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jeudi 31 décembre 2015

DE L’ÂTRE À LA CHEMINÉE, IL N’Y A GUÈRE ! / le temps de Noël en Languedoc

DE L’ÂTRE À LA CHEMINÉE, IL N’Y A GUÈRE !
Je voulais écrire DE LA HOTTE  À LA SOUCHE, IL Y A PEU mais cela devenait aussi incompréhensible que "DE LA SOUCHE À LA SOUCHE IL Y A PEU...". Comment dire quand le vocabulaire si riche sur la réalité et la symbolique du feu au point qu’il a signifié la famille autour du foyer (la population se comptait, avant, en "feux"), vient nous embrouiller avec une homonymie insupportable entre le bois qui brûle en bas, pis ces ceps que nous appelons souches, et la cheminée, sinon son bout dépassant du toit ?
    Je pense à du Bellay, qui lui, a su tout exprimer avec trois moitiés de vers : «Quand reverrai-je, hélas, de mon petit village / Fumer la cheminée... » (Les Regrets, XXXIème sonnet). 
    Si quelqu’un peut m’aider car j’ai beau chercher, retrouver le contrecoeur, aborder des secrets sous son manteau, m’interroger aussi sur la languette ou le tablier tout en me demandant si le rideau était ce tissu jaune à l’origine, courant sur les trois côtés de la tablette avec, chez mamé Ernestine, ces femmes brodées dans les habits des provinces de France, jamais je n’ai été ainsi coincé par une souche ! 
                                        Mamé Ernestine et la cheminée / 1968, diapositive François Dedieu.

    Mistral peut-être pourra m’aider ! Dans le Trésor du Félibrige, nous trouvons qu’en Languedoc elle s’appelle cha-, ou che-, ou chi-, ou encore chuminièiro ! Sur ses différentes parties : « lou canoun de la cheminèio... /... lou dessus.../... lou founs.../... lou cantoun.../... la cheminèio marsiheso avec le potager construit à l’intérieur. Suivent des expressions comme « Se laissa mouri souto sa chaminèio », se laisser mourir dans l’abandon, « A pas manja soun pan souto la chaminèio», il a vaillamment gagné sa vie, « A fa soun cop souto la chaminèio », il a fait son coup en tapinois. Moins attendu venant de Mistral plutôt traditionaliste, une critique de la religion qui voit l’auteur préciser qu’il s’agit d’un dicton irrévérencieux désignant l’église, le curé, le vicaire et le marguillier :
    « Meisou sèns fournèl ni chaminado / Nouiris tres feiniants touto l’annado (Limousin).
Le travail de linguiste primait-il sur ses convictions ?
    L’article qui nous console de la frustration initiale, évoque ensuite François Ier avec « la cheminèio de Francès Premié « à Aigues-Mortes ainsi que la jolie cheminée « dóu rèi Reinié », du roi René, désignant, à Aix, une promenade au midi des remparts où le roi venait prendre le soleil et discuter sans façon avec tout le monde. Frédéric Mistral ajoute que Digne et Marseille ont aussi « leur cheminée du roi René ». Nous comprenons désormais ce que signifie « Se caufa à la chaminèio dóu rèi Reiniè ».
En attendant, moi qui voulais vous raconter une histoire de cheminée pour Noël, j’en suis resté au titre ! Lou prouchin cop, promis, surtout que ça s’est passé aux Cabanes de Fleury et il n'y a pas si longtemps...  

vendredi 25 décembre 2015

EN LAURAGAIS, DES SOUVENIRS AUSSI PRÉCIS QUE PRÉCIEUX... / Noël en famille.


EN LAURAGAIS, DES SOUVENIRS AUSSI PRÉCIS QUE PRÉCIEUX...
Né au Mas Saintes Puelles le 22 juillet 1923, Alfred Cazeneuve a passé son enfance dans ce village du Lauragais audois, entre Castelnaudary et le Seuil de Naurouze. Dans "Le Goût de la Vie dans le Lauragais d’Autrefois" (La Gouttière, mars 2005), il raconte la fête de Noël vers 1930 avec un père Noël s’émancipant de la religion omnipotente, une autre idée de la bûche, une vision arrêtée du réveillon. Extraits :
    « .../... Des santons, beaucoup de papier multicolore plantant le décor, des anges, statuettes dont l’une avait la tête articulée et qui semblait dire merci quand une pièce de monnaie était glissée dedans. Je me souviens avoir mis, tout gosse, des pièces dans cet "ange". L’abbé Rieux nous avait distribué, une fois, une pièce de deux sous au cours du catéchisme et nous avait accompagné à la crèche pour la remettre à l’ange. Il était sûr de récupérer l’argent à la sortie !... /...
    Les gens avaient veillé, même les enfants ; ils avaient passé la veillée de Noël au coin de l’âtre. On avait mis dans la cheminée la bûche de Noël, une grosse bûche qui devait durer jusqu’à minuit. Avant le départ à la messe, on éteignait le foyer, une étincelle pouvant provoquer un incendie, mais on gardait un bout de tison consumé. Pourquoi ? Certaines croyances voulaient qu’on glisse le tison sous le lit de la parturiente afin que l’accouchement se passe bien.../...
    Le Père Noël allait passer dans la nuit. Les sabots astiqués et cirés étaient alignés devant la cheminée. En rentrant dans la nuit du Loto, le père les garnissait d’un paquet de bonbons, et d’un petit sabot en chocolat dans lequel un petit Jésus tout rosé trônait. Peu de jouets chez les gens modestes : quelquefois un vêtement, des sabots, mais toujours le paquet de bonbons contenant des dragées, des fondants, des pralines. Je n’ai jamais entendu parler de réveillon ! La crèche restait encore quelques jours dans la chapelle, puis, on rangeait les santons pour l’année prochaine.../... »

    Alfred Cazeneuve mentionne aussi un LOTO presque rituel dans les années trente et tel que nous l’avons connu il y a peu encore. Or le nom même de LOTO semble avoir disparu du vocabulaire sans qu’on s’en aperçoive, comme, entre parenthèses, les 40 % des passereaux de nos campagnes... Et parce qu’on se sent bête de n’en rien savoir depuis des mois et des mois, ça fout un coup sur le coupet (occiput, nuque en languedocien) ! J’ai cru un instant que nous en étions plus coupables, à Fleury, où les publications mensuelles font seulement état de « loteries familiales » peut-être réservées aux seuls adhérents d’associations. En fait, la nouvelle appellation, loin de répondre à un effet de mode, semble seulement découler de la législation. Nous la devons à des parlementaires certainement plus vertueux s’agissant du contrôle des bénéfices générés par les lotos que pour l’utilisation très opaque des 500 millions que l’Assemblée s’alloue elle-même avec la loi de finances ! Et comme, sans parler du Médiator et du sang contaminé, nos chers élus se soucient tant de notre santé, les grains de maïs pour marquer sont aussi interdits, des fois qu’ils nous inoculeraient la grippe aviaire !

    Manière de ne pas gâcher la fête avec ces signes de démocratie confisquée, je voulais prendre congé en vous laissant le lien « Couleur Lauragais » pour ce que je n’ai pas repris des écrits d’Alfred Cazeneuve (http://www.couleur-lauragais.fr/pages/journaux/2007/cl98/histoire.html), quand le moteur de recherche m’a mis sous les yeux : http://www.ladepeche.fr/article/2010/09/22/911451-mas-saintes-puelles-un-paysan-poete-nous-a-quittes.html.
    Et moi qui ai raccroché suite à un message de répondeur incompréhensible, pas plus tard qu’hier, alors que je voulais le remercier, demander la permission pour des extraits et souhaiter un bon Noël. Je me suis senti d’autant plus bête qu’un site permet toujours de lui commander ses livres... Et puis je n’avais pu m’empêcher un parallèle avec papa, parce qu’Alfred Cazeneuve suivait, à un an près, parce que les témoignages de cette génération sont des plus précieux et qu’il faudrait être superficiel ou très inconscient pour ne pas trouver leurs capacités admirables et passer à côté de ce que leur expérience liée à une belle mémoire peut nous transmettre.   L’Internet est une belle machine qu’il ne faut pas remettre en question. Il n’empêche, ça fout un còp sur lou coupet !


Photo Commons Wikipedia : village du Lauragais (Saint-Félix) sur fond de Pyrénées / Didier Descouens. Et 2 auteur Asabengurtza.

mercredi 23 décembre 2015

DANS LA MONTAGNE, DES LUMIÈRES QUI MARCHENT... / Noël occitan


DANS LA MONTAGNE, DES LUMIÈRES QUI MARCHENT...
Parlant de ses parents, Joseph Delteil rappelle toutes ces lanternes qui avancent par les chemins vers la messe de minuit. Aussitôt, un conte de Noël vient cogner au portail, d’Alphonse Daudet, dans « Les Lettres de mon Moulin », un livre qui compte et fédère autour de nos identités occitanes... Comme quoi tous les méridionaux qui "montaient à Paris" n’y perdaient pas tous leurs âmes... Dans ce sens, Daudet a certainement contribué à la défense de l'esprit, de la culture occitane, et ce, dès l'enfance. Pourrait-il en être autrement avec le secret de Maître Cornille, la chèvre de Monsieur Seguin, le curé de Cucugnan... Si j’aime à jamais Les Vieux pour la chaleur de l’été et le thème douloureux de l’absence, la magie de Noël, l’évocation des tables chargées pour les fêtes me ravissent également. Et puis il y a l’hiver, le froid et la neige, les veillées idéalisées qui réunissent la famille autour du feu, du moins pour des gosses, libres encore du réalisme de l'âge adulte. Aussi, dans « Les Trois Messes Basses », les petits se trouvent vite pris dans la magie et les mystères des "Noëls Blancs". Suivons Daudet qui situe ce conte au pied du Mont Ventoux, « en l’an de grâce mil six cent et tant » :

 «... Dehors, le vent de la nuit soufflait en éparpillant la musique des cloches, et, à mesure, des lumières apparaissaient dans l’ombre au flanc du Mont Ventoux, en haut duquel s’élevaient les vieilles tours de Trinquelage. C’étaient des familles de métayers qui venaient entendre la messe de minuit au château. Ils grimpaient la côte en chantant par groupes de cinq ou de six, le père en avant, la lanterne en main, les femmes enveloppées dans leurs grandes mantes brunes où les enfants se serraient et s’abritaient. Malgré l’heure et le froid, tout ce brave peuple marchait allègrement, soutenu par l’idée qu’au sortir de la messe, il y aurait, comme tous les ans, table mise pour eux en bas dans les cuisines. De temps en temps, sur la rude montée, le carrosse d’un seigneur précédé de porteurs de torches, faisait miroiter ses glaces au clair de lune, ou bien une mule trottait en agitant ses sonnailles, et à la lueur des falots enveloppés de brume, les métayers reconnaissaient leur bailli et le saluaient au passage :
~ Bonsoir, bonsoir maître Arnoton !
~ Bonsoir, bonsoir, mes enfants !
La nuit était claire, les étoiles avivées de froid ; la bise piquait, et un fin grésil, glissant sur les vêtements sans les mouiller, gardait fidèlement la tradition des Noëls blancs de neige... » 




Notes : en plus du livre, le film de 1954 est passé à Fleury, au cinéma Balayé. Je pense aussi à Paul Préboist, acteur marseillais dans l’élixir du père Gaucher mais dans un autre film puisque Rellys tenait le rôle dans la production de Pagnol... Toi qui sais, si tu me lis...
Hier sur la 3, une très belle reprise de Marius par Daniel Auteuil, très réussie. mardi prochain ils donnent Fanny !Si ce n’est pas dans l’ambiance de Noël, notre Méditerranée est bien présente : ce serait dommage de s’en passer... 



Photos : 1. le Ventoux wikipedia england.
2. Le Ventoux depuis ST-Trinit le 4 décembre 2010 / commons wikipedia / auteur Véronique Pagnier. 
3. Daudet jeune (Les Lettres de mon Moulin, écrites avec Paul Arène,  datent de 1865 (l’auteur avait 25 ans).
4. Le Moulin de Daudet à Fontvieille.

mardi 22 décembre 2015

LES LUMIÈRES DE NOËL / Sud, Languedoc, Aude.

                             Église St-Paul de Villar-en-Val (Val de Dagne) / auteur Tournasol7.
 
« Les nuits de France-Culture... jusqu’à 6 heures du matin... »
Je pense aux noctambules, aux insomniaques, à ceux qui se sentent abandonnés ou ne sont pas, sinon plus, accompagnés. Moins seuls, retrouvent-ils un peu de cette chaleur humaine avec ces discussions, comme au coin du feu, dans l’intimité qu’une émission de  radio peut offrir ?
Dans ce monde que nous accélérons à l’excès, tout défile et nous fait passer trop vite à autre chose, serait-ce à une autre émotion. Pour ceux qui ménagent des pauses et ont la sagesse de faire halte pour retenir ce que la méditation a de fugace et d’évanescent, l’essentiel de ces sept petites, toutes petites minutes avec Joseph Delteil...  

« Si vous passez par Villar-en-Val, au sud de Carcassonne, prenez donc le chemin de poésie, vous passerez devant la maison où naquit le poète Joseph Delteil. Joseph Delteil mena une vie d’écrivain paysan... /...  Mais enfant il vivait à Pieusse entre Carcassonne et Limoux, en plein milieu des vignes. C’est là qu’il passait Noël avec ses parents comme il le racontait à Frédéric Jacques Temple, en 1970. »  

« Joseph delteil, qu’est-ce que c’est la Noël pour vous ?
~ La Noël, comme toutes ces grandes fêtes, c’est d’abord quelque chose de très banal, il n’y a pas de choses extraordinaires ; il faut pouvoir à travers ce mot de Noël,  retrouver les choses qui sont inscrites dans nos moelles, ancestralement, initialement...
~ ... Noël est par conséquent la fête la plus ancienne et la plus moderne à la fois...
~ Oui, en même temps, l’un dans l’autre. A Pieusse c’était pas considérable. Ce qu’il y avait tout de même c’était la bûche. Papa qui était bûcheron n’oubliait jamais de préparer une assez belle bûche, de chêne. Il fallait que ça dure de la Noël à la nuit du premier janvier. Il faut que ce soit une bûche qui dure huit jours
~  Vous alliez à la messe de minuit...
~  Naturellement j’allais à la messe de minuit. Nous faisions un petit réveillon, mais vous savez,minuscule. D’ailleurs quand je pense à la Noël je ne vois pas tellement la Noël de Pieusse, j’y ajoute inconsciemment tout ce qu’il y a dans mes yeux. Au mois de Noël : mes yeux s’ouvrent et voient un spectacle et dans ce spectacle il y a notamment ce que papa et maman me racontaient de la Noël dans leur pays d’Ariège : ils habitaient du côté de Montségur. Comme ils habitaient une ferme dans les hauts plateaux, ils me racontaient qu’en allant à la messe de minuit, chacun y allait avec une lanterne, et alors, de colline en colline, de montagne en montagne, tout ça fourmillait de lanternes qui marchaient, portées par les gens qui allaient à la messe. Ce n’est pas le spectacle que j’ai vu mais pour moi j’ai l’impression que je l’ai vu, je pourrais jurer que je l’ai vu à travers papa et maman. Peut-être beaucoup des choses que nous avons, que nous portons, que nous écrivons, quelquefois, sont non pas de nous mais de toute notre famille, de toute notre lignée. 

                                           Paysage autour de Montségur / auteur Panoramio.
 
~ Et si vous le racontez c’est que vous vous en souvenez, que vous l’avez vécu...
~ Je m’en souviens justement parce que je l’ai vécu, ça s’est fixé dans mes moelles comme le cholestérol se fixe dans les artères.
~ A propos de cholestérol quels étaient les plats typiques du réveillon ?
~ Les plats typiques, chez nous, d’abord la prière de papa, ça c’est tout à fait le rite. Il devenait très solennel, ce qui n’était pas tellement son habitude et il nous disait en tâchant de ne pas avoir le sourire, de garder la voix très noble : « Mes enfants vous savez que la nuit de Noël, le chef de famille doit faire la prière avant le repas...»
A part ça il y avait un petit repas qui comprenait... ça commençait toujours avec la salade de betteraves rouges, après ça nous avions la morue aux tomates, il fallait la sauce tomate, qui était assez bonne, après ça il y avait des haricots à l’huile, un toupinat (1) de haricots. Tout ça nous paraissait excellent, c’était plein de saveurs.
Ensuite on ne pliait pas la table : en pliant les quatre coins, on laissait quelques plats en plus en cas que le petit Jésus passerait par là. 
Morue à la raita / auteur JPS68

Comme toujours, j’ai le plus grand respect pour ces rites parce que j’ai toujours l’impression que ces rites ils répondent à des choses très originelles, très originales; les premiers hommes les ont créés parce qu’ils avaient cette mission, cette notion de l’humanité. Et même maintenant, le jour de Noël, chez nous je tiens beaucoup à ce que ce soit une répétition de ces choses-là. Ce jour-là Marie vient chez nous ; elle prépare le même menu ; ma sœur n’y manque pas, elle confectionne les mêmes aliments et nous avons, une fois par an, à la Noël, exactement, le repas qu’il y avait à Pieusse, à Montségur, de père en père et qu’il y a dû avoir, à quelque chose près, de toute antiquité. » 

(1) le toupin, en languedocien, le pot en grès ou en terre mijotant souvent à la limite du cercle de chaleur autour du feu / mot aussi employé en Suisse.

Notes : Frédéric Jacques Temple, écrivain, poète, né à Montpellier le 18 août 1921.
Rappel : Joseph Delteil est un écrivain et poète français né le 20 avril 1894 à Villar-en-Val dans l'Aude et mort le 16 avril 1978 à Grabels dans l'Hérault.

Photos Commons Wikipedia.

lundi 21 décembre 2015

«TRADITIONS, NOËL, SUD, LANGUEDOC, AUDE...» / Aude & Languedoc


J’ai dû taper « Noël », « traditions », « Sud », « Languedoc », « Aude » et en moins de temps qu’il n’en fallut cette fois là à tonton pour prendre un brochet de 70 centimètres, l’ordi en a sorti des mètres. Des pages et des pages, en effet, un peu comme si, pour le poisson que je voulais accrocher, on avait vidé toute l’eau du lac. Force est donc de trier, de fouiller, en évitant la vase, à savoir l’incitation à consommer, toujours sous-jacente sur le Net mais sur-représentée puisque, en la circonstance, en premier, ce sont des invitations destinées à détourner le chaland vers la magie artificielle des marchés dits de Noël.
Patience, constance... Il est surtout question de persévérance quand on pose son bouchon dans l’espoir d’une bonne fortune... Sinon, pas de pêche miraculeuse, pas de petit poisson d’or tel celui du joli conte russe (1)... Demandez si ça vous dit mais ce serait hors de propos de le raconter ici... Le mien, de petit poisson surprise, attendait en deuxième page, et ses écailles brillantes m’ont pareillement ravi !
Le site invite à rencontrer Joseph Delteil (1894 -1978), l’écrivain-poète monté à Paris mais retourné vivre au pays, « al pais », puisque c’était écrit (2). Né d’un père charbonnier et d’une mère « buissonnière », à Villar-en-Val, mystérieux petit pays perdu dans des Corbières à l’écart des trépidations et trafics modernes, puis installé à Pieusse, terre de Blanquette (3), Delteil a gardé un vif souvenir de ses Noëls d’enfant, autour des années 1900. Lors d’un bref entretien radiophonique de 1970, Delteil a su faire partager l'importance qu'avait pour lui la célébration heureuse de Noël en famille. 


Puisque mon petit poisson d’or est aussi réel que mon Père Noël, vous devinez le bonheur que j’ai eu d’écouter, de passer et repasser l'entretien, pour transcrire puis lire et relire et revenir encore sur la parole de Delteil. Au-delà de la spontanéité de la discussion, de la grande exigence du direct qui ne rendent l'invité que plus humain, le message ne peut être plus clair. Et son accent valant mieux que mon inspiration incertaine, ci-joint les sites qui nous le gardent si présent pour passer et partager ce qu’il appelle « ses rites », transmis de père en père depuis l’antiquité.
Sources : merci Wikipedia, merci le Web !
Photo :  maison de Delteil à Pieusse / commons wikipedia / auteur : pinpin.

(1) Сказка о рыбаке и рыбке, Skazka o rybake i rybke) Le Conte du pêcheur et du petit poisson d’Alexandre Pouchkine, écrit le 14 octobre 1833, publié en 1835 dans la revue Biblioteka dlia tchteniia (Bibliothèque pour la lecture).
(2) est retourné vivre en Languedoc, à la Massane, un domaine proche de Montpellier. Dans ses oeuvres, des titres qui me parlent : Sur le Fleuve Amour 1922, Les Poilus 1925, Ode à Limoux 1926, Perpignan 1927, de J.-J. Rousseau à Mistral 1928, La Belle Aude 1930, La Cuisine Paléolithique 1964, La Delteilherie 1968... Joseph Delteil de même que son épouse Caroline Dudley, créatrice de la Revue Nègre, reposent au cimetière de Pieusse.
(3) La Blanquette de Limoux de la moyenne vallée de l’Aude, disputant au Champagne l’antériorité de ses bulles et d’un excellent rapport qualité-prix !

dimanche 20 décembre 2015

JOYEUX NOËL ET BONNE ANNÉE 2016 ! / France en Danger

Un pays en crise, des racines arrachées, des traditions contestées ! Puisque la peur pourrait amener à les cacher, les trahir, les abandonner, le moment est venu, au contraire, de les revendiquer, pour dire, sans hésiter, sans ambiguïté aucune, sans obliger qui que ce soit à les partager, qu’il est hors de question de nous en laisser dépouiller !
Les fêtes de fin et de début d’année en sont l’occasion parce qu’elles plongent dans des siècles d’une histoire qui est la nôtre, parce que sans elles nous ne serions pas nous, parce que le 13 novembre a confirmé que notre identité menacée est en grand danger !
Rien de facho, de réactionnaire à le dire ainsi ! Qu’aurait de répréhensible, en effet, ce désir de partage, de communion sur des valeurs partagées, à partir du moment où cela se traduit seulement par une exploration ouverte du passé ancestral, une rétrospective n’autorisant pas les coupes, les dissimulations liées au sectarisme ? Pas du n’importe quoi non plus : comme pour l’éducation des enfants, il faut des règles, des limites consenties sans lesquelles le vivre ensemble ne serait pas possible. Disons, pour l’essentiel qu’il est question de l’acceptation des différences, du respect mutuel avec l’interdiction d’interférer, d’imposer à autrui... chacun gardant la liberté d’aller voir ailleurs ce qui lui conviendrait davantage...

Sur ce, parce que ces "fondations" me sont essentielles et que j’ai tant besoin de vous pour m’en assurer, grâce à une informatique offrant plus de possibilités que mes quelques rayonnages et plus accessible que les fonds des bibliothèques publiques, je veux dire à quoi correspondent les fêtes de fin d’année. Excusez-moi, par avance, de la subjectivité que la démarche implique...
Entre la Noël et la nouvelle année, laissez-moi penser que c’est Noël qui prime. Pour le cycle annuel, en effet, basé sur la nature qui redémarre, les dates ont varié entre le 25 décembre (Noël démarrait l’année pour Charlemagne par exemple) et le 25 mars (avec prolongation des fêtes jusqu’au 1er avril). 
 
 
Noël, par contre, répond à une problématique en amont, une angoisse qui voit l’homme se demander si c’est la fin de son monde avant que ne se ressente le soulagement puis la joie de voir renaître le soleil source de vie. Avec ou sans religion, si le questionnement des humains peut amener à considérer comme vrai ce qui n’est pas plus visible que palpable, ce qui importe est que plus personne ne risque la torture et le bûcher en parlant ainsi. Sur ce plan il est de notre responsabilité de ne pas régresser. Je parlais de Charlemagne qui avait par ailleurs prévu la peine de mort pour celui qui ne respecterait pas le carême. 1200 ans plus tard, l’Islam promet toujours la mort à celui qui parle mal ou qui va croire ailleurs. Aussi, il nous appartient de rejeter sans tergiverser les tenants d’une secte qui se sublime dans la violence obscurantiste. La plus ferme intolérance s’impose contre le barbu qui affirme devant caméra qu’il n’a « pas un gramme de respect pour ce que nous sommes » ! 
 
 

Pour finir de vider mon sac, j’ajoute, sans oublier de citer Rushdie, que je préfère le courage de Finkelkraut, Zemmour et Polony à la trahison d’Onfray et aux aveuglements trop en phase avec la bien-pensance de tristes irresponsables tels Joffrin, Caron, Plenel, Naulleau, porte-paroles d’une classe dirigeante enfermée dans une tolérance aussi hypocrite qu’obséquieuse, bien dans la ligne de ceux qui sont dans le déshonneur et qui auront la guerre quand même, pour reprendre les propos de Churchill stigmatisant la lâcheté de l’Angleterre et de la France en 1938 (Accords de Munich)...

Sans aucun doute possible, nous viendrons à bout de la menace. Et contre l’atmosphère nauséabonde qui nous affecte, je reprends le fil d’un Noël se perdant dans la nuit des temps, tel qu’il m’a été transmis par les aïeux et dans ce que l’ignorance veut bien me laisser saisir... l’essentiel étant de résister !

photos autorisées wikipedia

dimanche 6 décembre 2015

Yves, pêcheur du Golfe XIV « C’EST LE MEXIQUE ! » / Fleury d'Aude en Languedoc

Avec une pensée particulière pour mon ami Philippe qui se damnerait pour des coquillages ou autres fruits de mer !

Yves, le pêcheur, raconte :
« Une année, avec Tiaido, le fils, on avait trouvé un banc de sable appelé « Le Mexique », entre la Yole et le casino de Valras. Jusque là, les tenilles, on en faisait 7-8 kilos à peu près en 3-4 heures... Et là qu’on y était avec le barcot (la barque), à chercher un banc de sable, on se retrouve à une maille, environ une centaine de mètres de la côte. Et sitôt sauté à l’eau, on aurait dit qu’on était sur une route tant on avait des cailloux sous le pied. On a fait 25 kilos chacun en une heure et demi, guère plus. 

                                                  Tenilles avant cuisson (tellines en français)

L’embêtant, c’est qu’à la rame, depuis Les Cabanes, c’était long et fatigant, surtout que la tenille baraille (1) avec le nord et le courant de « grebi » (vers le sud, en gros, par rapport à la côte). Alors on laissait le vélo de l’autre côté de l’Aude, oh, un vélo sans frein sans rien, seulement de quoi nous transporter, le tenillier sur le dos. Pour aller au banc, raï, mais pour revenir, avec l’engin et 25 kilos de tenilles ! Moi j’y arrivais mais le collègue, il avait du mal ! Je suis allé le chercher ! Une fois ça va, sinon c’est un coup pour y rester tous les deux. On aurait pu trouver une combine, avec une corde mais attends, on était jeunes ! 

Alors autant y aller seul... Qu’est-ce que tu veux, la vie était pas facile ; il était pas fait pour, ça l’a pas empêché de réussir dans le commerce de gros, à Sète ou à Frontignan... T’en faguès pas (te fais pas de souci), il s’en est mieux tiré que moi, il est pas à plaindre...
J’ai dû y aller un mois en tout, sinon un peu plus, et puis, les courants peut- être : le gisement a disparu... Fini le Mexique ! »

(1) barailler = vadrouiller en parlant des escargots ou des tenilles 

                                                                         En persillade photo 2 Commons wikimedia.

lundi 19 octobre 2015

DE PASSAGE A FLEURY, AFFRE LE TENOR / Fleury d'Aude, Languedoc

    Au café Billès, ils sont une petite troupe dont mon grand-père, ses copains : Félix Pujol, Zéphyrin, Henri Coural sûrement. Ils se pressent autour du gramophone. Attentifs à l’aiguille en suspens au-dessus du disque, ils espèrent déjà le ut, le ut dièse sinon le contre ut que le ténor va faire monter de son organe. Le sillon grésille avant que le speaker n’annonce « Roméo et Juliette, cavatine, chanté par Affre de l’opéra ». Le recueillement est à son comble quand retentit le carillon de porte. « Chut, s’il vous plaît ! » intiment-ils presque en chœur à l’importun qui n’a plus qu’à refermer derrière lui, précautionneusement.


    « Ah ! lève toi ! lève toi ! Parais ! Parais !.. » nasille le pavillon. Le nouveau venu s’approche, discret. Mais voilà-t’y pas qu’il se permet d’intervenir, de gâcher le moment ! Les mines teigneuses vont l’agonir de reproches quand il achève de les sidérer :
    « Plutôt que d’écouter ma voix sortie du fond des âges, je vais vous le chanter Roméo ! » annonce le nouveau venu en grimpant lestement sur une table ! Il a le sens du théâtre ! Ils se regardent, stupéfiés ! Et quand il entonne «Ah ! lève-toi soleil, fais pâlir les étoiles...» ils en restent babas !
    On s’en voudrait même qu’il ne déchire sa gorge, pour eux, spécialement, a cappella et en toute simplicité. Heureusement il a de la ressource, Affre ! Et quel coffre !
    Mais comment auraient-ils pu reconnaître le ténor de Saint-Chinian en cet homme petit et fort ? Et la barbiche et la moustache à la Van Dick restent indémodables encore vers 1920 ! Et puis qu’est-ce qui a bien pu amener Affre à Fleury, ce jour-là ? 



    Auguste Affre dit Gustarello (les documents liés à l’opéra disent “Agustarello”) est né le 21 octobre 1858 à Saint-Chinian dans l’Hérault chez un père fileur. Menuisier mais aimant la musique et doté d’une belle voix, il s’inscrit à l’orphéon du village.
    A 25 ans, il est remarqué lors d’un concours à Narbonne. Monsieur Rabaud (Hippolyte-François ?), violoncelle à l'Opéra, professeur au Conservatoire, et Marcelin Coural, maire de Narbonne (1), le poussent à rejoindre le Conservatoire de Toulouse. Auguste y étudiera de 1885 à 1887 avant d’intégrer le Conservatoire de Paris et d’être engagé à l’Opéra en 1890.
    Sa polyvalence en fit une valeur sûre du répertoire : aussi bien Eléazar que le prince Léopold dans La Juive, Ascanio dans le titre éponyme de Saint-Saëns, le Duc de Rigoletto, Fernand dans La Favorite, Roméo et aussi le modeste Tybald dans Roméo et Juliette, Laërte d'Hamlet, Don Gomès de Henry VIII, Lohengrin. Il chanta aussi Jonas du Prophète et le grand-prêtre Shahabarim, de Salammbô. 
     A Lyon, il créa Paillasse de Leoncavallo et l'Attaque du moulin d'Alfred Bruneau.
    Revenu à Paris, il fut Radamès en 1895 (Aïda), Faust un an plus tard, Raoul des Huguenots (1897), Samson (1898), Arnold de Guillaume Tell (1899), Vasco de l’Africaine en 1902...
    Sa voix souple et sonore permit de reprendre des oeuvres difficiles :  la Statue d'Ernest Reyer (Sélim) et l'Enlèvement au sérail (Belmont) en 1903, Armide (Renaud) en 1905.

    Peu de renseignements concernant sa vie privée. On sait seulement qu’il s’est marié le 5 mai 1881 avec la fille de son patron menuisier. La page qui en fait mention
http://www.appl-lachaise.net/appl/article.php3?id_article=2623
ne manque pas d’humour : “...ce fut un mariage d’amour, qui dura 18 ans, mais 18 ans seulement car Affre divorça le 19 mai 1899...”.
    Le site nous apprend aussi qu’Auguste Affre vendit sa villa à Cabourg pour se retirer sur la Côte-d’Azur. Il mourut à Cagnes-sur-Mer le 27 décembre 1931 à l’âge de 73 ans après avoir chanté Le Credo et Minuit Chrétien pour Noël.
    Il repose au Père-Lachaise. Un buste et un hommage de Saint-Chinian honorent sa mémoire. 

    Souvent, la vie des gens célèbres se caractérise par cette distance qu’ils prennent avec leur terre natale. Affre s’exila, comme plus tard Trénet tandis que Léon Escalaïs choisissait de revenir dans son village natal. Nous reparlerons de lui une fois prochaine.

(1) Charles Trénet soutient qu’un Affre de l’Opéra, ouvrier de son grand-père, chantait la Marseillaise dans la tonnellerie. Il doit mal interpréter des souvenirs qui lui ont ét racontés car, si Affre a été menuisier à Narbonne, la tonnellerie de son grand-père ne date que de 1914. A cette époque, le ténor de 56 ans, retraité de l’Opéra où il était entré en 1890, a peut-être rejoint le domaine viticole acquis dans le Narbonnais. Les sources ne le citent plus après ses rôles dans la Gloire de Corneille (Polyeucte) de Camille Saint-Saëns, le 6 juin 1906 puis dans La Thamara (Nour-Eddin), de  Louis Bourgault-Ducoudray, en 1907 (livret de Louis Gallet). En 1908, Affre quitte l’Opéra mais chantera encore en province, à la Nouvelle-Orléans et à La Havane.
    Notons que Charles Trénet a lui-même vécu quatre ans à Saint-Chinian (1919 -1923), entre sa sixième et sa dixième année quand son père y était notaire. 

Voir aussi http://www.artlyriquefr.fr/personnages/Affre%20Agustarello.html (extraits numérisés)
D’autres extraits d’époque sur disque sont disponibles sur youtube notamment.



photo du café Billès aujourd'hui disparu / livre "De Pérignan à Fleury" 2009.
pour le portrait d'Auguste Affre, voir les sites conseillés (pas une photo libre de droits). 
Vue générale de Saint-Chinian / auteur Guillaume "Frozman" Calas / commons wikimedia. 
Les Allées de Saint-Chinian / Auteur "Moi, propriétaire du copyright et qui le mets dans le domaine public..." / commons wikimedia. 

lundi 28 septembre 2015

Yves, pêcheur du Golfe (XII) « AVEC LA LÈBRE , TU AS DE LA BIDOCHE ! »

« Yves, tu parlais des loups et des dorades... La dorade, justement, on n’en voit plus beaucoup alors qu’elle rentrait dans les étangs par bancs entiers...
- Si, si, à Sète, ils sont toujours à "quicho-pourrit" (1), au bord du canal, quand elles sortent de Thau, à l’automne... Et en mer, ça revient, figure-toi. L’autre jour, il en a pêché une de 3 kilos et ils foutent des coups de filets avec 50-80-100 kilos. Maintenant, ils prennent aussi du merlan... A l’époque y en avait pas... Et une autre fois, que je te raconte avant d’oublier, ce fut une pêche "monumentale" : on était aux dernières villas de Narbonne-Plage et on voyait les sardines, à 100 mètres, qui poussaient dans la "mélette" (2)... 


- ... Les thons dans le maquereau, les maquereaux dans la sardine, les sardines dans la mélette...
- Et oui, l’éternel recommencement... Enfin, faut le dire vite ! En attendant, on va faire bol ! J’ai calé une maille, j’ai encerclé, on la voyait sauter, dis... On a eu 7,5 tonnes de sardines, et attends, il devait y en avoir le double sinon 20 tonnes mais j’ai levé les plombs pour ne pas crever le filet. Écoute, c’est pas compliqué, à 9 heures le soir, avec le mareyeur, on était encore à charger le camion. Aqui tabe, can sei annat per l’argent, là encore, quand je suis allé encaisser, il m’en a donné 2F 50 du kilo !


- Aujourd’hui, j’ai vu le maquereau à 6,90 euros.
- C’est qu’on mange plus du poisson comme avant, c’est devenu du luxe alors qu’avant les pauvres pouvaient se le payer et je te dis pas par chez nous, tout frais pêché...
- Et oui, quand l’appariteur annonçait Saborit sur la place avec lou bairat (le maquereau) de Las Cabanos !
- Tè, on avait beau dire que la viande était idéale pour les travailleurs de force, seuls les riches en mangeaient souvent... Tiens, tu parles de Fleury... Tu sais que j’étais bien avec Soldeville justement, le boucher... Ero un cassaire, c’était un chasseur et moi aussi j’ai eu chassé quand j’étais jeune aux Cabanes et quand je tuais le lièvre, Isidore, s’appelabo : «Isidore, on fait échange standard...

         - Qu’est-ce que tu me proposes ?
        - Et bé, voilà, je te propose (j’étais maquignon aussi...)... le lièvre il fait 4 kilos contre autant de bidoche !
        - Ça marche qu’il répond le boucher ! Garde-moi les ! Tout ce que tu peux tuer, je prends !
Ma mère était contente « tu as fait une bonne affaire » qu’elle m’a dit... Eh, faut se débrouiller ! Lui, je pouvais y compter. Une fois j’en ai eu trois de lièvres (3) ! Il venait, Isidore, aux Cabanes, il tournait même dans les campagnes...
Il avait une fille, qu’il la couvait comme la prunelle de ses yeux...

(1) littéralement : pressé, serré au point de pourrir comme le fruit du panier qui gâte les autres.
(2) « Meleto, s. f., nom de divers petits poissons de mer qui ont une bande argentée sur les côtés ; argentine, joel athérine.../... PROV. « Per prene un toun, asardo uno meleto. »  Mistral / Trésor du Félibrige.
« melet » peis = sardinelle / « meleta » peis = sprat Dictionnaire occitan-français Arve Cassignac. 
(3) en occitan, "lèbre, lèbro" est du genre féminin. 

Photos autorisées 1. Banc de sardines (wikipédia). 
2. Publicité dessin de Benjamin Rabier. 
3. Le lièvre de la Fontaine toujours de B. Rabier. (si quelqu'un le demande, pour le prix d'un, j'ajoute celui qui est avec la perdrix, plus conforme aux lièvres d'Yves !)

dimanche 27 septembre 2015

Yves, pêcheur du Golfe : LES COUPS DE TRAÎNE. (XI) / Fleury, Golfe du Lion


Quand on faisait des coups de traîne à 10, 12 mailles, j’ai eu porté 2-300 kilos de rougets quand même ! Y avait de tout, des demoiselles, des maquereaux, ils faisaient des sous et moi j’étais payé avec un lance-pierre, je débutais... Pendant une paire d’années, j’étais pas payé : il fallait apprendre, on était matelots et ils en profitaient. 

La vente du poisson : une fois j’ai fait un gros coup, té, en face de chez toi, à droite du poste... Eh bé, c’était pour la fête de Sète, oui pour la Saint-Louis ; là j’avais que des copains : on fait un bol on en a eu une quinzaine, 20 kilos, des loups, et des beaux, de belles portions de 2-3 kilos. 




On remet le filet dans la barque. Un me dit « On pourrait faire un bol de l’autre côté, Marc y est allé, y a un trou, il pourrait y avoir quelques loups ! ». Allons-y, c’était tout près, on calait à 300 mètres. On va, on cale, je te dis pas : 350 kilos de loups et des pièces de 3-4 kilos !


- Qu’est-ce qu’ils peuvent manger si regroupés ?
- J’en sais rien, c’était dix, douze ans avant que j’achève, alors entre 1980 et 1982. E aro, per vendre aco ? ( Et maintenant, pour vendre ça ?) Je me débrouillais, j’avais des ramifications, je servais des restos à Port-Vendres et personne n’en voulait ! Jusqu’à Monaco, Nice, Marseille ! Couchanlegi est venu le chercher : y en avait 320 kilos sans compter ce que les copains ont pris... Quand y’a du poisson, faut pas faire le radin.
Je suis allé encaisser trois jours après, j’en ai eu péniblement 12 euros... pardon c’était en francs ! Que dalle quoi ! Ils sont durs en affaires et c’est pire chez nous... A cette époque le loup se vendait  entre 25 et 30 Francs parce que, à Sète, dans l’Hérault le poisson s’est toujours mieux vendu que dans l’Aude, toujours beaucoup plus payé qu’à La Nouvelle ! Au lieu de 8-10 ici, là bas, 12- 15... L’océan vient le chercher, la Côte-d’Azur qui arrive, les "Italianos". - Et dans les PO ?     
- C’est pareil que dans l’Aude, les mêmes types et maintenant à La Nouvelle, n’en parlons pas, c’est géré par les copains des copains de la chambre de commerce... Attendi, il y a quelques temps, une paire d’années, le jeune avait pêché une dorade de 4-5 kilos, ils n’ont pas pu la vendre mais ils ne l’ont pas retrouvée la dorade... elle avait fait des petits... ça n’avait pas traîné ! 



Photos autorisées : 
1. avec un rouget grondin /commons wikimedia, auteur Calcineur.  
2. loup wikipedia 
3. loup pêché à Marsillargues / iha.fr 
4. Dorade wikipedia

jeudi 24 septembre 2015

Yves pêcheur du golfe / LES TORTUES (X) / Languedoc, Golfe du Lion.

HÔTES RARES ET ÉTONNANTS : LES TORTUES... 
(Le pêcheur du Golfe Xème tableau) 
Le 14 juillet 1949, Yves le pêcheur a directement participé à la prise d’une tortue “avec des dents énormes”, en face de Port-La-Nouvelle. Il ne faut pas s’étonner si des animaux pouvant atteindre 900 kilos ont été décrits périodiquement comme monstrueux (1). Et Yves n’exagère pas plus que Wikipédia :  “... Sur le bec supérieur, on peut observer une pointe médiane très marquée entourée de deux grandes encoches. L'intérieur de la bouche est occupé par une multitude de cônes, utilisés aussi bien pour l'oxygénation que l'alimentation... /... 
... Les tortues n'ayant pas de dents et les méduses étant difficiles à déchiqueter, les scientifiques se sont demandé comment les tortues luth pouvaient s'alimenter avec ces animaux. On a découvert que l'œsophage de la tortue luth, tapissé d'épines, avait pour fonction le dépeçage des proies...”

En un peu plus de quatre siècles, sur les côtes françaises de la Méditerranée, Corse comprise, seules 30 captures ou observations de tortues luth ont laissé une trace. La moitié provient du Golfe du Lion formé surtout de plages sableuses. Le tiers de ces comptes-rendus concerne la portion de côte entre Sète et Palavas-les-Flots. On ne peut rien en déduire, le premier témoignage sur sa présence daterait-il de 1588 ! Est-ce que ce sont des tortues luth traversant l’Atlantique et passant le seuil de Gibraltar ? Sont-elles issues de pontes en Méditerranée, seraient-elles rarissimes ?  
http://www.seaturtle.org/pdf/ocr/OliverG_1986_VieMilieu.pdf
D’après Wikipédia “... De nombreux lieux de ponte autrefois fréquentés par les tortues luth ne le sont presque plus ou plus du tout, comme la Sicile, la Turquie, la Libye ou Israël...”
Il n’empêche que la fréquentation de nos côtes est confirmée :
“... En France, plusieurs espèces de tortues marines peuvent être observées. D'observation très rare en mer, elles sont pourtant observées mortes dans les filets de pêche (Tortue luth plus particulièrement) ou occasionnellement échouées sur nos côtes...”
http://batrachos.free.fr/tortuesaq.htm


Pour la période dont a témoigné Yves (voir les épisodes sur “le pêcheur du Golfe”), les cinq pages de la communication de Guy Oliver font état,  de trois captures :
* Le 17 août 1949, un mâle de 2 mètres et 350 kilos a été pris par la barque “Idéal", appartenant à M. L. Molle, à 6 milles au large de Maguelonne (Hérault) (Harant, 1949). 
* le 9 septembre 1950, une femelle de 2.01 m. et de 350 à 400 kilos a été prise dans les filets à thons de M. Étienne Rossie, au large de La Nouvelle (Aude) (Petit, 1951). 
* Le 21 août 1955, un mâle de 2.14 m. pour environ 300 kilos a été pris encore au large de La Nouvelle (Harant 1956).
 http://www.seaturtle.org/pdf/ocr/OliverG_1986_VieMilieu.pdf

En 1951, le professeur Petit précisait, à propos de la prise d’une tortue luth à La Nouvelle :  : “ en raison de la rareté (...) toute capture avec au minimum l’indication de date, des dimensions de l’animal et du sexe, mérite d’être signalée."  (PETIT G. 1951. Capture d’une tortue luth à La Nouvelle (Aude) Vie Milieu 2 / 154- 155).
La tortue luth est protégée par des conventions internationales, et en France, depuis 1991... En France, justement, la portée de cette protection est malheureusement affaiblie au prétexte que les données sont insuffisantes... Comme s’il ne suffisait pas de convenir que cette alliée contre les méduses contribue au maintien des poissons, en tant que ressource planétaire ! Ah la logique française confinant à la bêtise ! Agaçant, non ?     

(1) le fond des histoires de régalec, ce roi des harengs parfois assimilé au serpent de mer, ou de calmar géant, liées aux soirées arrosées des marins en escale (aussi pour dissuader les concurrents de cingler vers les mêmes destinations), correspond bien à une réalité (voir aussi Jules Verne). 




photos autorisées sous wikipédia & wikimédia commons dont :
2. régalec par Wm Leo Smith. 
3. calmar colossal copyright Citron

jeudi 17 septembre 2015

SALUT POILU, C‘EST ENCORE MOI... / Pézenas, Languedoc, France

“Qu’importe si tu rechignes à remonter ton cours, les flots, un jour, t’emporteront.” 

Sur le web, chacun grappille ce qu’il veut bien cueillir ou transplanter à son profit. Une lapalissade, d”un genre qui affleure la conscience des hommes au point de ne plus savoir laquelle des deux vient effleurer l’autre, arrive ainsi et résonne non sans raisons...
 
Celle-ci est venue flotter avec le bois peut-être charrié par la Peyne, lorsqu’un épisode pas toujours cévenol (je préfère dire “aigat") marque une fin d’été déjà teintée d’automne (https://www.youtube.com/watch?v=AezveVDQA2g attention la vidéo date d’un an). Quoi qu’il en soit, c’est la Lergue qui vient de faire les unes des eaux en furie. En attendant, ma jolie rivière piscénoise s’est invitée chez moi et j’ai pu lui exprimer le plaisir que j’ai eu, à la revoir au mois d’août  : “Je n’ai pas trop changé, qu’elle m’a fait ? ” 

Cela vous étonne qu’on puisse parler à sa rivière, sans être cabourd ou caluc (1) ? Ce n’est pas plus déplacé que de s’adresser à son dieu pour un déiste ou à sa vigne pour un vigneron. J’ai échangé quelques mots aussi, avec le Poilu, vous savez, celui du jardin public, en haut du cours Jean Jaurès, au niveau de la route de Roujan... C’était fin avril, (http://dedieujeanfrancois.blogspot.co/2015_04_01_archive.html), je lui avais promis de revenir, pour des photos, manière d’arranger la pauvre impression du cliché étique d'alors. 

 
Et puis, avant l’alerte aux fortes pluies, un post des amis de Pézenas, justement, ou de la ville, ou encore de l’Office du Tourisme, m’a fait l’effet du réveil qui sonne. Entre parenthèses, cette communication s’est envolée, comme fait exprès, malgré mes recherches sur le monument aux morts (face de bouc, je t’en veux !).
C’est que la dépêche semblait vouloir lui donner la parole, à notre Poilu sur sa canne ! La dénomination d’abord, “Square du Poilu”, marquant plus de proximité, de sentiment qu’un habituel “Monument aux Morts". 
Les autres morts, puisque vous le demandez, ceux de 40-45, d’Indochine, d’Algérie, loin de s’en formaliser, ne sont pas mécontents, au contraire, d’avoir ceux de 14 comme porte-parole.
 
Le square du Poilu me plaît vraiment ! Au point de le trouver carrément “épatant”... J’exagère ? Vous trouvez ?
(à suivre)

(1) “fada” en Provence... 

photos 1 & 2 La Peyne depuis le pont désaffecté du chemin de fer. 
3 & 4 Le poilu de Pézenas. 

samedi 12 septembre 2015

UNE LUTTE ÉPIQUE DES PÊCHEURS DU GOLFE (IX) / Fleury d'Aude en Languedoc

« ... Figure-toi que le 14 juillet 1949, c’est facile à retenir, nous avions quelque chose de lourd, de costaud dans le filet, une masse sombre... Ce ne pouvait être qu’une épave, une périssoire entre deux eaux... Oh ! mais quand on a vu qu’elle se laissait pas faire, la forme mastoc, on s’est demandé ce que ça pouvait être...
Tu peux me croire, d’ailleurs, si je me souviens, Bouscarle a pris la photo... demande à Francis, il doit l’avoir...C’était une tortue noire, mais noire ! Nous étions trois bateaux dont le Troukebek (me souveni pas coumo s’escris), celui de Francis, et neuf hommes en tout ; j’ai plongé pour passer les cordes. Ça a bien bataillé trois heures, par le plus petit bout, pour s’approcher de la jetée de La Nouvelle. Oh ! mais quand elle a vu le bord, elle s’est agitée ; alors on y est monté dessus, à deux... Adieu ! elle nous a envoyés en l’air comme si de rien n’était : on faisait pourtant 80 kilos chacun ! C’est qu’elle avait des dents énormes ! et quatre en plus ! Je ne te dis pas ! 
   Un a dit “Il faut la vendre !” Justement, un forain proposait de la prendre pour l’exposer. Y avait une foule, peut-être des milliers de personnes ! On voulait la tirer vers une rampe de mise à l’eau... Oh ! cinq ou six coups de nageoire et les 60 qui tenaient la corde se sont retrouvés dans le canal !  Enfin, mètre après mètre, on est arrivé à la monter sur le plan incliné. C’était déjà 6 heures du soir et depuis 3 heures, une camionnette était arrivée de l’aquarium de Banyuls... Quelqu’un avait dû téléphoner... Tu aurais vu comme elle a explosé le plateau de la 402 !
Ils l’ont mise dans un bassin, paraît-il... Combien de temps elle a tenu ? C’est qu’il lui fallait 30 à 40 kilos de sardines par jour ! puis la carapace s’est retrouvée à l’entrée de l’aquarium, elle y est peut-être encore... Et nous, on se l’est donnée depuis le matin pour un croustet en guise de repas, c’est tout ce qu’on avait gané !
- Quel dommage, réagis-je en imaginant leurs mines déconfites devant les sandwiches, si j’avais su... nous y étions justement, dans l’embouteillage de Banyuls, il y a quelques jours à peine, de retour d’Espagne par la Côte Vermeille... » 


Nada, à ce jour, de la part de l’aquarium sur la tortue géante : pas un mot, pas une photo de l’entrée, pas le moindre indice !
Il s’agit vraisemblablement d’une variété marine très grosse (les mâles peuvent atteindre 900 kilos !), comme tend à le confirmer, en dépit des silences de Banyuls, ma recherche opiniâtre... en rien comparable, néanmoins, avec la lutte épique des pêcheurs du Golfe avec un chélonien à la bouche dotée, qui plus est, de crochets monstrueux  !  (1) (à suivre)

(1) « T'es sûr, Yves, que tu replonges passer les cordes, maintenant que tu as  vu ce qu'elle avait derrière le gargaillou ? » (pour vous rendre compte l'adresse d'un cliché non libre de droits : https://www.google.fr/search?site=imghp&tbm=isch&source=hp&biw=1366&bih=631&q=tortue+luth&oq=tortue+luth&gs_l=img.3..0l10.4947.7901.0.9075.11.11.0.0.0.0.293.1738.2-7.7.0....0...1.1.64.img..4.7.1736.OHoXaxihl4w#tbm=isch&q=tortue+luth+dents 
et pour voir les autres  :
https://www.google.fr/search?site=imghp&tbm=isch&source=hp&biw=1366&bih=631&q=tortue+luth&oq=tortue+luth&gs_l=img.3..0l10.4947.7901.0.9075.11.11.0.0.0.0.293.1738.2-7.7.0....0...1.1.64.img..4.7.1736.OHoXaxihl4w#q=tortue+luth+dents&tbm=isch&tbas=0
 
photos autorisées : 1. cheloniaphilie / http://www.image-gratuite.com/ 2. flickr.com

samedi 29 août 2015

CAMINANTE / Fleury d'Aude en Languedoc

Heureux les gitanes et autres romanichels qui vont sans but sinon celui de suivre la route car pour eux, seul le chemin compte. J'y repensais en lisant une note de Max, le copain "de Mayotte" et plutôt du Tarn (il s'est mis à "poster" beaucoup depuis la Nouvelle où il vient l’été) ; à propos d'Albert Camus qui l'intéresse beaucoup actuellement, il a cité « En vérité, le chemin importe peu, la volonté d'arriver suffit à tout ». Ce thème du chemin, dans toutes les acceptions du terme, inspire décidément beaucoup. Et puis je ne sais si c’est parce que la télé a eu la bonne idée d’honorer Joe Dassin, le chanteur populaire de nos vingt ans, dont le chemin s’est malheureusement arrêté, le vingt août 1980 que les paroles du Portugais me reviennent. Pardon de les détourner un peu :

    « Qu’il faut en faire des voyages
    Qu’il faut en faire du chemin,
    Ce n’est plus dans son village
    Que la vie le retient.
    Loin de sa mer, des sénils,
    A deux mille lieues vers le sud,
    Sous les étoiles de son île,
    Un émigré s’endort... /...
    Il ne t’entend pas,
    Il est sur le chemin
    Qui mène dans les vignes...  » 



    Bon, il y a aussi « Qu’il est long qu’il est loin, ton chemin papa, c’est vraiment fatigant d’aller où tu vas... » et encore 
«... C'était un homme en déroute,
    c’était un frère sans doute ...
   
 /... et sur les routes de l'exil...
   
 /... Il me reste toute la terre
    Mais je n’en demandais pas tant
    Quand j’ai passé la frontière
    Il n’y avait rien devant
    J’allais d’escale en escale
    Loin de ma terre natale...  » (2)

    La terre natale, c’est sacré ! Pour un Languedocien, apprendré à son drolle ço qu’es uno biso, un bartas (3), c’est l’enraciner à ses aïeux, à sa langue, au pays... Et ça il ne faut pas y toucher ! C’est vital, profond, si loin du consumérisme superficiel servi par la télé jacobine, dans un registre “vacancez cool...” infantilisant, faisant par exemple se rengorger un nanti sur la “Côôôte”, prêt à payer plusieurs centaines d’euros la nuit, mais avec la vue sur les criques, autre chose pour lui que la monotonie des sables infinis. C’est si terre à terre que je crains d’en ternir mon propos en invoquant du Bellay :
    « Plus mon petit Saint-Pierre que ton chic tropézien... Lou podes gardar, ton périmètre de snobs étriqués, je préfère embrasser le Golfe du Lion, avec le Caroux et l’Espinouse derrière, les Corbières et le fier Canigou devant, du Mt-St-Clair au Cabo de Creus dans le vague, sur plus de 170 kilomètres, marqués par Valery, Brassens, Monfreid, Machado, Trénet, Maillol... ! »
    A chacun la monotonie qu’il veut voir... 

                                                    Saint-Pierre-la-Mer et les Pyrénées au loin...

    Et dire que nous l’avons suivie, cette route de la Côte Vermeille... Sûr que Cerbère, Banyuls, Port-Vendres, dans leurs baies respectives rivalisent et concourent pour ajouter au charme des Pyrénées plongeant dans la mer  Si les enfants ont apprécié la baignade sur la plage port-vendraise des Tamarins, moi j’ai tenu à m’arrêter avant, en haut du coll dels Belitres (1) parce que nous y sommes allés avec papé et mamé de Tchéco. En dépit de la frontière interdite, un sentier de trabucaires (prononcez svp dans une langue du Sud !), indiqué par un douanier complice, nous avait menés à une auberge. En souvenir, à moins d’y prendre un repas catalan, on ne trouvait alors, que des castagnettes, l’andalouse cambrée d’un éventail, des allumettes en cire, des “bolas de anis” et surtout, on pouvait voir, tout en bas, dans le creux, Port-Bou, coin du voile levé sur les mystères de l’Espagne franquiste du début des années 60... La petite auberge est devenue habitation et le sommet du col où attendait la guardia civil dévoile désormais, en plus de leur fortin et de la colonne phalangiste, un mémorial de la “Retirada”de 1939, l’exode en masse des Républicains espagnols vaincus. 

                                             Espace de mémoire du col des Belîtres / Photo Bernard Grondin.
 
Antonio Machado, le grand poète espagnol, était un de ces fugitifs. Il devait finir ses jours, peu après et non loin, à Collioure, trois jours avant sa vieille mère. Un destin tragique, encore une histoire de chemin :

    « Caminante, son tus huellas (Voyageur, ce sont tes traces)
    el camino y nada más ; (le chemin et rien d'autre ;)
    caminante, no hay camino, (toi qui marches, il n'y a pas de chemin,)
    se hace camino al andar. (le chemin se fait en marchant.)
    Al andar se hace camino (Le chemin se fait en marchant)
    y al volver la vista atrás (et en regardant en arrière)
    se ve la senda que nunca (on voit le sentier qui jamais)
    se ha de volver a pisar. (ne se laissera fouler à nouveau.) 

                                                  Antonio Machado por Leandro Oroz 1925

Voilà où j’en étais, du moins en parcourant notre route de la Clape, face au soleil couchant, dans cette lumière unique d’une fin août, quand le cœur tourne le dos aux embruns iodés pour chercher l’odeur du moût dans les comportes. Sinon, c’était comme sur le chemin de Vinassan où nous partions fêter la famille et l’été. A Combe-levrière, les derniers rayons rasaient la pinède mais après la longue côte des pins de Gibert (la génération d'avant disait “Tarailhan"), nous l’avions retrouvé dans une clarté aussi douce que dorée, sur la mer de vignes de l’ancien étang...
    Je devais vous parler du train, de l’avion, du stress, des tensions, de l’angoisse... il fallait pourtant que je dise d’abord le regret de perdre la bruine salée des vagues sans gagner pour autant le jus sucré des raisins...
    Une, encore, qui a chanté le chemin de l’exil dans les îles, Césaria Evora : 

                                Cesaria Evora / photo Silvio Tanaka / flickr
   
 « Quem mostra' bo (Qui t’a montré)
    Ess caminho longe ? (Ce long chemin)
    Quem mostra' bo (Qui t’a montré)
    Ess caminho longe ? (Ce long chemin)
    Ess caminho (Ce chemin)
    Pa São Tomé ? (Pour São Tomé ?)

    Sodade sodade (saudade, saudade)
    Sodade (saudade)
    Dess nha terra Sao Nicolau (De ma terre de São Nicolau) »

    Laissez-moi à cette saudade, à cette nostalgie, déclinées dans nos langues romanes (4). Ce mal du pays, qui se conjugue avec la mélancolie du temps qui passe, meurtrit mais forme l’âme et la renforce aussi...
    « Pour autant que vaille un homme, il n’aura jamais de plus haute valeur que celle d'être un homme. » (Antonio Machado).

(1) le même sens que belître en français : coquin, pendard, gueux, homme de rien...
(2) «Yo soy un hombre sincero, de donde crece la palma (Je suis un homme sincère de l’endroit où le palmier croît),
y antes de morir me quiero echar mis versos del alma. (et avant de mourir je veux envoyer les vers de mon âme)
Mi verso es de verde claro, y de un carmen encendido (Mon poème est d’un vert clair et d’un carmin enflammé).
Mi verso es un ciervo herido que busca en el monte amparo (Mon poème est un cerf blessé qui cherche refuge dans la montagne). Por los pobres de la tierra, quiero yo mi suerte echar (Je veux que mon destin serve les pauvres de la terre),
y el arroyo de la sierra, me complace mas que el mar ( et plus me plaît le ruisseau de la sierra que la mer).»
Quelle émotion, en castillan si bien rendu par Joe Dassin (1966). Avant de faire l’objet d’une chanson cubaine (1928), l’air de Guantanamera est parti d’Andalousie, vers 1700.
(3) traduit par “apprendre à son gamin ce qu’est un sarment, un buisson (une garrouille ?)", évocation du beau poème de Jean Camp (de Salles-d’Aude) Lou Doublidaïre (avec cette orthographe et la même prononciation que pour ”trabucaire”).
(4) Alliées au français, le castillan, l’occitan, le portugais sans oublier de citer l’italien pour l’interprétation de Guantanamera par Caramel ou son adaptation par Zucchero...