Tant pis si tout se mélange mais quelques jours après avoir publié l'article sur les Auzils, les marins perdus en mer, avec l'art poétique de Hugo, de Lamartine, propres à élever nos consciences, à cause d'un remords ou du moins la sensation de n'avoir pas tout dit, je dois évoquer une autre grande âme, une présence qui a pris forme avec ces quelques mots pourtant communs : " depuis la chapelle, le regard embrasse le Golfe jusqu'à la Côte Vermeille ".
Depuis la Clape et Gruissan, ne vous privez pas, en effet, du plaisir de suivre, au Sud cette fois, la courbure du Golfe, l'inflexion magique qu'aucune carte ne saurait rendre et qui finit avec les Pyrénées plongeant dans les eaux, à Cerbère pour la frontière, non pas des enfers, gardée par le chien féroce, mais celle, avec notre sœur latine, catalane, espagnole. Un peu avant, dans les gris-bleus nimbés de mauve qu'offre l'horizon, Collioure.
Collioure sur la Côte Vermeille, comme symétrique à Sète par rapport à la Clape, à l'Allée des Naufragés et Notre-dame-des-Auzils. Pourquoi toujours chercher une coïncidence ? Pourtant, à Collioure, un cimetière aussi, non loin de la mer avec la tombe d'un immigré échoué là en 1939, pour cause de Guerre d'Espagne. Antonio Machado, l'illustre poète républicain y repose, presque par le pathétique d'une faveur parce que ses amis ont plaidé, le comparant à Valéry, pour qu'il ne finisse pas dans le camp d'Argelès... (en ce temps-là, l'asile concédé aux réfugiés républicains n'était pas digne de la patrie des droits de l'Homme...).
Jean Ferrat a chanté ces vers d'Aragon :
- "... Machado dort à Collioure
- Trois pas suffirent hors d'Espagne
- Que le ciel pour lui se fit lourd
- Il s'assit dans cette campagne
- Et ferma les yeux pour toujours..."
"Caminante", le poème le plus connu de Machado, rejoint incidemment le questionnement troublant et l'appréhension qui sont nôtres face aux profondeurs de la mort, de la mer :
Dignes et respectueux, des jeunes d'un voyage scolaire sur la tombe d'Antonio Machado au cimetière vieux de Collioure ; bien présentes aussi, les couleurs de la République Espagnole. |
Évocation du dernier voyage, du bateau qui ne reviendra jamais... Encore une coïncidence...
On ne saurait le dire mais des sillons de mémoire savent graver la profondeur des chemins qui passent. Il n'est pas nécessaire de toujours relever cette intemporalité, cela agacerait à force. Et puis l'élévation de cette quête permet, entre autres raisons plus prosaïques, d'apprécier la vie et d'y voir du bonheur, à la vue, depuis la Chapelle des Auzils, de la courbure, de l'inflexion magnifique du Golfe du Lion, faucille d'or sur le bleu des flots pour une corne d'abondance qui, malgré bien des inquiétudes d'actualité, nous permet encore de rêver...