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jeudi 10 octobre 2024

PROVENCE RHODANIENNE (6) LE PETIT ÂNE GRIS (3)

1968, Hugues Aufray chante Le Petit Âne Gris : Provence, moutons, transhumance, santons... soit autant de poncifs à présent qu'une vie toujours plus moderne fatigue le besoin d'évasion, phagocyte le merveilleux des enfants.  Corde sensible : se réveillent en moi Francis Jammes, Brassens, Cazal et sa carriole. 

« Le fond d'une étable... Tout seul il s'est couché... Pauvre bête de somme... Il a fermé les yeux... Abandonné des hommes, Il est mort sans adieux... » (paroles d'Hugues Aufray). Images de vie, images de mort d'un animal qui, contrairement à l'humain, n'a rien à se faire pardonner mais meurt tout de même ; tous les paramètres d'un ressenti débordant de désarroi sont réunis, parfois jusqu'aux larmes. On fond et en fond se nourrit ce sentiment d'impuissance parce que la vie d'avant, toute pas facile qu'elle ait été, se dissout et avec elle, toute en compassion, cette proximité perdue avec les animaux plus domestiques que familiers, chiens, chats, chevaux, mulets, ânes, poules, canards, pigeons, lapins... 

Comtesse de Ségur_Mémoires-d'un-âne 1869 illustration Horace Castelli  (1825–1889)


La vie d'avant, après Brassens, Irénée c'est aussi, pour quelqu'un de mon âge, à Pézenas, rappelant Cadichon de la Comtesse de Ségur, Jacky le copain de classe car on l'a promené sous les grands pins du parc, le petit âne du domaine de Grange Rouge, la propriété de ses grands-parents Lapointe. 
    
Décennie 90, lors de la promenade dite digestive suite aux libations du jour de l'an, sur du bien être sans nuages, la terrible rencontre avec une charogne. De quoi ne plus être dans l'estomac trop chargé suite à un bon menu. Bien que loin de Baudelaire, par un jour gris d'entrée maritime, après la Clape, en bordure de l'ancien étang de Fleury, sans la pestilence, sans les légions de mouches et de larves, la peau encore sur les côtes en cerceaux, le cadavre d'un pauvre âne mort d'abandon, de manque de soin, sinon de vieillesse... Je crois bien sinon j'imagine l'avoir vue bien vivante, la pauvre bête, libre et peut-être satisfaite dans ce grand terrain. L'endroit ? je peux le montrer tant ce triste souvenir marque, au croisement du chemin des Arbres Blancs avec celui pas plus promu de Marmorières mais si emprunté depuis que les GPS, dans leur logique simpliste, le recommandent pour aller à Saint-Pierre-la-Mer, depuis Vinassan. 

Le petit âne, nous le retrouverons avec une même tendresse grâce à R-L Stevenson (1850-1894) dans son « Voyage avec un âne dans les Cévennes » (1879), si plein de remords et d'émotion après coup, d'avoir négocié la vente de Modestine, tout comme le père Adam qui en pleurant lui avait vendu l'ânesse ; nous le retrouverons sous la plume d'Henri Bosco (1888-1976), natif d'Avignon, familier de la Durance, il est « L'Âne Culotte » qui, l'hiver, porte des pantalons aux pattes de devant et qui vient seul prendre livraison au village du pain et de l'épicerie commandé(e)s par un homme vieux et solitaire dans un mas de la montagne, nimbé de mystères. Constantin, un enfant, échappant à la garde de sa grand-mère Ernestine, va braver l'interdit et partir un jour sur l'âne (pardon d'en dire trop, serait-ce prétentieux, mais Ernestine était la mienne de mamé [1896-1976], avec toujours une gourmandise détournée au fond des grandes poches de son tablier).  



Le petit âne, je l'ai retrouvé ce jour de balade à la Pointe de Vignals. De son enclos il m'a vu venir de loin... C'est vrai qu'ils ne s'aiment pas solitaires et que la compagnie d'un mouton, d'une chèvre, d'un chien, d'une poule aident à leur bon moral. Je lui ai dit de rester vigilant, que l'endroit s'appelle Nego Saumo, du temps où la perte d'une ânesse marquait les esprits... d'ailleurs, à Salles-d'Aude aussi, le long de l'ancien cours de l'Aude, un ténement porte aussi le nom de « Nègue Saume ». Mystère quant aux circonstances de ces noyades...  

Le petit âne, il est à Coursan, avec ces photos déjà anciennes, échouées dans nos vieux papiers (celui ou celle qui illustre J'aime l'âne de Francis Jammes dans le précédent article). De nos jours, toujours à Coursan, l'Asinerie du Rivage honore les ânes ; par le biais de savons, cosmétiques, laits d'ânesses, d'ânons à adopter, l'élevage contribue à la conservation de l'âne des Pyrénées, catalan, de grande taille sinon gascon, plus petit. 

Wikimedia commons Auteur Cocollector

Avec l'évocation pastorale d'une vie avant, en Provence comme en Languedoc, j'étais loin de réaliser la place et la portée de ces grands yeux doux et paisibles, relevés de khôl, qui n'en finissent pas de me regarder... Dans la grande incertitude de ce qui nous attend, avant tout, de ce que les générations nouvelles ont et auront à affronter, chamboulé par un présent morose, des lendemains crispants, comment ne pas s'accrocher, pour survivre, sûrement, à ces racines encore vives, à ce vécu concret dont il faut témoigner...