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samedi 10 mars 2018

ENTRE SAINT-ANDRÉ-DE-SANGONIS ET PÉZENAS / Ô moun pais...


  Un pêcheur de coquillages tirant un tenillier à Saint-Pierre-la-Mer, à proximité du grau fermé en été de l'étang de Pissevaches. Un effort soutenu, d'un pied sur l'autre, à reculons, mais une traction douce et lente laissant longtemps un même champ de vision. Un prétexte, grâce aux éléments marquants du paysage et tout aussi bien à tout ce qui reste invisible, pour penser, méditer, rêvasser et aussi redessiner la trace des siens jusqu'à ceux de son espèce avec toute la liberté que permet l'imagination. 



Toujours à ses tenilles, notre pêcheur à pied pense, cette fois c'est à Saint-André-de-Sangonis où son père, alors au chômage, trouva heureusement une place de précepteur au château, auprès du fils de la comtesse avant qu'une opportunité ne s'ouvrît enfin pour lui au Brésil. La comtesse fut même contrariée qu'il n'emmenât pas Maxence… Mais c’est vrai qu’elle était un peu spéciale... se séparer ainsi de son fils…  



De là, les souvenirs descendent un peu plus en aval, à Pézenas, encore ramassée autour de sa collégiale[1], à l’écart du fleuve, mais qui a déjà fort à faire avec la Peyne, sa jolie mais si capricieuse rivière voire colérique avec ses aigats (épisode méditerranéen plutôt que cévenol) aussi fréquents que soudains. Pézenas toujours frémissante de son passé historique et qui en a gardé une animation vivifiante tant culturelle que commerçante. « Connaissance du Monde », les Mahuzier au Caucase au foyer des campagnes, c’était quelque chose pour un gamin de dix ans, avant la télé ! En haut du cours Jean-Jaurès, l’influx du changement pour une jeunesse exprimant inconsciemment son mal-être, lasse d’une société compassée mais comme poussée seulement par un instinct, sortait des juke-box avec Johnny, Sylvie[2], Frank, les Chats Sauvages pour les rythmes rock annonçant peut-être 1968 et surtout l’ambiance « Salut les copains » avec ces 45 Tours toujours nouveaux qui sortaient tous les mois tandis que la chanson française, toujours là, mutait bien obligée aussi, malgré ses valeurs sûres… 


A l’opposé, en descendant le Cours, avec les hôtels particuliers, l’allure grand siècle sous la perruque de Molière, Lulli scandant les pas de sa grande canne ne s’en formalise pas. C’est là qu’habitait Jacky Lapointe, le copain de classe qui ne disait rien du « Poisson fa »[3] de son papa mais qui, un jeudi, m’a emmené sortir le petit âne chez son papi, sous les pins du parc de la Grange Rouge alors en pleine campagne[4]… Il était calme, doux et gentil, comme Jacky… Etranges, ces coïncidences qui nous font retrouver la Comtesse de Ségur, Stevenson et Modestine, Francis Jammes, Hugues Aufray, Jacky et l’ombre de Boby Lapointe… Mémoire d’un âne… d'un petit âne, heureux, léger de ses malheurs passés, de la signature contrefaite sur le carnet de notes pour deux zéros en allemand, première langue obligée, suivie d’une fugue qui s’est bien terminée, c’est comme ça, après 70 kilomètres sur la dangereuse nationale 113…     

   
Parcourir son paysage familier, même en y retraçant son chemin de vie, c’est déjà révéler son ouverture aux autres, l’intérêt qui leur est porté. Le temps de soulever le tenillier, manière d’avoir une idée de sa pêche, avant de le poser dans l’autre sens, le laboureur de la mer s’apprête, comme pour un deuxième sillon, à forcer sur sa bricole. 

Labourer ? il faut le dire vite ; c’est à peine si une bande de sable est ameublie sur 2-3 cm attirant aussitôt des sars de petite taille comme le fait une terre fraîchement remuée avec les bergeronnettes. Labourer n’est pas charruer, cela dépend de la taille de la charrue suivant que le soc retourne jusqu’à vingt-cinq centimètres (entre quinze et vingt disons parce qu'il en est encore à la traction animale et qu'il plaint le cheval) ou que le versoir va trancher beaucoup plus profond pour arracher une vigne notamment… Qui a vu monsieur Guilhaumet derrière un chenillard, sous son éternel béret, perché à deux bons mètres du sol, au volant d’un soc géant pour voir de quoi il retourne ?

Aux tenilles, l’esprit reste libre de vagabonder, de divaguer quand la gouge du Cers sculpte le golfe vers le large de ses millions d’écailles. On n’a pas idée alors des chalutiers qui en sont arrivés à charruer les fonds marins et pire, de ces capitaines criminels qui viennent razzier, au petit matin, trop près de la plage, la faible profondeur (des herbiers ?), véritables nurseries pour nombre d’espèces…




[1] Les nouveaux quartiers des localités, quelle que soit leur taille, ont débordé sur la campagne
[2] Avec Patricia Carli, Micky Amline, des accents d’émancipation chez les filles…
https://www.youtube.com/watch?v=EeQnKdc9nls
[3] Robert Lapointe, Boby (1922-1972) qui, en 1960, 61 se fait remarquer avec les chansons Marcelle, Aragon et Castille.
Jacky Lapointe (1950-2008).
[4] Aujourd’hui les lotissements ont pris la place des vignes. 

Photo autorisée : 
4. La Peyne canalisée. Wikimedia Commons Auteur Christian Ferrer
 

dimanche 18 juin 2017

MA PETITE ÉCOLE / Pézenas, école de garçons


Au fond, l'ancien passage sous voûte qui, après un coude à droite, donnait sur la cour du commissariat.

Florian, mon petit homme qui se penche et partage le passé de son père...
Le préau, la cour aux noyaux d'abricot, celle aussi de l'éclipse !
Deux préaux à présent on dirait (notre visite date de 2015)... mais le style du premier a été respecté ! Au fond, derrière la grille défendant le parapet les fenêtres, je crois, du CM2 où je végétais...


Florian, mon petit homme qui se penche et partage le passé de son père... 

Le préau et la cour aux noyaux d'abricot, celle aussi de l'éclipse formidable du 15 février 1961 ! 

Deux préaux à présent on dirait... mais le style du premier a été respecté ! 
Au fond, derrière la grille défendant le parapet les fenêtres, je crois, du CM2 où je végétais... mais ne dit-on pas que même les plantes vont mieux quand on leur parle ?.. 

LES OREILLONS MOELLEUX, SENTEURS MOITES DES BEAUX JOURS... / Pézenas, école de garçons

Septembre, les vendanges, la rentrée, les sucs collants, musqués des grappes, sucres de la belle saison avant le changement de régime. Ainsi va le calendrier de l’écolier. Années 60... les coings et les châtaignes de l’automne. L’hiver : l’Espagne des grenades et des oranges. Jardins et vergers du printemps avec les fraises, les cerises.  Juin, parfum des abricots aux pommettes rougies par les premiers coups de soleil. 
  

Fin du cycle : « les cahiers au feu et les maîtres au milieu ». Dans le cartable, avant tout, un plein sac de noyaux. C’est le temps des récrés qui se prolongent. Les maîtres, en blouses grises, passent et repassent, indulgents, permissifs même si le préau et le mur d’enceinte de la cour ont des airs de kermesse. Réminiscence des foires historiques de Pézenas (1), les forains tiennent boutique, les chalands déambulent. Qui expose un petit soldat, un coureur du Tour de France ou l’hippopotame en plastique gris du fond de paquet de poudre de lessive Omo.
A trois mètres environ, une ligne à la craie. Sans mordre sur le tracé, l’intéressé vise et lance un cœur d’abricot sur le petit sujet. S’il tombe, c’est gagné, sinon le tenancier ramasse les noyaux épars. Des sacs gonflés font le tour des platanes ; les autres se voient moins et pour cause. De vrais fortunes passent de main en main... Irruption encore du Moyen-Age avec le droit de frapper monnaie. On se trimballe avec des bourses pleines. Pas d’emporte-pièce, l’atelier c’est la maison avec les abricots du dessert. « Maman, ne les jette pas ! ». Chacun amasse, thésaurise un trésor de noyaux aussi précieux que les cauris des peuplades lointaines ! Certains ont l’œil sur les composts des jardins ou les fourrent au fond des poubelles ! 

Période heureuse, même si j’assume ma solitude. Je n’ai pas de camarade attitré... Qui était dans ma classe ? Mystère... je vois seulement monsieur Carrère, serein, ni en bien, ni en mal. Je ne sais plus l’odeur de la craie, de l’encre, du papier, des crayons de couleur... Je sais seulement que la salle est orientée est-ouest avec le tableau au couchant. L’hiver, après l’étude, sans peur mais non sans reproches, je repartais dans la nuit, le long de la Peyne puis par un chemin de vignes vers la campagne du docteur Rolland, une demie-heure environ.
Mais le haut préau aux poutres massives, les grands murs gardiens de l'inconnu, les platanes, étaient mes amis ; l’éclipse totale du 15 février 1961 aussi, observée à travers des verres passés au noir de fumée. 
Est-ce pour une plaie ouverte telle celle évoquée dans le « Temps des cerises » ou peut-être parce qu’ils ont sur la peau les mêmes taches que moi sur le nez et les joues mais en avant-goût de grandes vacances, j'aimerai toujours le temps des abricots qu’on ouvre en rêvant, oreillons moelleux du parfum des beaux jours (2).    
 

(1) le marché du samedi a les mêmes origines historiques et seul le roi (peut-être à l’exception de Foix et de la Bourgogne) octroyait ce droit aux villes.   
(2) obscurantisme ? superstition ? les noyaux qui me suivent partout... 

 


NOTE : dans les hauteurs de l’Indu Kush, un peuple friand d’abricots et plus particulièrement de l’amande du noyau, ne serait pas affecté par les cancers...   


Crédit photo : 1. Abricots rouges du Roussillon en cagette Auteur Varaine. 

jeudi 8 juin 2017

TAILLONS LA NÈFLE, TAILLONS LA VIGNE... / Pézenas

"Taillons-la vigne... la voilà la jolie vigne... "
 


Ma cousine germaine a chanté "Je suis fier d'être bourguignon..." à la fête de l'école et à Fleury ! Et cela n'a choqué personne, cela n'a aucunement exacerbé la plus petite once de chauvinisme ! Les paysans de la vigne, les viticulteurs démontrent le même amour du cep, sous toutes les latitudes et sans jalousie aucune... Alors, dans notre Languedoc naguère premier vignoble du monde, chanter le raisin, c'était avoir cette culture en commun avec les vignerons de France et même d'Europe ! 
Pardon d'en faire état à titre personnel mais la verdure unique des souches reste aussi opulente et fraîche quelle que soit la région d'origine ! Que n'ai-je pris en photo la vigne en fleur ! 

Elle s'est pourtant rappelée à moi, ce matin, parce que j'avais besoin d'un rasséguet, cette petite scie à main qui sert à tailler le bois mort, en fin d'hiver, avant que le bois ne pleure pour cause de renouveau... et j'en avais besoin pour tailler... un néflier du Japon trop enclin à partir chez le voisin ! 
Pas moyen de retrouver ce rasséguet pourtant aperçu quelques temps auparavant ! Mais dans la remise, pendaient contre le mur des ciseaux à tailler... de vieux ciseaux à tailler. 

Le boulot fait, mon père m'a fait remarquer qu'ils étaient marqués "Pézenas". Et après vérification, le nom du forgeron aussi était gravé dans le fer "Antoine" avec la barre du "T" surlignant la totalité du mot. 
  

  

Bien sûr, ce n'est plus l'époque de la taille mais ces ciseaux au repos dans la fraîcheur de la remise ne pouvaient d'autant plus me laisser insensible qu'"Antoine" reste un copain pour la vie et que quand on a la chance d'y avoir vécu enfant, "Pézenas" ne peut que vous laisser un souvenir merveilleux !   

jeudi 7 juillet 2016

OC, OC, NougarOC ! / Fleury d'Aude en Languedoc


La vie, par instants, s’éclaire d’une vive flambée mais c’est sous la cendre qu’elle couve longtemps son lot d’amour, quelques flammèches en témoignent, des fois. Sauf que ça ne se fait pas de se consumer en public, si, chez ces gens-là, « J’aime » c’est épancher son flot ! Et affirmer ses sentiments, en assumer la vigueur serait une preuve de faiblesse.

"Notre cœur est un trésor, videz-le d'un coup, vous êtes ruinés. Nous ne pardonnons pas plus à un sentiment de s'être montré tout entier qu'à un homme de ne pas avoir un sou à lui."
Honoré de Balzac --Le Père Goriot (1835)

Grillé, carbonisé ! Plutôt s’accepter dans le paradoxe, pleinement frêle et fort, yin et yang, braise qui s’éteindrait de ne pas déclarer ses flammes, de ne plus partager un feu avec d’autres entretenu.

Parmi les tisons qui sommeillent, entre âme et contre-cœur, il y a Nougaro. Nous parlions d’Occitanie à cause des turpitudes politiques, du jacobinisme exacerbé, macro sinon hydrocéphale... je ne sais plus et puis on boit du vin, dans le Sud, macarèl ! Avec Nougaro, l’accent, « il est loin mon pays, Toulouse », chantent l’Occitanie et si personne n’a oublié Nougayork, Nougaroc aussi nous prend aux tripes. 



Claude, c’est l’écho de la voix de papa, l’écho d’un pays qui aimerait vivre et respirer sans que tout ne soit dicté et imposé d’en haut. Claude, jongleur de mots dans la langue de tous, raison de plus pour ne plus tolérer la ségrégation visible d’un iceberg de racisme lampant contre le parler des ancêtres, dont ceux de 14, contre notre langue d’Oc (1). 



Claude est venu à moi, j’avais onze sinon douze ans, un jour que je me sentais libéré, passé le porche au classicisme imposant du collège municipal mixte de Pézenas, de l’emprise d’Henri IV, Vidal de la Blache et surtout des professeurs plus pressants et austères. Comme délivré de l’ascendance du Commandeur, m’adonnant aux rêveries aussi futiles qu’oisives de mon âge, je rentrais à la Buvette des Rosiers par le square du Poilu. Entre la mairie et le Cours Jean Jaurès, un quartier populaire de petites rues, d’habitations modestes et collées, à l’opposé des hôtels particuliers si prisés mais plus loin. Une mémoire facétieuse m’a longtemps fait fredonner « ...sous ton balcon, comme Roméo, ô ô, Marie-Christine...», alors que Nougaro était juste papa de Cécile, sa fille...
Monté à Paris, sésame incontournable puisque la province ne reste ouverte qu’à pas grand chose, Claude Nougaro, reste enraciné dans le Sud, « solide comme un roc ». Occi... occitan, son cœur reste entre Toulouse et les Hautes Corbières, en l’occurrence... 

(1) mise à l’honneur notamment par un autre Claudi, Marti de son nom occitan.    


    

mercredi 2 mars 2016

ET À FLEURY, LE CARNAVAL ? / Fleury d'Aude en Languedoc


Et bé, après Pézenas et Limoux, ébaubi et baba je l’ai bée... Néanmoins, serait-ce par petites touches et avec l’espoir que des contributions plus substantielles viendront étoffer ces bribes, quelques pistes... 

Heureusement que le mardi gras est inscrit dans le calendrier et qu’il donne l’envie et l’idée de se masquer, surtout chez les enfants. Il suffit de quelques vieilles fripes dans l’armoire ou le cagibi et du masque qu’on peut s’il le faut, acheter chez Odette ou Madama Zan, les deux bureaux de tabac du village. 

L’après-midi de ce mardi à part, on rencontre dans les rues des groupes déguisés munis d’une casserole ou mieux d’une poêle pour passer de porte en porte en quêtant « Vingt soous din la padeno ! » (vingt sous dans la poêle). C’est un joli tableau quand ces bandes qui se croisent dans les quartiers : les masques se jaugent, se toisent presque à se provoquer, au point de lever, pour rire, la canne ou le bâton car la concurrence est rude et la générosité des maisons limitée !
« Pitchou, les autres sont passés, tiens, un bonbon quand même ! »
Parfois, quitte à revenir ensuite sur ses pas, mieux vaut aller au plus court taper à la bonne porte, souvent chez une mamé curieuse, ridée jusqu’au bout des doigts mais à l’œil guilleret et engageant... les gamins ne s’y trompent pas... Retenant sa pièce au bout des doigts, elle sourit « Qui es-tu, toi ? ». Alors, gêné mais ravi, on dévoile sa frimousse, on bredouille son nom, elle insiste en articulant bien, pour la mamette qui est derrière, encore plus ridée, la paume ouverte contre l’oreille « C’est le fils de François ! ». Et on rougit un peu de tant de fausse modestie ou seulement d’exister tandis que leurs pommettes fripées rosissent... « Ces vieux ! ça n’a qu’une goutte de sang dans les veines, et à la moindre émotion, elle leur saute au visage...» écrivait Alphonse (1) Daudet dans les Lettres de mon Moulin... C’est vrai qu’on en oublie le noir des tabliers qu’elles portent toutes...


Le carnaval rend donc hommage aux mamés (les hommes sont plus bourrus !) mais les masques repartent vite tandis que le préposé à la récolte compte les sous. La fin de l’après-midi pointe, il est temps d’aller à l’épicerie pour du chocolat Cémoi, des barres de Malakoff, des pâtes de fruits et des nougats Dumas, la marque de Pézenas, bref un goûter du tonnerre !


Dans Caboujolette, avec la variante « Un soou à la padeno ! », papa s’est fait l’écho de ces sorties déguisées. Je cite :
« Un de ceux qui tenaient à voir le visage du quêteur masqué, avant de lui donner la pièce, c’était, racontait papé Jean, qui l’avait vu faire chez Pierre Marty, le bourrelier, Cazanave :
« Cal sès, tu ? Te baillarei quicon si m’enlevès lou masqué et si me ba disés ! » (Qui es-tu, toi ? je te donnerai quelque chose si tu m’enlèves le masque et si tu me le dis !)
De quoi tempérer mon sentiment sur les hommes... et sur Carnaval ! Il suffisait de se lancer...
(à suivre) 


(1) maman, Alphonse Galmarre fait 91 ans en mars... comme toi, presque...

mardi 1 mars 2016

QUE PEZENAS N’ES LOU MOUIÒU ! (1) / Fleury d'Aude en Languedoc

    A Limoux, le carnaval s’est affranchi de la contrainte du carême. Qu’importe le mercredi des Cendres, on n’a plus peur de Charlemagne et de la peine de mort pour les contrevenants ! On fait gras ! Vendredi, c’est déjà la fête, de janvier à fin mars !
    Ce jour, nous sommes en mars justement et si Pâques se célèbre aussi en avril, mars appelle la mi-carême, cette entorse aux quarante jours, l’étape réconfortante, à mi-chemin, même si Musset insiste sur la valse prenant le pas sur une danse ancienne quand l’instituteur n’en garde que les roses en boutons et le renouveau dont les coteaux frémissent. 


Le préau de l'école de garçons qui n'avait pas ou au nom inusité.

    Vite, vite, partons à Pézenas où le carnaval respectueux du calendrier religieux marque plutôt le mois de février... Me concernant, c’est une occasion de plus pour voir repasser trois ans de vie ; aussi, je crois pouvoir comprendre l’attachement profond des Piscénois à leur ville, un amour véritable, disons-le, dans lequel l’héritage historique compte beaucoup. 
    « Viouléto de fébrié, per damo e cavalié » (2) relève Mistral dans le Trésor du Félibrige. Sans plus de précision, je me transporte seulement à Saint-Christol, la campagne du docteur Rolland. C’est vrai qu’au sortir de la mauvaise saison, les violettes pointaient une modestie soyeuse qui s’accordait si bien avec la majesté des grands pins du parc. Au pied du mur d’enceinte, le chemin de l’école rejoignait la rivière qui manquerait au décor. La Peyne, capable du pire en très peu de temps (3), il faut l’imaginer, en 1622, début août, alors que la ville offre ses clés au roi en signe de soumission.


La Peyne depuis la ligne désaffectée du chemin de fer (août 2015).
 Une paysanne retrousse son jupon pour passer à gué quand un galant officier la prend en croupe : c’est le maréchal de camp François de Bassompierre ! Mais ce qui est plus étonnant est que les acteurs du joli tableau parcourent toujours les rues, pour carnaval notamment mais pas seulement, juchés sur le poulain, sûrement pour remercier Louis XIII de son indulgence (3)...
    Le poulain, le poulain... je pense à tout sauf à lui, sur mon chemin d’écolier... même pas pour une envie de chocolat ! Et quand je passe devant le commissariat (4), le porche imposant, la cour intérieure, les grands platanes pourraient évoquer un haras royal... Sauf qu’à l’aller je ne voudrais pas être en retard et au retour, l’hiver du moins, il fait déjà nuit après l’étude du soir, au CM2, chez Carrère et c’est moi qui trotte une demi-heure avant de sentir l’écurie ! Et pourtant, c’est bien d’ici qu’il part, propre, apprêté, que ses servants se préparent et prennent la pose tandis qu’une escorte survoltée et braillarde excite l’équipage !



Le Poulain de Pézenas en 2006 à Steenworde / commons wikimedia / auteur Lion59.

    Tout ça pour un poulain ! Ah non ! pas UN poulain ! LE Poulain ! Unique et là depuis longtemps, très longtemps, bien avant Bassompierre et sa paysanne en amazone ! 1226, les archives en attestent. On le doit à Louis VIII. Le roi alors en croisade contre les Albigeois, doit laisser sa jument préférée, mal en point. A son retour, quelle n’est pas sa surprise quand les habitants le reçoivent avec un poulain cabriolant, paré de rubans et sa jument en pleine forme ! « Oncques, s’exclama le souverain, la bonne ville de Pesenàs ne saura désormais célébrer et festoyer sans que mon poulain royal ne caracole ! » Consuls et marchands de se soumettre en saluant bas... Prospérité et fortune valant mieux que vanité mal placée, le Poulain exprime depuis la gratitude de la ville non sans rappeler toutefois la protection qui lui est due... Sa réputation est à l’aune des visites royales et des grands du royaume ! (5)
    C’est qu’il danse et danse bien, le Poulain, toujours accompagné de « aubois », de « petits tambours ». La robe qu’il porte jusqu’à terre est « peinte d’azur » et parsemée de fleurs de lys. Portant un homme et une femme "fort proprement habillés" (6). Il est fort agile et fait des très grandes courses, renversant tout ce qui se trouve à son passage, comme aussi avec sa mâchoire que l'on fait jouer. Aucun cheval ne peut tenir devant lui ; il épouvante tout. On ne sauroit bien décrire tout le secret de cette machine. Nos Seigneurs les Princes lui firent donner dix louis, et ne pouvaint se lasser de le voir.» (Monseigneur le Duc de Bourgogne avec Monseigneur le Duc de Berri, en visite à Pézenas en 1700).
https://archive.org/stream/archivesdelavill01ress/archivesdelavill01ress_djvu.txt   
    Emblématique, totémique, derrière un meneur tambourinant en fou du roi, le Poulain cabre et rue, tendant le cou vers les balcons pour quêter, entre ses mâchoires, l’obole des pauvres. Pour carnaval, le mardi-gras est chômé : ça je n’ai pas oublié qu’il n’y a pas école ce jour-là ! Il faut voir cette foule trépidante, suivant, tambour battant, les fifres, grosses caisses et tambourins. Dans un nuage de confettis et de farine, les masques, les farandoles de panèls, comme pris dans une danse de Saint-Blaise, scandent à travers la ville la chanson du Poulain ! 



Le Poulain toujours à la Ronde des Géants à Steenworde (2006) Commons wikimedia / Auteur Daniel 71953.
 

    Louis VIII avait précisé, dit-on, que l’armature serait en bois de châtaignier. Elle est aujourd’hui légère et démontable, pour prendre l’avion car le Poulain, au patrimoine immatériel de l’Unesco (2005) porte nos couleurs loin dans le monde (Delhi et Bombay dès 1989, Barcelone, la Hongrie...). Et s’il gambade aussi l’été lors de l’inauguration de la Mirondèla dels Arts, le premier août il tient à marquer le lien indéfectible entre la cité et les enfants partis au loin, quand, en chemise blanche, les gros nez moustachus charient sans varier en braillant que «... de Pézenas sen pas de Counas !»         
 

(1) "Lou Lengado ‘s un iòu
Que Pezenas n’es lou mouiòu." (le Languedoc est un œuf et Pézenas en est le jaune).

(2) "Violette de février pour dame et cavalier". Le violet, la couleur, associé au blanc, en particulier au rugby, avec le stade non loin de là d’ailleurs, à gauche avant le passage à niveau de la Grange-des-Prés...
(3) sujette, historiquement, comme tous les cours d'eau descendant de la bordure des Cévennes, à des crues aussi subites que violentes. 
Le 18 septembre 1622, lors du siège de Montpellier cité protestante par les troupes royales, un gros orage provoque la crue du Merdanson. François de Bassompierre, Maréchal de France (oct 1622) écrit de mémoire depuis sa cellule (emprisonné à la Bastille de 1631 à 1643... Louis XIII savait être ingrat et cruel...) dans « Journal de ma vie » : « Le 18, la journée fut perdue encore par suite d’un violent orage. Le Merdanson déborda et entraîna plus de cent lansquenets qui s’étaient logés dans des huttes creusées sur le bord de la rivière, pour y trouver un abri contre la chaleur. »
https://fr.wikisource.org/wiki/Journal_de_ma_vie_%28Bassompierre%29/3
 
(4)
les pères de "Bayette" et Patrick, camarades de classe, y travaillent.  
(5) Les Huguenots se révoltèrent contre Louis XIII tant leurs craintes étaient grandes de perdre la reconnaissance officialisée sous le règne de son père, Henri IV (Édit de Nantes avril 1598). Les campagnes royales de 1621 et 1622 avaient tout des huit guerres successives désastreuses pour le pays depuis 1560 et marquées par l’ingérence étrangère (Espagne, Savoie, Angleterre). Si le château de Pézenas dut être démonté parce que des nobles locaux avaient pris le parti des protestants, l’inflexibilité royale (massacre de Négrepelisse, forte rançon exigée contre la vie sauve à Saint-Antonin-Noble-Val) aurait pu coûter bien plus cher à la ville...   
(6) Estièinou et Estièinetto.

Entre autres sources :
http://amis-pezenas.com/le-patrimoine/les-traditions-populaires/
http://www.herault.fr/2012/03/05/poulain-de-pezenas-un-animal-totemique-star-carnaval-11777
http://www.ville-pezenas.fr/le-poulain-de-pezenas-444/

http://www.dailymotion.com/video/x33bisc_2015-pezenas-retour-des-machous_fun