« Caminante no hay camino [Toi
qui marches, il n'y a pas de chemin]
Todo pasa y todo queda, [Tout passe et tout reste,]
pero lo nuestro es pasar, [mais pour nous c’est passer,]
pasar haciendo caminos, [passer en faisant des chemins,]
caminos sobre el mar… » [des chemins sur la mer.] Antonio Machado
pero lo nuestro es pasar, [mais pour nous c’est passer,]
pasar haciendo caminos, [passer en faisant des chemins,]
caminos sobre el mar… » [des chemins sur la mer.] Antonio Machado
Des Albères à l’Andorre les cols enneigés des Pyrénées catalanes
évoquent toujours le calvaire lié à la Retirada[1]. Armand Lanoux (1913-1983) la garde dans la
trame du roman « Le Berger des
abeilles ». Dès lors, parce que la France les a parqués dans des camps[2] qualifiés, en 1939, « de
concentration », les plages d’Argelès, de Saint-Cyprien, du Barcarès, on
ne les voit plus avec le sable, le soleil des vacances mais avec les latrines,
la dysenterie, la malnutrition, les conditions indignes « d’accueil »
qui occasionnèrent un surplus de victimes (approximation raisonnable
1500-2000 / Javier Rubio « L’accueil de la grande vague de réfugiés
de 1939).
Aussi, surplombant Cerbère, ce Coll dels Belitres, en 1962, avec son grand-père tchécoslovaque, donc
ressortissant d’un pays communiste, une confrontation avec l’Espagne fasciste
de Franco. Des dauphins jouaient au loin dans un marinas du diable roulant vers
les roches des cumulus de décembre, gris et froids. Le douanier français leur avait indiqué le
sentier vers l’auberge en territoire espagnol au-dessus de Port-Bou, manière
d’acheter l’anisette, les allumettes en cire, quelques cartes postales et une
paire de castagnettes : une invitation au voyage que la frontière
interdite ne pouvait qu’exalter.
Devant son tenillier, une certaine idée de l’Espagne, germée avec des
musiques prenantes, ancrées aux âmes forgées par la rudesse des plateaux, du
climat, du passé, farouches. Déjà la pochette du 33 tours « La
Danza »[3], splendide, hante sa mémoire. Un flamenco mêlant
l’élégance des tenues à l’appel des corps cambrés, confrontation finalement
convergente entre sexes opposés, aux accents à la fois nobles et rogues sous un
ciel rouge de mystères, de menaces. Une image de l’Ibérie toujours envoûtante,
une invitation à l’érotisme maintenant que l’adulte revient sur ses sensations
de gamin de 8-9 ans…
Plus sage, rapporté par le père suite à une excursion scolaire, le petit âne porteur de jarres, le guardia civil en apparence si sympathique sous son tricornio ! Interdit de jouer avec !
L’Espagne, nos voisins, nos cousins, ce sont aussi ces vendangeurs venus si nombreux et auxquels il doit ce goût curieux pour la prononciation, l’accent ibériques, une attirance irrépressible pour le tilde et la jota, mais plus pour la vendangeuse indomptable que la métathèse ou le fricatif de ceux qui craignent, justement, de s’y frotter…
L’Espagne, nos voisins, nos cousins, ce sont aussi ces vendangeurs venus si nombreux et auxquels il doit ce goût curieux pour la prononciation, l’accent ibériques, une attirance irrépressible pour le tilde et la jota, mais plus pour la vendangeuse indomptable que la métathèse ou le fricatif de ceux qui craignent, justement, de s’y frotter…
La petite vendangeuse de ses dix-sept
ans, brune, aux yeux amande, tonique, si vive. Juste des regards qui se croisent, se détournent
vivement pour se chercher à nouveau, sans oser se fixer, magnifiés en tant
qu’actes manqués… Puis seulement un remous coupable venu des profondeurs du cœur,
quelques vendanges plus tard, parce que Julien Clerc chantait «… et si jamais
je vous disais ce qui fait tous mes regrets… ». Sempiternel dilemme entre
remords et regrets, la vraie vie et la rêvée, peuplée de celles que l’on
n’a pas eues. Tant mieux, alors, si une paisible curiosité culturelle vient recouvrir
ces pulsions presque instinctives, ces fantasmes qui confortent, qui sait, en les déstabilisant, nos chemins sur la mer…
Ces immigrés d’ancienne date, porteurs, de vague en vague, jusqu’à la péripétie
franquiste, des aléas de l’histoire, ouvriers agricoles restés en France, une communauté
discrète, un temps endogame, à part, et qui,
petit à petit, a acheté des vignes et s’est fondue, avec les années, dans la
société languedocienne…
[1]
A lire aussi « La longue marche de Joaquin l’Espagnol » de
Jean-Pierre Grotti (1949), un Coursanais installé à Prat-de-Cest où il fut
instituteur. A son actif bon nombre de romans de « terroir » voire
régionalistes avec Joaquin l’Espagnol, originaire de la Mancha.
[2]
D’autres camps sont créés pour désengorger le Roussillon : Gurs pour les
Brigadistes internationaux, Agde et Rivesaltes pour les Catalans, Bram pour les
vieillards, Le Vernet (d’Ariège) pour la Division Durruti. Autres sites, Les
Milles, Rieucros (Lozère), Septfonds.
[3]
Le jour où l’adulte veut creuser ses sensations d’enfant, il apprend que Carmen
Dragon est un homme, chef d’orchestre du Hollywood Bowl Orchestra, que « danza »
se dit aussi en italien et que les Américains ont le chic pour toujours tirer
la couverture à eux. Seraient-ils talentueux, ils s’autorisent un fatras de
morceaux venant de Cuba, du Brésil, peut-être du Mexique aussi, trompant ainsi
un pauvre gosse de huit ans passés resté riche malgré tout de cette magie du
moment (papa avait acheté le disque à monsieur Moulin habitant alors aussi
avenue de Salles).
Photos autorisées : 1. Antonio Machado en 1925 por Leandro Oroz Lacalle (1883-1933)
Photos autorisées : 1. Antonio Machado en 1925 por Leandro Oroz Lacalle (1883-1933)