lundi 19 octobre 2015

DE PASSAGE A FLEURY, AFFRE LE TENOR / Fleury d'Aude, Languedoc

    Au café Billès, ils sont une petite troupe dont mon grand-père, ses copains : Félix Pujol, Zéphyrin, Henri Coural sûrement. Ils se pressent autour du gramophone. Attentifs à l’aiguille en suspens au-dessus du disque, ils espèrent déjà le ut, le ut dièse sinon le contre ut que le ténor va faire monter de son organe. Le sillon grésille avant que le speaker n’annonce « Roméo et Juliette, cavatine, chanté par Affre de l’opéra ». Le recueillement est à son comble quand retentit le carillon de porte. « Chut, s’il vous plaît ! » intiment-ils presque en chœur à l’importun qui n’a plus qu’à refermer derrière lui, précautionneusement.


    « Ah ! lève toi ! lève toi ! Parais ! Parais !.. » nasille le pavillon. Le nouveau venu s’approche, discret. Mais voilà-t’y pas qu’il se permet d’intervenir, de gâcher le moment ! Les mines teigneuses vont l’agonir de reproches quand il achève de les sidérer :
    « Plutôt que d’écouter ma voix sortie du fond des âges, je vais vous le chanter Roméo ! » annonce le nouveau venu en grimpant lestement sur une table ! Il a le sens du théâtre ! Ils se regardent, stupéfiés ! Et quand il entonne «Ah ! lève-toi soleil, fais pâlir les étoiles...» ils en restent babas !
    On s’en voudrait même qu’il ne déchire sa gorge, pour eux, spécialement, a cappella et en toute simplicité. Heureusement il a de la ressource, Affre ! Et quel coffre !
    Mais comment auraient-ils pu reconnaître le ténor de Saint-Chinian en cet homme petit et fort ? Et la barbiche et la moustache à la Van Dick restent indémodables encore vers 1920 ! Et puis qu’est-ce qui a bien pu amener Affre à Fleury, ce jour-là ? 



    Auguste Affre dit Gustarello (les documents liés à l’opéra disent “Agustarello”) est né le 21 octobre 1858 à Saint-Chinian dans l’Hérault chez un père fileur. Menuisier mais aimant la musique et doté d’une belle voix, il s’inscrit à l’orphéon du village.
    A 25 ans, il est remarqué lors d’un concours à Narbonne. Monsieur Rabaud (Hippolyte-François ?), violoncelle à l'Opéra, professeur au Conservatoire, et Marcelin Coural, maire de Narbonne (1), le poussent à rejoindre le Conservatoire de Toulouse. Auguste y étudiera de 1885 à 1887 avant d’intégrer le Conservatoire de Paris et d’être engagé à l’Opéra en 1890.
    Sa polyvalence en fit une valeur sûre du répertoire : aussi bien Eléazar que le prince Léopold dans La Juive, Ascanio dans le titre éponyme de Saint-Saëns, le Duc de Rigoletto, Fernand dans La Favorite, Roméo et aussi le modeste Tybald dans Roméo et Juliette, Laërte d'Hamlet, Don Gomès de Henry VIII, Lohengrin. Il chanta aussi Jonas du Prophète et le grand-prêtre Shahabarim, de Salammbô. 
     A Lyon, il créa Paillasse de Leoncavallo et l'Attaque du moulin d'Alfred Bruneau.
    Revenu à Paris, il fut Radamès en 1895 (Aïda), Faust un an plus tard, Raoul des Huguenots (1897), Samson (1898), Arnold de Guillaume Tell (1899), Vasco de l’Africaine en 1902...
    Sa voix souple et sonore permit de reprendre des oeuvres difficiles :  la Statue d'Ernest Reyer (Sélim) et l'Enlèvement au sérail (Belmont) en 1903, Armide (Renaud) en 1905.

    Peu de renseignements concernant sa vie privée. On sait seulement qu’il s’est marié le 5 mai 1881 avec la fille de son patron menuisier. La page qui en fait mention
http://www.appl-lachaise.net/appl/article.php3?id_article=2623
ne manque pas d’humour : “...ce fut un mariage d’amour, qui dura 18 ans, mais 18 ans seulement car Affre divorça le 19 mai 1899...”.
    Le site nous apprend aussi qu’Auguste Affre vendit sa villa à Cabourg pour se retirer sur la Côte-d’Azur. Il mourut à Cagnes-sur-Mer le 27 décembre 1931 à l’âge de 73 ans après avoir chanté Le Credo et Minuit Chrétien pour Noël.
    Il repose au Père-Lachaise. Un buste et un hommage de Saint-Chinian honorent sa mémoire. 

    Souvent, la vie des gens célèbres se caractérise par cette distance qu’ils prennent avec leur terre natale. Affre s’exila, comme plus tard Trénet tandis que Léon Escalaïs choisissait de revenir dans son village natal. Nous reparlerons de lui une fois prochaine.

(1) Charles Trénet soutient qu’un Affre de l’Opéra, ouvrier de son grand-père, chantait la Marseillaise dans la tonnellerie. Il doit mal interpréter des souvenirs qui lui ont ét racontés car, si Affre a été menuisier à Narbonne, la tonnellerie de son grand-père ne date que de 1914. A cette époque, le ténor de 56 ans, retraité de l’Opéra où il était entré en 1890, a peut-être rejoint le domaine viticole acquis dans le Narbonnais. Les sources ne le citent plus après ses rôles dans la Gloire de Corneille (Polyeucte) de Camille Saint-Saëns, le 6 juin 1906 puis dans La Thamara (Nour-Eddin), de  Louis Bourgault-Ducoudray, en 1907 (livret de Louis Gallet). En 1908, Affre quitte l’Opéra mais chantera encore en province, à la Nouvelle-Orléans et à La Havane.
    Notons que Charles Trénet a lui-même vécu quatre ans à Saint-Chinian (1919 -1923), entre sa sixième et sa dixième année quand son père y était notaire. 

Voir aussi http://www.artlyriquefr.fr/personnages/Affre%20Agustarello.html (extraits numérisés)
D’autres extraits d’époque sur disque sont disponibles sur youtube notamment.



photo du café Billès aujourd'hui disparu / livre "De Pérignan à Fleury" 2009.
pour le portrait d'Auguste Affre, voir les sites conseillés (pas une photo libre de droits). 
Vue générale de Saint-Chinian / auteur Guillaume "Frozman" Calas / commons wikimedia. 
Les Allées de Saint-Chinian / Auteur "Moi, propriétaire du copyright et qui le mets dans le domaine public..." / commons wikimedia. 

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