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samedi 19 novembre 2022

De Bernard CLAVEL à Jean-Pierre GROTTI.

1999 Auteur Chabe01 / Loyettes, petite localité rive droite du Rhône non loin d'Anthon... 


Une réflexion qui me ramène à un de mes auteurs préférés, Bernard Clavel. Son inspiration; il la doit aux endroits qu’il a habités, des bords du Rhône au Canada en passant par la Savoie, le Léman, l’Irlande mais il n’a jamais écrit quelque chose qui se passe où il vit ! Toujours : prendre de la distance pour y être ! L’homme aux quarante déménagements ne s’est fixé qu’une fois mort... et c’est dans le Jura qu’il repose à jamais. Alors ? Rester ? Partir ? Revenir ? Remplir sa mémoire qui telle une source, coulera un jour... 

Paris,_Salon_du_Livre_2015_(37)wikimedia commons Jean-Pierre_Grotti Auteur Havang(nl)

Je pense aussi à un auteur bien de chez nous, encore de terroir, de proximité qui plus est, puisqu’il faut distinguer du parisianisme, Jean-Pierre Grotti. Instituteur il fut, toujours à Prat-de Cest, près de Narbonne, instituteur il reste, de classe unique. Au fil de ses nombreux romans, entre passé et présent, il décline la vie dans un périmètre bien défini, entre l’Aude, la frontière, l’Espagne de la guerre civile, les pays perdus qui se vident, les apports en population, cette immigration naturelle de travailleurs mieux tolérée entre pays latins, celle, des retraités européens venus profiter des douceurs du Sud et qui ont le mérite de redonner vie à des villages morts.   

Alors ? Au fil des motivations, peut-être avec la faiblesse de ne pas assez faire le lien avec le présent, avant la Tchécoslovaquie, avant Mayotte, avant la Réunion et, qui sait, avec Lyon et ses abords, même si Clavel en a trop bien parlé... Alors, tant que je ne veux pas plus rester stérile qu’impuissant, je vais vous le raconter en premier, mon village, avant cette ouverture aux autres, aux horizons proches, parce qu’il faut rester positif, réceptif et radioactif pour ceux qu’on aime de près ou de loin, dans une dimension planétaire, dans une empathie outrepassant l’orbe familiale, le cercle familier, le coin de vie ou du souvenir... 

dimanche 18 mars 2018

AU DELÀ DES PYRÉNÉES / Fleury d'Aude en Languedoc



« Caminante no hay camino [Toi qui marches, il n'y a pas de chemin]

Todo pasa y todo queda, [Tout passe et tout reste,]
pero lo nuestro es pasar, [mais pour nous c’est passer,]
pasar haciendo caminos, [passer en faisant des chemins,]
caminos sobre el mar… » [des chemins sur la mer.]
Antonio Machado



Des Albères à l’Andorre les cols enneigés des Pyrénées catalanes évoquent toujours le calvaire lié à la Retirada[1]. Armand Lanoux (1913-1983) la garde dans la trame du roman « Le Berger des abeilles ». Dès lors, parce que la France les a parqués dans des camps[2] qualifiés, en 1939, « de concentration », les plages d’Argelès, de Saint-Cyprien, du Barcarès, on ne les voit plus avec le sable, le soleil des vacances mais avec les latrines, la dysenterie, la malnutrition, les conditions indignes « d’accueil » qui occasionnèrent un surplus de victimes (approximation raisonnable 1500-2000 / Javier Rubio « L’accueil de la grande vague de réfugiés de 1939). 



Aussi, surplombant Cerbère, ce Coll dels Belitres, en 1962, avec son grand-père tchécoslovaque, donc ressortissant d’un pays communiste, une confrontation avec l’Espagne fasciste de Franco. Des dauphins jouaient au loin dans un marinas du diable roulant vers les roches des cumulus de décembre, gris et froids.  Le douanier français leur avait indiqué le sentier vers l’auberge en territoire espagnol au-dessus de Port-Bou, manière d’acheter l’anisette, les allumettes en cire, quelques cartes postales et une paire de castagnettes : une invitation au voyage que la frontière interdite ne pouvait qu’exalter. 


Devant son tenillier, une certaine idée de l’Espagne, germée avec des musiques prenantes, ancrées aux âmes forgées par la rudesse des plateaux, du climat, du passé, farouches. Déjà la pochette du 33 tours « La Danza »[3], splendide, hante sa mémoire. Un flamenco mêlant l’élégance des tenues à l’appel des corps cambrés, confrontation finalement convergente entre sexes opposés, aux accents à la fois nobles et rogues sous un ciel rouge de mystères, de menaces. Une image de l’Ibérie toujours envoûtante, une invitation à l’érotisme maintenant que l’adulte revient sur ses sensations de gamin de 8-9 ans… 


Plus sage, rapporté par le père suite à une excursion scolaire, le petit âne porteur de jarres, le guardia civil en apparence si sympathique sous son tricornio ! Interdit de jouer avec !  
L’Espagne, nos voisins, nos cousins, ce sont aussi ces vendangeurs venus si nombreux et auxquels il doit ce goût curieux pour la prononciation, l’accent ibériques, une attirance irrépressible pour le tilde et la jota, mais plus pour la vendangeuse indomptable que la métathèse ou le fricatif de ceux qui craignent, justement, de s’y frotter… 
La petite vendangeuse de ses dix-sept ans, brune, aux yeux amande, tonique, si vive. Juste des regards qui se croisent, se détournent vivement pour se chercher à nouveau, sans oser se fixer, magnifiés en tant qu’actes manqués… Puis seulement un remous coupable venu des profondeurs du cœur, quelques vendanges plus tard, parce que Julien Clerc chantait «… et si jamais je vous disais ce qui fait tous mes regrets… ». Sempiternel dilemme entre remords et regrets, la vraie vie et la rêvée, peuplée de celles que l’on n’a pas eues. Tant mieux, alors, si une paisible curiosité culturelle vient recouvrir ces pulsions presque instinctives, ces fantasmes qui confortent, qui sait, en les déstabilisant, nos chemins sur la mer… 


Ces immigrés d’ancienne date, porteurs, de vague en vague, jusqu’à la péripétie franquiste, des aléas de l’histoire, ouvriers agricoles restés en France, une communauté discrète, un temps endogame, à part, et qui, petit à petit, a acheté des vignes et s’est fondue, avec les années, dans la société languedocienne…





[1] A lire aussi « La longue marche de Joaquin l’Espagnol » de Jean-Pierre Grotti (1949), un Coursanais installé à Prat-de-Cest où il fut instituteur. A son actif bon nombre de romans de « terroir » voire régionalistes avec Joaquin l’Espagnol, originaire de la Mancha.

[2] D’autres camps sont créés pour désengorger le Roussillon : Gurs pour les Brigadistes internationaux, Agde et Rivesaltes pour les Catalans, Bram pour les vieillards, Le Vernet (d’Ariège) pour la Division Durruti. Autres sites, Les Milles, Rieucros (Lozère), Septfonds. 

[3] Le jour où l’adulte veut creuser ses sensations d’enfant, il apprend que Carmen Dragon est un homme, chef d’orchestre du Hollywood Bowl Orchestra, que « danza » se dit aussi en italien et que les Américains ont le chic pour toujours tirer la couverture à eux. Seraient-ils talentueux, ils s’autorisent un fatras de morceaux venant de Cuba, du Brésil, peut-être du Mexique aussi, trompant ainsi un pauvre gosse de huit ans passés resté riche malgré tout de cette magie du moment (papa avait acheté le disque à monsieur Moulin habitant alors aussi avenue de Salles). 

Photos autorisées : 1. Antonio Machado en 1925 por Leandro Oroz Lacalle (1883-1933)