa folie, ayant gagné des terres pour Fleury ». 
  
(2) on dit « campagne » à propos de la même chose aux deux bouts est-ouest du département, ici un domaine viticole, là-bas une ferme, une métairie.   

(3) un moulin qu'il n'aurait ni acheté ni habité. Des lettres dues à la participation presque certaine de Paul Arène, moins connu...  

 

mardi 3 juin 2025

Les MOULINS du LAURAGAIS.

Allo, allo ! comme disait l'appariteur sur fond des « Marchés de Provence », pour annoncer que Saborit était sur la place avec des maquereaux... Attention de ne pas riper du doigt et appuyer à la fois sur le « a » et à gauche, la touche « tab », les flèches à contre-sens. Surprise ! hier tout le texte s'est effacé sans le moindre moyen pour annuler la fausse manœuvre, au niveau a minima qui est le mien. Mésaventure, contrariété, désagrément une fois digérés, une fois de plus, sur le métier, remettons notre ouvrage !  

Le gros bout de la lorgnette étant braqué sur la Montagne Noire puis un Lauragais si vivant bien que s'étant coupé trop tôt de Sébastien, ce sont alors les moulins coiffant les hauteurs qui ont marqué le paysage. Leurs souvenirs plutôt parce qu'il ne reste guère de ces témoins d'un temps dépassé. Bref, c'est surtout dans ma tête que leurs vents ont tourné.  


    
Jean Malaurie (1922-2024), Jean Bézian (1935-2015), Huguette Bézian née Carrière (1934-?) auteure de la série jeunesse des années 70, « Tony ». 

Tourne, retourne, en quête d'une bibliographie ne figurant pas dans mes écrits, faute de rigueur, lorsque « Les grandes heures des moulins occitans » rejoignent mon jardin d'idées, cette bonne rencontre, d'autant plus belle qu'elle figure dans la collection « Terre Humaine » chez Plon, me sonde dès les premières pages pour avoir écrit un jour sans réserve que le vent d'Autan, le Marin de notre littoral, a eu fait tourner les moulins des terres à grains lauragaises. La Bise, le Cers sont en effet rapidement mentionnés dans l'ouvrage et bien que confortant mon obstination sur ce dernier vent déjà romain, au nom le plus ancien de France, petit cousin du Mistral rhodanien, frère du Cers catalan “ del vent de cers que buffa al delta de l'Ebre ”, pourtant si ignoré par nos présentateurs météo ad nauseam en faveur de l'hexasyllabisme « Mistral et Tramontan' », la précision ne pouvait que mettre en relief mon avis simpliste de la réalité. 

Meunier_tu_dors._Les_chansons_de_France_Esquisse_pour_le_préau_de_l'école_maternelle_de_la_rue_Romainville,_19ème_arro. 1933 under the Creative Commons CC0 1.0 Universal Public Domain Dedication. Chanson pour la musique de Léon Raiter (1893-1978), paroles, en 1928, de Fernand Pothier (?-?)

Description iconographique : Le Meunier endormi sous un arbre est interpellé par une fillette accompagnée d'un chien. A l'arrière plan deux moulins à vent. Au verso, présence de quatre colonnes de calculs posés. Commentaire historique:

Une cloche sonnant à chaque tour permettait au meunier d'évaluer la vitesse de son moulin. Lorsque le moulin tournait trop vite et trop fort sans être alimenté de céréales à moudre, les suspensions de particules de farines dans l'air pouvaient s'enflammer au contact des étincelles provoquées par le frottement du pilon contre la meule. Cette comptine illustre la nécéssité de ne pas s'endormir par temps de grand vent : "Meunier tu dors,/ ton moulin, ton moulin va trop vite/ Meunier tu dors, ton moulin, ton moulin va trop fort / Ton moulin, ton moulin va trop vite / Ton moulin, ton moulin va trop fort / Ton moulin, ton moulin va trop vite / Ton moulin, ton moulin va trop fort / Meunier tu dors, les nuages, les nuages viennent vite, / Meunier tu dors, et l'orage et l'orage gronde fort ! / Les nuages, les nuages viennent vite, / Et l'orage et l'orage gronde fort ! / Les nuages, les nuages viennent vite, / Et l'orage et l'orage gronde fort ! / Meunier tu dors / Ton moulin va trop vite / Meunier tu dors / Ton moulin va trop fort"

Au delà de la controverse, en raison de la triade « vent, moulin, nourriture » chère à l'enfance, nous avons trop vite limité la portée de la comptine « Meunier tu dors, ton moulin va trop vite... ». L'apprenait-on ? je ne pense pas ; elle était dans l'air avec seulement le premier couplet et le refrain. La comptine n'étant de prime abord destinée qu'au discernement limité des gamins, nous restions donc bêtement à côté de son sens profond, condamnés même à ne pas en prendre la mesure en tant qu'adultes. Il en faut plus que le sens du rythme et l'expression corporelles des petites mains qui tournent. Le moulin qui va trop vite, ce sont les étincelles dues au silex ou au granit de la meule tournante, d'où le risque d'explosion du nuage de farine. Le moulin qui va trop vite, ce sont les engrenages qui risquent de sauter, les toiles de se déchirer, les ailes de s'arracher ! Les couplets suivants de la comptine le disent bien du vent, de la pluie, de l'orage, de la tempête ! Ne valaient-ils pas une explication de texte ? 

Et après, dans le but de mieux cibler et comprendre les moulins du Lauragais, et parce que le moindre détail nous ramène à l'universalité, nous regarderons plus attentivement le nôtre de moulin à Fleury, puis les Lettres de mon Moulin nous renverront à Daudet, Arène, puis de Paul à Pagnol, ce qui n'empêchera en rien l'évocation de Don Quichotte... (à suivre) 


lundi 2 juin 2025

Les BŒUFS de TRAVAIL, lo BESTIAL de TIRA (3)

À la Saint-Roch, proprets, harnachés, avec des fleurs sur le joug et les moscalhs neufs (pare-mouches, émouchettes), non sans fierté, le métayer mène une paire de bœufs pour la bénédiction religieuse à l'église du village. 

Attelage_de_bœufs_de_trait 2020 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International license. Auteur Zewan
 

Il faut bien convenir que ce sentiment aimant reste confronté à la réalité économique de production. Ce qu'il faut fatalement considérer en tant que filière comprend les éleveurs ou fermiers puis les maquignons, l'agriculteur se trouvant donc être en tenant ou aboutissant de la chaîne. 
Quelques éléments au titre de cette prise en compte matérialiste froide, impitoyable même si des moments conviviaux (mais ce n'est qu'une vision humaine de la chose) restent liés aux transactions. Tous veulent des bœufs homogènes, dociles, calmes, beaux. Avant la possibilité des bétaillères (camions ou remorques) quand ce n'est pas chez un fermier vendeur, les maquignons partent en voiture à Salies du Salat, Mirepoix, sinon dans l'Aveyron pour accompagner à pied le retour des bêtes (4). 
On change régulièrement les bœufs par paires auprès des maquignons d'Avignonet sinon on essaie de les vendre (inquiétude sur leur santé ou souffrants). Alors que les bœufs sont capables de travailler entre leur cinquième et dixième année, parfois douze, par souci de productivité brute, ils peuvent être engraissés et vendus dès l'âge de six ans. L'abattage se fait de préférence avant l'hiver pour ne plus avoir à les nourrir au fourrage, et aussi à les panser, les faire boire, racler les salissures sur leur robe, évacuer les bouses à la brouette, et tout ce qui incombe à leur entretien... 

Chez Émile, métayer puis propriétaire à Airoux de 1953 à 1989 et grâce aux carnets régulièrement à jour sur la conduite de la borde, trame de fond des romans de Sébastien Saffon, nous apprenons l'achat en juin 1956, d'un « bestial de tira » de deux bœufs. Malheureusement, six jours après, il s'avère qu'ils sont tuberculeux : le maquignon les remplacera en juillet. 
Émile et son propriétaire hésiteront une paire d'années avant de se mettre au tracteur pour une vie moins dure, moins d'efforts, plus d'efficacité mais tant de regrets aussi devant une machine inerte, immobile et sans vie. Émile a gardé une paire sur les trois, pour les bords, les passages étroits, les penchants. Seule la vente des bêtes a permis l'achat du tracteur d'occasion. Ils ont été vendus le 10 janvier 1958 pour un montant de 550.000 francs, l'équivalent de 11.500 euros de 2024.  

« Je me souviens du jour où ils sont partis. Le camion était garé dans la cour, là, devant la maison, et ils sont montés lentement à l'intérieur... » Émile. 

Paul Sibra Attelage_de_bœufs. Détail. 

 
 
Paul Sibra, Attelage_de_bœufs. À propos de ce peintre, voir les articles dont il fait l'objet... Si sa notoriété lui a valu de devoir payer en tant que pétainiste, c'est loin de l'abjection émanant d'un Louis-Ferdinand Destouches... 


(4) le prix dépend de l'âge, des défauts éventuels tel le vessigon, tumeur synoviale causée principalement par des efforts prolongés et pouvant mener à l'incapacité. Ces indications figurent aussi dans l'inventaire des fermes.  

Avril 1968. Montagagne (Ariège).


Avril 1968. Devant l'école sans plus d'enfants de Montagagne (Ariège). 

Remerciements particuliers aux Carnets d'Émile de même qu'aux témoignages d'Aimé Boyer rapportés aussi par Sébastien Saffon). Remerciements à Nelly Abuzzo-Engi pour son blog « Couleur Lauragais ». 

Merci papa pour tes diapos de 1968 à Montagagne.  


dimanche 1 juin 2025

Les BŒUFS de TRAVAIL, lo BESTIAL de TIRA (2)

... un besoin commande de parler plus généralement et plus concrètement à cause de la proximité audoise du Lauragais, des bœufs de travail, donc avec la prise en compte d'une propension préalable à un sentiment à l'égard des bêtes, des bœufs de trait, puissants, dociles, possiblement issus des aurochs disparus voilà 400 ans à cause de qui vous savez. 

Les rois fainéants (670-752). Lithographie en couleurs par E. Crété d'après une illustration de H. Grobet, Histoire de France, Paris, Émile Guérin, 1902.

Autre antécédent, l'empereur des villae et missi dominici, Charlemagne, ne se déplaçait-il pas en chariot tiré par quatre bœufs, comme ces rois dits fainéants qu'en bon carolingien il dénigrait en toute chose  ? 

Pour revenir à un temps plus actuel bien que révolu, des sept décennies presque engagées sur la huitième (et si concordantes avec l'âge de mes artères...), réfléchissons à ce qui correspond, malgré l'affirmation toujours plus marquée de la mécanisation, à la mise en valeur des terres grâce à la participation indispensable des bêtes. 

Plus le nombre de paires d'animaux est important (une pour six hectares ?), plus la superficie à travailler est grande (2). Un coût d'entretien trois à quatre fois moins cher a fait préférer le bœuf au cheval. 
On dirait que, couplés à la croyance populaire, à un fond de superstition itou, des partis pris sur la robe des bêtes influent sur les choix des paysans : le poil blanc (3) désigne un spécimen à engraisser, plus gris ou brun, le pelage dénote du flegme, de la mélancolie ; il faudrait éviter le moucheté, signe de paresse. 
En vue de leur utilisation, les cornes doivent être formées par rapport à l'équipier et au joug. Il est profitable d'appairer le débutant avec un aîné déjà formé. 

joug2 1850-1925 Musées départementaux de la Haute-Saône under the Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported license. Photo Monnin Jacques

Le joug double, s'agissant d'un joug de tête (de poitrail pour le cheval) est dit « coiffant » en Lauragais ; sur mesure et à demeure c'est la mission du jougtier passant de ferme en ferme. Il prend les mesures des animaux, travaille à la hache et à l'herminette, en principe en un jour, le polissage devant être inclus ; la tâche est complétée avec la confection des « julhas », les longes de cuir à lier aux cornes et au front. 

Toulouse-Lautrec 1864-1901 LES BOEUFS SOUS LE JOUG (SOUVENIR DE MALROME) 1881 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International license.
 
Habitués et comme redevables à l'homme qui les nourrit, les abreuve, les panse et qui décrète qu'il n'y a pas plus heureux qu'un bœuf à la mangeoire (« Uros coma un buou a la grupia »), les animaux se mènent à la voix et au geste pour habituer les oreilles à la corde puis aux guides. L'apprentissage du joug se fait entre deux et trois ans. Lors du labour, l'animal de gauche apprend à suivre le sillon, pour l'utilisation de la faucheuse, c'est celui de droite qui conduit. Un résultat probant demande beaucoup de patience empreinte de douceur, de tendresse. Cette prévention apparaît même avec la façon de nommer l'aiguillon puisqu'on préfère le terme “ toucadou ” (phonétiquement) plutôt qu' “ agulhado ”, aiguillon. Et si génériquement, les intéressés parlent de Mule et Marelh suivant la position des bêtes, les bœufs, tout comme les vaches, répondent à leurs noms. Entre ces compagnons de travail, l'humain perçoit même une connivence sinon une amitié liée à l'habitude de tirer ensemble... 

(2) Moins puissantes mais plus rapides, les vaches suffisent à une propriété plus modeste. 
(3) la couleur blanche peut être considérée comme la teinte la plus claire du gris... Les deux de la chanson de Dupont sont blancs tachés de roux. En Lauragais, surtout de race gasconne, ils sont gris-blanc. 

PS : toute participation à bon escient ne peut être que bienvenue. 

Addendum : 
« L'HISTOIRE de la FRANCE racontée à tous les enfants », de très grand format, conçue par Jean-Jacques et Claude Nathan, illustrée par Henri Dimpre 1958 FERNAND NATHAN. Il en va ainsi des pays trop fiers qui magnifient leurs hommes dits providentiels, légalistes ou non, quitte à diffamer leurs prédécesseurs... 





samedi 31 mai 2025

Les BŒUFS de TRAVAIL, lo BESTIAL de TIRA (1)

Parce qu'un homme nous a quittés trop tôt (Sébastien Saffon [1974-2025]), parce qu'il avait le souci d'un passé contribuant à un présent valide, parce que considération et conscience pour les animaux nature, d'élevage, de compagnie, reviennent au respect de toute forme de vie côtoyée et aussi de la personne que nous devrions être, parce que même passif, je reste solidairement complice de la cruauté, de la bêtise spécifiques à notre espèce, parce que j'ai aimé Lami, le trait breton de mon grand-père, parce que j'ai gardé, le souvenir magnifique de la vache vive, curieuse, au port de tête auguste, aux beau yeux sans doute sous son moscalh (je suis long mais les petits vieux de Nescus dans l'Ariège, qui labouraient le champ de patates avec, généreux, ouverts, si heureux d'être encore autonomes, de faire venir le cochon, valent admirablement mon évocation maladroite pour un tableau vivant de Millet (1) [promis, je récupèrerai les diapos un jour ! ]) ; enfin, parce qu'il me faut continuer à expier mes crimes avérés envers les oiseaux, plus tard les petits chats, sinon accidentels...   
Ces aveux coûteraient-ils beaucoup, attendu que (autant en arriver à un réquisitoire) les animaux dits domestiqués (un terme à trop forte connotation d'emprise) ont accompagné la marche de l'Homme dans la cohabitation puis vers la domination du milieu jusqu'à en abuser et finalement, à force de folie captatrice, se retrouver en danger d'autodestruction, en raison de tout ce qui précède, un besoin me commande de parler plus généralement et plus concrètement à cause de la proximité audoise du Lauragais, des bœufs de travail. 

joug3 1850-1925 Musées départementaux de la Haute-Saône under the Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported license..jpg photo Monnin Jacques. Une forme a priori des plus rudimentaires plutôt pour des vaches dirait-on. 

Encore à l'origine de cette quête « J'ai deux grands bœufs dans mon étable... » (2) (à suivre) 

Toulouse-Lautrec_-_DEUX_BŒUFS_SOUS_LE_JOUG, Domaine public. Étonnant chez Lautrec qui nous a plutôt habitué aux excès des soirées parisiennes... 



(1) Mais chez Jean-François Millet et ses tableaux de pauvres paysans, les attelages de bœufs n'apparaissent pas. 

(2) chanson de Pierre Dupont (1821-1870), poète, chansonnier à Paris, estimé par Auguste Fourès. À Lyon où il revient après avoir perdu sa femme et le bonheur, malgré les amis voulant lui rendre le goût de vivre, il meurt à 49 ans... Sa vie contredit quelque peu les paroles de sa chanson où la vie des bœufs est préférée à celle de l'épouse. Une rue porte son nom, non loin de l’École Normale à la Croix-Rousse, qui m’accueillit en septembre 1971. 
Les bœufs ont une espérance de vie entre 15 et 18 ans. Adultes, ils pèsent entre 700 et 800 kilos. Petit détail physiologique, leur propension à se coucher du côté gauche fait que le rein est plus gros et plus chargé de graisse que le droit. 
De caractère ils peuvent être rétifs, peureux, furieux... Dans ce dernier cas, une castration tardive a une incidence certaine sur la docilité ; cette ablation est subie entre six et douze mois ; trop tôt, cela nuirait au développement physique, trop tard  cela influe sur un caractère difficile demandant plus d'efforts. 

PS : toute participation à bon escient ne peut être que bienvenue. 

lundi 26 mai 2025

La MONTAGNE NOIRE (8), les cultures pauvres.

 En lieux et milieux moins favorisés, les cultures pauvres. 

Châtaigne Cévennes wikimedia commons Author historicair 29 décember 2006 UTC 15 h18

Olives 2014 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported license. Author Ввласенко

Le châtaignier bon pour tout : le bois en charpente et menuiserie, la feuille en litières, la bogue en engrais pour les oliviers ; la châtaigne est surtout vendue à Villeneuve (Minervois), à Carcassonne, une  partie est consommée à la maison, une part équivalente destinée à faire venir les cochons (3). La châtaigneraie rapporte mais, contrairement à l'olivette, nécessite des rotations, plus de soin et de travail ; il faut renouveler les arbres, les nettoyer à la base des mauvaises herbes et autres arbustes. 

Solanum_tuberosum Atlas des plantes de France 1891 Amédée Masclef (1858-1916) Domaine Public



Champ de seigle 2005 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported license. Author Letrek


Dans les gorges du Cabardès, la prairie plantée de châtaigniers « ...se vend, à Cabrespine, jusqu'à 10.000 francs l'hectare. » (Il n'empêche que le géographe classe le châtaignier dans les cultures pauvres...). 
De même, la superficie à pommes de terre, dont certaines variétés de renom, se loue aussi cher qu'un bon champ à céréales de la plaine. 
La culture du seigle, par contre, s'avère plus ingrate ; abandonnée pour le pain ainsi que le chaume des toitures, elle ne tient que pour un cycle triennal d'assolement (pommes de terre, seigle, jachère). 

Et le Poumaïrol aux filles joyeuses ? Bien que condamné aux cultures pauvres, à force de travail, le pays produisait des navets, des oignons, des haricots. Pour les sous, grâce aux filles, cela se passait dans le Bas-pays, la plaine de l'Aude, pour les vendanges puis, en remontant, les pommes, les châtaignes et, encore lors d'une seconde migration plus hivernale, les olives, les sarments à ramasser... Sinon, les hêtres sont redevenus taillis d'ajoncs, genêts et autres broussailles. Pourtant, trente ans en arrière, deux boulangers et un éleveur montent l'association « Le Moulin de Poumaïrol » en vue d'obtenir de la farine bio issue de blés anciens, panifiée dans le Minervois jusqu'à Béziers. Le meunier affirme qu'ils se veulent « subversifs », « militants », « autonomes », à échelle humaine, désireux d'animer le territoire. Alors, on y entendra à nouveau la chanson coquine pour la Baraquetto : 

« Las castanhas e lo vin nouvèl 
Fan dansar las filhas e lo pendorèl... » [Les châtaignes et le vin nouveau Font danser les filles et le panèl des chemises (4)]. 

(Voir, dans ce blog, la quinzaine d'articles dédiés au Poumaïrol... et à ses filles...). 

En raison d'un prétexte aussi futile, pardon d'en faire des tonnes à vrombiner autour d'André David, auteur aussi prématurément enlevé à la vie que ceint de lauriers. Moi, je ne suis qu'une mauvaise herbe. À cause de pulsions ordinaires, au nom d'un cheminement pour le moins complexe, j'en arrive à relativiser le sérieux de l'auteur à traiter géographiquement les cultures de la Montagne Noire. Qui plus est, cette proximité avec le Lauragais me soumet avec stupéfaction et tristesse à la perte soudaine de Sébastien Saffon (1974-2025)... Que disait-il de l'élevage du cochon notamment ? Que relevait-il sur le travail des paires de bœufs ? Mon tome de « Ceux de la Borde Perdue » est loin, à Mayotte, de même que le vieux gros et lourd Larousse Agricole 1951. Encore des “ découvertes ” et “ redécouvertes ”, avec la mise à l'honneur par Sébastien de la langue occitane, remises à plus tard dans le meilleur des cas... 
Foin de ces “ découvertes ” alléguées... même si de qualifier ainsi celle de Christophe Colomb ne vaut, après tout, guère mieux... 

(3) André David en sait plus long sur l'élevage du cochon : « Toute famille, dans la Montagne Noire, en possède trois ou quatre, nourris avec les déchets de cuisine; mais les gros troupeaux n'existent que dans les villages de châtaigneraie. Aussi, à Pradelles, doit-on vendre les porcelets aux gens de Labastide-Esparbairenque ou de Cabrespine; de même, sur le versant Nord : Sorèze, plus peuplée que Saint-Amans-Soult, mais privée de châtaigners (sic), a 1.000 porcs; Saint-Amans-Soult en compte plus de 2.000 ». L'auteur semble faire erreur vu que l'élevage du cochon nécessite qu'on lui cuisine, par exemple des pommes de terre, des herbes en fin d'engraissement, sans parler des châtaignes qu'il faut lui peler (réservé en principe à la famille). Sous un appentis accolé à la soue, un gros chaudron était réservé à ce travail. 

(4) dans les dicos Lagarde et Laus, le pendourèl est le pan de chemise qui pend, qui dépasse... est-ce celui des femmes ? des hommes ? Dans Lou tresor dau Felibrige, à l'entrée “ pendourèl ” Mistral ajoute « pont-levis d'une culotte »... Alors, femme ou homme, à chacun de prolonger ou non la portée du mot « pendorèl »...    


dimanche 25 mai 2025

La MONTAGNE NOIRE (7), les cultures riches.

Ah, le Poumaïrol tant restent prégnants l'effet, les répercussions suite à la “ découverte ” fortuite de ce haut pays perdu pourtant dans la modeste entité afférant à la Montagne Noire ! Quel culot de se poser là en “ découvreur ” pas même d'une invention, mais seulement pour être tombé inopinément sur un article de la revue Folklore de 1974. Encore un hasard, une de ces coïncidences qu'on se trouve forcément parce qu'on se les cherche, en ces années 70, “ ma ” “ découverte ” marquante de « La Vallée Perdue » pour tout ce qui m'a plu d'emblée et plaît toujours dans ce film : Michael Caine (1933-), le Capitaine des mercenaires, plus qu'Omar Sharif (1932-2015), le contexte de la Guerre de Trente Ans, perturbante dans ce qu'elle donne à méditer sur les horreurs des guerres pourtant si ordinairement pratiquées encore de nos jours, et quoi encore, le cadre d'une vallée montagnarde alpine épargnée, les thèmes universels écolos avant l'heure, un cours de la vie simple autarcique, lié à la ronde des saisons, sans la funeste attraction industrieuse à venir des villes, sans la pollution... Il est vrai que de vivre dans un HLM du pourtour lyonnais ne pouvait porter qu'à envier un idéal vécu par des paysans encore moyenâgeux dans un îlot de paix miraculeuse. 

Non sans un regard pour les métairies du Lauragais que Sébastien Saffon (1974-2025), parti si brutalement, faisait si bien revivre, avec André David (1893-1915), revenons à la vie paysanne d'alors. 

Paire de bœufs 2006 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported license. Auteur Monster1000

Les paires de bœufs au labour appartiennent bien aux terres grasses d'en bas ; au-dessus de 250 mètres, seuls les replats et fonds de vallées sont capables d'offrir un mitage  de sol  plus profond «... plus argileux et plus épais, riche en potasse et soude... ». Sur les hautes terres schisteuses, cristallines, la Montagne n'est qu'un « ségala » avec surtout du seigle, des pommes de terre. Entre les deux, au Nord, une bande de blé et légumineuses, au Sud des cultures méditerranéennes là où les gorges s'élargissent, partout des prairies permettant l'élevage de bovins de bon rapport, un liseré de châtaigniers. 

Lauragais 2018 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International license. Auteur Jean-philippe.miconi

La moindre parcelle exploitable est vouée aux cultures riches. 
Appréciés, rappelant l'opulence de la plaine, le blé, le maïs. Le blé est destiné aux boulangers de la Montagne, le maïs à l'engraissage des volailles de la famille. Au débouché des torrents du sud, sous l'étage des châtaigniers puis les restanques de vignes et olivettes, grâce aux roues à auges ou autres puisages à balanciers (les pousarancos languedociennes), en partant des rigoles d'irrigation des prairies à pommiers, on arrose les maraîchages. 
Les pommes de la Montagne Noire sont renommées jusqu'à Paris. Les amandes, pêches et figues sont consommées localement. 
Les choux dominent dans les potagers. 
Chaque paysan tient à faire son vin. 
Les oliviers ont souffert des hivers rigoureux entre 1789 et 1870 puis des maladies. 
Bien que naturelle, la prairie prétend à conclure cet ensemble. Naturelle, associée aux vergers de pommiers, elle reste en effet tributaire de l'irrigation. Les rigoles suivant les courbes de niveau, soignées, nettoyées, aux vannes révisées, les séparent du bois ou de la lande qu'elles seraient sans la main de l'homme. Elles permettent l'élevage des vaches laitières et à viande (pour, plus particulièrement, les villes de Perpignan, Marseille et Toulon). Avant 1850, leur utilité se limitait au trait, au travail (1). De bon rapport, ces prairies ont conduit à la construction de réservoirs (2) et auraient pu mener à l'édification de barrages à Cenne-Monestiès et Saissac. (à suivre)

(1) Au début du XIXe, élevées pour la viande destinée à l'armée d'Espagne de Napoléon. 

(2) de 108.000 m3 à Saint-Denis, permettant l'arrosage de 142 hectares. Moyennant une redevance de 4,50 fr/ha, un syndicat régulait la distribution d'eau. 

  

vendredi 23 mai 2025

La MONTAGNE NOIRE (6) Forêts et landes (fin)

Alors, pour améliorer la situation, on demande de poursuivre « les délits commis sur les bois […] On accusait les chèvres, les verreries, les forges, les manufactures de tout ordre, la distillation des vins, etc3… Mais les chèvres, proscrites au XVIIIe siècle, par toute une série d’arrêts n’ont jamais été nombreuses dans la Montagne Noire... ». Par contre les clairières autour accusent les forges, les verreries; « Le déboisement date de la colonisation même de la Montagne Noire […] des villages de défrichement […] les abbayes du versant sud firent reculer la forêt. La destruction du bois de chêne vert a dû cependant être plutôt l’œuvre des mineurs… ». David explique que depuis l’époque gallo-romaine, les galeries se creusaient au feu4, des amas de charbon, des pierres éclatées attestent qu’une « masse énorme de combustible fut ainsi dépensée ».

Toujours à propos de la forêt en recul, dont la hêtraie, à Salles (deux « l », comme sur la carte de Cassini, au lieu d’un seul pourtant sur la carte dite « d’État Major » des années 1850), le village possible du plateau du Poumaïrol, l’auteur note « des jachères furent conquises sur la forêt ; au bout de peu de temps, la dépopulation5 aidant, elles passaient à la lande. ». 

Ulex_europaeus, ajonc, arjalat, 2022 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International license. Author Michel Langeveld

Castans Aude 2017 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International license. Auteur Jcb-caz-11. 2017 : le paysage a changé du tout au tout... 

Avec la pelouse, le genêt, l’ajonc6, le genévrier, la lande est le domaine du mouton en nombre jadis considérable : pacages, drailles, nombre de bêtes, tout était règlementé, ce qui, encore au début du XIXe siècle causa disputes et batailles notamment, entre les bergers de Castans et ceux de Saint-Amans, en dépit de l’influence du maréchal Soult. De 1750 à 1850, une transhumance amena des troupeaux dits « forains » de la plaine audoise. En 1913, David constate « aujourd’hui Pradelles vit de ses bois et de ses troupeaux de vaches, Castans de ses bois et de ses châtaigniers »

Cette lande peut aussi être exploitée comme la forêt : « De Castelnaudary à Revel par la grande route, on rencontre à chaque instant des charrettes chargées d’ajoncs… ». C’est le cas pour les tuileries, les poteries, les fours à chaux, à plâtre, à pain ; « c’est à sa chaleur qu’on cuit les fameux pots qui, dit-on, donnent sa saveur au cassoulet de Castelnaudary : l’emploi des ajoncs de la Montagne Noire est même un des rites de la fabrication […] 1,800,000 fagots d’ajoncs7 par an… » ; on ne brûle rien d’autre dans un rayon de 30 kilomètres… Avec la plaine chauve, la forêt de montagne malportante, le bois étant réservé aux menuisiers et charpentiers, ne restait que la lande souvent en jachères 2 ou 3 ans. La deuxième année, ce sont les genêts qu’on coupe pour les manufactures les préférant aux ajoncs ; sinon on les brûle en tant qu’engrais très apprécié dans la culture du seigle ou des pommes-de-terre.

3 En cause aussi les coupes à blanc fragilisant la repousse, la plantation de châtaigniers, la demande de la plaine de l’Aude, trop glabre.

4 Ne pense-ton pas plutôt au pic alors, qu’apparemment, il n’était que l’outil des nains de Blanche-Neige !

5 Un constat datant de 1913.

6 L’ajonc, qu’es aco ? Ah, dites arjalat (dans les dicos d’occitan « argèla » chez Lagarde, « argelat » chez Lagarde et Glosbe) et c’est le genêt épineux qui n’a rien du genêt sinon ses fleurs jaunes et serrées.

7 « …on coupe les ajoncs après 5 ou 6 ans en général ; après 20 ans on arrache la plante et à 2 ou 3 ans d’intervalle, on sème.