mardi 29 octobre 2024

PROVENCE DU RHÔNE (10) le “ fait libre ” (3)

Avec Vedène, petite ville rappelant, certainement à dessein, faut demander à Daudet, ce coquin de Tistet Védène, tourmenteur de la brave mule du pape, la défense du provençal, de l'occitan, atteint une portée fétide, ne serait-ce que d'un point de vue personnel ; la primauté initiale donnée au fondamentalisme religieux dans la défense de la langue va pousser Marius Jouveau (1878-1949), capoulié du Félibrige, à promouvoir auprès de Pétain une pédagogie “ fédéraliste ” au sein de la révolution nationale... Une seule circonstance atténuante pour ce courant réactionnaire concernant ceux qui ont survécu dans leur chair à l'horreur de la “ Grande Guerre ”... Jouveau a réchappé à cinq années de mobilisation (1915-1919). 
L'engagement culturel de Robert Allan (1927-1998), poète d'expression occitane, se démarque de cette vieille France... rance.  

Velleron. Une mention pour Jean Frisano (1927-1987) créateur de milliers de couvertures (Tarzan, westerns...). 

Vue_aérienne_2_JP_Campomar 2004 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International license Author OT Avignon

En Avignon, à l'image du Rhône et de la Durance, confluent bien des courants culturels voire traditionnels. De la grande musique contemporaine à la chanson, Olivier Messiaen (1908-1992), Fernand Sardou (1910-1976) Mireille Mathieu (1946-), aux écrivains Henri Bosco (1888-1976), Pierre Boulle (1912-1994) non sans citer des “ électrons ” plus divers tels Jules-François Pernod (1827-1916) à ne pas confondre bien qu'également dans l'absinthe, avec les Pernod de Pontarlier ; sinon, en politique, Bernard Kouchner (1939-). 
Or, pour avoir couché sur le papier une comparaison osée sur la Voie Lactée et ses planètes deux à quatre fois moins nombreuses que ses soleils, la ville d'Avignon fait tourner autour du Félibrige une génération spontanée de poètes satellisés, de Félibres défenseurs d'une vieille langue antérieure au français, l'occitan dans sa déclinaison provençale. 

Né en Avignon, Paul Giéra (1816-1861), notaire poète, se trouve à l'origine, avec Joseph Roumanille (1818 St-Rémy-1851) et Théodore Aubanel (1829 Avignon-1886) d'un mouvement fortement appuyé sur un catholicisme de rigueur. Un conservatisme certain marque donc le Félibrige (Aubanel en paya le prix fort) : concernant la date de la fondation, plutôt que de mettre en avant le 21 mai 1854, c'est Estelle, la sainte du jour, qui est retenue.  

La Copa Santa Louis Guillaume Fulconis, la Copa santa, copa d'argent que Balaguer oferiguèt à Mistral 2011 under the Creative Commons CC0 1.0 Universal Public Domain Dedication Author Capsot

Sainte, sainte, sainte : en fait, ce mot seul interroge et stigmatise cet attrait, cette dévotion soumise à la religion, à l'Église, un mot qui vient pratiquement parasiter les circonstances qui ont vu nos félibres offrir l'hospitalité au poète catalan Victor Balaguer, exilé par la reine Isabelle II pour motif politique. Touché par le geste, Balaguer va offrir une coupe en argent aux Provençaux ; mis au courant avant le banquet, Frédéric Mistral (1830 Maillane-1914) compose la Cansoun de la Coupo qui répondra avec brio au discours passionné de Balaguer. Mistral, fédéraliste, est avant tout solidaire du poète catalan... Ils vont se la passer, cette coupe, emplie du vin de Mathieu, le compagnon de Châteauneuf-du-Pape, en chantant... De là à conforter dans les esprits que cette coupe est sainte... La chanson n'a rien de bigot mais se retrouve corsetée par tout un protocole. Les félibres conviennent qu'il faut être debout pour certains couplets, assis pour d'autres, que les applaudissements sont bannis, bref des conventions d'ancien régime afin d'affermir un pouvoir, un ordre social aussi guindés que séculaires... Néanmoins, reprise dans les tranchées de 14-18, la chanson est considérée par certains en tant qu'hymne occitan. 

En dehors du fait que les circonstances ont rapproché un temps la Provence et la Catalogne, entre les terriens conservateurs du Midi et le prolétariat ouvrier catalan, l'anarchisme même début XXe, le clivage est certain : hors le fédéralisme, l'alliance ne pouvait être que culturelle entre langues sœurs. Est-ce cette dichotomie qui a finalement profité au chant plus fédérateur Se Canto, attribué à Gaston Fébus (XIVe s.), composé alors que la langue en deçà et au-delà des Pyrénées était la même ? (à suivre)    

samedi 26 octobre 2024

PROVENCE du RHÔNE (9) Pour solde de tous contes (2)...

Old_vines_in winter_in_Châteauneuf-du-Pape 2014 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International license. Author Treephoto

Châteauneuf-du-Pape. Début des années 60 ; suite au pique-nique au Pont-du-Gard, endimanchés parce qu'un match du Championnat de France nous a assigné un club du Comité des Alpes (comme souvent pour les premières rencontres éliminatoires), avec de la marge avant le coup d'envoi, c'est l'occasion, en passant, d'aller saluer un cousin de loin, vigneron aussi au milieu d'un plateau incroyable de galets roulés. Seulement en passant. Rien alors sinon la mention « du-Pape », récente relativement puisque rien qu'à penser à l'histoire de la mule datant alors de plus d'un demi-millénaire ; rien sur des racines aussi profondes que celles des ceps sur un matelas de caillasses bouléguées. Et pourtant, Anselme Mathieu né en 1828 à Châteauneuf-Carcenier, décédé en 1895 dans le même village devenu Châteauneuf-du-Pape, motivé par la langue, la poésie, sut mettre en bouteilles son vin jusque-là vendu en fûts (mais peut-être plus pour être arrangé, en Bourgogne. Mathieu, vigneron-poète, appartient au groupe des Félibres, promoteurs, sous l'impulsion de Frédéric Mistral, du renouveau de la langue occitane : toujours quelques rimes sur les étiquettes de ce « Vin di Felibre ». C'est donc à partir d'ici que, toujours depuis notre voie lactée, nous croisons, semblant la plus éloignée de la galaxie, la première planète d'un système d'une voie plus vaste, le Félibrige. Plus sur le plancher des Hommes, cette fois-là, transition entre notre garrigue sèche et ce Midi du Rhône, saluant du même côté, de beaux ensembles de narcisses non loin des poteaux de rugby...  

Narcissus 2012 under the Creative Commons Attribution-ShareAlike 2.0 license. Author Kenneth Allen


Robert_Sabatier 2006 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 2.0 France license. Author Oscar J. Marianez

Le village de Saint-Didier, à six kilomètres au sud-est de Carpentras, a longuement accueilli un autre auteur attachant, au portrait (je parle d'apparence, de photos) avant 2010 si proche de celui de Gallo, Robert Sabatier (1923-2012), Parisien pur jus mais avec toujours un accent du Sud, celui de Saugues (Haute-Loire) où il passait ses vacances auprès du grand-père Auguste, maréchal-ferrant ; dans les huit volumes du Roman d'Olivier (1), le troisième, Les Noisettes Sauvages (1974), parle de Saugues, du pépé, de la mémé, de l'oncle Victor, d'une communauté de petites gens à la campagne laissés pour compte dans la marche du monde... Une Provence rhodanienne (mais on peut en penser autant, bien qu'en plus dispersé, de tout un Sud désirable), plébiscitée par nombre d'artistes, de comédiens, de chanteurs... d'écrivains revenus, sinon venus d'autres horizons. 

Portrait_de_Picasso,_1908 Domaine public source Photo (C) RMN-Grand Palais Auteur anonyme


Un paragraphe de Sorgues nous parle d'un peintre au génie toujours prégnant, Pablo Picasso (1881-1973) ; en 1912, il y réside avec Eva Gouel (1885-1915, cancer). Sur un mur de la ville, il lui dédie « Ma Jolie », un tableau cubiste, ovale mais enlevé au public le jour où un marchand d'art fit enlever le revêtement mural. Le tableau (plutôt rectangulaire...) se trouve au Moma New-York. 

Le Pontet ; Théodore Aubanel (1829-1886) passe ses étés au mas du Grand Grangier appartenant à sa mère. 

Partager le Voyage: Teodor AUBANÈU, pas froid aux yeux et la main chaude (I)... 

Partager le Voyage: Teodor AUBANÈU, pas froid aux yeux et la main chaude (fin)...

Alors qu'il s'est lancé dans bien des évocations jusqu'à charnelles dans La Miougrano Entreduberto, la Grenade Entrouverte, que n'a-t-il pas su exprimer et partager le temps de l'amour, avec Zani, partie hélas en religion ? Les traditionnalistes, par contre, bien que prêtant d'autres intentions, ont tôt fait d'assimiler les mille graines rouge sang sous une même couverture aux mille filles que l'ogre du Petit Poucet va égorger par erreur. (à suivre).  

(1) c'est à Saint-Didier que Sabatier a écrit Les Fillettes Chantantes, sur l'adolescence d'Olivier. (1974 Albin Michel, 1985 Le Livre de Poche).  

Teodor_Aubanel Domaine public Auteur inconnu

mercredi 16 octobre 2024

PROVENCE RHODANIENNE (8) Pour solde de tous contes (1)...

Un huitième volet pour constater que les sept précédents auraient tout dit ? Serait-ce, au contraire, conclure avec des résidus sinon garder le meilleur pour la fin ? Il est vrai qu'après la géographie, l'Histoire, le Mistral, la mythologie, la religion, le roman, le gothique, les moutons, ânes, chevaux, les mules, malgré une présence plus marquée de Bosco et surtout de Daudet, c'est à peine si nous avons abordé le monde de la création, de l'art, l'unique dimension permettant de se dépasser, d'exalter l'homme jusqu'à un « H » majuscule si improbable tant sa nature profonde est vile... 

Alphonse_Daudet Domaine public Auteur Étienne Carjat (1828-1906)

Alors oui pour un huitième volet. Et puisque avec Robert Miras et Hugues Aufray, nous avons évoqué la chanson, (rabaissée au niveau de chansonnette par des débineurs élitistes agacés, fermons la parenthèse), comme nous avions relevé le petit cabanon ou l'adieu à la « Venise Provençale », 1934, de Vincent Scotto (1874-1952), « Magali », 1962, de Robert Nyel (1930-2016), avec le refrain en provençal « ... L’amour que pourra pas se taïre, e ne jamaï se repaua, Magali... ». Quelles paroles ensoleillées encore ? Qui encore ? Et qui aidera à étoffer le peu me venant à l'idée ? 
Gilbert_Bécaud_in_Rome 1972 Domaine public Auteur inconnu.

D'une manière générale, Mireille Mathieu (1946), Michèle Torr (1947), plus subjectivement, « Les Marchés de Provence », 1957, de Gilbert Bécaud (1927-2001) et Michel Sardou (1947) au moins pour « Je viens du Sud » 1981 (si bien reprise par Chimène Badi). 

Pour le reste, terme si euphémistique pour désigner les artistes, surtout en lettres, qui ont marqué de leur présence cette Provence du Rhône, de naissance et de vie sinon par choix personnel, pardon pour de si maigres ressources, déficientes, si subjectives, loin d'être exhaustives, là seulement manière de dédouaner, devant suivre un fil conducteur, faire illusion. 

Considérant en gros le Comtat depuis les enclaves aujourd'hui dans la Drôme, d'abord, proche de Valréas, le village de Grignan, à cause de la comtesse éponyme (1646-1705), restée dans les mémoires pour les centaines de lettres adressées par sa mère, Madame de Sévigné, la marquise (1626-1696) (Mère et fille décédèrent toutes deux à Grignan) ; une correspondance d'une rare modernité, ouverte sur le siècle du Roi Soleil. 

Max_Gallo salon du livre Paris 14_mars_2009 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International, 3.0 Unported, 2.5 Generic, 2.0 Generic and 1.0 Generic license. Auteur ΛΦΠ

Max Gallo (1932-2017), atteint par la maladie de Parkinson, meurt à Vaison-la-Romaine. Sa vie, sa trajectoire peuvent se comparer à ce que la France a vécu. De parents pauvres immigrés du Piémont, à force de volonté, il illustre un ascenseur social qui ne progresse dans les étages qu'à condition de tirer soi-même sur la corde. Titulaire d'un CAP de mécanicien-ajusteur, il est passé au doctorat et à l'agrégation d'Histoire. Politiquement, suite à un moment communiste, il se révèle jusque dans les hautes sphères socialistes, auprès de Chevènement, de Mitterand, pour, finalement, soutenir Sarkozy en 2007... un passage peut-être sinon effectif entre les illusions de gauche et une réalité restée droitière... De l'auteur prolifique de plus d'une centaine d'ouvrages, romans, suites historiques, de l'académicien, je retiens le « vivre au pays », qui, dit-on, depuis le lycée où il était maître-auxiliaire, le faisait partir aux vacances pour une longue diagonale à destination de Nice, en vespa ! Et son séjour à Vaison, sa tombe à Spéracèdes auprès de ses parents, n'ouvrent-ils pas sur un questionnement à propos du Midi dans ses versions azuréenne sinon rhodanienne ? (à suivre)

lundi 14 octobre 2024

PROVENCE RHODANIENNE (7) La Mule du Pape.

Force est de constater que le petit âne gris du mas et des transhumances passe avant la mule du pape. Ma foi avec tout le pastis que nous ont causé ces souverains pontifes, toutes les richesses dont ils ont abusé aux dépens des humbles, plutôt parler de la Mule avant de parler de leurs saintetés. En cela, n'oublions pas Joseph, père de Marcel Pagnol, héros de La Gloire de mon Père, anticipant de montrer sa largeur d'esprit à l'oncle Jules : 

« ... Non, je ne lui parlerai pas de l'Inquisition, ni de Calas, ni de Jean Huss, ni de tant d'autres que l'Église envoya au bûcher ; je ne dirai rien des papes Borgia, ni de la papesse Jeanne !... » La Gloire de mon Père, 1957, Marcel Pagnol. 

Carte_du_Comtat_Venaissin.svg 2014 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported license Auteur Oie blanche


De même, de mon côté, je ne parlerai pas du Comtat Venaissin volé au Comte de Toulouse (1274) pour récompenser l'Église de sa croisade barbare contre les Bons Hommes (Albigeois). Rien non plus sur Avignon la ville, achetée par les papes en 1348. Que ce choix de ne pas vulgariser soit exprimé avec un grand respect pour les professeurs agrégés d'Histoire (un des concours les plus durs qui soient et si mal payé en retour...), dans le secondaire puis le supérieur sinon en tant qu'historiens... Qu'on me pardonne si je me cantonne à seulement citer Henri Virlogeux jouant Jean XXII dans Les Rois Maudits à la télé (1972). 

Les Lettres de mon Moulin 1954... pardon, les ayant-droits pour le © écorné... 

Autant rappeler Daudet encore, Alphonse, avec ses Lettres de mon Moulin. Avant le film de Pagnol, Trois Lettres de mon Moulin, 1954, plus tard au cinéma du village, le livre m'avait ravi. Il se déguste par tranches, à chacun des âges de la vie, la Mule du pape venant bien après la Chèvre de Monsieur Seguin et le Secret de maître Cornille... d'ailleurs, hier seulement, j'ai découvert dans le prologue « Ce que c'était que mon moulin », que le moulin emblématique de ses Lettres n'avait jamais été à lui... Le charme continue d'agir... les illustrations de Pierre Belvès (1909-1994) y ont une part magnifique.  

Sinon, d'après Daudet, le pape de la mule, Boniface (1), était du genre débonnaire et aimable. Il l'aimait sa mule, la soignait, lui portait tous les soirs un bol de vin aux aromates. Tistet Védène, un galopin du cru, pour se faire bien voir, à l'idée du rapport qu'il pourrait en tirer, se mit, auprès du pontife, à brosser la mule dans le sens du poil. Promu dans la maîtrise papale où n'entraient que les Grands, la charge du bol de vin lui échut sauf que la mule n'en sentait plus que l'odeur. Tistet et sa bande vidaient le bon vin puis grisés taquinaient, montaient la mule, tirant sa queue ou ses oreilles. N'en voulant qu'à Tistet, la bête prenait sur elle. Le jour où ce vaurien la fit monter en haut d'un clocheton, lui, la méchanceté succéda aux taquineries. Il fallut des cordes, un palan, une civière pour redescendre la mule humiliée. Parti à Naples, devenu bel homme, Tistet revint néanmoins en Avignon demander la succession de la charge de moutardier... De la part du bon Saint-Père, comment refuser à celui qui continuait à tant aimer sa mule ? 

Tistet vu par Pierre Belvès... magnifique... à en paraître ici sans respect du copyright... 

Belle cérémonie en effet. Sur le point de monter recevoir ses insignes auprès du pape, Tistet ne manqua pas de coller deux tapes amicales sur la croupe de la mule en bas des marches, prête à partir ensuite à la vigne de Château-Neuf, prête aussi à se venger enfin. 

« [...] Et elle vous lui détacha un coup de sabot si terrible, si terrible, que de Pampérigouste même on en vit la fumée, un tourbillon de fumée blonde où voltigeait une plume d'ibis ; tout ce qui restait de l'infortuné Tistet Védène ! [...] celle-ci était une mule papale [...] elle le lui gardait depuis sept ans... » Lettres de mon Moulin, La Mule du Pape, 1869, Alphonse Daudet.        

Ah ! mercredi je regarde Michel Piccoli dans Habemus Papam ! un pape avec au moins autant d'humanité que Boniface...     

(1) Pas un Boniface n'ayant été pape à Avignon, Daudet le présente non sans finesse :  «... Il y en a un surtout, un bon vieux, qu’on appelait Boniface… Oh ! celui-là, que de larmes on a versées en Avignon quand il est mort !... » Lettres de mon Moulin 1869. 





jeudi 10 octobre 2024

PROVENCE RHODANIENNE (6) LE PETIT ÂNE GRIS (3)

1968, Hugues Aufray chante Le Petit Âne Gris : Provence, moutons, transhumance, santons... soit autant de poncifs à présent qu'une vie toujours plus moderne fatigue le besoin d'évasion, phagocyte le merveilleux des enfants.  Corde sensible : se réveillent en moi Francis Jammes, Brassens, Cazal et sa carriole. 

« Le fond d'une étable... Tout seul il s'est couché... Pauvre bête de somme... Il a fermé les yeux... Abandonné des hommes, Il est mort sans adieux... » (paroles d'Hugues Aufray). Images de vie, images de mort d'un animal qui, contrairement à l'humain, n'a rien à se faire pardonner mais meurt tout de même ; tous les paramètres d'un ressenti débordant de désarroi sont réunis, parfois jusqu'aux larmes. On fond et en fond se nourrit ce sentiment d'impuissance parce que la vie d'avant, toute pas facile qu'elle ait été, se dissout et avec elle, toute en compassion, cette proximité perdue avec les animaux plus domestiques que familiers, chiens, chats, chevaux, mulets, ânes, poules, canards, pigeons, lapins... 

Comtesse de Ségur_Mémoires-d'un-âne 1869 illustration Horace Castelli  (1825–1889)


La vie d'avant, après Brassens, Irénée c'est aussi, pour quelqu'un de mon âge, à Pézenas, rappelant Cadichon de la Comtesse de Ségur, Jacky le copain de classe car on l'a promené sous les grands pins du parc, le petit âne du domaine de Grange Rouge, la propriété de ses grands-parents Lapointe. 
    
Décennie 90, lors de la promenade dite digestive suite aux libations du jour de l'an, sur du bien être sans nuages, la terrible rencontre avec une charogne. De quoi ne plus être dans l'estomac trop chargé suite à un bon menu. Bien que loin de Baudelaire, par un jour gris d'entrée maritime, après la Clape, en bordure de l'ancien étang de Fleury, sans la pestilence, sans les légions de mouches et de larves, la peau encore sur les côtes en cerceaux, le cadavre d'un pauvre âne mort d'abandon, de manque de soin, sinon de vieillesse... Je crois bien sinon j'imagine l'avoir vue bien vivante, la pauvre bête, libre et peut-être satisfaite dans ce grand terrain. L'endroit ? je peux le montrer tant ce triste souvenir marque, au croisement du chemin des Arbres Blancs avec celui pas plus promu de Marmorières mais si emprunté depuis que les GPS, dans leur logique simpliste, le recommandent pour aller à Saint-Pierre-la-Mer, depuis Vinassan. 

Le petit âne, nous le retrouverons avec une même tendresse grâce à R-L Stevenson (1850-1894) dans son « Voyage avec un âne dans les Cévennes » (1879), si plein de remords et d'émotion après coup, d'avoir négocié la vente de Modestine, tout comme le père Adam qui en pleurant lui avait vendu l'ânesse ; nous le retrouverons sous la plume d'Henri Bosco (1888-1976), natif d'Avignon, familier de la Durance, il est « L'Âne Culotte » qui, l'hiver, porte des pantalons aux pattes de devant et qui vient seul prendre livraison au village du pain et de l'épicerie commandé(e)s par un homme vieux et solitaire dans un mas de la montagne, nimbé de mystères. Constantin, un enfant, échappant à la garde de sa grand-mère Ernestine, va braver l'interdit et partir un jour sur l'âne (pardon d'en dire trop, serait-ce prétentieux, mais Ernestine était la mienne de mamé [1896-1976], avec toujours une gourmandise détournée au fond des grandes poches de son tablier).  



Le petit âne, je l'ai retrouvé ce jour de balade à la Pointe de Vignals. De son enclos il m'a vu venir de loin... C'est vrai qu'ils ne s'aiment pas solitaires et que la compagnie d'un mouton, d'une chèvre, d'un chien, d'une poule aident à leur bon moral. Je lui ai dit de rester vigilant, que l'endroit s'appelle Nego Saumo, du temps où la perte d'une ânesse marquait les esprits... d'ailleurs, à Salles-d'Aude aussi, le long de l'ancien cours de l'Aude, un ténement porte aussi le nom de « Nègue Saume ». Mystère quant aux circonstances de ces noyades...  

Le petit âne, il est à Coursan, avec ces photos déjà anciennes, échouées dans nos vieux papiers (celui ou celle qui illustre J'aime l'âne de Francis Jammes dans le précédent article). De nos jours, toujours à Coursan, l'Asinerie du Rivage honore les ânes ; par le biais de savons, cosmétiques, laits d'ânesses, d'ânons à adopter, l'élevage contribue à la conservation de l'âne des Pyrénées, catalan, de grande taille sinon gascon, plus petit. 

Wikimedia commons Auteur Cocollector

Avec l'évocation pastorale d'une vie avant, en Provence comme en Languedoc, j'étais loin de réaliser la place et la portée de ces grands yeux doux et paisibles, relevés de khôl, qui n'en finissent pas de me regarder... Dans la grande incertitude de ce qui nous attend, avant tout, de ce que les générations nouvelles ont et auront à affronter, chamboulé par un présent morose, des lendemains crispants, comment ne pas s'accrocher, pour survivre, sûrement, à ces racines encore vives, à ce vécu concret dont il faut témoigner...    

mercredi 9 octobre 2024

Provence rhodanienne (5) . Le petit Âne Gris (2)

Le Petit Âne Gris (2). 

Contours et détours, au chapitre pastoral de cette Provence entre Rhône, Ardèche, Gard et Durance : difficile de ne pas joindre le souvenir du cheval de trait, au-delà de la subjectivité, une digression, espérons, bienvenue. Sinon, avec les moutons, la transhumance, le temps de Noël, celui de l'âne revient témoigner d'une vie d'avant ne méritant pas d'être ensevelie en bloc... 

“ Petit ” !  quel autre adjectif pourrait mieux traduire l'affection aussi latente que générale, l'attention affichée à l'égard d'abord des enfants (1) puis pour tout ce qui est “ petit ”, devant être protégé, ici, les petits ânes gris ? Avant tout parce que l'éventail de l'espèce est semble-t-il plus large que celui des chevaux. Économiquement, de grande taille, pour sa contribution aux travaux agricoles, il vient après le cheval et la mule. Grand, il ne provoque pas une sympathie spontanée : proche de nous, mamé Antoinette en a témoigné, du temps où elle avait des vaches.  

Partager le Voyage: L'ÂNE de mamé Antoinette / Présentation. (dedieujeanfrancois.blogspot.com)

Partager le Voyage: L'ÂNE de mamé Antoinette (fin) (dedieujeanfrancois.blogspot.com) 

Ah ! tout ce que le qualificatif « petit » sous-entend d'affection sous-tendue, d'émotion ! 



Années 50, à la radio « ... sur la route blanche, un petit âne trottinait... c'était un dimanche... ». Les sabots qui trottent, le bruit des grelots, le revêtement “ poudre de riz ” recouvrant encore quelques chemins vicinaux... Merci l'Internet. À partir de ces quelques mots, le nom de l'interprète se dévoile, Reda Caire, l'année aussi,1939, du temps des opérettes, des voix efféminées genre Tino Rossi. La réécouter plus de 60 ans plus tard, comprendre ce qui faisait rêver le petit garçon que j'étais, qui, pour avoir oublié «... c'était un dimanche, dans les champs les fleurs embaumaient... » inventait, ajoutait «... un dimanche du mois de mai... ». Oublié aussi : «... Pour moi nous arrivions toujours trop tôt... ». Souvenir encore d'une arrière-grand-mère, mamé Joséphine, le dimanche attelant son cheval léger pour la route blanche, alors, de Béziers, où Céline, sa fille, était apprentie couturière...   



Sur le tourne-disques, Le Petit Cheval de Paul Fort, chanté par Georges Brassens... À peine plus tard, au village, les sorties régulières de l'âne à la carriole de Cazal, Irénée de son prénom je crois, comme de penser qu'il était forgeron... Et J'aime l'âne de Francis Jammes... 
À l'école, de ramener la poésie au seul travail de mémoire d'une “ récitation ”, ne pouvait fermer l'espace ouvert par les mots ; leurs combinaisons sonores, rythmées, musicales, créant des images, ouvrant sur des sensations et émotions... Merci maîtres, merci professeurs, de m'avoir fait réciter... toute ma reconnaissance, qu'elle se limite au contrôle de la leçon apprise ou, au contraire, que plus profonde, plus pudique, elle soit une initiation, un apprentissage, un sésame pour un monde sublime poétique, émancipé de la réalité du quotidien... D'y mettre “ le ton ” portait le récitant en lévitation en dépit de la réaction goguenarde de toute la classe se défendant de “ sensiblerie ”. 
Ainsi, même froids (c'est subjectif), si tous les instituteurs m'ont apporté (fût-ce à corps défendant), ceux qui aimaient et l'étaient en retour continuent d'alimenter la quête chaleureuse due à ce sentiment partagé. Dans cette démarche, je repense à Monsieur Rougé (ce ne peut être que lui eu égard à ce qui vient d'être dit), qui a adapté J'aime l'âne de Francis Jammes. (En taille moindre, les couples de vers ignorés)  :  

« J'aime l'âne. 

J’aime l’âne si doux
marchant le long des houx.

Il prend garde aux abeilles
et bouge ses oreilles ;

et il porte les pauvres
et des sacs remplis d’orge.

Il va, près des fossés,
d’un petit pas cassé.

Mon amie le croit bête
parce qu’il est poète.

Il réfléchit toujours.
Ses yeux sont en velours.

Jeune fille au doux cœur,
tu n’as pas sa douceur :

car il est devant Dieu
l’âne doux du ciel bleu.

Et il reste à l’étable,
fatigué, misérable,

ayant bien fatigué
ses pauvres petits pieds.

Il a fait son devoir
du matin jusqu’au soir.

Qu’as-tu fait jeune fille ?
Tu as tiré l’aiguille…

Mais l’âne s’est blessé :
la mouche l’a piqué.

Il a tant travaillé
que ça vous fait pitié.

Qu’as-tu mangé petite ?
— T’as mangé des cerises.

L’âne n’a pas eu d’orge,
car le maître est trop pauvre.

Il a sucé la corde,
puis a dormi dans l’ombre…

La corde de ton cœur
n’a pas cette douceur.

Il est l’âne si doux
marchant le long des houx.

J’ai le cœur ulcéré :
ce mot-là te plairait.

Dis-moi donc, ma chérie,
si je pleure ou je ris ?

Va trouver le vieil âne,
et dis-lui que mon âme

est sur les grands chemins,
comme lui le matin.

Demande-lui, chérie,
si je pleure ou je ris ?

Je doute qu’il réponde :
il marchera dans l’ombre,

crevé par la douceur,
sur le chemin en fleurs. » 

Francis JAMMES, De l'Angélus de l'Aube à l'Angélus du Soir


C'est vrai que le texte complet nous en dit plus sur le poète pouvant sinon passer pour misanthrope, à s'en tenir au désir clairement exprimé de rejoindre à sa mort le paradis des ânes. Ici, il a trente ans, l'âge d'aimer et le vieil âne, en fond de dialogue avec sa chérie, n'est là que pour dévoiler un pan de sa personnalité... on pourrait s'en offusquer si le caviardage n'était là pour éveiller la sensibilité des enfants envers les animaux sans les complications amoureuses de couples encore pas de leur âge. Une veine reprise en miroir dans Le Petit Âne Gris que chante Hugues Aufray.    

« Viens avec moi petit... viens... » Pierre Bilbe (1911-1998).

lundi 7 octobre 2024

PROVENCE RHODANIENNE, à foison ! (4) Le CHEVAL de TRAIT.

Dans le triangle Châteaurenard-Cavaillon-St-Rémy, Mollégès est un bourg rural de la plaine fertile au sud d'Avignon. Exerçant, comme toute la Provence, une attraction certaine sur les gens en vue, les célébrités, la commune fut un lieu de séjour apprécié par Jean Drucker (1941-2003), Guy Marchand (1937-2023). Plus profondément dans le passé, à côté de la puissante abbaye de moniales, des Dames de Mollégès (XIIIe. s.), le château illustre la modestie du pouvoir féodal sinon, et en cela, encore à l'instar de nombre de nos villages dont le nôtre Fleury-d'Aude, une chapelle romane du cimetière, l'église de 1864 seulement mais au clocher inspiré du mausolée romain de St-Rémy (elle remplace une construction romane démolie en 1857), soulignent la localité.  

Mollégès cheval (1) mamoue13.ekablog.fr

Moins classique, plus inattendu vu qu'il n'en existe que deux autres en Bretagne (1), à Mollégès, un monument au cheval de trait, hors région d'élevage. Est-ce dans la continuité des fêtes du village lors de la St-Éloi, marquée par une bénédiction des chevaux, les courses de charrettes garnies de rameaux (la carreto ramado... jadis célébrée à Coursan aussi...) ? Rien que de plus normal qu'un auxiliaire aussi précieux dans le travail des hommes soit célébré dans les villages de Provence et Languedoc :        

« Noun se pòu devina ço que deman preparo
E pèr qu’à l’aveni se posque saupre encaro
Lou bonur qu’a liga lis ome e lou chivau
Dins la pèiro entaia, iéu, eici, fau signa. » (2)

Charles Galtier (1913-2004), écrivain en provençal et français. 

Mollégès cheval (2) mamoue13.ekablog.fr

Traduction approximative :
Ce que demain prépare ne peut se deviner
Et pour qu’à l’avenir encore on puisse savoir
Le bonheur qui a liés les hommes et les chevaux
Dans la pierre sculpté, moi, ici, vous fais signe. 

Nous devons cette sculpture récente (1989), taillée dans un bloc de pierre du Lubéron (12 tonnes), à Camille Soccorsi (1919 Bourg-Saint-Andéol - 2007 Tarascon), sculpteur animalier local (taureaux cocardiers Clairon à Beaucaire [1963], Goya encore à Beaucaire [1984], animaux de manèges forains) mais aussi de bustes de Provençaux (Frédéric Mistral, 1959, à St-Maximin [Gard], Charloun Rieu, 1965, Paradou [Bouches-du-Rhône]. 

Callac_22 Cheval Naous._2017-10-21 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International license. 2018 Auteur J.C EVEN

(1) La commune de Callac en Cornouaille centre Bretagne (Côtes-d'Armor), capitale de l'épagneul breton, est connue aussi pour son haras de chevaux de trait : sur la place, à l'honneur, la statue de Naous (1958), étalon célèbre, en bronze, œuvre de Georges-Lucien Guyot (1885-1972), animalier, auteur, entre autres, du Taureau de Laguiole (1947). 

Landivisiau (Finistère) est la capitale du cheval breton... Au lendemain de 1945, des vignerons dont mon grand-père, ont loué un wagon depuis Narbonne, afin d'acheter le cheval nécessaire à la reprise des vignes parfois abandonnées en zone interdite, encore minées... (notre dernier Lami, dénutri, sanglé pour tenir debout, avait été vendu au boucher pour prévenir sa fin certaine). 

« ... Sans argent, c'était là un difficile pari. Mamé Ernestine fut chargée de demander au richissime oncle Gérard du Quai Vallière à Narbonne, représentant de commerce enrichi par les deux guerres [...] Elle devait essuyer un refus poli mais définitif. Ce fut alors l'ami, Emmanuel Sanchon, qui sortit papé Jean d'embarras, et cela mes parents ne l'ont jamais oublié. 

Lami au Courtal Cremat, route de Saint-Pierre-la-Mer. 

Tu dois savoir que papé Jean et l'oncle Noé, accompagnés de Rey Antoine (père de Germain et Jeanine Carrière [...]), de Blaise Vicente et Jean Vila [...] étaient allés en Bretagne pour acheter les chevaux et cela en mars 1945, époque où c'était une véritable expédition (ponts coupés, trains aléatoires...) [...]

C'est au cours de ce voyage historique que l'oncle Noé avait attrapé sa fameuse sciatique et que Vila [...] lui avait confectionné (il était menuisier de métier) une paire de béquilles afin qu'il puisse se déplacer un peu pour aller voir les chevaux et acheter le sien... »

Caboujolette 2008, chapitre Les Vendanges, François Dedieu (1922-2017).   

Cheval Breton de Landivisiau Source mairie

(2) En 2009 pour les vingt ans du monument, les vieux outils sont sortis des granges pour être attelés à des comtois, traits du nord, percherons... (pour les photos voir Le vingtième anniversaire du Monument du [...] - Tradicioun)

dimanche 6 octobre 2024

PROVENCE RHODANIENNE (3), MONUMENTS et HISTOIRE...

Après la menace de Carthage, suite aux victoires et conquêtes de Rome sur plus de 500 ans, les villes de Nîmes, d'Arles connaissent leurs apogées.  Si les comptoirs maritimes sont le fait des Grecs, si les Ligures ont aménagé des oppida, si les Celtes se sont installés, les Arabes restent dans les mémoires pour leurs razzias jusqu'en France profonde (Autun), leur installation afin de faire de la mer Méditerranée une “ mare mauri “, une mer des Maures musulmane (installation jusqu'en 973) (1). Politiquement, en 1034, toute une bande Est du royaume de France est dans le Saint-Empire-Romain-Germanique. Et encore, pour les historiens et ceux qui s'entichent de cette matière, citons encore les Comtés d'Arles, de Provence, de Forcalquier, le Marquisat de Provence depuis Orange et presque jusqu'au cours de l'Isère au nord. Prolongeons avec le Comtat Venaissin jusqu'à la réunion à la France, la Révolution, jusqu'à la libération de l'occupation allemande... 

Pont_du_Gard  under the Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported license. Author en LEU SONG (Flickr).

Concernant les monuments qui jalonnent cette Histoire, une synthèse schématique se présente d'autant plus simplement.
Les Romains avec les maisons, (marbres, mosaïques, fresques, statues... ), les riches villae au luxe plus encore exposé, régissant un domaine ; les tombes ; les monuments publics, eux, illustrent le faste de cette civilisation marquant notre Histoire : forums, arènes, temples, arcs de triomphe, théâtres antiques... aqueducs (Nîmes, Pont du Gard, Arles, Orange). 

Saint-Trophime_(Arles) 2008 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International license. Author Gzen92

L'art roman provençal (XIIe s.) marque un sursaut après des siècles de troubles (invasions barbares). Inspirées des basiliques romaines, des églises carolingiennes, les églises, fortifiées parfois (Les-Saintes-Maries-de-la-Mer), les cathédrales objets de pèlerinages autour de reliques : église et cloître Saint-Trophime à Arles, église de Saint-Gilles (portails), anciennes cathédrales d'Orange, de Vaison et de la Major à Marseille, cathédrale Notre-Dame-des-Doms à Avignon, abbayes de la même époque (Sénanque, Sylvacane). 

Carpentras Saint-Siffrein Façade 2010 Domaine public Auteur Véronique PAGNIER

L'art gothique, bien qu'austère et encore “ roman ” en Provence marque une période d'élan vers la lumière, vers le ciel où Dieu veille... l'ancienne cathédrale Saint-Siffrein de Carpentras, l'église Saint-Pierre d'Avignon en témoignent ; de même, les papes et cardinaux du Comtat font appel à des architectes et artistes (fresques) de France, d'Italie, de Flandre, d'Allemagne, Avignon est alors le centre de cet art. 

Au XVIe siècle, bien qu'ouvrant vers la France entière le courant renaissance venu d'Italie, la Provence reste avant tout liée au gothique. 

Aux XVIIe et XVIIIe siècles, les hôtels particuliers des nobles en ville illustrent leurs réussites économiques (Aix-en-Provence, Avignon...).  


vendredi 4 octobre 2024

PROVENCE RHODANIENNE (2). Climat, paysage, mythologie et autres...

Deuxième paquet, le climatique. En premier lieu, le Mistral, lou manjo fango, maître vent, de couloir, catabatique un peu, si fort, qui dessèche si vite mais à qui nous devons un air sain, limpide, à l'origine d'une lumière unique, à part : les couleurs de Paul Cézanne, de Vincent Van Gogh en témoignent à jamais. D'un extrême à l'autre, presque à contresens, nous passons à la douceur rafraîchissante des airs marins l'été. 

Episode_cévenol ou méditerranéen 2014 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International license. Auteur Babsy

Quant aux vents qui accompagnent les dépressions mères des épisodes cévenols, s'ils viennent du large, ils s'enroulent finalement  en spirale, en volute, en crosse d'évêque que les reliefs arrêtent. 

Paysage de la_Crau (haies au fond) 2008 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 2.0 Generic license. Auteur yves Tennevin from La Garde, France


À évoquer le maître vent, un mot sur les formations végétales : les cyprès (1), isolés ou souvent alignés pour protéger des souffles puissants, desséchants ou exhausteurs du froid que le Mistral porte. Les chênes-verts, les pins d'Alep ou parasol, les arbousiers, les oliviers, comptent également dans les sempervirens. 
Parmi les arbres à feuilles caduques, plantés pour l'ombre voire l'industrie du bois, les micocouliers et platanes. 
Entre les deux, afin de désigner les arbres dont les feuilles ne tombent que très tard, parfois aux portes du printemps, et seulement parce que l'adjectif intrigue et pose problème en orthographe, on peut dire “ marcescent ” pour le chêne pubescent, dit “ blanc ” en Provence... mais le même peut être dit “ noir ” en Périgord... peut-être parce qu'il est truffier ici ou là-bas truffier... 

La mythologie ? une prémisse de réponse au sempiternel questionnement sur notre réalité ici-bas. Jupiter lance les cailloux de la Crau sur les ennemis d'Hercule, le fils, traversant la Provence après avoir ouvert les Alpes. Le christianisme prend le relais en faisant échouer la barque des trois saintes, les Marie Jacobé, Salomé, Madeleine ; une barque déjà pleine de migrants, basse sur l'eau ; en débarquent aussi Marthe qui libèrera les Tarasconais de la monstrueuse Tarasque, les propagateurs Maximin et Lazare, Jacques dit “ le Majeur ”, Jean, Sidoine, les servantes Sara et Marcelle... Entre paganisme et christianisme, des histoires sans queues ni têtes, de dragons multiformes comme la Tarasque ours bœuf, tortue, crocodile, tête de lion aux oreilles de cheval et visage de vieillard... entre nous quel pastis lorsque ces légendes “ dorées ” font état de soixante-douze et non des douze apôtres classiques. 

Illustration Les_trois_Messes_Basses 1886 dans La Belle Nivernaise d'Alphonse Daudet Domaine public.  Auteur Louis Montégut 1855-1906


Lié à la mythologie, le religieux, les papes du Comtat Venaissin et surtout, à travers les auteurs dont Daudet avec les « Trois Messes Basses », une Lettre de son Moulin qui chaque année enchante mon Noël d'abord pour la neige que nous ne cessons de rêver, en notre Bas-Languedoc, ensuite pour le magnifique menu de réveillon : 

« Deux dindes truffées, Garrigou ? »
Et l'Élixir du Révérend Père Gaucher ?  

Le divinatoire avec les Prophéties de Nostradamus... Excusez-moi, Monsieur, je n'ai pas étudié cette leçon... 

Le pastoral avec les moutons, les transhumances et ses petits ânes gris si attachants. 

Les monuments romains, l'art roman provençal, les églises fortifiées jalonnent un poids de l'Histoire pas encore abordé. Sur plus de 500 ans, suite aux victoires et conquêtes de Rome, les villes de Nîmes, d'Arles connaissent leurs apogées... Certes, il est instructif de se faire une idée, serait-elle globale, de tout ce patrimoine historique, pourtant, c'est un attachement plus attentionné et intime, rappelant pour qui le souhaite Joachim du Bellay, qui nous lie à une belle mais humble statue du cheval de trait à Mollégès, à l'ouest des Bouches-du-Rhône, vers le grand fleuve... 

“ Plus mon petit Midi que le monde romain... ” (à suivre)  

Cyprès cimetière Fleury

(1) N'incitent-ils pas à se recueillir, ces hospitaliers du vieux cimetière  ? À Fleury, l'alignement des cyprès du parking de la Salle des Fêtes est mis à mal, ce n'est pas une critique, seulement un constat et sûrement la nostalgie d'une époque où, sans jouer à Tarzan, de bout en bout, nous passions de l'un à l'autre sans mettre pied à terre.