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mercredi 12 juillet 2023

SÈTE 17. La supplique de BRASSENS.

 Pas loin, le rond-point encore d’une chaîne, celle liant Sète à Valéry. Le cimetière marin est juste au-dessus. Y reposent aussi Henri Colpi (1921-2006), Emmanuel Gambardella (1888-1953), Jean Vilar (1912-1971) (1), pour toujours lié au festival d’Avignon créé et dirigé par lui de 1947 à 1970. 

Sète Théâtre de la Mer vu depuis le brise-lames 2013 Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported Auteur Christian Ferrer

Il suffit alors de suivre la route de la corniche d’abord creusée dans le roc ; elle passe au pied du Théâtre Jean Vilar, avec ses airs de fortin espagnol ou à la Vauban, (pourquoi espagnol puisque ce sont plutôt les Anglais qui ont réussi à prendre Cette quelques jours ? Ah oui, j’ai dû mentionner quelque part le récital de Paco Ibañez (1934), frère qui plus est, de Roger Ibañez (1931-2005), l’un des réfugiés dans « L’Espagnol » de Bernard Clavel).

Le théâtre de la Mer avec, en bas, les vagues plus obstinées encore à attaquer les entailles dans le rocher. La route qui s’accroche et offre une belle vue sur le lido avec, au bout d’un rivage rectiligne de vingt kilomètres, le pied du Pic Saint-Loup, le volcan d’Agde, éblouissant de soleil, découvre une paire de petits croissants de sable. Au creux de l’un d’eux, comme un monticule sur la plage signalé par un arbre, jeune, à n’en pas douter, quoique déjà gaillard, répondant aussi aux dernières volontés de Brassens :

« ...Que vers le sol natal mon corps soit ramené
Dans un sleeping du « Paris-Méditerannée »,
Terminus en gare de Sète... » 

Le premier de ses souhaits :

« ...Juste au bord de la mer, à deux pas des flots bleus,
Creusez, si c'est possible, un petit trou moelleux,
Une bonne petite niche,

Auprès de mes amis d'enfance, les dauphins,... (2) »

Sète vue depuis la plage du Lido 2007 Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International Auteur Fagairolles 34

La première des raisons invoquées par le Sétois est que le coin est bien exposé au Sud, protégé quelque peu des tempêtes :

« ...C'est une plage où, même à ses moments furieux,
Neptune ne se prend jamais trop au sérieux,... » 

(1) mort dans sa maison « Midi le Juste » suite à un second infarctus, le 28 mai 1971. 

(2) C’est vrai qu’on les voyait chasser en groupe, dans les vagues, juste au large de la plage, par gros temps... Il y a si longtemps qu’on ne les voit plus... puisque ce signal n’a pas pour autant rendu la pêche raisonnable... (ce que j’en dis... je ne suis pas spécialiste, je n’émarge pas contre les profits de la pêche... industrielle).

samedi 19 novembre 2022

De Bernard CLAVEL à Jean-Pierre GROTTI.

1999 Auteur Chabe01 / Loyettes, petite localité rive droite du Rhône non loin d'Anthon... 


Une réflexion qui me ramène à un de mes auteurs préférés, Bernard Clavel. Son inspiration; il la doit aux endroits qu’il a habités, des bords du Rhône au Canada en passant par la Savoie, le Léman, l’Irlande mais il n’a jamais écrit quelque chose qui se passe où il vit ! Toujours : prendre de la distance pour y être ! L’homme aux quarante déménagements ne s’est fixé qu’une fois mort... et c’est dans le Jura qu’il repose à jamais. Alors ? Rester ? Partir ? Revenir ? Remplir sa mémoire qui telle une source, coulera un jour... 

Paris,_Salon_du_Livre_2015_(37)wikimedia commons Jean-Pierre_Grotti Auteur Havang(nl)

Je pense aussi à un auteur bien de chez nous, encore de terroir, de proximité qui plus est, puisqu’il faut distinguer du parisianisme, Jean-Pierre Grotti. Instituteur il fut, toujours à Prat-de Cest, près de Narbonne, instituteur il reste, de classe unique. Au fil de ses nombreux romans, entre passé et présent, il décline la vie dans un périmètre bien défini, entre l’Aude, la frontière, l’Espagne de la guerre civile, les pays perdus qui se vident, les apports en population, cette immigration naturelle de travailleurs mieux tolérée entre pays latins, celle, des retraités européens venus profiter des douceurs du Sud et qui ont le mérite de redonner vie à des villages morts.   

Alors ? Au fil des motivations, peut-être avec la faiblesse de ne pas assez faire le lien avec le présent, avant la Tchécoslovaquie, avant Mayotte, avant la Réunion et, qui sait, avec Lyon et ses abords, même si Clavel en a trop bien parlé... Alors, tant que je ne veux pas plus rester stérile qu’impuissant, je vais vous le raconter en premier, mon village, avant cette ouverture aux autres, aux horizons proches, parce qu’il faut rester positif, réceptif et radioactif pour ceux qu’on aime de près ou de loin, dans une dimension planétaire, dans une empathie outrepassant l’orbe familiale, le cercle familier, le coin de vie ou du souvenir... 

mardi 5 octobre 2021

J'AIME quand ils évoquent les VENDANGES / 3. Bernard Clavel.

Comment ne pas être ému par le chemin de vie d'un petit apprenti pâtissier de quatorze ans livré à un patron sans humanité ?

Alors qu'à la maison il n'y a pas un seul livre et que la lumière dans la pièce à vivre laisse les coins dans une ombre inquiétante, comment ne pas être ému par sa passion autodidacte d'un jusqu’au-boutiste de l'écriture, à l'image d'un Bernard Palissy brûlant ses tables et son plancher pour accéder au secret de la glaçure d'une coupe de céramique émaillée ? De sa période difficile (1945 - 1957), il dit : " Je revois Vernaison, les rives encore sauvages, la véranda où j’écrivais. Je revois mes enfants tout petits, sans gâteries ni vacances de soleil, car nous étions pauvres. Je revois ma femme tapant le manuscrit sur une antique machine prêtée par le menuisier du village, mon ami Vachon, qui croyait en moi. » (1)

Comment ne pas être ému par la maîtrise des mots, du style, de toutes les scènes ciselées jusqu'au moindre détail que Bernard Clavel donne à voir ? 

Vignes de la Côte Chalonnaise - St-Désert Saône-et-Loire - Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International Author Nanzig
 

Comment ne pas être ému en retrouvant des vignes 570 kilomètres plus loin, alors qu'on n'a quitté les nôtres que la veille ? Comment cacher que cette descente sur Chalon-sur-Saône m'est chère ! Du coup, tant ces pays de cépages ont un air de famille, je suis l'ami, le cousin lointain en visite, qui fera seulement étape car au-delà de la Saône (2) et de la Bresse Bourguignonne se devine la ville de Dole où Clavel eût à subir son patron pâtissier. Qui plus est, vers l'est, la plaine est barrée par les premiers contreforts du Jura, où, à proximité de Lons-le-Saunier (3), se situe le vignoble du Jura... L'écrivain le connaît bien pour y avoir vendangé (4), bouille sur le dos, cette hotte de poids qui meurtrit aussi les épaules et le dos de Pablo, le héros du roman "L'Espagnol" (1959) que Clavel a croisé à Château-Chalon. Dans cet ouvrage Clavel parle avec amour des vignes et de la vendange. 

D'abord ce sont les mots nouveaux qui font plaisir à propos de vignes certes mais dans une différence, déjà un exotisme qui ne peut qu'enrichir : 

* sur le chariot peut-être à quatre roues, deux sapines, vastes cuveaux ronds en sapin pour le transport du raisin.

* la bouille est une hotte. Les coupeuses demandent la bouille quand le seau est plein. Enrique, l'autre réfugié embauché, rustre et antipathique, laisse retomber la seille sur la bouille, sans aucun égard pour le dos de Pablo quand il vide : 
"... Il prit une seille, la souleva et la laissa retomber à bouchon sur la bouille. Pablo vacilla. Il sentit des grains de raisins rouler sur sa nuque et du jus glacé couler le long de son dos..."  

* la seille est un seau de bois muni d'oreilles. 

* une ranche, un mot local sûrement, une rangée de ceps. "... Moi comme je ne peux pas me baisser, pas question que je mène une ranche, alors je vais près d'eux et je coupe ce qui est en haut..." explique le patron. 

Autant Pablo fait le maximum autant Enrique y va de sa mauvaise volonté : il a froid aux mains et voudrait la hotte pour se réchauffer. 
"... Le patron s'était redressé. Brandissant son sécateur, il se mit à crier :
-- Ah non hein ! Qu'il commence pas à nous emmerder celui-là. Sinon ça ne va pas traîner. Moi je vais descendre à la poste et téléphoner qu'on vienne le chercher."

De même, le patron a dit non à Pablo qui voulait un sécateur pour aider et s'il répond qu'il n'a qu'à se rouler une cigarette, il est vrai que sans rigueur, on ne fait pas du bon travail. 

Éloigné de l'équipe encore cachée par la brume matinale, il descend à la charrette et s'étonne de parler catalan à la jument qui tourne la tête vers lui. 

"Il lui donna une grappe de raisin qu'elle mâcha en bavant du jus rouge." A sa remontée les seilles sont pleines. 
Il explique, pour la jument. 
"... Comme s'il avait deviné, le patron recommanda :
-- Lui donne pas trop de raisin glacé, c'est pas bien bon." 
 
Chateau-Chalon Wikimedia Commons Author Tangopaso.
 
La brume s'effiloche, le soleil perce. Ébloui, il lève la tête, les vendangeurs se redressent aussi. En bas de la vigne "dorée", luisante "dans une pluie de gouttes de soleil"
"... Alors demanda le patron, t'as jamais vu le soleil se lever ?" 
A chacune de ses descentes, il découvre, le village, son clocher, la "rouille" des vignes, les peupliers, sur les chemins, charrettes et chevaux, plus loin d'autres clochers, la plaine bressane, d'autres villages, des fermes à part, au fond, la ligne bleue de la bordure du Massif-Central. 
 
A midi, ils déjeunent (ils ont pris la soupe avant de partir). Une planche sur des seaux empilés et renversés pour les vieux, les femmes sur un seau, les Espagnols sur l'herbe. La patronne, appuyée au plateau de la charrette coupe de "larges chanteaux" de pain et sert avec, le lard, la saucisse, le fromage et le vin. Ensuite, la goutte. Puis les hommes fumèrent la cigarette pendant que les femmes rangeaient. 
 
Ils vont travailler jusqu'au soir alors que les lampes s'allument et que les fumées montent dans le ciel bleu nuit. Jeannette, la fille trisomique, est chargée d'allumer le feu pour la soupe. Le patron dételle la Noire et la fait boire. Le vieux Clopineau reste pour décharger. Heureusement que ce n'est que du rouge à laisser fermenter sans pressurer au préalable après la soupe, comme pour le blanc. Enrique veut abandonner : on lui demande, avant, d'aider à installer la goulotte pour rentrer le raisin à la cave à l'aide de "bigots" et en finir avec des "puisoirs" pour le jus.    

(1) En 1958, son troisième roman "Qui m'emporte" est accepté, à force, par Robert Laffont. 

(2) Puisqu'il faut l'appeler par son nom alors que tant pour la longueur que le débit, ce devrait être le Doubs qui conflue à Lyon avec le Rhône...  

(3) En 1923, Bernard Clavel y est né et y a grandi. Sa maison, ses parents sont présents dans la série de quatre tomes "La grande Patience"dont "Les Fruits de l'Hiver", prix Goncourt 1968. Pour l'anecdote, Lons-le-Saunier est la ville de la Vache qui Rit !

(4) Bien qu'éternel nomade, Clavel a habité le coin et y est enterré. 

En complément l'article de juin 2020.
https://dedieujeanfrancois.blogspot.com/2020/06/lespagnol-bernard-clavel-jean-prat.html 

Quatrième de couverture... La suite est coupée, elle en disait trop... A lire absolument sans oublier les deux épisodes à la hauteur, des années 60 à la télévision !



lundi 1 juin 2020

L'ESPAGNOL / Bernard Clavel, Jean Prat.

L'Espagnol ! 

Qu'il sonne ce nom quand on est du Sud puisque leur immigration est aussi sobre qu'ancienne... Et comme il fait sonner faux l'ouverture contemporaine tous azimuts au nom de principes aussi aveugles qu'éculés. 

Qu'il carillonne ce nom au souvenir de ces colles de vendangeurs dignes et qui apportaient dans nos villages centrés sur leurs vignes un exotisme, un intérêt et une acceptation de la différence. 

Qu'il est poignant ce tocsin lorsque 450.000 Républicains passent en France lors de la Retirada pour être hébergés si indignement. 

Pourtant, en dépit de notre veulerie gouvernementale (malheureusement c'est un travers récurrent de nos politiques), les rapports entre humains eux, rapprochent et savent être généreux. 

Pablo et Enrique sont réfugiés. Ils arrivent dans le Revermont, sur les premiers contreforts du Jura, pour les vendanges. Si Enrique, obnubilé par la lutte contre les fascismes ne s'attache ni aux gens ni au pays, ce ne sera pas le cas de Pablo. 

Quand on aime la terre et qui plus est quand ce sentiment devient passion parce que la vigne sous n'importe quelle latitude sait nourrir un amour paysan exclusif et parce que Bernard Clavel a su si bien dépeindre la réalité des relations humaines, la mentalité petit propriétaire, les rapports de couple ou homme-femme, ceux intergénérationnels avec des vieux aussi dignes que respectés (un abime avec leur situation en EHpad et le covid... terrible la régression !), la vie familiale avec une fille trisomique. 

Une histoire, un livre formidables avec en prime, ce qui est rare, une adaptation magnifique de Jean Prat à la télé (disponible sur le site de l'INA).
Jean-Claude Rolland qui joue le rôle de Pablo s'est suicidé en prison alors qu'il ne s'agissait que d'une banale pension alimentaire non versée... 

Et quand on est pour les sensations fortes et non pour une ligne de vie plate, L'Espagnol, le livre, son auteur et le film vous font vite passer d'un pic d'exaltation à un repli de détresse... mais sans ces forces qui déstabilisent, remettent en question et obligent à plonger au fond de soi, que vaudrait la vie ?