samedi 11 octobre 2025

La POÉSIE, ça se triture ?

Toujours dans sa lettre du 1er février 1998, en écho certainement à un petit quelque chose de ma part, papa embraye sur Paul Valéry :   

« Tu parles un peu de Paul Valéry, lui qui disait qu'un “ certain âge ” était pour l'intéressé un “ âge certain ”. je respectais certains côtés de sa pensée et de sa poésie, mais, depuis que j'avais raté sur un extrait de « La jeune Parque », un oral du Certificat d'Etudes Supérieures de Littérature Française (que j'ai quand même décroché), je l'ai regardé avec davantage de circonspection. Il a reconnu que sa poésie était parfois (?) obscure : 

« Je ne veux jamais être obscur, et quand je le suis — je veux dire : quand je le suis pour un lecteur lettré et non superficiel — je le suis par l'impuissance de ne pas l'être » (à Aimé Lafont, 1922). 

La Jeune Parque devait son obscurité à sa richesse, à ses nuances, à « l'accumulation sur un texte poétique d'un travail trop prolongé » (Lagarde et Michard XXe siècle). Voici ce que proposait Marcel Girard (1), mon dernier directeur à l'Institut Ernest Denis de Prague dans son livre « Guide illustré de la littérature moderne (de 1918 à aujourd'hui) » paru chez Seghers en 1949 et « destiné avant tout au grand public qui aime lire, et particulièrement au public étranger » : « Nous recommandons la méthode suivante : apprendre par cœur ces vers, les laisser chanter dans la mémoire : la beauté apparaît d'abord, puis le sens s'éclaire progressivement. Surtout, on lira la prose même de Valéry, une des plus belles du siècle [...] ». Un jour, dans une conférence, il expliquait sa façon de concevoir la poésie — il avait la chaire de poétique au Collège de France — et il disait en gros, je cite de mémoire, « On me reproche d'écrire des vers obscurs, mais je n'ai jamais écrit rien de plus obscur que ces vers de Musset, considérés comme magnifiques : 

« Les plus désespérés sont les chants les plus beaux, 
Et j'en sais d'immortels qui sont de purs sanglots. » (La Nuit de Mai) 

A cet instant, un jeune étudiant, révolté par ces propos, et idolâtre de Musset comme on l'est à dix-huit ans, s'est levé courroucé et a voulu prendre la défense du poète. 

— Venez donc ici, dit Valéry ; je vous cède la place avec honneur. 

Mais les explications furent assez lamentables. ce fut alors le maître qui les donna, en expliquant ce qu'était un chant, puis ce qu'est un sanglot, qui ne peut en aucune façon lui être comparé. Et de citer un autre vers, de Victor Hugo celui-là : 

« Cet affreux soleil noir d'où rayonnait la nuit » 

Paul Valéry (1871 - 1945) Domaine public auteur Pierre Choumoff (1872-1936)

Impensable, ajoutait-il, ce négatif est admirable ! » Et il expliquait pourquoi, mais cela m'entraîne trop loin. Tu vois que je ne suis pas comme ce visiteur qui disait sur sa tombe « Les vers se vengent ! » ». 

« Un petit quelque chose » je disais... Ça s'est étoffé depuis avec, du moins, ces articles déjà publiés : 










Finalement, pourquoi se torturer l'esprit avec la poésie, un domaine où justement il vaut mieux se laisser aller au ressenti, au sentiment, s'en tenir au « j'aime » sinon l'inverse ? Laissons les complications à ceux qui voudraient tout expliquer, jusqu'à la complexité de l'esprit. Ne jamais aller trop loin dans les explications de textes, le compliqué relevant souvent d'un principe de régurgitation laborieuse de la part de QI se voulant trop au-dessus... 

Alors oui aux « chants »  qui sont des « sanglots », oui au jeune étudiant exalté... les qualificatifs « idolâtre », « lamentables » dépassaient sûrement les pensées de papa trop partisan de Valéry... et encore oui à l' « affreux soleil noir » magnifique de Victor Hugo. 

Et puis, chez Paul Valéry, j'aime l'essayiste sur la philosophie, l'histoire, le penseur singulier, d'une hauteur de vue toujours pertinente, le poète aussi mais dans ce qu'il nous livre de sensible directement abordable, accessible, sur les quais de Sète par exemple :  

« ...je remonte le long de la chaîne de ma vie, je la trouve attachée par son premier chaînon à quelqu'un de ces anneaux de fer qui sont scellés dans la pierre de nos quais. L'autre bout est dans mon cœur... » 

Valéry Sete_monument_Valery Author Fagairolles 34

Valéry Sete_monument Author Fagairolles 34

et même sur son cimetière marin, quitte à trahir un peu, rien n'interdit de ne retenir que ce qui plaît : 

« Ce toit tranquille, où marchent des colombes,
Entre les pins palpite, entre les tombes ;
Midi le juste y compose de feux
La mer, la mer, toujours recommencée !
Ô récompense après une pensée
Qu’un long regard sur le calme des dieux !...

[...] Et quelle paix semble se concevoir !
Quand sur l’abîme un soleil se repose...

[...] Fermé, sacré, plein d’un feu sans matière,
Fragment terrestre offert à la lumière,
Ce lieu me plaît, dominé de flambeaux,
Composé d’or, de pierre et d’arbres sombres,
Où tant de marbre est tremblant sur tant d’ombres;
La mer fidèle y dort sur mes tombeaux ! ...

[...] Le vent se lève!. . . Il faut tenter de vivre!
L’air immense ouvre et referme mon livre,
La vague en poudre ose jaillir des rocs!
Envolez-vous, pages tout éblouies!
Rompez, vagues ! Rompez d’eaux réjouies
Ce toit tranquille où picoraient des focs ! "

Le Cimetière Marin, Paul Valéry (1920). 

Sete_tombe_Valery_(cimetiere_marin)  Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International Author Fagairolles 34

Et n'y avait-on pas droit avec nos instituteurs et les extraits sélectionnés des manuels scolaires ? 

Toucher sans prise de tête comme dirait un vocabulaire plus actuel. La poésie, ça ne se triture pas même si ça se triture...  

(1) papa, tu aurais aimé sûrement savoir que Marcel Girard (1916-2006), Inspecteur Général de l'Éducation Nationale, professeur à Prague entre 1945 et 1951, a aussi été attaché culturel à Moscou, à Pékin... 
Né à Tours, mort à Rochecorbon juste à côté... cet attachement inconditionnel aux racines, au pays, me touche.  

vendredi 10 octobre 2025

Février 98, une lettre journal de bord...

« Fleury-d'Aude, le 1er février 1998. 

Bien cher fils, 

Déjà un mois de 98 qui vient de se terminer. février s'annonce sous de bons auspices : la température est douce pour la saison et le soleil nous est revenu. Avec dix ou onze degrés et sans un souffle de vent — c'était marin aujourd'hui — c'est un peu de printemps qui nous arrive. les premiers amandiers sont en fleur — on en voit un par-ci par-là —. La maison est vite chaude? Nous avons fait une petite sortie à Bouïsset. 

Aux pins de Bouisset (écrit ici avec un « i » simple. Diapo François Dedieu 1973. 


[...] Lundi 2 février 1998. Journée maussade ce lundi : temps couvert, à peine une vague et timide percée du soleil et une belle averse vers 18 heures. [...] Il est maintenant 23 h 20 et il pleut toujours, doucement à présent. ce soir, un coup de fil surprise de Thérèse, la sœur aînée de mon copain de lycée Pierre Alias qui s'est noyé dans l'Aude, près du Païcherou à Carcassonne alors que le lendemain il aurait appris dans le journal sa réussite au baccalauréat. 

[...] Mardi 3 février 1998. La pluie continue toujours, et le marin également. 

[...] En classant mes vieux papiers à conserver dieu sait pourquoi — mais je jette tout de même un gros paquet de temps à autre dans le conteneur “ Spécial papier ” à Narbonne, ici ils ne sont pas capables d'en prévoir un seul ! —, je suis tombé sur mes lettres de sixième à la maison. J'allais alors sur mes douze ans et venait de passer, le 16 juin 1934, mon Certificat d'Etudes Primaires, que mamé Ernestine fit encadrer — c'était alors la coutume —. Et j'ai été vraiment étonné par deux choses : 1. le nombre de fautes graves que je commettais alors que j'étais un des meilleurs élèves de ma classe — mais j'y prêtais moins d'attention que dans les dictées, bien sûr —. 2. le fait que la lettre partait de Carcassonne et parvenait à Fleury — à cette époque, le tampon d'arrivée se trouvait obligatoirement au dos de l'enveloppe — le même jour ! ce qui est loin d'être le cas à l'heure actuelle. je n'avais jamais remarqué ce détail. De toute façon, ma première remarque sur les fautes nous enseigne à nous professeurs à nous montrer indulgents et modestes à l'égard de nos élèves surtout si leur langue vernaculaire n'est pas le français. 

[...] Mercredi, le 4 février 1998. Je pourrais ajouter que sur certaines “ missives ”, de Degrave le futur préfet ou Marcel de Roquefeuil qui s'en voyait avec les Alsaciens à Saverne — il faut dire qu'il était dans les impôts et qu'ils n'en payaient pas là-bas sous Hitler, chose peu crédible que j'ignorais —, au dos de ces enveloppes donc et écrit de ma main, je lis encore « Reçue le dimanche » ; c'est vrai que les facteurs — trois pour Fleury dont parfois, en remplacement, le frère de M. Sanchon, Etienne — assuraient deux tournées quotidiennes, une dans la matinée, la seconde l'après-midi, sauf le dimanche, où il n'y en avait qu'une; le matin. 

[...] 21 h 10. Nous avons lu tes deux épîtres et avons apprécié ton lyrisme. Je vois que tu lis mon “ journal de guerre ” qui est sans prétention aucune, où j'ai mis ma vie d'exil au jour le jour sans vouloir rien cacher — ce qui m'avait valu d'ailleurs la saisie par la Gestapo de mon carnet et mon séjour en prison en septembre 1943 : il faut que j'en rétablisse le début, d'où mes recherches dans les vieilles lettres pour éviter de “ broder ” malgré moi —. Je tiens à ce que vous connaissiez un peu notre existence pendant ces rudes années qui nous ont quelque peu volé notre jeunesse, parce que j'ai tellement regretté de n'avoir de la vie de mon père durant la Grande Guerre que quelques rares instantanés. Il s'était engagé en 1915 et fit ensuite partie de l'association « Les moins de vingt ans » ; il a été artilleur ; cuisinier un certain temps ; il a bu son meilleur champagne chez le vigneron, à Cumières, un tout petit village proche d'Epernay ; il a été à Verdun, mais où exactement ? Il n'écrivait pas pendant des semaines alors en première ligne, en plein danger ; sur plainte de sa mère — c'est la maman de Marcellin l'ancien maire qui écrivait les lettres — un haut gradé était venu le tancer et l'obliger à écrire sa lettres sous ses yeux : il l'avait prise et fait promettre de ne plus recommencer. Quelques autres détails encore mais tout cela reste bien sporadique et incomplet ; il m'arrive de regretter un peu. Mais qu'y faire ? » 

Confiant ce qu'on peut considérer comme un journal de bord, papa me prenait à témoin. Après le temps qu'il fait, le souvenir de son pauvre copain mort noyé à 19 ans (avec qui ils correspondaient souvent en languedocien), le courrier postal, son journal de guerre (1943), son père Poilu de 1915, poursuit avec Paul Valéry, un paragraphe faisant suite à cet article et que je me permets de commenter... La longue lettre se termine avec un paragraphe « J'ai un poil à ma zout » : 

À l'heure de l'électricité reine, le “ poil à sa zout ”... 


De s'être couché tard pour cause de Pierre Benoît, auteur qui sortait un roman par an avec une héroïne en « A » comme initiale... et renfermant chaque fois une phrase cachée de Chateaubriand (!), papa a oublié de fermer le robinet du poêle : 3 cm accumulés dans le cylindre de combustion ! Qu'y faire tout allumage étant à proscrire ? Eurêka il a dû dire sinon penser, en trouvant la combine pour, à force de patience prélever le mazout en trop grâce à une éponge au bout d'une ficelle : un succès malgré l'odeur dans la maison et sur les mains. 

Sacré papa qui sait prendre congé : 

« Voilà nos petites nouvelles, si l'on peut dire. Tu auras quelques minutes de lecture, sous ta varangue, accompagné du martin triste, du gentil margouillat (agame ou gecko ?) et de la chienne du lotissement par toi recueillie. Bien le bonjour à Gilbert et à bientôt de tes cogitations lyriques si intéressantes. 

Tendres embrassades, Papa. » (mentions manuscrites : François, Jirina) 

PS : la radio passe « T'en va pas comme ça... » (1963)... entre tant de choses me ramenant à papa toujours là bien que parti le 23 septembre 2017...    


mercredi 8 octobre 2025

L'artilleur, Cyrano, la vanille (fin de Coquet Lamy).

(pas un inventaire à la Prévert, seulement la fin de la lettre des 12 et 13 février 1998).  

« Vendredi 13 février 1998

Me revoici. Il est huit heures trente, je viens d'allumer le gros poêle resté éteint plusieurs jours. Il fait très doux en effet et sur la cheminée Louis XVI, le baromètre est rarement monté aussi haut pour le « Beau Temps » ; on nous promet encore quelques jours de douceur ; les amandiers fleurissent et le rose des “ amers ” rivalise avec le blanc des amandes douces ; nous avons connu pourtant des années plus précoces. 

Amandiers février 2017

Je pense que Stani doit procéder aux derniers préparatifs avant de rejoindre Istres. Trois sacs pour chacun des cent quarante-neuf partants, voilà de quoi échauffer les muscles quand il faut caser tout ça dans le camion. « Je dois partir vendredi 13 à 13 heures. J'espère que ça va me porter chance. » nous disait-il l'autre jour. Il vaut mieux le savoir dans un avion civil à destination de Djibouti puis en Transal vers La Réunion et Mayotte, que dans une expédition punitive contre Sadam Husayn. Notre gouvernement semble enfin avoir compris quelque chose ! J'apprends qu'aux Comores, les troubles reprennent à Anjouan. 
Pour le moment j'ai laissé « Les Noces dans la Maison » sur la cheminée. Ta relation de voyage ne manque pas de détails et avec une queue de 59 cm, ton espadon-voilier ne peut être qu'un beau poisson ! 
19h 40 : parti à 13 h, après Djibouti, Stani survole peut-être déjà l'Océan Indien. Quand tu liras cette lettre sûrement l'auras-tu déjà accueilli. Hier Olivier est passé : il aide papi Marcel pour une réfection du  plâtre dans la cage d'escalier. Comme j'ai trouvé, mardi à Bouïsset, mes premières asperges sauvages, il a dit qu'il irait aussi si le temps le permet. 

Tu nous dit que la “ tirade des nez ” manque dans ta bibliothèque, je vais te taper à la machine ce passage de la scène 4 du premier acte de « Cyrano de Bergerac », pièce magnifiquement traduite en tchèque par le poète Jaroslav Vrchlicky, de son vrai nom Emil Frida, né en 1853 à Louny et mort en 1912 à Domazlice. Et en vers, un vrai tour de force ! Monsieur Sochor, secrétaire à l'Institut Français de Prague en même temps que moi disait qu'il avait tellement aimé cette traduction que l'originale en français ne l'avait pas enthousiasmé (il connaissait parfaitement notre langue pour être resté de nombreuses années au Crédit Lyonnais. 

Pour cette fois ce sera tout (quatre pages A4 ! / note JFD). Nous te laissons à la joie de retrouver ton fiston, tu seras son cicerone pour les promenades dans l'île et les explications. Laeti qui prépare un partiel de langue tchèque a acheté un guide  1 Le Petit Futé, Country guide La Réunion / Mayotte ». Les dernières pages (177 à 212) concernent Mayotte. je lis page 207 : 
« Le petit village de Coconi abrite un lycée agricole et un jardin des épices qu'on peut visiter (se renseigner auprès du principal du lycée). En arrivant de Combani, quelques centaines de mètres avant le village, se trouvent sur la gauche les services de la DAF. Un grand bonjour au petit futé qui s'occupe de l'environnement et de la forêt, et qui organise le Mahoraid. Les services administratifs de l'agriculture occupent une très belle maison coloniale à la sortie du village, sur la route de Sada. C'est, selon Mayotte Vacances, la plus belle maison de l'île. La coopérative de vanille est installée à Coconi, à côté de la poste, après avoir longtemps été à Chiconi. On peut la visiter et selon les saisons, voir les différentes étapes du travail de la vanille, grâce à un champ de démonstration. Pour vous restaurer, n'hésitez pas à recourir aux gargotes des mamas-brochettes. »
Sui un encadré sur la vanille qui commence ainsi « La vanille de Mayotte présente le meilleur taux de vanilline de l'Océan Indien. » 

Musicale Plage, Mayotte. 

Mais tout cela m'entraîne trop loin. A la prochaine pour une suite éventuelle. A la fin du guide, une double page « Ecrire dans le Petit Futé. Pourquoi pas vous ? »

Le bonjour à Gilbert et autour de vous. 
Tendres embrassades de nous tous à vous deux. 
A bientôt de tes bonnes nouvelles. » 
Papa. (mentions manuscrites : maman Jirina, François) 

mardi 7 octobre 2025

LAMY I et II, chevaux de trait (suite de Coquet)

 « Fleury-d'Aude, le 12 février 1998 (suite 1)

Assis sur un petit pliant, il ne se lassait pas, l'aidant même, en sifflant doucement, à soulager sa vessie. L'oncle Pierre était déjà malade de cette « longue maladie » qui devait l'emporter en septembre 1936 ; il avait dû renoncer à tout travail pénible. La contemplation du nouveau cheval lui faisait moins regretter le départ de COQUET et adoucissait moralement ses derniers mois de vie. 

Lors du carnaval des écoles 2025. 

Il avait fallu changer tout le harnachement : les colliers étaient trop petits pour cette force de la nature, et Pierre MARTY, le bourrelier qui avait son atelier (“ L'Agence Havas ” pour les mauvaises langues à la maison actuelle de Valls (1), eut du travail. C'est ce Lamy à la robe alezane que je ne devais plus revoir (2) et dont je parle page 10 de ma chronique d'exil. On le prit pour la boucherie et je crois que c'est Pélissier qui le débita, mais papé Jean, pourtant amateur de viande, surtout à une époque où elle était si rare, refusa absolument d'en goûter une seule bouchée, tu comprends aisément pourquoi. 
Entre-temps était arrivée la libération, avec ses joies et aussi ses malheureux et inévitables excès, et il fallait penser à l'achat d'un nouveau cheval. sans argent, avec des vignes non travaillées (zone interdite et minée !), c'était là un difficile pari. Mamé Ernestine fut chargée de demander un peu d'argent au richissime oncle Gérard de Narbonne, enrichi par les deux guerres. Elle devait essuyer un refus aussi poli que définitif. Ce fut alors son ami Emmanuel Sanchon qui sortit papé Jean d'embarras, et cela mes parents ne l'ont jamais oublié. 
Extrait de la lettre de ma mère du 26 juillet 1945, renvoyée de Prague par la valise diplomatique. Elle était partie de Fleury le 27, alors que je me trouvais déjà à Paris : 

« C'est la 4e lettre que l'on t'envoie. Sur ta carte tu nous dit que tu vas être nu-pieds. Vous auriez dû demander des souliers puisqu'on vous fait travailler. Vous devez bien vous entendre avec Py. Donne-lui le bonjour de nous tous ainsi qu'à la famille Burket. Si c'est cette dame qui te lave, vous devez bien vous comprendre. Francis (frère de Mme Comparetti / Note FD » nous avait dit « François connaît toutes les langues : le tchèque, le russe, il s'en sort très bien ». Papa a dû te dire sur sa lettre qu'il était allé en Bretagne avec l'oncle Noé. Ils étaient huit pour le wagon. Ils sont allés acheter un cheval, il a cinq ans, il est sage, il ressemble à Lamy. Ils y sont restés un mois. Ils sont allés à Brest. Ce n'est que des ruines. Ils ont fait un beau voyage. » 

“ Lami ”, un jour de vendanges, route de la mer, début des années soixante (on voit derrière la crête dévastée de La Cresse, suite à l'incendie qui a atteint la station balnéaire de Saint-Pierre-la-Mer. 

C'est au cours de ce voyage historique que l'oncle Noé avait attrapé sa fameuse sciatique, et que Vila (le père de Jeanne Sala), qui faisait partie du groupe avec également, entre autres, Rey et Blaise Vicente, lui avait confectionné (il était menuisier de métier) une paire de béquilles afin qu'il puisse se déplacer un peu pour aller voir les chevaux et acheter le sien (sinon il aurait fait ce voyage pour rien !) Voilà pourquoi, en début de lettre, je lis « Nous sommes très contents que tu sois en bonne santé. Pour nous il en est de même, nous allons tous bien, sauf l'oncle Noé qui souffre toujours de sa sciatique. Il marche avec deux cannes, et au début il avait des béquilles. IL reste 3 ou 4 jours qu'il marche bien, puis ça le reprend. C'est ennuyeux, pour les vendanges il ne sera peut-être pas guéri. Heureusement que toi tu seras ici. Norbert n'a encore rien reçu, aucun de la 44 n'est parti. » (à suivre)

(1) cette maison ainsi que d'autres de même que les appentis entre les contreforts de notre église (abri pour vagabonds, réserve pour feu d'artifice, pissotière...) furent démolis afin d'ouvrir l'ancienne place du village et libérer l'esthétique du chœur (les maisons attenantes au couchant sont maintenues. 

(2) très amaigri par le manque de nourriture dû aux restrictions de la Deuxième Guerre Mondiale, maintenu debout par un travail, ce pauvre cheval avait retrouvé un vaillant appétit mais trop tard... Ce n'est pas dit mais je suppute qu'il a été abattu pour prévenir sa fin naturelle...   


lundi 6 octobre 2025

L'occupation et Coquet le vaillant Mérens

« Fleury-d'Aude, le 12 février 1998

Bien cher Jean-François, nous sommes gâtés ces jours-ci par la lecture de tes lettres, la cinquième nous est arrivée hier, elle a mis sept jours, les autres en quatre, six et huit jours. 

Tu t'interroges, tu m'interroges sur la situation au village durant l'occupation. reçois ces quelques éléments de ma part : 

Les hommes valides étaient requis par les Allemands et allaient par équipes de deux ou plus, faire des trous dans la garrigue, notamment au dessus de Saint-Pierre ; ces trous étaient destinés à recevoir un habillage de béton propre à en faire un abri pour un soldat armé. Plus important, le trou se transformait au bout de longues semaines (chacun travaillait le moins possible, juste ce qu'il fallait pour ne pas se faire expulser de Fleury vers l'intérieur des terres) en “ bunker ” équipé d'un canon tournant ou une grosse pièce tournée vers la mer (les Allemands craignaient toujours un débarquement allié, surtout après celui d'Afrique du Nord et suite à la libération de la Sicile en 1943 puis de la Corse. Plus récemment, ces bunkers ont été aménagés pour la gendarmerie et la Poste (club du Temps Libre actuel). celui de Périmont a été détruit mais le système défensif subsiste sur le rocher avec des galeries de jonction aujourd'hui sous le sable. Des tunnels importants furent même creusés à la dynamite, avec chambres carrelées et tapissées pour les officiers, et eau courante (on peut encore voir le bassin d'alimentation d'où partait la tuyauterie, et l'un de ces tunnels, tu t'en souviens peut-être, avait servi de champignonnière à Daudel, l'ancien épicier que nous avions derrière la baraque de Paule où nous avons passé l'été 1956. 

Le spécialiste des fricots dont le nom t'échappe est René Tailhan, marié à Rosette Cazals, la fille du maréchal-ferrant, cousine d'Hubert Malhabiau, qui devait tristement finir par se pendre... 

Ah ! « l'affaire Tournaraslèou » (= tu reviendras bientôt) ; l'oncle Noé croyait qu'en demandant on pourrait me rapatrier : cela avait marché pour certains autres (Molveau en avait bénéficié à condition de se retrouver requis sur place ; Antoine Mulet des Cabanes était aussi revenu de Hambourg parce que malade « Sé besios coumo es magré » m'écrivait-on de Fleury sur sa maigreur (notre languedocien qui m'avait déjà pratiquement sauvé la vie en septembre 43, agrémentait allusivement notre correspondance). 

Tarascon-sur-Ariège Mérens 2025 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International license. Author Tylwyth Eldar

Vendanges 1934. Ce doit être Coquet. 

Tu demandes aussi pour nos chevaux : le petit et vaillant cheval noir répondait au nom de « Coquet ». C'était un Mérens, petit cheval d'Ariège (le GDEL parle même de race française de poney !), vaillant comme pas un. Un jour, racontait mon père, il avait fait quatre gros voyages de comportes (sans doute plus de douze à chaque fois !) de la Pointe de Vignard, notre vigne la plus éloignée à presque cinq kilomètres, soit 38 kilomètres dont 19 à pleine charge, avec les côtes de Liesse et du village. Il a tenu le coup mais en arrivant le soir, trop fatigué, il s'est couché au lieu de manger. papé Jean racontait cela avec une admiration non dissimulée. J'ai connu ce cheval à l'écurie jusqu'en 1935 à peu près. Nous l'avons sur des photos de vendanges... Puis il avait fait son temps, il fallut bien le changer. L'oncle Pierre et son neveu (mon père) allèrent à Narbonne choisir un cheval chez le maquignon. Ce fut notre premier Lamy. L'oncle était si content d'avoir si bien choisi (papé le respectait beaucoup et écoutait ses conseils, lui quelquefois si entêté par ailleurs) qu'il allait l'admirer des heures à l'écurie... (à suivre) 


Fleury-d'Aude, le 22 février 1998 (fin).

 [...] Pour en revenir au guide, j'ai apprécié entre autres l'évocation des « manifestations locales » : course de pneus à Mamoudzou le 14 juillet ; Mahoraid ; fête du cocotier ; Murengué ; Wadaha ou danse du pilon ; Tam-Tam bœuf, et le Deba, fête religieuse des femmes. certaines personnes sont citées comme Mathilde, Lucie, Riziki Roubia, Abdou Silahi, Abida, Massoundi, Azali bé (p. 192) ; Timara et Hassan à Petite terre, « Hassan qui raconte Mayotte ». A Majicavo : « Certains profs viennent y corriger leurs copies entre deux bains, n'est-ce pas Jean-Michel ? » (p. 204). Je note même un coup de colère page 187 : « En choisissant votre hôtel, incluez le prix des petits-déjeuners car certains n'hésitent pas à facturer un café, pain, confiture, jus d'orange 30 F, voire 60 F. Cela frise parfois l'arnaque et surtout le non-respect du client ». Autre détail pour Mamoudzou; latirude 12.78 Sud, longitude 45.20 Est, 12000 habitants.  

mars 2025.


Mercredi 25 février 1998. Beau temps aujourd'hui, soleil radieux, ciel d'un bleu pur, peu de vent (cers), température matinale 6°C, mais 12° à onze heures : c'est donc une journée printanière qui s'annonce. Les amandiers fleurissent de plus belle de leurs touches roses et blanches dans la garrigue. Les asperges ne vont pas tarder; Marcel Alquier en aurait trouvé une belle botte, mais à quel prix ! Il était griffé de partout (mains et visage) et là cela devient de la passion (comme pour lui la chasse : perdreau, lapin, lièvre ou sanglier. 

Vendredi 27 février 1998. Nous venons d'arriver de la mer où nous étions également hier pour profiter de ces journées vraiment magnifiques — vingt-deux degrés encore à 17 h sous la véranda —. le soleil est épaulé d'un cers presque inexistant sinon, hier, c'était un léger vent d'Espagne très agréable aussi. Il existe bien quelques acariâtres qui veulent à tout prix gâcher ce plaisir avant-coureur du printemps en disant « ça ne durera pas » ou bien « ba pagarén » mais c'est autant de pris sur les derniers soubresauts  d'un hiver qui aura été bien doux dans l'ensemble. 

J'ai fini la première partie du livre de Hrabal « Les Noces dans la Maison », 203 pages. dans la deuxième partie, cet auteur à la ponctuation très fantaisiste l'a supprimée complètement ; il a compris l'essence de la lecture en diagonale, en oblique où ni les yeux ni l'esprit n'ont besoin de ponctuation... de là à en trouver « des empreintes de son propre moi » comme le pense la préface... 

J'ai reçu GEO du mois avec l'Algérie, Miami, la Foire du Trône, la « Belle », le dernier bateau de Cavelier de La Salle assassiné alors que le Mississippi était « le fleuve Colbert ». 

Hier nous avons vu Olivier qui aide papy Marcel et Cauquil à St-Pierre. 

Nous vous embrassons bien fort. Toute la famille vous envoie le bonjour. Amitiés à tous. 

Papa papy Maman mamie François Jirina. 

1968 Samedi soir sur la Terre.

De vieilles lettres, de papa surtout et là dans les miens de vieux papiers, deux brochures « Labastide-Rouairoux » récoltées certainement lors d'un passage, sûrement en 86 puisqu'une des publications présente les « Grandes Fêtes de la ST Jean 1886 - 1986 Centenaire 20, 21, 22 juin ». 1986 je suis passé, j'ai vu, j'ai pris sans arrière-pensée, dans l'occultation la plus complète. Il en va ainsi avec deux enfants adolescents, une épouse, un nid à garnir pour la famille tant que tout semble aller. Peut-être voulions-nous seulement acheter ; des habits ? du cuir ? Toute cette vallée du Thoré était réputée pour ces productions. 


2025, ne voulant pas les oublier plus longtemps dans une pile, ces deux brochures je les mets de côté; 2025, parce que ma vie s'est poursuivie sur d'autres chemins, parce que l'âge aussi libère de l'astreinte conjugale, du moins c'est comme ça que je me l'explique, ces deux brochures accrochent ma mémoire... 

Saint-Pierre-la-Mer. L'été. La nuit. 1968, qui sait ? Le bal quasi quotidien. Les filles autour à inviter ou regarder de loin, quand on refuse l'obstacle suite à un non. Cette fois un oui. Un slow. C'était une brunette, cheveux mi-longs, pas petite mais latine de type, yeux marron. Un slow pour faire connaissance... et moi, les filles et la géographie ça va de pair. Pour les amis, la curiosité, mon vécu, il en va de même. De Labastide-Rouairoux elle était. Son prénom ? Mais où ai-je bien pu fourrer les trois carnets intimes retrouvés tant d'années après, confisqués dans le non-dit, d'autant plus séquestrés qu'ils étaient par mon père qu'en tant que jeune adulte, l'âge met de côté pour un temps ce qui précède d'une élucubration fluctuante mais constructive de la personnalité. 

Ouf ! Des livres avant tout mais également les cahiers de classe, des photos, des cartes postales, des écrits, faisaient l'objet de sa part, disons-le, d'une véritable kleptomanie... Que ne pardonnerait-on pas, imparfaits que nous sommes, aux cœurs qui nous aimaient... Imperfection ? pire me concernant, plein de gros travers à me chercher, de fautes, d'une inconduite qui auraient pu mal tourner... que ce soit dit et assumé après en avoir longtemps rejeté la responsabilité sur mes parents... Elle me dit qu'elle est de Labastide-Rouairoux, qu'elle a fini sa troisième au collège, qu'ils viennent tous les ans pour un mois à Saint-Pierre, qu'elle ne danse pas le twist. Et puis ? Hormis le cacolac offert sur la terrasse de l'Hôtel des Pins, j'ai oublié. Un soir ou plus ? Nous avons flirté, bécoté, rien de plus. nous avons un même accent, cela me fait toujours drôle, pays de vignes, de garrigue, de rugby, assez catholique, de partager avec des coins d'ardoises sur les pignons ouest, de forêts, de prairies, de football, de vaches sinon de volailles, d'usines, assez protestant... 

 

D'elle ne me restait que la géographie, cette vallée du Thoré si active jusqu'à Mazamet de son activité du textile notamment, développé au XIXème. 3200 habitants vers 1968, 2400 environ en 1986 et plus que 1400 en 2022. Et malgré cela l'économie semble se maintenir.  

Et cette brunette d'un soir ou deux me fait virer sur une interprétation moins engagée des paroles de Cabrel dans « Samedi soir sur la Terre ». 

Je me suis pointé, elle m'a vu certes, elle a juste dit « oui », ses yeux n'ont pas fait le reste, elle ne s'est pas arrangée pour mettre du feu dans chacun de ses gestes, je veux bien que ce ne soit seulement qu'une histoire classique, elle n'a rien fait de ses cheveux, la musique ne l'a pas collée contre moi ; nulle préméditation, sans phrases toutes prêtes, peut-être que ce n'était que pour impressionner les copains ; c'est à peine si nos regards se sont croisés lors de l'échange, même si c'était mieux pour prendre un verre ; une histoire d'enfant, une histoire ordinaire, froide d'un désir réciproque, à se parler sans se frôler, sans sortir du bal, sans siège arrière d'une voiture. Pas la peine d'en dire davantage, cette histoire est déjà finie, et ce serait la même si c'était à refaire, elle presque quinze ans moi à moitié vers mes dix-huit... Tout simplement un samedi soir sur la Terre. 

Il me faudra pourtant éplucher la grosse boîte de biscuits Lu où dorment des lettres blanches ou roses... 


 

dimanche 5 octobre 2025

CEP, Max GALLO, Fleury le 8 mars 1998 (fin)

 Samedi 14 mars 1998. Voilà un mois que ton fils arrivait à Mayotte. Nous pensons souvent à lui : a-t-il commencé ses séances de plongée sous-marine ? 

Aujourd'hui je vais vous envoyer cette lettre sans plus tarder. Demain ce sont les élections, qui se passent dans une totale indifférence, la région n'étant pas rentrée dans les mœurs et le canton ayant perdu de son attrait... Jadis on parlait de “ premier de canton ” pour le Certificat d'Etudes Primaires (Fleury avait raté de peu la place lors de ma “ promotion ” de 1934, le premier ayant été, je crois, Villanou de Cuxac ; plus tard, beaucoup plus tard, la fille Mira avait enlevé la palme). Le département reste bien vivant, et cela dure depuis Bonaparte. 

Max_Gallo (1932-2017) Portrait Officiel Parlement Européen autorisé 1984

A ce sujet, j'ai fait l'acquisition de l'ouvrage de Max Gallo (il me manquera la fin). Qui aurait dit, en 1956-57, alors que nous œuvrions tous deux au Collège Moderne et Technique, rue de la Salle, à Saint-Germain-en-Laye, que j'avais en face de moi à la cantine ou bien à mes côtés à un oral d'histoire pour le brevet (nous étions examinateurs), en la personne de ce grand échalas qui venait de Nice sur sa Vespa, le futur porte-parole du gouvernement, député européen, fondateur avec Jean-Pierre Chevènement du Mouvement des Citoyens ; agrégé d'histoire, docteur-ès-lettres, journaliste à l'Express, au Matin de Paris, collaborateur de plusieurs autres journaux, du Point à France-Soir, de Der Spiegel au Corriere della Sera (il a des origines italiennes) ; député de Nice, sa ville natale, ministre... ? « Et pourtant, ajoute-t-il, ma seule activité permanente a été d'écrire : des romans, des essais, des biographies. Et tout cela accumulé a fait une soixantaine de livres ! Une vie ! [...] Chaque fois que je commence un nouveau livre j'éprouve angoisse et joie. Je me lance dans le travail avec passion. J'écris. Je vis. En écrivant les quatre tomes de “ mon ” Napoléon, j'ai partagé un destin unique. Que vaut le reste comparé à ce miracle-là ? » Il faut dire que son style s'est bien amélioré... 

C'est sur ces considérations littéraires que je termine en vous souhaitant à tous deux une excellente santé, un bon moral, de belles heures de promenades, un lagon turquoise de rêve avec sa faune splendide et de beaux tridacnes (bénitiers), en un mot, du bonheur. 

Avec les plus tendres embrassades de vos parents et grands-parents dévoués, 

François, Jirina. 

Nous recevons à l'instant les enveloppes « Urgent Élections » 4 enveloppes brunes, une pour les cantonales (5 candidats : Pla (PCF), Escande policier à Béziers, Winkler FN, Caraguel PS Michel Leclerc (les Verts)
et une pour les régionales : 7 listes 
Liste Adivèze PS/PC
    "    Boussieux (Chasseurs...)
    "    Viard (Mvt des Cit.)
    "    Escortell (FN)
    "    Maryse Arditi (Les Verts)
    "    Isabelle Chesa (Maj régionale)
    "    Alain Madalle (Maj présidentielle)

Fleury-d'Aude, le 22 février 1998 (1).

« Bien chers Jean-François et Stani, 

C'est bien une heureuse coïncidence qui fait que je puisse m'adresser par lettre à vous deux en même temps et à une telle distance; j'espère que cette nouvelle missive va vous trouver en parfait état de santé et avec un moral à toute épreuve. j'espère aussi que Stani s'est vite habitué au climat de Mayotte ; sa première expérience de quatre mois en Guyane va lui faciliter l'acclimatation. Quant à nous, la santé se maintient ; maman s'est mise aux pâtisseries et pizzas ; nous savourons aussi de succulentes oranges bien juteuses : il faut en profiter car celles, l'été, d'Afrique du Sud, ne sont en rien à comparer avec celles de la province de Valencia. Les bananes ne valent pas les vôtres mais restent valables et souvent en promo. 

Le temps qui était très doux devient un peu plus frais, le vent dit “ du nord ” doit souffler demain en rafales à 130 km/h pour se limiter à 120 dans la soirée, si les prévisions se confirment. 

Je dois t'annoncer une triste nouvelle : la fin de Louis-Paul Fourès, le mari d'Yvette née Robert, fille de M. Robert qui fut ton instituteur quelque temps d'octobre 1956. Il aurait eu une hépatite foudroyante provoquant un ictère sévère et une montée du sucre à plus de quatre grammes. Lors de la messe j'ai appris son prénom de Louis-Paul alors que nous avons toujours dit « Louis ». Avec maman, nous étions allés à leur mariage le 8 décembre 1951, à une triste époque pour ma situation. Ils ont le caveau tout près de l'église, de l'autre côté du pont : il suffit de traverser la route, le vieux cimetière vieux se trouve à une cinquantaine de mètres. 

Autre mort : celle de Joseph Serres, notre voisin de la Place du Ramonétage, qui ne sortait plus depuis longtemps. C'était l'oncle d'André Molveau, notaire de Tuchan dont le fils Guy a pris la succession. Il avait 86 ans, les obsèques ont lieu demain lundi à 10 h 30. 

Pêcheurs_au_Nord_du_lagon_-_Mayotte 2016 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International license Auteur Camille ABDOURAZAK-AUGUSTIN
 

En copiant le guide sur Mayotte, j'ai appris beaucoup de choses ; ils signalent l'accident survenu à ces “ marins d'eau douce ” qui n'avaient pris qu'une vingtaine de litres d'essence ; faites attention quand vous sortez afin de ne pas dériver cinq jours pour vous retrouver aux Comores comme c'est arrivé en 1996 (1). Tu dois t'en souvenir, nous venions d'arriver et en avions parlé avec Chantal. 

Mardi 24 février 1998. hier il faisait froid lors des funérailles, surtout à cause du vent, mais aujourd'hui ce dernier avait notablement faibli et nous avons fait notre tour habituel à Bouïsset, le soleil nous étant revenu. (à suivre)

(1) pirogue qui chavire, barque qui dérive, pêcheurs sans gilets de sauvetage, déjà deux ou trois détresses en septembre octobre 2025. 


samedi 4 octobre 2025

“ Langues O ”, goélette, Fleury le 8 mars 1998 (1)

Bien chers Jean-François et Stani, 

[...] Aujourd'hui nous avons certes vu le soleil et la température est toujours très douce (18°), mais le vent soufflait en tempête et nous ne sommes pas sortis. 

[...] Vendredi 13 mars 1998. Deux vendredis 13 de file: celui du départ de Stani et aujourd'hui qui serait le dernier du siècle (?) ce qui est faux puisque le 13 octobre 2000 sera encore un vendredi 13. Toujours cette faute grossière persistant à faire croire que le 1er janvier 2000 serait le premier jour du troisième millénaire, se trompant en cela... d'une année seulement !! 

Dominikánská 2015 (Brno) under the Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International license. Author GualdimG

[...] Mon ordinateur n'a pas chômé. Grâce à un remarquable et très beau livre que m'a prêté Momon « La République tchèque et la Slovaquie » j'ai noté un joli texte de Dagmar Hobzova 1. Le grand destin d'un petit royaume. 2. La République tchèque aujourd'hui ; l'auteure qui est de Brno est diplômée d'un doctorat d'études slaves à l'Université Charles de Prague (que je connais bien). Elle vit en France depuis 1967 « Universitaire, elle enseigne la langue et la civilisation tchèques à l'Institut des Langues et Civilisations Orientales » où j'étais étudiant (c'est l'ancienne ENLOV, Ecole Nationale des Langues Orientales Vivantes qui s'est masculinisée en INALCO mais doit rester “ Les Langues O ” à Paris, Rue de lille, où j'avais comme professeurs MM. Vey et Ondrovcik. Je pourrai maintenant rendre son livre à Edmond. 

Ici un froid relatif a refait son apparition : 4° ce matin et 11° seulement au plus chaud de la journée. Heureusement soleil splendide. 

Goélette à Mahajanga Madagascar 2007 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported, 2.5 Generic, 2.0 Generic and 1.0 Generic license. Auteur Lebelot
 

[...] Ce soir à 21 heures, un récital de piano avec chansons à la Maison Vigneronne par Etienne Bouchard, pianiste et chanteur québécois. je pensais y aller mais dans « Thalassa » on parlera de Madagascar, et je préfère. Je lis dans le journal « Bateau vanille en direct. Un documentaire français réalisé par Régis Michel et Frédéric Tonolli en 1998. La côte nord-est de Madagascar est la plus enclavée de l'île. Elle est aussi l'une des plus riches : la vanille, le café, la cannelle et le bois de rose y abondent. Le commerce maritime y revêt donc une importance particulière. Les pirates qui, jadis, appréciaient les abris naturels que leur offrait ce rivage du bout du monde, ont laissé derrière eux, dans chaque village, une solide tradition de charpenterie de marine qui fleurit aujourd'hui plus que jamais. C'est ainsi qu'à Antalaha, artisans et marins viennent de construire la « Sabrina », un “ boutre moderne ” imité des goélettes bretonnes mais doté d'équipements sophistiqués. Ses cent vingt tonnes de charge serviront à évacuer sur Tamatave les récoltes de vanille. D'autres projets, plus ambitieux encore, sont à l'étude. »  (à suivre)


vendredi 3 octobre 2025

Aimons nous vivants...

J'en ai gros sur la patate, la deuxième quinzaine de septembre fut assez à la méditation, aux pensées moroses, ce qui, début octobre, ne s'arrange pas. Déjà de passer de l'été à l'automne... une lumière tiède, un peu dense encore, autre que celle, encore fraîche, légère, faisant passer, elle, de l'hiver au printemps ; celui-ci, de changement de saison, touchait beaucoup Hugo. 

« [...] Le vent fraîchit sur la colline 
[...] petit à petit l'été fond... »
                                        Voici que la saison décline. Victor Hugo. 

Victor_Hugo (1802-1885), photo de 1876  par Étienne_Carjat (1828-1906).
 
Le temps qui passe, inexorable, qui fait passer de la vie à la mort, qui fait défiler une litanie de prénoms en écho d'un autre monde, Christine, Gérard, Roland, Jean-François, Jérôme, Jean, Jean-Michel, René, Michel, Pascal, Joseph, Geneviève, Jean-Marie et Louis à présent, pour ceux qui, sans trop chercher, au nom de tous les autres, reviennent brusquer le quotidien, nous demander « Vous souvenez-vous de nous ? »... 

Georges Brassens (1921-1981) StudioHarcourt-1957 Domaine Public

Et Georges, 60 ans seulement, qui avait repris  « Pensées des Morts » de Lamartine : 

Avec « les feuilles sans sève », « le vent qui se lève », « l'errante hirondelle » sur « l'eau dormante des marais », 
« Voilà l'enfant des chaumières 
                    Qui glane sur les bruyères 
                        Le bois tombé des forêts... »

photo autour de 1865 d'Alphonse de Lamartine (1790-1869) Domaine Public Bibliothèque nationale de France

Parmi les proches de Lamartine, bien des disparitions peuvent motiver la nostalgie de l'auteur : son frère Félix de 3 ans, Julie Charles son amour “ du lac ” morte à 33 ans de tuberculose, un fils de moins de 20 mois, sa fille Julia, 11 ans, ses sœurs Césarine (25 ans), Marie-Sophie...  

Sortir d'une apnée dangereuse, contrôler ses pleurs aux coins des yeux, se contrôler en « ramasseur de larmes », tiens une autre chanson, Sardou en 1997... Il faut refaire surface, se gifler pour mettre en avant le positif. 
S'accrocher à la bouée pour un bol d'oxygène salvateur. Je le dois, une fois de plus, malgré Lamartine « [...] C'est l'ombre pâle d'un père qui mourut en nous nommant... » à papa qui par un bel hasard sait m'emporter sur un « bateau vanille » de Madagascar, la  goélette « Sabrina », manière de me redonner le moral puisque ses mots me le gardent vivant à jamais. 

Allons ! continuons le chemin ! Et cela sans changer le nom des vacances de Toussaint et de Noël, ce que voudraient des laïcistes intégristes, voudraient-ils effacer ceux que nos cœurs ont aimé...   

PS : 17h 20 à la radio... « Aimons-nous vivants » 1989, François Valéry.   

Fleury, le 2 avril 1998.

« Fleury-d'Aude, le 2 avril 1998. 

Bien chers Jean-François et Stani, 

Toujours rien de votre part au courrier, signe que tout doit aller bien en ce qui vous concerne tous deux. Nous vous envoyons bien des choses de Fleury où tout suit son cours normal. 

Carnet rose, un faire-part original : « Le voyage a été un peu long. Quand je suis arrivée, le 22 mars 1998, il y avait du bruit et de la lumière, mais quand on m'a mise dans les bras de maman, il n'y a plus eu aucun problème. Amandine. »

Pour les départs de ce bas-monde, l'autre jour, trois enterrements : la grand-mère de madame Julien, mère de Mme Figeac qui habite sur la terrasse, Denise Bolumar, qui avait quatre-vingt-dix-sept ans (c'est madame Chamayrac (96) qui prend le relais, et un inconnu de Saint-Pierre. Par la même occasion, j'ai appris la fin de Salvador Perucho à Fabrezan (mari de Cécile Huillet) et celle de sa sœur Louise, mère de Louis Sala le médecin : ils sont à Muret. 

[...] Après-demain aura lieu le « Repas de l'âge d'Or » dans le local municipal, Bd Général De Gaulle. Les mauvaises langues disent que s'il arrive malheur à quelqu'un, le cimetière est juste en face ! 

Commune de Fleury-d'Aude / IGN, merci Géoportail. 

Aujourd'hui, le temps est gris et n'invite pas aux sorties en campagne. Les forsythias ont toujours leurs belles fleurs jaunes, et ce sont à présent les arbres de Judée qui commencent à nous offrir leur belle couleur grenat, tandis que le marronnier du jardin public se pare de belles feuilles, de même que nos divers figuiers. 

Fleury-d'Aude, éclairage “ vieux village ”. 

À Fleury, les fils électriques aériens connaissent leurs derniers instants, et les hirondelles devront se contenter des antennes de télévision ou des rebords de toits. Les employés de l'E.D.F. continuent peu à peu leur travail. Notre rue a vu disparaître les fils (électricité et téléphone, les néons sont hors service en attendant leur dépose, et en compensation, deux jolis réverbères à lumière jaune, installés sur le mur d'en face, dispensent un éclairage plus puissant dès la nuit venue. Plus tard les poteaux de ciment seront enlevés. 

Le tri des déchets est également à l'honneur. De nombreux “ points bleus ” ont éclos sur le territoire du village, et chacun comporte trois conteneurs spéciaux : pour le plastique, le papier (enfin !) et pour le verre, le tout chapeauté par le SIVOM syndicat intercommunal. 

Vendredi 3 avril 1998. Vendredi dernier, 27 mars, c'était le Carnaval des Ecoles, Place du Ramonétage. Pierre-françois était déguisé en madame Sarfati, créature d'Elie Kakou, avec ses lunettes sans verres, son balai “ fatigué ”trouvé dans la remise et sa poitrine formée de deux moitiés de noix de coco de Mayotte, un chapeau de paille et de petites tresses noires. Il y avait une animation de quatre musiciens et une chanteuse ; l'incinération de Carnaval s'est produite au son du traditionnel « Adiu pauré Carnabal ». les confettis furent nombreux, l'assistance également. Ensuite toute la troupe a remonté la Rampe de la Terrasse pour aller goûter à l'école. 

Samedi, comme tu le sais, nous sommes passés dans la nuit à l'heure d'été. 

Voilà en gros nos petites nouvelles de la quinzaine écoulée. Stani aura sa fête le onze avril ; nous lui enverrons une carte “ se deux quiser ! ”

Nous vous embrassons bien fort tous les deux, 

Papa papy et maman mamie.